Emmanuel Todd et le catholicisme français

ClaudeDagens

Qui est Charlie ? Sociologie d’une crise religieuse, le sous-titre de ce livre est important, car Emmanuel Todd sait qu’entre les bouleversements politiques et les phénomènes religieux existent souvent des imbrications et même des interactions. Le sociologue, avec des cartes à l’appui de ses analyses, veut faire œuvre de révélation. Il cherche à démasquer ce qui se cacherait derrière la grande revendication républicaine du 11 janvier 2015. Son diagnostic est rude : les motifs nobles de défense de la laïcité et de liberté d’expression ne seraient qu’une façade, alors qu’en profondeur, les manifestants s’inspireraient d’une idéologie à base d’autoritarisme et de refus de l’égalité, qui serait dans la société française la trace tenace d’une culture catholique en état de survie. J’ai pensé d’abord qu’il fallait refuser cette vision très partielle de ce que l’on appelle le catholicisme considéré comme un système autant qu’une religion.

Mais j’ai compris que l’intention de l’auteur est beaucoup plus large. Il sait montrer les dépendances réciproques qui relient crises politiques et évolutions religieuses : la Révolution française, de 1789 à 1795, est inséparable de la crise intellectuelle et spirituelle du catholicisme, dans la seconde moitié du XVIIIe siècle, sans oublier l’influence janséniste, liée à une conception d’un Dieu désincarné, qui laisse la place libre aux rêves de transformation sociale. La dévitalisation du catholicisme provoque toujours des vides qu’Emmanuel Todd qualifie de métaphysiques.

Il n’est pas interdit d’analyser ainsi les temps actuels, marqués par des incertitudes économiques évidentes, surtout quand des logiques financières déliées du réel dictent leurs lois aux marchés, et marqués tout autant par un athéisme diffus, beaucoup plus inquiet que conquérant ou même humaniste. Emmanuel Todd a raison de penser que l’athéisme est devenu difficile, surtout si, pour faire bonne figure, il s’accompagne de transgressions aussi bien sexuelles que financières, qui donnent à ses adeptes l’impression non pas de se mettre à la place de Dieu, mais de jouer avec la vie et de défier la mort. Mais certains athées d’aujourd’hui ont le sens du tragique et de l’absurde. Ils se battent, ils luttent, ils ne rêvent pas de « réenchanter le monde », ils sont très différents des promoteurs de la première laïcité, si ardente dans ses projets d’émancipation des hommes par la raison, et encore plus des communistes du XXe siècle, qui se présentaient comme les prophètes d’un monde régénéré par la lutte des classes. Les temps actuels sont dominés par un désenchantement sournois et par une désacralisation assez générale de toutes les idoles d’antan, y compris de la République laïque, ce qui peut justifier un réveil laïciste parallèle à la résurgence de certaines formes de catholicisme intransigeant.

Reste la question lancinante, qui n’est pas le centre de la démonstration d’Emmanuel Todd, mais un de ses éléments latéraux : le catholicisme serait-il la religion du passé ?, condamné à survivre et à défendre sa place dans notre société sécularisée, en diabolisant les musulmans supposés tous dangereux et en consentant à ce nouvel antisémitisme que véhicule l’Islam international. Je crains qu’Emmanuel Todd n’ait partiellement raison, pas seulement à cause de ce positionnement plus ou moins caché d’un catholicisme traditionnel qui se servirait des autres religions pour assurer sa survie, mais en fonction d’une autre dérive : des catholiques, se sentant menacés ou concurrencés, peuvent être tentés de n’évaluer leur présence dans la société française qu’en termes d’influence politique, tout en adoptant des attitudes défensives et agressives face à l’État laïque.

D’autant plus qu’un réveil du laïcisme, inspiré par la phobie du « religieux », aussi bien musulman que catholique, cherche à combler le vide de la pensée politique, qui se contente d’observer la préparation des prochaines courses présidentielles. Face à ces durcissements réciproques, Emmanuel Todd a raison de penser et de dire qu’il faut prendre la religion au sérieux, en comprenant ce qu’elle apporte à notre société incertaine.

Nous voilà alors obligés, nous, catholiques en France, à renoncer à nos rêves d’antan, en reconnaissant que ce qui nous détermine le plus profondément, ce n’est pas notre influence politique, c’est notre expérience intérieure, spirituelle et même mystique, en exprimant par ce terme le désir de connaître et de rencontrer celui que nous appelons Dieu. Car l’intériorité et la mystique font aussi partie de la religion. Je le vérifie en exerçant ma mission d’évêque. On peut s’enfermer dans des pastorales de survie, en cherchant à faire revivre ce qui a disparu. On peut aussi – et c’est un long travail d’éducation – comprendre les temps actuels comme des temps de métamorphoses. Que les formes d’un catholicisme pensé comme un système d’ordre politique et moral subsistent, cela est certain ! Mais ce qui est passionnant, c’est de voir surgir aussi des formes nouvelles qui allient l’expérience intérieure et la pratique de la fraternité.

Avec ce qui demeure une « note » catholique : la conscience d’une responsabilité universelle, qui passe par l’Hexagone, mais qui nous interdit d’avoir des visions étroites du monde, d’autant plus que le pape François est là pour nous encourager à cet universalisme concret qui nous ouvre aux réalités de l’environnement autant qu’à l’accueil des étrangers parmi nous. Et qui nous rend aussi impatients de ce qui est au-delà de l’histoire et qui commence au-dedans de nous et de notre monde, en nous empêchant d’être esclaves des médiocrités et des ruses de l’actualité immédiate ! Je souhaite que les réflexions passionnées et quelquefois partiales d’Emmanuel Todd nous obligent à affronter, avec toutes nos ressources spirituelles, cette crise qui nous est commune et qui concerne notre avenir commun.

Le Monde.fr | 01.06.2015 à 10h53 • Mis à jour le 01.06.2015 à 10h55 Par Claude Dagens, évêque d’Angoulême de l’Académie française

Pour en savoir plus : http://www.fait-religieux.com/

LAÏCITÉ – Les intellectuels anglo-saxons sévères avec la France

La laïcité a suscité et connu bien des crispations en France depuis les attentats parisiens. Vu de l’étranger, le constat est sévère. Le New York Times juge que la France se ridiculise avec l’exclusion de Sarah de son collège pour sa longue jupe noire. Par ailleurs, six auteurs du Pen Club international ont décidé de ne pas assister à la remise du prix du courage décerné à Charlie Hebdo le 5 mai aux Etats-Unis.

Soccer match day after

Les supporters de Guingamp rendent hommage aux victimes des attentats, en arborant des panneaux « Je suis Charlie », quelques jours après le 11 janvier (AFP).

Comment entretenir « l’esprit du 11 janvier »? En défendant la « laïcité à la française », entend-on de toutes parts. Problème: il n’y a pas de consensus en la matière. Après l’affaire de l’affiche annonçant un concert des Prêtres au profit des chrétiens d’Orient, mention religieuse refusée par la RATP dans un premier temps, vous avez peut-être suivi, perplexe, l’”affaire de la jupe” qui a agité la France la semaine dernière. Sarah, une collégienne de 15 ans, dans les Ardennes a été sommée de rentrer chez elle pour changer de tenue. Selon sa version et celle de sa famille, l’établissement lui aurait reproché de porter une jupe « trop longue ».

C’est la circulaire du 15 mai 2004 sur le « port de signes ou de tenues manifestant une appartenance religieuse dans les écoles, collèges et lycées publics » adressée aux personnels de l’éducation qui a permis une telle situation. L’inspecteur académique des Ardennes, Patrice Dutot l’a expliqué : il n’a « rien contre une jupe évidemment, quelle que soit sa longueur ». Ce qu’il dénonce, c’est l' »action concertée avec une tenue qui en l’occurrence relève symboliquement de l’ostentatoire ». La ministre de l’Education Najat Vallaud-Belkacem a soutenu l’équipe pédagogique qui « a fait preuve de discernement pour juger du caractère prosélyte non pas de la tenue mais de l’attitude de l’élève. »
Le journal Le Monde a lancé le débat en titrant en Une sur l’affaire. Et le web a très vite réagi, les interrogations et la colère ont débordé sur Twitter où le hashtag #JePorteMaJupeCommeJeVeux rassemblait de très nombreux messages.

Ridicule
Dans son édition du premier mai, le New York Times est revenu sur ce sujet, avec virulence. « En France, la conception de la laïcité y est si sévère qu’il ne s’agit plus de protéger les croyances de chacun, mais d’imposer un style de vie défini comme laïc – et le plus souvent ce sont les nombreux musulmans du pays qui sont visés », indique le journal. Pour le quotidien américain, la loi de 2004, »devient ridicule quand les professeurs se permettent d’émettre un jugement en considérant que tel ou tel habit est une prise de position religieuse ». Selon le New York Times, « les officiels français doivent cesser de se cacher derrière la laïcité quand leur unique but est en réalité d’imposer leur identité et leurs codes à des personnes aux racines différentes des leurs. (…) Aucune religion ne menace sérieusement la laïcité en France aujourd’hui, et invoquer un principe aussi noble contre une jeune fille portant simplement une jupe ne fait que le dévoyer ».

Liberté d’expression
Au delà de cette tribune, dans le monde anglo-saxon, c’est la laïcité et une certaine conception de la liberté d’expression qui restent incomprises. La controverse fait rage dans les medias américains autour de la remise à Charlie Hebdo du “Prix du Courage”. Le Pen Club international est une organisation d’écrivains internationale attachée aux valeurs « de paix, de tolérance et de liberté sans lesquelles la création devient impossible ». Pourtant, six de ses auteurs, dont Joyce Carol Oates ou Michael Ondaatje ont décidé de boycotter la remise du prixle 5 mai à New York. Au départ, six auteurs ont dit défendre une liberté d’expression «sans limitation» et déplorer la tuerie du 7 janvier, mais refusent d’accorder à la ligne éditoriale du journal «admiration et respect». Chaque jour de nouvelles voix dans les medias ont dénoncé «Charlie Hebdo» un journal venimeux et islamophobe. Dans un communiqué, 145 auteurs accusent eux aussi le journal satirique de ridiculiser «une partie de la population française déjà marginalisée et rendue victime». S’ils admettent que «Charlie» affiche un mépris semblable pour toutes les religions, ils considèrent que, «dans une société inégalitaire, une offense ‘‘équitable’’ n’a pas les mêmes effets».

Salman Rushdie, qui a fait l’objet d’une fatwa pour son livre Les versets sataniques, a lui soutenu ce prix: « Si PEN, en tant qu’organisation défendant la liberté d’expression, ne sait ni défendre ni soutenir les personnes qui ont été assassinées pour un dessin, et bien l’organisation ne mérite pas son nom.« 

La confusion autour de ce concept bien français semble donc toujours aussi grande. Il n’est donc pas étonnant que la laïcité soit si difficile à comprendre et à appliquer, en France comme à l’étranger.

Pour en savoir plus : MPP (www.lepetitjournal.com)

mardi 5 mai 2015

Management : l’inévitable dimension culturelle

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« L’uniformisation des méthodes de management accompagne la globalisation des entreprises. Ainsi, se crée une tension entre les procédures globales et les cultures locales », selon Jean Pautrot.

Parfois, les comités exécutifs caressent la folle ambition de changer la culture de leurs salariés… L’analyse de Jean Pautrot, président du conseil Magellan de l’international.

Une longue pratique des ressources humaines internationales en entreprise et au Cercle Magellan me conduit à faire une lecture culturelle de l’inconfort managérial générateur de risques psychosociaux. L’uniformisation des méthodes de management accompagne la globalisation des entreprises. Ainsi, se crée une tension entre les procédures globales et les cultures locales. Seule, une posture de confiance permet de sortir par le haut de ces contradictions. En se globalisant, l’entreprise homogénéise ses méthodes et ses procédures malgré les résistances.

Les comités exécutifs caressent alors la folle ambition de changer la culture de leurs salariés. Philippe d’Iribarne * montre de façon convaincante que la culture française n’a pas vraiment changé depuis l’ancien régime. Le Monde compare Poutine au Tsar Nicolas Ier. Comment le président d’une société cotée pourrait-il réussir ce que les révolutions françaises et russes n’ont pas su faire ?

Une culture est une manière de comprendre le monde, d’exprimer ses émotions et d’agir caractéristique d’une communauté : les habitants d’un pays, le personnel d’une entreprise, les personnes exerçant un métier.

Une culture comporte trois couches :

· La couche externe : la partie « émergée » de l’iceberg, la réalité accessible aux touristes.

· La couche médiane : les normes (les devoirs) et les valeurs (les aspirations). Le vrai et le faux, le désirable et le non-désirable varient d’une culture à l’autre, comme le montre la résolution des dilemmes exposée ci-dessous.

· La couche profonde : l’implicite, le sanctuaire d’une culture. Elle s’incarne dans des mots difficiles à expliquer à un étranger : la laïcité en France, la cogestion en Allemagne…

Chaque individu appartient à plusieurs communautés : son pays, son métier, son entreprise. Les évolutions culturelles d’une communauté sont très lentes même sous la pression extérieure ; en revanche, l’individu placé dans une nouvelle culture évolue à travers le choc culturel. L’expatrié s’adapte à la couche médiane de sa culture d’accueil et préserve la couche profonde de sa culture d’origine.

L’individu s’intègre culturellement. En revanche, un groupe secrète des anticorps au changement culturel. Certes, la couche externe peut évoluer, mais le changement reste apparent. L’histoire fournit des exemples forts : la Bulgarie a préservé sa culture orthodoxe malgré cinq siècles d’occupation ottomane.

L’étude systématique des cultures repose sur l’analyse de dilemmes, cette obligation de choisir entre deux alternatives qui présentent chacune des inconvénients importants. Le dilemme de Stouffer et Toby illustre cette problématique  : un ami conduit une voiture dans laquelle j’ai pris place ; il heurte un piéton alors qu’il ne respectait pas la limitation de vitesse. L’avocat de mon ami me demande de témoigner qu’il respectait cette limitation. Fons Trompenaars donne les résultats d’une enquête dans un grand nombre de pays. Le pourcentage de réponses  : « mon ami ne respectait pas la limitation de vitesse » varie entre 32 % pour le Venezuela et 97% pour la Suisse. Les pays anglo-saxons sont au-dessus de 90% ; la Russie et la chine entre 40 et 50%. La France est à 73%. La position du curseur entre amitié et loi est un élément de l’« ADN » de la culture. Les chercheurs ont étudié une dizaine de dilemmes différenciant les cultures.

Dans un groupe international, la culture métier est un facteur d’unité, elle active les dilemmes techniques consensuels. A l’opposé, le management révèle les fractures culturelles à travers les dilemmes de la vie.

La détection des cadres à haut potentiel s’appuie sur des mises en situation managériales. Or, manager, c’est gérer les dilemmes de la vie. La sélection a donc une dimension culturelle. L’homogénéisation culturelle des équipes dirigeantes au niveau monde crée alors des fractures entre la base et la direction dans chaque pays. Ce n’est pas le modèle culturel dominant qui est en cause mais la recherche d’uniformité culturelle.

Examinons la procédure de whistleblowing, « devoir d’alerte » en français : la règle éthique est au-dessus des solidarités de groupe. Les réponses au dilemme de Stouffer et Toby montrent que les anglo-saxons et les suisses seront à l’aise avec cette procédure. Malgré un beau consensus (73 %), les français sont déjà moins à l’aise. Que dire des chinois, des russes et des vénézuéliens majoritairement solidaires ?

Dans la pratique, les missions d’audit ne verront rien. La couche externe de chaque culture se calera sur l’attendu. Le désajustement des normes et des valeurs créeront, dans la couche médiane, des résistances et des frustrations d’autant plus intenses que l’écart à la norme internationale est important. Les risques psycho-sociaux sont souvent le fruit de l’affrontement entre des modèles culturels en quadrature : le modèle anglo-saxon et le service public à la française chez Orange. Le grand mérite de Stéphane Richard est d’avoir redonné des repères culturels français à ses salariés.

L’affrontement culturel explique aussi l’échec financier de beaucoup de fusions dans un délai de cinq ans, mais les actionnaires initiaux ne sont plus là pour le voir ! Le vrai enjeu est de laisser chaque culture inventer les procédures qui la conduiront au résultat attendu. La sécurisation éthique ne passe pas toujours par le wistleblowing, l’atteinte de l’objectif annuel ne passe pas toujours par son découpage en objectifs mensuels pour faire plaisir aux actionnaires. Pour cela, il faudrait nommer des dirigeants qui, non seulement savent travailler dans un milieu interculturel, mais aient des qualités « d’interprètes culturels », acceptant que les différentes cultures inventent leur chemin pour atteindre des buts communs.

En physique quantique, il est impossible de mesurer simultanément la position et la quantité de mouvement d’une particule, de la même façon en management international, il est impossible de fixer simultanément le but et le chemin pour l’atteindre.

* La Logique de l’honneur – Gestion des entreprises et traditions nationales Philippe d’Iribarne 1989.

En savoir plus sur http://business.lesechos.fr

Repas alternatifs à la cantine : l’appel des végétariens

Les repas servis à la cantine sont au coeur de la polémique depuis 15 jours.

La décision du maire de Chalon-sur Saône de supprimer les repas de substitution dans les cantines de sa ville a provoqué la polémique. Des personnalités profitent du débat pour prouver les vertus des menus sans viande.

Faut-il supprimer les menus de substitution, sans viande de porc, dans les cantines ? À l’origine du débat, le maire UMP de Chalon-sur-Saône, Gilles Platret, qui a décidé d’appliquer ce principe au nom de la laïcité. Le soutien de Nicolas Sarkozy à cette décision a divisé jusque dans son camp, illustrant la polémique née de cette décision.

Le Monde publiait jeudi une tribune signée par des personnalités en faveur du menu alternatif. Mais pas exactement celui dont Gilles Platret s’est fait le fossoyeur. Ces personnalités, dont Matthieu Ricard, prônent un repas végétarien à la cantine. «Le repas végétarien, le plus laïc de tous», c’est le titre donné à cet appel. «Le plat végétarien est une solution laïque et œcuménique aux préférences alimentaires de chacun, qui a le mérite de représenter l’alternative la plus simple […]. Le repas végétarien réunit tout le monde.»

Une autre image de la cuisine française

Allain Bougrain-Dubourg, président de la Ligue pour la protection des oiseaux est cosignataire de cette tribune. Il explique au Figaro l’idée défendue par le texte. «Nous voulons que les cantines scolaires proposent un menu végétarien aussi souvent que possible.» En plus des menus traditionnels, donc. «Pas question de dogmatisme», pour les signataires. Allain Bougrain-Dubourg l’assume, la polémique sur la laïcité a été «l’occasion de formuler des idées qui trottaient déjà dans la tête des signataires». «Nous faisons une proposition crédible et qui n’est pas idéologique», explique-t-il.

«Dans notre article, nous avons évité toute stigmatisation. Nous nous somme abstenus de parler des méthodes d’abattage cruelles qui sont utilisées pour la viande casher et halal, de la traçabilité qui est difficile, mais c’est une réelle préoccupation», affirme le président de la Ligue de protection des Oiseaux (LPO). La philosophie du texte veut ainsi pousser à la réflexion contre la souffrance animale. Allain Bougrain-Dubourg évoque comme autre exemple le «foie gras, emblème de la gastronomie française. Nous voulons donner une autre image de la cuisine de notre pays».

Prendre exemple sur McDonald’s

Concrètement, les enfants qui suivent un régime alimentaire confessionnel trouveraient donc dans leurs assiettes un repas alternatif végétarien, et ne seraient pas exclus s’il y a du porc au menu. Mais ils mangeraient également mieux.

Car le texte n’est pas non plus dénué de revendications écologistes. Allain Bougrain-Dubourg évoque l’exemple McDo. «Aujourd’hui leurs yaourts sont bios. C’est bien la preuve que des commandes en nombre et une relation sur le long terme avec les producteurs peuvent abattre l’idée reçue que si c’est bio, c’est cher.» Le modèle industriel pourrait donc être appliqué aux collectivités locales, qui s’engageraient auprès des agriculteurs bio.

Avec la conférence climat en décembre à Paris en ligne de mire, le texte rappelle que l’élevage serait responsable de 60% des émissions de méthane dans le monde, ce qui représente 14,5% de la production de gaz à effet de serre.

Le principe de ces menus végétariens est déjà appliqué dans quelques cantines françaises. C’est notamment le cas à Paris, dans les cantines du XVIIIe arrondissement, où des repas sans viande sont servis deux fois par mois. Mais aussi à Saint-Etienne, où les élèves peuvent manger végétarien tous les jours. La décision a été prise en décembre dernier, par le maire UMP de la ville.

Par Akhillé Aercke

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Un MBA pour améliorer le management des religions

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Partant du constat que les religions pèsent de plus en plus dans l’entreprise, le MBA « Diversité, dialogue et management » de l’Institut catholique de Paris (ICP), unique en son genre, propose d’étudier les principaux courants religieux et culturels, et de mieux les comprendre afin d’améliorer le management.

C’est le doyen de la faculté de théologie et de sciences religieuses de l’ICP, Thierry-Marie Courau, qui en a eu l’idée dès 2010. A l’époque, on s’interrogeait sur les moyens d’intégrer « la diversité ». Depuis, le débat s’est déplacé sur les religions, notamment sur l’islam. L’ICP, qui a créé une formation des imams aux valeurs de la République, s’estime particulièrement bien placé sur ces questions. « L’idée du MBA est que, pour manager par le dialogue, il faut comprendre comment se comporter avec des personnes de cultures et de religions différentes, souligne Thierry-Marie Courau, ingénieur à l’origine, devenu franciscain et professeur de bouddhisme. Pour cela, nous nous appuyons sur nos recherches et nos ressources pédagogiques. »

Tous horizons

Cette année, ce MBA accueille dix personnes, de toutes confessions et de tous horizons – le directeur de communication d’un groupe, une directrice d’école enseignant le français langue étrangère (FLE), un psychologue spécialisé dans l’interculturel… Certains participants veulent se réorienter et rejoindre, par exemple, les pôles diversité d’entreprises ou de métropoles. « Nous pourrions aller jusqu’à 15 étudiants, mais pas plus, explique Anne-Sophie de Quercize, la directrice du MBA,car nous assurons un tutorat très approfondi pour aider chacun à affiner son projet et à trouver des stages qui lui correspondent. »

La formation débute par quatre semaines de cours sur les sept grands courants – christianisme, judaïsme, islam, bouddhisme, hindouisme, traditions asiatique et africaine. Puis l’étudiant part en immersion pendant trois semaines pour découvrir une autre religion au quotidien : à la rencontre d’une confrérie soufie au Maroc, dans un ashram indien ou dans un monastère bouddhiste. De retour à Paris, il enchaîne avec cinq séminaires de trois jours, animés par des professionnels, sur des questions concrètes – juridiques notamment – qui se posent dans l’entreprise. Le programme s’achève par un stage de trois à six mois dans une organisation ayant trait à la diversité.

En raison de l’actualité récente, les responsables du MBA ont vu affluer les demandes de renseignements et de formations spécifiques. Le ministère de la défense les a, par exemple, sollicités « afin d’expliquer la laïcité à ses cadres à travers le prisme historique ».

 

En pratique

Conditions d’entrée : bac + 4

Langue : français

Coût : entre 2 500 euros et 4 800 euros suivant les revenus, 7 020 euros en formation continue

Temps de formation : 400 heures sur un an, possibilité d’avoir un certificat si l’on suit les cinq séminaires de trois jours chacun.

 

Pour en savoir plus : http://campus.lemonde.fr/

La place croissante de l’islam en banlieue

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Voilà un constat qui va déranger. Dans les tours de Clichy-sous-Bois et de Montfermeil (Seine-Saint-Denis), les deux villes emblématiques de la crise des banlieues depuis les émeutes de l’automne 2005, la République, ce principe collectif censé organiser la vie sociale, est un concept lointain. Ce qui « fait société » ? L’islam d’abord. Un islam du quotidien, familial, banal le plus souvent, qui fournit repères collectifs, morale individuelle, lien social, là où la République a multiplié les promesses sans les tenir.

La croyance religieuse plus structurante que la croyance républicaine, donc. Vingt-cinq ans après avoir publié une enquête référence sur la naissance de l’islam en France – intitulée Les Banlieues de l’islam (Seuil) -, le politologue Gilles Kepel, accompagné de cinq chercheurs, est retourné dans les cités populaires de Seine-Saint-Denis pour comprendre la crise des quartiers.

Six ans après les émeutes causées par la mort de deux adolescents, en octobre 2005, son équipe a partagé le thé dans les appartements des deux villes, accompagné les mères de famille à la sortie des écoles, rencontré les chefs d’entreprise, les enseignants, les élus, pour raconter le destin de cette « Banlieue de la République » – c’est le titre de l’enquête, complexe et passionnante, publiée par l’Institut Montaigne.

Le sentiment de mise à l’écart a favorisé une « intensification » des pratiques religieuses, constate Gilles Kepel. Les indices en sont multiples. Une fréquentation des mosquées beaucoup plus régulière – les deux villes (60 000 habitants au total) comptent une dizaine de mosquées, aux profils extrêmement variés, pouvant accueillir jusqu’à 12 000 fidèles. Une pratique du ramadan presque systématique pour les hommes. Une conception extensible du halal, enfin, qui instaure une frontière morale entre ce qui est interdit et ce qui est autorisé, ligne de fracture valable pour les choix les plus intimes jusqu’à la vie sociale.

Les chercheurs prennent l’exemple des cantines scolaires, très peu fréquentées à Clichy en particulier. Un problème de coût évidemment pour les familles les plus pauvres. Mais la raison fondamentale tient au respect du halal. Les premières générations d’immigrés y avaient inscrit leurs enfants, leur demandant simplement de ne pas manger de porc. Une partie de leurs enfants, devenus parents à leur tour, préfère éviter les cantines pour leur propre descendance parce que celles-ci ne proposent pas de halal. Un facteur d’éloignement préoccupant pour Gilles Kepel : « Apprendre à manger, ensemble, à la table de l’école est l’un des modes d’apprentissage de la convivialité future à la table de la République. »

Car le mouvement de « réislamisation culturelle » de la fin des années 1990 a été particulièrement marqué à Clichy et à Montfermeil. Sur les ruines causées par les trafics de drogue dure, dans un contexte d’effondrement du communisme municipal, face à la multiplication des incivilités et des violences, les missionnaires du Tabligh (le plus important mouvement piétiste de l’islam), en particulier, ont contribué à redonner un cadre collectif. Et participé à la lutte contre l’héroïne, dans les années 1990, là où la police avait échoué. Ce combat contre les drogues dures – remplacées en partie par les trafics de cannabis – a offert une « légitimité sociale, spirituelle et rédemptrice » à l’islam – même si la victoire contre l’héroïne est, en réalité, largement venue des politiques sanitaires.

L’islam a aussi et surtout fourni une « compensation » au sentiment d’indignité sociale, politique et économique. C’est la thèse centrale de Gilles Kepel, convaincu que cette « piété exacerbée » est un symptôme de la crise des banlieues, pas sa cause. Comme si l’islam s’était développé en l’absence de la République, plus qu’en opposition. Comme si les valeurs de l’islam avaient rempli le vide laissé par les valeurs républicaines.

Comment croire encore, en effet, en la République ? Plus qu’une recherche sur l’islam, l’étude de Gilles Kepel est une plongée dans les interstices et les failles des politiques publiques en direction des quartiers sensibles… Avec un bilan médiocre : le territoire souffre toujours d’une mise à l’écart durable, illustrée ces dernières semaines par l’épidémie de tuberculose, maladie d’un autre siècle, dans le quartier du Chêne-Pointu, à Clichy, ghetto de pauvres et d’immigrés face auquel les pouvoirs publics restent désarmés (Le Monde du 29 septembre). Illustrée depuis des années par un taux de chômage très élevé, un niveau de pauvreté sans équivalent en Ile-de-France et un échec scolaire massif.
Clichy-Montfermeil forme une société fragile, fragmentée, déstructurée. Où l’on compte des réussites individuelles parfois brillantes et des parcours de résilience exemplaires, mais où l’échec scolaire et l’orientation précoce vers l’enseignement professionnel sont la norme.

« Porteuse d’espoirs immenses,

l’école est pourtant aussi l’objet des ressentiments les plus profonds », constatent les chercheurs. Au point que « la figure la plus détestée par bon nombre de jeunes est celle de la conseillère d’orientation à la fin du collège – loin devant les policiers ».

Et pourtant, les pouvoirs publics n’ont pas ménagé leurs efforts. Des centaines de millions d’euros investis dans la rénovation urbaine pour détruire les tours les plus anciennes et reconstruire des quartiers entiers. Depuis deux ans, les grues ont poussé un peu partout et les chantiers se sont multipliés – invalidant les discours trop faciles sur l’abandon de l’Etat. Ici, une école reconstruite, là, un immeuble dégradé transformé en résidence. Un commissariat neuf, aussi, dont la construction a été plébiscitée par les habitants – parce qu’il incarnait l’espoir d’une politique de sécurité de proximité.
Le problème, montre Gilles Kepel, c’est que l’Etat bâtisseur ne suffit pas. Les tours ont été rasées pour certaines, rénovées pour d’autres, mais l’Etat social, lui, reste insuffisant. La politique de l’emploi, incohérente, ne permet pas de raccrocher les wagons de chômeurs. Les transports publics restent notoirement insuffisants et empêchent la jeunesse des deux villes de profiter de la dynamique économique du reste de la Seine-Saint-Denis. Plus délicat encore, la prise en charge des jeunes enfants n’est pas adaptée, en particulier pour les familles débarquant d’Afrique subsaharienne et élevés avec des modèles culturels très éloignés des pratiques occidentales.

Que faire alors ? Réorienter les politiques publiques vers l’éducation, la petite enfance, d’abord, pour donner à la jeunesse de quoi s’intégrer économiquement et socialement. Faire confiance, ensuite, aux élites locales de la diversité en leur permettant d’accéder aux responsabilités pour avoir, demain, des maires, des députés, des hauts fonctionnaires musulmans et républicains. Car, dans ce tableau sombre, le chercheur perçoit l’éveil d’une classe moyenne, de chefs d’entreprise, de jeunes diplômés, de militants associatifs, désireuse de peser dans la vie publique, soucieuse de concilier identité musulmane et appartenance républicaine.

Par Luc Bronner

Pour en savoir plus : http://www.fait-religieux.com