L’identité plurielle

DiversitéEcole

 

L’actualité nous le rappelle régulièrement: la question de l’identité se trouve en toile de fond de multiples interrogations contemporaines. Au plan collectif, comment définir les candidats à une élection européenne: par leur appartenance partisane uniquement ? Ou faut-il également mettre en avant leur nationalité ? Au plan individuel: comment me présenter, par exemple sur ma page Facebook ? Quelle place ai-je envie d’accorder à mon originale sociale, mon appartenance religieuse, mes goûts musicaux, mon lieu de résidence ?

 

Un enjeu de plus en plus important

Cet enjeu est adossé à de multiples critères: représentativité, diversité, caricature, échange, pluralisme, hybridation, rencontre, affirmation, stéréotype identitaire.

Dans l’espace public, cet enjeu fait de plus en plus fréquemment l’objet de traitements médiatiques variés: que ce soit au cours de campagnes électorales, de crises politiques majeures (sur quelles lignes de fractures identitaires se fondent les conflits ?), en toile de fond de films, d’articles relatant les voyages de touristes/blogueurs à l’étranger, dans des documentaires ethnographiques, etc.

Les enjeux identitaires portent principalement sur deux aspects. L’identité désigne « l’image que nous nous faisons de nous, à la fois dans ce que nous avons de spécifique, voire d’individuel (la carte d’identité), et dans ce que nous avons de commun (l’identité nationale), ainsi que l’image que nous nous faisons des autres, ce en quoi ils sont différents de nous » (Olivier, Bruno, Les identités collectives).

Pour en prendre toute la mesure, il faut suivre trois étapes :

  1. Comprendre pour quelles raisons les questions de reconnaissance, de revendication, d’hybridation identitaire sont l’objet d’autant de débats, de documentaires, d’interrogations publiques aujourd’hui;
  2. évaluer ce que le versant réducteur des identités que sont les stéréotypes enseigne sur la question identitaire;
  3. étudier dans quels contextes, quelles circonstances les individus ou les groupes vont au-delà de tels stéréotypes, facilitant l’émergence d’échanges interculturels.

 

Mouvance des frontières et des interrogations identitaires

Les enjeux identitaires sont traversés d’évolutions diverses et parfois contradictoires des sociétés occidentales contemporaines. Plusieurs facteurs y contribuent. Les premiers sont des facteurs techniques. De nouveaux moyens de déplacement et de nouveaux outils de communication, facilitent les échanges à distance ou les rencontres épisodiques ou régulières entre les personnes et les populations. Les deuxièmes sont des facteurs politiques et sociaux. Les sociétés contemporaines sont caractérisées par un mouvement d’individualisation au sens où le poids de la tradition, des habitudes culturelles, professionnelles, familiales dans la construction de l’identité sociale de chacun diminue.

La combinaison de ces facteurs techniques, sociaux et politiques facilite l’individualisation de la société mais aussi la globalisation des échanges, des programmes médiatiques, la multiplication des rencontres interculturelles, etc. Ces facteurs génèrent alors de nouvelles interrogations identitaires, sur soi mais surtout sur autrui.

 

Incertitudes identitaires et stéréotypes

De manière générale, une partie de ces populations surmonte son angoisse et sa difficulté à trouver un sens aux mutations sociales grâce à des réponses simples. « Le discours identitaire fournit une grille d’analyse des événements, permet de choisir ses amis et ses ennemis » (Ruano-Borbolan, Jean-Claude, Introduction générale: la construction de l’identité).

Quels rôles les stéréotypes jouent-ils dans ces enjeux de revendication, de représentation et de reconnaissance identitaire ?

Les stéréotypes sur autrui, perceptibles dans les médias et les légendes, sont largement formulés lors de périodes annonciatrices de changements (conflits, élections présidentielles). Ils jouent d’abord le rôle de réducteurs identitaires d’autrui et, par-là, de la complexité du monde. Ils jouent ensuite un rôle de réassurance sur soi. Ils ont enfin une fonction de justification de comportements défensifs, voire agressifs, portés sur autrui.

Dans quelles contextes, et à quelles conditions, les échanges culturels se traduisent-ils, à l’inverse, par de véritables échanges et surtout par de véritables changements de regards ?

 

Les échanges interculturels

Les multiples études de cas qui émaillent l’ouvrage collectif L’identité plurielle (Dir. Sébastien Rouquette, 2011) permettent précisément de répondre à cette dernière question. Les contributions de sociologues, spécialistes de la communication, civilisationnistes, psychologues réunies dans cet ouvrage montrent que les échanges culturels sont l’occasion de changements de regards portés sur les autres à l’image du regard porté – dans une comédie – sur la construction européenne et sur le multilinguisme européen. Une perception positive des échanges culturels peut, également, être revendiquée de façon volontariste, quand chaque nouvel arrivant d’une loge maçonnique doit apprendre à écouter, connaître et comprendre ses interlocuteurs avant de s’en faire une opinion (Bryon-Portet, Céline, 2011). Une analyse centrée sur les échanges interculturels peut, encore, devenir l’objet d’interrogations sur les conditions, les étapes collectives et interindividuelles d’une réelle ouverture interculturelle (Nouvelle-Calédonie, cf. Carteron, Benoît, 2011).

Sébastien Rouquette

Professeur des universités en Sciences de la communication

Sébastien Rouquette Headshot

Ce billet est publié dans le cadre de l’opération Têtes Chercheuses, qui permet à des étudiants ou chercheurs de grandes écoles, d’universités ou de centres de recherche partenaires de promouvoir des projets innovants en les rendant accessibles, et ainsi participer au débat public.

Pour en savoir plus : http://www.huffingtonpost.fr

« L’essentiel, c’est de participer ! »

DANIELLE ANDRÉ | LE 13.10.2014 À 12:12

Vendredi 29 septembre, 10 h, j’arrive «aux Minguettes». Plus précisément, au collège Paul Eluard à Vénissieux, dans la banlieue sud de Lyon. 24 paires d’yeux d’une classe de 6ème m’attendent, visiblement contents qu’une personne ait fait le déplacement rien que pour eux. Leur jeune professeure d’histoire-géographie fait les présentations. Elle a bien préparé ses élèves, car ils sont intéressés et attentifs. Je leur explique que je suis là pour cette première séance du jeu «l’Arbre à défis», pour les familiariser, eux et leur enseignante, à son fonctionnement, et qu’ils continueront à y jouer le reste de l’année. Voilà qui nous amène à définir le mot «défi» : pour eux, pas de doute, c’est «lancer un défi à quelqu’un». Je les questionne : «Ne peut-on pas aussi s’en lancer à soi-même, pour progresser ?».Pour jouer à « L’Arbre à Défis », il s’agira de se lancer des défis entre équipes d’élèves. Puis le verbe «collaborer». Et là, petit flottement ; un élève tente : «C’est faire quelque chose ensemble ?». «Bravo!», j’explique à tous que notre jeu permettra de construire un bel arbre tous ensemble, mais que l’équipe qui aura récolté le plus de points aura gagné. Dans mon élan, et pour pimenter cette notion, un peu trop sûre que je vais leur apprendre quelque chose, je leur demande s’ils connaissent la devise des jeux olympiques ; et là, une élève répond instantanément : «L’essentiel, c’est de participer !».

Arbreàdéfis
(photo DR)

Voyant l’impatience des enfants, on entre dans le vif du sujet, après avoir détaillé les règles des 4 défis.

1ère carte : Défi de la «Bonne définition» avec le mot «Laïcité»

Agitation momentanée au moment du choix de l’équipe qui va préparer ce défi : sur le modèle du jeu du dictionnaire, il s’agit de proposer plusieurs définitions pour une notion. Ils veulent évidemment tous y aller, d’autant plus qu’ils vont préparer ce défi en équipe, dans une petite pièce jouxtant leur salle d’histoire-géo. Enfin, en équipe, c’était l’idée de départ… Vu le bruit qui parvient de la petite salle, je décide d’y aller ! Grosse foire d’empoigne ! Pas pour rédiger la définition, non, mais pour savoir qui va la lire devant le reste de la classe. Je leur rappelle la devise de Pierre de Coubertin, bien lointaine à ce moment précis, puis les aide à rédiger la définition. C’est un exercice difficile, de réduire un texte de 10 lignes en une phrase… Il y a ceux qui n’ont retenu qu’une phrase et qui veulent absolument que ce soit celle-ci ; et ceux qui n’ont pas vraiment compris et qui continuent de se chamailler, ou encore ceux pour qui c’est vendredi et qui regardent un peu par la fenêtre, du côté du week-end… Ils réussissent à se mettre d’accord sur une phrase, «La laïcité, c’est la séparation des affaires des églises et de l’Etat», et une élève la recopie, très lentement et avec application. Ils désignent ensuite celui qui va lancer le défi devant les autres.

Arrivé devant la classe, deux petits «miracles» ! Dès qu’il prononce le mot «laïcité», une élève sort de son cartable ce qu’ils ont déjà travaillé avec leur professeure à ce sujet : à partir d’un conte de l’Observatoire de la laïcité, ils avaient abordé les notion de différences de calendrier, de monothéisme, polythéisme, athéisme et agnosticisme et des moyens pour permettre à ces différentes convictions de coexister. Elle est visiblement très contente de le faire et éveille la curiosité des autres élèves qui se sentent ainsi concernés. Elle fait sans le savoir ce qui est le plus important pour un élève ; elle réactive d’elle-même des connaissances passées, preuve qu’elle a bien compris et est capable de s’en servir à bon escient. Deuxième petit miracle : après le comptage des points, l’élève qui a lancé le défi lit le texte de la carte «Laïcité» d’une bonne voix et sans hésitation. «Félicitations ! Tu as lu très clairement». J’ajoute que c’est essentiel de savoir lire, parler, défendre des idées devant ses camarades. Encore une compétence que « L’Arbre à défis » permet facilement de développer.

2ème carte : Défi du « Mot inconnu » avec le lieu «  La Mecque ».

Ils adhèrent très vite à ce défi car tous ou presque connaissent les règles du jeu «Taboo» dont il s’inspire : il s’agit de faire deviner le plus vite possible aux autres équipes un mot, sans en utiliser certains. L’équipe choisie pour ce défi est très excitée du mystère qui plane autour du mot secret, et de partir en chuchotant vers la petite salle ! Cette fois-ci, je vais d’emblée avec eux. S’amorce une discussion pour le choix des 3 indices ; tous connaissent La Mecque, avec cependant pas mal d’approximations. Par exemple le mot «pèlerinage»ne sort qu’avec mon aide. Le mot « musulman » vient en premier, comme celui de «mosquée». Je les laisse faire le choix de l’ordre, et on retourne vers la classe. Le mot inconnu est très vite trouvé, puis une élève lit le texte correspondant à cette carte, devant ses camarades, sur l’estrade. Elle a une bonne diction et tout se passe bien, jusqu’à la lecture des mots, en arabe dans le texte, «Al Masjid Al Haram» ; elle a beaucoup de mal à s’empêcher de rire en le lisant car elle bute sur la langue. Mais en même temps, elle est très gênée, surtout quand une élève s’exclame : «C’est pas bien ! Il  faut pas rire quand on parle de ça !». Leur professeure intervient : «laisse la s’exprimer et ne lui fais pas la morale ». L’élève poursuit sa lecture, en s’appliquant pour les deux derniers mots en arabe:«Ka’ba» et «hadj». Ce petit incident souligne bien que pour ces 24 élèves, dont 21 sont musulmans, ce n’est pas si facile de faire référence à sa culture. S’ils en sont fiers, ils n’ont pas tous les éléments pour bien l’assimiler : ici la connaissance de la langue arabe. Il y a comme une gêne à en parler, comme si cela leur rappelait une fois de plus cette origine qu’ils ont parfois du mal à assumer. A ce moment me revient en mémoire une chanson du groupe Zebda  qui fait référence à cette double appartenance, parfois difficile à vivre. A-t-on vraiment réalisé ce que cela représente pour eux de vivre cette double culture ? Le chemin est long pour qu’elle signifie, pour eux, une richesse…

3ème carte : Défi «Vrai ou faux» avec le mot «mosquée»

Je présente ce défi, car ici toutes les équipes jouent. Je lis le texte et leur pose 6 questions «vrai» ou «faux». Un peu de brouhaha pour donner la réponse. Plutôt que de désigner un élève par équipe pour la dire, on décide ensemble de l’écrire sur un papier, ce qui évite d’entendre trop tôt la bonne réponse et de tricher. Comme les élèves connaissent tous bien ce mot, et qu’ils ont bien écouté le texte que j’ai lu, les bonnes réponses sont nombreuses ; les points  s’accumulent pour chaque équipe, l’arbre s’étoffe, et ils sont heureux !

4ème et dernière carte : Défi des «stéréotypes» avec la photo d’un visage d’homme au teint basané, portant un turban sur la tête et une chemise sans col

Avant de le lancer, il s’agit d’élucider le sens du mot «stéréotype». Dans un premier temps, aucun élève ne trouve. Quand je leur donne un synonyme, «préjugé», les langues se délient. L’un s’exclame : «C’est formé avec deux mots : « pré » (avant) et « jugé » (juger quelqu’un) : ça veut dire juger quelqu’un avant de le connaître». Je suis émerveillée de les voir faire des ponts aussi facilement avec d’autres matières. On revient au mot«collaborer» : il y a une «collaboration» des matières ! Mais revenons à notre défi ! Il s’agit de trouver la religion de cet homme, après leur avoir montré sa photo : est-il musulman, chrétien ou juif ? J’écoute leurs discussions. A aucun moment, une équipe n’imagine qu’il est chrétien, car l’élément déterminant pour eux, auquel je n’avais pas pensé, est la «gandoura», cette sorte de chemise longue sans col portée par cet homme. Les avis sont cependant partagés : trois équipes pensent qu’il est musulman, et une équipe, qui «sent» le piège, affirme qu’il est juif, «sinon ce serait trop facile !». Pas une n’a imaginé qu’il pouvait être chrétien : or cet homme est copte. Grosse déception : «Ben comment on pouvait savoir ?! Il avait l’air d’un arabe… ». Je les rassure «Effectivement, c’était dur de trouver, et de toutes façons aucune équipe n’a eu de point». J’enchaîne pour dénouer avec eux l’amalgame entre «arabe» et «musulman». L’un fait référence à une appartenance géographique, historique, l’autre à une appartenance religieuse. Ce n’est pas simple, et il faudra qu’ils le reprennent avec leur professeure, qui pourra s’aider des cartes «arabe» et «musulman» de notre jeu.

Danielle André, est experte associée à Enquête, dirigée par Marine Quenin

http://www.enquete.asso.fr/