Porter la voix des femmes et les mettre en lumière telle est notre mission. En valorisant la diversité des femmes et les femmes de la diversité à travers l’image et les récits inspirants de rôles modèles auxquelles nous pouvons nous identifier, nous souhaitons activer le pouvoir d’agir des femmes.
Catégorie : Diversité religieuse
Ikéa ou le management de la diversité
PDG de Ikea de 1999 à 2009, Anders Dahlvig a publié en juin un ouvrage où il revient sur son expérience à la tête du leader mondial de l’ameublement. LSA a sélectionné les bonnes feuilles.
LSA – Quel message voulez-vous faire passer avec votre livre ?
Anders Dahlvig – Quand on est PDG, on n’a pas le temps de réfléchir sur son travail. J’ai pensé qu’il serait bien de le prendre aujourd’hui pour tirer des leçons du modèle Ikea. Mais je ne voulais pas d’un énième manuel de management ou d’un recueil de potins sur la famille Kamprad, il s’agit des leçons que l’on peut tirer du business model Ikea à destination des professionnels.
LSA – Quelles conclusions en avez-vous tirées ?
A. D. – À force de conceptualiser, j’ai compris l’importance des valeurs. Elles permettent de mieux recruter, de garder les gens plus longtemps et plus motivés. Le contrôle de la chaîne de valeur est aussi fondamental, du design des produits jusqu’à leur vente. Peu de distributeurs contrôlent toutes ces étapes. Ensuite, il faut aussi exister à l’échelle mondiale. On peut réussir sur les marchés émergents à condition d’avoir d’excellents prix et un engagement de longue durée. Enfin, Ikea a un propriétaire solide, qui s’inscrit dans la durée.
LSA – Quels souvenirs gardez-vous d’Ingvar Kamprad ?
A. D. – Nous avions une relation proche. Ikea est sa vie, il allait régulièrement voir les magasins à travers le monde. C’est un homme intelligent, et il faisait de bonnes remarques, même s’il n’était pas impliqué dans la gestion quotidienne.
MANAGEMENT La diversité ? « Si tout le monde pense la même chose, vous verrez peu de progrès. »
« D’un point de vue business, il y a au moins quatre bonnes raisons pour promouvoir la diversité.
Orientation client : pour qu’une entreprise puisse comprendre ses clients, et ses employés, l’équipe dirigeante doit refléter la diversité qui existe au sein de ces deux groupes. 70% des clients d’Ikea sont des femmes, et les groupes ethniques minoritaires représentent une proportion importante dans de nombreux magasins. […]
Prise de décision : si tout le monde pense la même chose, vous verrez peu de progrès. […] Une entreprise qui n’installerait aux postes de responsabilité que des personnes issues du même milieu aura certes des réunions très calmes et agréables, mais pas très productives.
Recrutement : aucune preuve scientifique prouve que les Suédois d’âge moyen seraient meilleurs que les autres dans le commerce d’articles d’ameublement. […]
Motivation : la reconnaissance est un facteur de motivation très puissant. La promotion, ou même la simple perspective de promotion, instaure une forte motivation. […] « Je suis un partisan des organisations « plates ». Plus il y a de niveaux hiérarchiques, plus il y a de bureaucratie et moins il y aura de responsabilité individuelle. À chaque fois que le développement de l’entreprise exigeait l’addition d’un niveau hiérarchique, par exemple au niveau régional, j’ai toujours refusé de le faire. Si nécessaire, un poste de directeur régional est créé, mais jamais une structure complète. Si possible, les directeurs régionaux doivent avoir une autre casquette. Contrairement à ce qui est communément admis en management, je préfère que l’étendue des responsabilités d’un cadre dirigeant soit très large. »
« PLUS LE CLIENT S’IMPLIQUE, MOINS LE PRIX EST ÉLEVÉ »
« J’ai la conviction que les gens ont plus de temps que d’argent. Plus le client s’implique dans le processus de vente, moins le prix du produit sera élevé. Tout le système de commercialisation repose sur l’intégration du client dans le système de distribution. Le client choisit le produit, le prend, le paie à la caisse, le transporte et l’assemble lui-même. »
« LE MARKETING SELON DILBERT »
« La communication-marketing a toujours été l’une des disciplines qui m’ont le plus frustré. Quand je dois écouter des présentations interminables sur la segmentation du marché, la publicité de marque et le comportement des clients, je suis constamment tenté de revenir à la conception du marketing selon Dilbert : « Tout ce que vous avez besoin de savoir, c’est que vous vendrez plus de produits en baissant les prix. » Et souvent, les choses sont réellement aussi simples que cela. »
BACK OFFICE Derrière les magasins, la logistique et l’internet
« Des efforts se sont également portés sur l’augmentation des livraisons directes des fournisseurs aux magasins pour réduire les coûts d’approvisionnement. La proportion des livraisons directes est ainsi passée de 25% à près de 40% en 2009. Cela a été rendu possible grâce à des volumes de vente plus importants ainsi que par l’augmentation de la surface des magasins. Un changement important a été entrepris dans la stratégie de distribution. Jusque-là, tous les entrepôts centraux stockaient l’ensemble de la gamme (à l’exception des articles en livraison directe). Dans la nouvelle stratégie, les biens durables, qui représentent près de 10% des ventes mais 50% des articles, sont désormais stockés dans un ou deux entrepôts centraux qui servent toute l’Europe tandis que les produits de grande consommation, qui composent 50% des volumes vendus, sont stockés dans des entrepôts à proximité des marchés locaux. […] « En près de dix ans, le site d’kea est passé de pratiquement 0 à 500 millions de visites par an. Les TIC et les médias numériques vont prendre de plus en plus d’importance dans l’expérience magasin, en améliorant les services (caisses automatisées, cartes de fidélité, crédit), les opérations (fixation des prix, gestion des stocks) et les ventes (démonstration de l’utilisation des produits…). Les nouvelles technologies faciliteront le travail des employés, mais elles vont jouer un rôle déterminant pour mieux intégrer le client dans le processus de vente. »
On en parle : le fait religieux et l’entreprise, Rencontre CCI-EDC à Grenoble
12 JUIN 2015
UNE RENCONTRE DE LA COMMUNAUTÉ ECOBIZ RH & MANAGEMENT,
CYCLE « PAROLES DE LEADERS »
EN PARTENARIAT AVEC LES ENTREPRENEURS ET DIRIGEANTS CHRÉTIENS
Les médias mettent l’accent sur les religions dans l’entreprise et le phénomène connaît un certain développement. Cette rencontre propose d’écouter sur cet aspect des professionnels travaillant avec des entreprises :
■ Maître Pierre-Luc NISOL, avocat spécialiste du fait religieux en entreprise
■ Marie DAVIENNE-KANNI, consultante formatrice en diversité culturelle et religieuse
On ne saurait cependant réduire le débat à cette seule dimension. Les religions portent en effet un regard sur l’homme et veillent à ce qu’on ne le réduise pas à un rôle de « salarié » ou de « collaborateur ». Et c’est bien dans cette direction que s’orientent nombre de dirigeants en mettant en avant l’appel à l’intelligence individuelle et collective.
Animée par Jean-François Lhérété, une table-ronde réunit sur ces thèmes trois responsables grenoblois des cultes les plus représentés en France :
■ Mgr De Kérimel, Evêque du Diocèse de Grenoble-Vienne,
■ Nissim Sultan, Rabbin à Grenoble
■ Mustapha Merchich, Imam du Centre culturel musulman de l’Isère
En introduction de cette rencontre, Philippe Crouÿ a rappelé l’importance croissante de la prise en compte dans l’entreprise de la pratique religieuse, et souligné l’importance qu’accorde le Mouvement des Entrepreneurs et Dirigeants Chrétiens à ce phénomène.
Il a remercié les représentants des trois principales religions présentes sur le sol français d’avoir accepté le débat proposé par les EDC ainsi que les deux professionnels invités et le modérateur des échanges. Il a ensuite remercié de sa présence Jacques Merceron-Vicat, Président d’honneur des EDC, dont le concours est essentiel à l’organisation des rencontres « Paroles de Leaders ».
Modérateur : Jean-François Lhérété,
auteur de plusieurs ouvrages sur l’évolution de la société française
Depuis quelques années, nous assistons au retour de manifestations du sentiment religieux et identitaire qui révèle une demande de reconnaissance. Le phénomène est présent dans tous les grands pays européens, note Jean-François Lhérété.
Comment l’aborder dans l’entreprise ?
Des concepts et principes à éclaircir
Il est nécessaire tout d’abord de rappeler quelques points. Prenons la laïcité : ce concept flou et un peu daté ne s’applique pas à l’entreprise mais uniquement au service public et à l’espace public. Notre droit impose par ailleurs un principe de non-discrimination. La liberté de conscience est inscrite dans le système juridique français, d’où l’interrogation : jusqu’où accepter les manifestations de la foi religieuse et ses demandes de reconnaissance ? Si le thème central du débat n’est pas le conflit, mais le vivre ensemble, il faudra nécessairement évoquer le conflit qui concerne toutes les religions, et pas uniquement les trois grandes religions représentées sur le sol français.
INTERVENTION DE MGR DE KERIMEL, ÉVÊQUE DE GRENOBLE-VIENNE
Ora et labora
Le titre de notre rencontre m’évoque la feuille de route des moines : « ora et labora », « prie et travaille », commente Mgr de KERIMEL. La relation à Dieu dans l’entreprise n’est ni confusion, ni opposition, mais des niveaux sont à distinguer : celui des religions, qui apportent du sens à l’entreprise, et celui des comportements et pratiques dans l’entreprise. La religion nous rappelle que l’homme n’est pas son origine et sa propre fin, qu’il ne faut pas tomber dans la tentation de la toute-puissance, que la liberté humaine n’est pas un absolu. Une vision naturaliste entraîne une vision incomplète du travail réduit à sa seule valeur marchande. Or, le travail a une dimension éthique, c’est une manifestation de « l’agir » humain.
Depuis la fin du 19e siècle, L’Eglise a développé une doctrine sociale sur la question du travail
A cette doctrine sociale se référeront toutes les encycliques suivantes. « Le Seigneur Dieu prit l’homme et le conduisit dans le jardin d’Éden pour qu’il le travaille et le garde », dit la Genèse. L’homme doit travailler le jardin d’Eden, non pas pour l’exploiter, mais pour le mettre en valeur. L’homme est en quelque sorte l’intendant de Dieu. Le travail humain s’inscrit dans une double alliance : entre l’humain et Dieu, et entre l’humain et la Création. Le travail humanise (Jean-Paul II).
Dans les principes traditionnels de l’éthique sociale, le travail ne peut pas être sous-évalué et le don doit trouver sa place dans un contexte économique. La gratuité dans les relations dans l’entreprise est d’accepter de consacrer un peu de temps aux collaborateurs en s’intéressant à leur vie. (Benoît XVI).
L’être humain est un tout
Sur les questions concrètes des revendications, la mise en avant de la laïcité est une impasse. Certes, la laïcité de l’Etat est un cadre dans lequel la religion peut se développer, et le laïcisme sociétal est une tentation (on entend en effet beaucoup dire que « la religion appartient à la sphère privée », mais ce laïcisme pratique est un refus de la religion. L’être humain est un tout, il n’existe pas de frontière hermétique entre vie privée et professionnelle et il n’est pas possible de renvoyer le travail dans la sphère privée. Prenons l’exemple des monastères, qui sont aussi des entreprises. Les moines y assurent deux fonctions : le travail et la relation à Dieu. Ils font des pauses régulières pour la prière qui coupent leur journée de travail, la terce aux alentours de neuf heures du matin, la sexte vers midi, la none en milieu d’après-midi… mais si le chrétien préfèrera en général prier chez lui, le véritable croyant ne dissociera pas sa religion de sa vie professionnelle.
Il faut distinguer sans les opposer le profane et le sacré, le laïc et le religieux
De l’opposition naît l’agressivité et la défensive. Or, l’entreprise est un lieu laïc, une réalité profane. Il ne s’agit pas d’exclure mais de travailler ensemble, et c’est impossible si certains ne se sentent pas respectés dans leur conscience. C’est la qualité des relations dans l’entreprise qui doit permettre de sortir d’éventuels conflits, car ceux-ci s’estompent si l’on se connaît vraiment.
INTERVENTION DE M. NISSIM SULTAN, RABBIN A GRENOBLE
Religion, religare
En introduction, Nissim SULTAN souligne la gageure que représente l’organisation d’une telle rencontre, vendredi étant jour de prière pour les musulmans, le samedi étant shabbat pour les juifs, le dimanche étant le jour du Seigneur pour les chrétiens. Le mot religion vient du matin religare signifiant « relier ». Mais si la thématique qui nous réunit suscite de l’intérêt, c’est en partie en raison de nos appréhensions vis-à-vis du fait religieux : « La religion nous a surtout liés les uns contre les autres, remarque-t-il et il faut investir le réel pour contribuer à la quête humaniste que les entrepreneurs incarnent. »
Revisitons nos textes porteurs de mythes fondateurs sur la condition humaine
Nous avons deux mots pour décrire le travail : l’un qui renvoie à la notion d’esclave et l’autre, œuvre, qui renvoie au pouvoir des anges. Le rapport à la création, le travail, est donc d’entrée de jeu une notion ambigüe : le travail est-il le lieu de l’aliénation ou celui de la maîtrise de la matière ? Prenons maintenant la Tour de Babel. Les Babéliens sont barricadés derrière leur peur. Ils ont découvert qu’ils peuvent fabriquer des briques et décident de construire une tour qui peut crever le ciel. Cette entreprise bouleverse le langage. Dieu restaure la démocratie en instaurant la diversité du langage. Cela nous renvoie au vécu de la foi dans l’entreprise : il faudrait que chacun, dans son appartenance, puisse approcher l’autre dans sa propre appartenance. Régis Debray dit que l’appartenance à un ciel communautaire favorise le sentiment d’appartenance à un grand destin (le mot d’identité nationale n’est pas de lui). Si la diversité est respectée, c’est une perspective heureuse pour la société.
Entreprise et communauté scolaire
Dans la pratique du judaïsme, nous avons des règles alimentaires, des impératifs vestimentaires secondaires et des pratiques de prières qui sont gérables dans l’entreprise : partir un peu plus tôt le vendredi, poser quelques jours de congés, notamment pour le Grand Pardon qui coïncide malheureusement souvent avec la rentre scolaire. D’un autre côté, la communauté scolaire sanctuarise la laïcité et il est complexe de suivre un parcours scolaire et universitaire lorsqu’on est juif pratiquant. La question est toute différente outre Manche et outre Atlantique.
Entre le paradigme scolaire et l’entreprise, lequel va l’emporter ?
Le modèle de l’entreprise repose sur le pragmatisme et la concertation. Il permet à chacun de connaître sa différence. Si la société pouvait offrir cela, n’aurions-nous pas une forme d’espérance ?
► Intervention de Jean-François Lhérété, modérateur
Jean-François Lhérété retient la mise en parallèle de la Bible et du philosophe Régis Debray, qui a beaucoup écrit sur la fraternité, une notion proche du sujet de la rencontre. Il note également la notion de sanctuarisation et remarque que de nos jours, « on sanctuarise de plus en plus de choses ».
INTERVENTION DE M. Mustapha MERCHICH, Imam du Centre culturel musulman de l’Isère
L’altérité et l’autre
Aux mots-clés qui ont été évoqués, la peur, l’identité, j’aimerais ajouter l’altérité, l’autre. Tout ce qui nous amène à échanger, c’est le rapport à l’autre, cette position inconfortable. L’intérêt pour l’autre est le questionnement de notre société et de notre siècle qui débute. Dans notre histoire, sous nos cieux, le rapport à l’autre n’a jamais été fluide. La vision DES MONDES musulmans de l’entrepreneuriat repose sur deux pôles : l’éthique de l’employeur et celle de l’employé, qui tend vers la perfection. Dans le rapport du profane et du sacré, l’islam apporte un éclairage qui peut-être n’était plus connu, qui tient à l’adoration : quel que soit l’acte qui a pour volonté de plaire à Dieu, il devient un acte d’adoration.
Quel est le questionnement soulevé par l’apparition de la religion dans l’entreprise ?
Avant, la religion s’arrêtait-elle donc à la porte de l’entreprise ? Tout cela peut âtre abordé de manière très apaisée : quelle est la place de celui qui ne croit pas à ce que je crois à côté de moi ? Un musulman peut-être retraité, femme ou homme, pratiquer le football … tout cela le détermine aussi. Il faut savoir imbriquer toutes les strates de son identité pour répondre à ses revendications, bien que le terme soit mauvais. Mais sur le plan pratique, il peut être très compliqué pour un musulman pratiquant d’envisager des études, de postuler à des emplois de manière égalitaire avec des compatriotes.
De la déstabilisation naît la création
La question à se poser s’exprime en termes d’apport et de richesse. La où ça bouge, là où on est déstabilisé, cela signifie que l’on crée. On ne crée pas en étant dans le confort et le conformisme. L’exemple de la tour de Babel est intéressant à cet égard : c’est parce qu’il y a peur que l’on a inventé le fait de construire. Mais comment partir de quelque chose d’inconfortable, l’appréhension de l’autre, pour en tirer quelque chose de positif ? Cette question est plus intéressante que de répondre à ce qui nous dérange.
Une multitude de réponses possibles
Les individus sont tous différents, mais les entreprises sont aussi différentes. Il y a donc une multitude de réponses possibles. Et s’ l’une des directions ne fonctionne pas, on peut en changer.
► Intervention de Jean-François Lhérété, modérateur
Chacun a évoqué la difficulté de pratiquer sa foi. Voyons maintenant cette question sous ses aspects concrets et juridiques. Nous avons dans notre société un principe très fort d’interdiction des discriminations, inspiré par la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen, proscrivant tout ce qui peut interdire la liberté de conscience. Ce principe touche tout le monde. Toutes les religions ont à faire face à ce questionnement : comment affirmer sa religion dans un environnement qui n’est pas fait pour ça ? Les exemples sont nombreux : celle du port de la croix interdit par British Airways (l’entreprise souhaitant se montrer neutre au regard de toutes les religions), la même interdiction dans un bloc opératoire pour des questions d’hygiène et de sécurité, ou bien encore l’incompatibilité entre le turban d’un Sikh et le port du casque.
INTERVENTION DE MARIE DAVIENNE-KANNI, CONSULTANTE FORMATRICE EN DIVERSITE CULTURELLE ET RELIGIEUSE
Une étude sur le fait religieux en entreprise
Les chiffres cités par Madame DAVIENNE-KANNI proviennent d’une étude réalisée par l’Institut Randstad et l’Observatoire du Fait Religieux en Entreprise (OFRE) entre février et mars 2015 Cette étude réalisée pour la troisième année confirme non seulement l’ancrage du fait religieux dans l’entreprise, mais témoigne aussi de sa progression.
Le fait religieux dans l’entreprise, une préoccupation croissante
Depuis trois ans, les managers sont de plus en plus souvent confrontés au fait religieux. En 2013, 56% n’avaient jamais été confrontés à la question, mais ils n’étaient plus que 50% dans le même cas en 2014. 23 % des personnes interrogées déclarent rencontrer régulièrement (de façon quotidienne, hebdomadaire ou mensuelle) la question du fait religieux dans l’entreprise, alors qu’elles n’étaient que 12 % en 2014.
L’étude révèle aussi que, comme en 2014, les faits les plus fréquemment rencontrés par les personnes interrogées sont des demandes d’absence pour fêtes religieuses (19 %). Le port ostentatoire d’un signe religieux gagne en importance et se place cette année en seconde position des faits les plus rencontrés (17 %, contre 10 % en 2014). En troisième position vient l’aménagement du temps de travail. Mais les entreprises sont aussi confrontées à des comportements remettant en cause son organisation, tel le refus de travailler avec une femme ou sous ses ordres.
Les cas complexes augmentent
Les situations peuvent être classées en deux catégories : celles qui ne perturbent pas le fonctionnement de l’entreprise (demandes d’absence pour une fête religieuse ou d’aménagement du temps de travail, port ostentatoire de signes, prières pendant les pauses) et celles qui le perturbent ou qui transgressent le cadre légal (refus de travailler avec une femme ou sous ses ordres, de faire équipe avec des personnes qui ne sont pas des coreligionnaires, refus de réaliser des tâches, prosélytisme, prières pendant le temps de travail, intervention de personnes extérieures, etc)… Par ailleurs, la part des répondants confrontés à des cas conflictuels et/ou bloquants augmente pour atteindre 6 % en 2015 (contre 3 % en 2014 et 2 % en 2013). Les entreprises enregistrent de plus en plus de menaces et de refus de discussion de la part des salariés.
Il est assez paradoxal de constater que ces faits concernent précisément les managers qui font le moins appel à leur hiérarchie. Face à ce type de situation, les managers ont pourtant besoin d’un cadre clair, d’une hiérarchie qui les soutienne et de négociation. En revanche, ils sont très majoritairement opposés à une loi pour encadrer cette question.
La pratique et/ou les croyances religieuses ne sont pas un sujet tabou
La grande majorité des répondants connaît les positions religieuses d’au moins certains collègues mais 92 % d’entre eux affirment ne pas en être gênés. Pour 40 % des répondants, l’impact de cette pratique religieuse sur les rapports entre collègues et sur le travail est nul, pour 22 % positif et pour 38 % négatif. La question des signes religieux est souvent celle qui est mise en avant pour parler du fait religieux au travail. 81% des salariés pensent que la discussion sur la religion est un sujet qui a sa place dans l’entreprise. Plus encore, certaines pratiques sont tout à fait admises. Ainsi, la pière pendant les pauses est considérée par 75 % des personnes comme tout à fait admissible. Elles fixent toutefois des limites à cela : ne pas perturber le travail, ne pas gêner les autres, ne pas enfreindre des règles de sécurité, choisir un endroit approprié, etc. La demande d’autorisation d’absence pour raison religieuse (par exemple, assister à une cérémonie) est légitime pour 80% des répondants. Ce qui n’est majoritairement pas admis est le refus des tâches et la composition des groupes selon les religions. On considère aussi qu’il est normal d’enlever un signe religieux s’il gêne l’image de l’entreprise.
Ne pas institutionnaliser le fait religieux
Les personnes interrogées ne souhaitent pas que les entreprises bannissent le fait religieux de l’espace de travail, mais souhaitent en revanche qu’il ne soit pas pris en compte en tant que tel dans le fonctionnement de l’entreprise. Ainsi, une grande majorité des personnes interrogées est opposée à l’idée que les processus de gestion et d’organisation du travail puissent institutionnaliser le fait religieux.
Les entreprises se dotent d’outils et des concepts émergent
Face à cette situation, les entreprises, notamment Orange, La Poste, IBM, Casino et EDF, ont mis au point des outils dans le but d’aider leurs mangers à gérer les demandes. Leur limite est souvent de ne pas assez expliciter les religions mais aussi la notion de laïcité. Citons aussi la notion d’accomodement raisonnable, un concept apparu en 2008 qui découle du droit à l’égalité et qui a fait l’objet de débats au sein de la population québécoise. Il s’agit d’un processus de recherche de moyens et de compromis, avec une obligation de moyens et non de résultat. Il s’agira, par exemple, d’accorder un jour de congé ou d’adapter un repas, mais il n’y aura pas d’accomodement en cas de contrainte excessive ou d’atteinte à la sécurité.
► Intervention de Jean-François Lhérété, modérateur
Les Français connaissent mal le fait religieux car le sujet n’est pas dans la culture française. Dans son ouvrage République et Démocratie, Régis Debray montre comment la République place l’Etat au cœur de la société, une approche très différente du monde anglo-saxon.
INTERVENTION DE ME PIERRE-LUC NISOL, avocat spécialiste du fait religieux en entreprise
Il y a quelques années, jamais je n’aurais imaginé intervenir sur cette question, remarque Me Nisol en préambule. La demande des entreprises est de plus en plus forte. Le nécessaire espace de vivre ensemble apporte-t-il des limites au fait religieux ? Les magistrats ne font pas de distinction : toute limite à l’expression serait un facteur de conflit aujourd’hui. Dans notre constitution, il s’agit d’une liberté fondamentale que l’on ne peut altérer par la loi. 79% des personnes interrogées souhaitent poser le principe de laïcité dans l’entreprise privée, mais ce serait contraire au principe constitutionnel.
Comment les juges apprécient-il les situations ?
La prise en compte de l’activité de l’entreprise et la limite proportionnée au but recherché sont les deux points qui sont appréciés par les juges. Le problème est particulièrement délicat pour les entreprises d’envergure nationale car un juge ne rendra pas le même jugement à Lille et à Bordeaux. Dans les PME, en revanche, on peut procéder au cas par cas et régler les questions de manière plus simple, mais on risque néanmoins le procès en discrimination. Aujourd’hui, beaucoup de choses passent par le règlement intérieur, par exemple l’interdiction du prosélytisme.
Quelques cas :
■ On citera bien entendu en exemple le cas de la crèche Baby Loup (une crèche associative poursuivie devant les Prud’hommes par une salariée licenciée en 2008 parce qu’elle souhaitait porter le voile), où un juge a considéré le port du voile comme incompatible avec l’activité de la crèche.
■ Il y a huit mois, la société Carrefour a rencontré un problème avec une hôtesse de caisse qui souhaitait garder son voile, alors que le règlement intérieur en interdisait le port. Cela s’est traduit par un licenciement pour insubordination. Le juge des partiteurs a considéré que l’activité de commerce de Carrefour ne justifiait pas la restriction de l’expression religieuse. Carrefour avait pourtant organisé sa défense avec une enquête d’opinion dot les résultats démontraient que 80% des clients préféraient ne pas voir de signe religieux porté par les employés de la grande surface. Le juge n’en a pas tenu compte pour considérer que la restriction était légitime.
■ Ce cas est à rapprocher de celui de la société PAPREC, qui a mis en place une charte à effet juridique limitée, adoptée par référendum. Cette charte a une valeur managériale, mais la société serait démunie en cas de conflit.
L’accord collectif est une piste possible
L’une des pistes qui pourrait être porteuse de solutions est l’article 8 du préambule de la constitution de 1946, précisant que les salariés ont collectivement le droit de déterminer leurs conditions de travail. Une entreprise pourrait donc aller vers un accord collectif plutôt que vers un règlement intérieur ou une charte, et le principe constitutionnel du préambule de 46 pourrait être opposé à des revendications d’ordre religieux. Certaines entreprises sont favorables à la liberté de port de signes religieux, d’autres voudraient le limiter, mais l’état de droit fait que l’employeur n’a guère le choix, bien qu’il existe une forte jurisprudence en faveur des employeurs qui souhaitent une limitation. Beaucoup de syndicats voudraient organiser eux aussi cette question de la limitation du fait religieux.
La pratique du « cas par cas » multiplie le risque pour l’employeur
On appelle certes à la tolérance mais on constate aussi des comportements à sanctionner et dans ce cas, l’employeur est démuni. Et plus il pratique du cas par cas, en privilégiant certaines situations, plus il multiplie le risque d’être exposé à ce qu’un salarié considère comme discriminatoire le traitement qui lui est réservé. Le chef d’entreprise, quand il fait des choix, doit avoir à l’esprit que plus sa règle est générale et lisible, moins il risque un procès en discrimination, motif en forte augmentation dans les litiges auprès des tribunaux de Prud’hommes. Toutefois (c’est a conclusion du cas Casino) dire à des salariés qu’on ne souhaite pas de comportement ostentatoire n’est pas considéré comme discriminatoire. Il faut donc le discours le plus clair possible, et de préférence intégrer les représentants du personnel sur cette question.
Les magistrats sont confrontés à des cas qui ne se posaient pas il y a cinq ans
Autre exemple : un client de SSII a souhaité que le représentant de son prestataire ne porte pas le voile. Le dirigeant de la SSII l’a licenciée et la salariée a considéré que la décision était abusive. Le cas a été jugé au-delà de la Cour de Cassation, par la Cour Européenne des Droits de l’homme. La justice sur ces questions en est donc à ses balbutiements. Le sujet ne se posait pas il y a seulement cinq ans et les magistrats, eux-mêmes dépourvus, composent avec le droit constitutionnel. Cela appelle des remarques :
■ Il faut prendre en considération la loi, mais sous le contrôle constitutionnel
■ Il faut être précis sur les mots : religion ou identité culturelle ? Certaines approches ne sont en effet pas forcément d’ordre religieux. Un arbre de Noël, par exemple, est-il culturel ou religieux ?
RÉACTIONS DES TROIS REPRÉSENTANTS DES CULTES
Mgr de KERIMEL
« Je me méfie d’une judiciarisation à outrance. L’antisémitisme se redéveloppe aujourd’hui, et les Juifs jouant le rôle de sismographe, cela signifie que la société va mal. Je ne ressens pas la volonté de la société de travailler ensemble, je constate surtout de la stigmatisation et un laïcisme qui veut renvoyer la religion à la sphère privée, ce que le considère comme une impasse ».
Mustapha MERCHICH
« Le passage par le droit nous conduit dans le mur. On va produire des lois et au bout du compte, aucune ne sera applicable car on n’aura pas tenu compte de l’évolution de la société. Nous avons un devoir de cohérence : il n’est pas possible de vouloir faire du spirituel une maladie honteuse tout en espérant un comportement social. Lorsque Casino fait des opérations commerciales pour Noël et interdit le port du voile à son employée, il n’y a pas de cohérence. Les sociétés à taille humaine posent moins de problèmes. A l’international, les approches sont différentes. Les sociétés nationales doivent donc modeler leur approche si elles veulent s’élargir à l’international. C’est un point positif de la mondialisation, qui nous oblige à nous poser des questions sur nos certitudes et sur nos cultures. »
Nissim SULTAN
« Pour reprendre l’exemple de Carrefour, je pense qu’on ne peut pas opposer le culturel et le juridique. Dans le Talmud, nous avons l’habitude des questions non résolues… jusqu’à la venue du Messie. La notion canadienne d’accomodement raisonnable est-elle importable ? Je retiens surtout la notion de coexistence. Il faut se comprendre pour faire comprendre. Peut-être l’entreprise, qui sait pratiquer l’événementiel, pourrait-elle créer un type d’événementiel nouveau dont l’objectif serait le partage et la connaissance d’autrui, à l’image de l’initiative « Croyants dans la cité » ? Le sens de la coexistence implique un gros travail de traduction de l’universel. »
QUESTIONS DE L’ASSISTANCE
■ Les médias nous montrent une image du fait religieux qui est celle de l’intégrisme. Ma crainte est que l’on crée des règlements et des chartes, comme celle de Paprec, fondées sur la peur Comment combattre l’intégrisme tout en donnant à la spiritualité ses lettres de noblesse ?
Me NISOL : Pour moi, le droit n’est pas une fin mais un moyen. Je n’imagine pas répondre à un client en lui disant que le droit va résoudre le problème. Je travaille avec des spécialistes de la théologie, de la philosophie. Il faut envisager les réponses à plusieurs niveaux et notamment au niveau managérial, qui marginalise les outils juridiques comme ceux de la dernière chance. Il faut expliciter et définir l’équation entreprise-religion et faire preuve de pédagogie, en particulier sur la question de la laïcité.
■ Le règlement intérieur et la charte ne peuvent-ils pas être pris en compte sur le plan juridique ?
Me NISOL : On ne peut pas faire jouer la loi dans l’entreprise, qui est un espace privé. La validation juridique d’une charte ou d’un règlement intérieur ne peut être fondée que sur l’activité de l’entreprise. C’est la position de la Cour de Cassation qui a jugé que le règlement intérieur de la crèche Baby Loup était légitime au regard de son activité. En revanche, l’activité commerciale de Carrefour ne légitime pas la restriction d’expression du fait religieux.
■ Pourquoi le manager ne déciderait-il pas du cadre de travail ?
Me NISOL : Nul ne peut imposer de restriction qui ne serait pas justifiée.
Un pèlerinage islamo-chrétien pour une rencontre au sommet
« Les paroisses, mosquées ou lieux de culte musulmans du département ont été invités à cette rencontre par le service diocésain des relations avec l’islam », a fait part le diocèse d’Annecy sur son site.
Ces musées arabes et turcs qui refont l’histoire
Le salon d’apparat de la maison de l’architecte égyptien Omar El Farouk, dans l’oasis du Fayoum (Égypte).
Découvrez le dossier
La mise en scène du passé possède une longue histoire dans l’architecture et la muséographie occidentales. La présence de l’histoire dans les musées et les intérieurs arabes ou turcs n’est pas moins riche. L’invention coloniale de la tradition, puis la formation des imaginaires nationaux ou régionaux, tel le panarabisme, en ont été des vecteurs privilégiés, non sans continuum de l’un à l’autre…
Egalement au sommaire…
Dans la rubrique Histoire, un éclairage original du récit fondateur de la monarchie marocaine par les Idrîssides dans lequel la numismatique pèse son poids. Un Portrait dédié à un « bilan d’étape » de l’œuvre de Jacques Berque, à l’occasion des vingt ans de sa disparition. Une promenade en texte et en images dans la Tunisie des poètes, aux antipodes du tourisme de masse, qui nous conduit de Sfax à Tunis en passant par l’archipel des Kerkennah. Deux nouvelles rubriques : un « Voyage en cuisine » dédié à l’escabèche et un « Arrêt sur photo » commenté par l’écrivain Abdelkader Djemaï. Et comme chaque trimestre, toute l’actualité artistique et littéraire du trimestre…
Pour en savoir plus : http://www.imarabe.org/
Des conflits géopolitiques sous couvert de religion
Par une lecture profane des conflits, entendez-vous vous opposer à la théorie de « choc des civilisations » ?
C’est un retour à la politologie classique, une approche des situations de guerre par une analyse multifactorielle, et non pas par une causalité unique qui serait religieuse, ethnique ou prétendument morale. La thèse du choc des civilisations est, à mon avis, une mise à jour post-moderne de la division du monde entre Sémites et Aryens, qui a provoqué l’antisémitisme effarant ayant mené au génocide des communautés juives d’Europe. Cette thèse perverse empêche de réfléchir sur les causes des conflits. Aveuglée par cette théorie du choc des civilisations, l’opinion publique peut soutenir des entreprises guerrières comme l’invasion de l’Irak, de l’Afghanistan, ou encore les interventions en Libye, en Syrie et très récemment au Yémen.
Au Moyen-Orient, le conflit sunnites-chiites est souvent mis en avant. La religion n’est-elle pas un vecteur de conflit dans cette région du monde ?
Quand le shah d’Iran était en place (1941-1979), sa politique n’était pas différente de celle du régime actuel. Pourtant, personne ne parlait d’opposition entre sunnites et chiites. Des intérêts géopolitiques se jouent aujourd’hui sous couvert de religion. Des enquêtes, publiées notamment dans The New Yorker, montrent que, suite à l’échec de l’invasion de l’Irak, les États-Unis ont décidé de provoquer des troubles entre sunnites et chiites. En créant notamment la notion de triangle chiite Iran/Syrie/Hezbollah libanais, considéré comme l’équivalent d’un « axe du mal ». C’est très loin de la complexité des réalités de terrain, qui implique les intérêts géopolitiques des régimes turc, qatari, saoudien et israélien. La politique occidentale poursuit une ligne « sunnites contre chiites » sur le plan intérieur, et une vision « monde islamique contre monde occidental » sur un plan plus large. Il s’agit d’une approche fantaisiste : tous les gouvernements des pays musulmans sont dans l’orbite des puissances occidentales à l’exception de l’Iran, qui tente de normaliser ses relations avec les États-Unis.
Pourquoi les problèmes de religion, culture et civilisation sont si souvent invoqués pour justifier les conflits ?
Le Moyen-Orient est l’un des carrefours géopolitiques les plus importants dans le monde. C’est le principal réservoir énergétique. C’est aussi le lieu de naissance des trois monothéismes. Il est très facile d’utiliser les symboles religieux pour couvrir d’un voile les enjeux profanes purement politiques, militaires, économiques et autres désirs de puissance et d’hégémonie. Le Moyen-Orient est constitué de trois grands groupes ethniques ou nationaux : les Perses iraniens, les Turcs et les Arabes. Iraniens et Turcs ont pu hériter de structures d’empires vieilles de plusieurs siècles. En revanche, les Arabes ont été balkanisés dans diverses entités par les deux colonialismes français et anglais.
À l’heure du nationalisme arabe du président égyptien Nasser (1956-1970), la région était le théâtre d’atmosphères révolutionnaires qui menaçaient les intérêts occidentaux. L’organisation des Frères musulmans a été bien instrumentalisée afin de s’opposer à un panarabisme anti-impérialiste et tiers-mondiste qui entretenait des relations croissantes avec le bloc soviétique. Bien plus, l’instrumentalisation du religieux est devenue quasiment la politique officielle américaine pendant la Guerre froide. Zbigniew Brzezinski, conseiller du président américain Jimmy Carter de 1977 à 1981, a décidé d’organiser la mobilisation religieuse contre l’URSS. Dans l’aberrante guerre d’Afghanistan, en 1979, l’Arabie saoudite a été appuyée et financée par les États-Unis pour entraîner des milliers de jeunes Arabes, qui partaient ensuite se battre en Afghanistan. Al-Qaida est née à ce moment-là. Ces groupes de combattants ont ensuite été transportés en Bosnie, en Tchétchénie, aux Philippines, aujourd’hui dans le Xinjiang chinois… L’instrumentalisation de ces groupes mène à des organisations comme l’État islamique.
Vous parlez bien plus d’un recours au religieux que d’un « retour du religieux », expression que vous dénoncez. Pourquoi ?
Il n’y a jamais eu d’abandon du religieux dans l’Histoire du monde. Parler de retour du religieux est un ethnocentrisme européen poussé à l’extrême. Certes, la petite Europe a été relativement déchristianisée. Mais le reste du monde a conservé des liens importants avec la religion. À commencer par les États-Unis, pays fondé par des colons britanniques puritains. Le « retour du religieux » a été beaucoup invoqué pour dénoncer les dictatures marxisantes. Le philosophe allemand Léo Strauss (1899-1973) se demandait s’il ne fallait pas mieux revenir à des législations de type religieuses, après les malheurs qu’il attribuait exclusivement à la laïcité et la Révolution française, qui auraient d’après lui provoqué les deux Guerres mondiales. Accuser la Révolution française ou les philosophes des Lumières de tous les malheurs du monde est une thèse tout à fait exagérée. Pour moi, l’archétype de la guerre d’extermination, du goulag et du nazisme se trouve dans les guerres de religion.
Le raidissement des dogmes, aujourd’hui, traduit-il une nouvelle crise religieuse ?
Il ne faut pas tomber dans le piège des mouvances terroristes actuelles. Elles se réclament de trois théologiens politiques musulmans : Ibn Taymiyya (1263-1328), emprisonné par le sultan pour son extrémisme religieux ; le Pakistanais Abul a’la-Maududi (1903-1979), qui a justifié la sécession sanglante des Indiens de confession musulmane ayant donné lieu à la création de « l’État des purs » (ou Pakistan) ; et le Frère musulman égyptien Sayyid Qutb (1906-1966) qui a considéré tous les régimes politiques arabes comme « hérétiques » parce que ne respectant le principe d’une souveraineté absolue de Dieu sur les hommes. Mais la théologie musulmane, vieille de plus de treize siècles, va bien au-delà de ces trois noms et les théologiens « libéraux » sont très nombreux. Je pense qu’il y a aujourd’hui une crise des monothéismes, à cause de la manipulation du religieux. Concernant l’islam, la croyance wahhabite a été largement condamnée par la plupart des théologiens musulmans qui la considèrent beaucoup trop extrémiste. À l’origine, cette doctrine est née au XVIIIe siècle d’une simple alliance entre le prédicateur Abd al-Wahhab et la famille al Saoud aux ambitions politiques très grandes. Quand, dans la deuxième moitié du XXe siècle, l’Arabie saoudite a atteint une puissance pétrolière et financière importante, le wahhabisme s’est exporté tous azimuts.
Quel rôle joue l’instrumentalisation de la mémoire dans la gestion des conflits ?
Les musulmans restés fidèles au concept de « religion du juste milieu » sont marginalisés. Aujourd’hui, les médias et les chercheurs ne s’intéressent plus à la sociologie des sociétés arabes, turques, perses… Ils se consacrent à l’étude des réseaux islamistes. C’est un islam abstrait, une méga-identité qui ne veut rien dire mais sert à stimuler cette idéologie du conflit des civilisations. On retrouve le même type de crispation, en ce qui concerne le judaïsme. De très nombreux citoyens européens ou américains de confession juive n’approuvent pas la politique d’Israël. Des groupes de religieux, comme Neturei Karta, ne reconnaissent même pas la légitimité de l’État israélien. Mais ils sont totalement marginalisés dans les médias et la recherche académique. Une autre manipulation de la mémoire est le passage de la notion d’Occident gréco-romain à la notion d’Occident judéo-chrétien. Ce coup d’État culturel n’a pas beaucoup de sens, car le christianisme s’est construit contre le judaïsme. Cette opération est destinée à réparer le traumatisme causé par l’Holocauste.
Alors que le XXe a vu, pendant un temps, triompher une vision laïque de l’ordre international, comment la religion a-t-elle pu opérer un tel retour en force ?
Jusqu’aux années 1970, la vie internationale était laïque. Les pays non-alignés basaient leur discours sur le rapport avec les deux grandes puissances. La préoccupation était le développement économique et social, l’appropriation des sciences et les technologies. Tout a basculé avec la Guerre froide. L’extension du marxisme dans les rangs de la jeunesse arabe dans les années 1950-60 était très impressionnant. De quoi inquiéter les milieux militaires et politiques occidentaux. En cherchant à réislamiser les sociétés musulmanes, la doctrine Brzezinski entendait que leurs préoccupations ne soient plus économiques ou sociales, mais théologiques.
Pourquoi la laïcité a-t-elle échoué dans le monde arabe et musulman ?
Je n’aurais pas un jugement aussi abrupt. De très larges pans de laïcité subsistent dans des pays comme la Turquie ou la Tunisie. La Syrie et l’Irak étaient largement laïcisés eux aussi. Tout comme l’Égypte dans les années 1940-1950. Il n’y a pas non plus de recul absolu. Heureusement, il existe encore des millions de musulmans arabes sans comportement religieux ostentatoire. Mais l’échec complet de l’industrialisation est associé à une expansion démographique effarante. Devant l’incapacité de trouver un emploi, la mosquée devient attirante. Toutes les ONG islamiques ont fleuri grâce au financement des monarchies et émirats du Golfe. Elles ont distribué des aides sociales, conditionnées par l’adoption d’un mode de vie religieux.
Les médias et intellectuels occidentaux ont-ils joué un rôle dans cette « réislamisation » ?
Les politologues occidentaux ont donné une crédibilité islamique à des gens comme Ibn Taymyya ou Sayyid Qutb, ainsi que Ben Laden et le soi-disant « État islamique ». Vouloir expliquer des phénomènes comme les attentats du 11 septembre 2001 ou celui de Charlie Hebdo par la religion musulmane ne fait qu’amplifier le malaise. Les organisations terroristes doivent être considérées comme telles. Si vous mobilisez des savoirs soi-disant académiques pour justifier leurs actes par la théologie musulmane, vous jouez dans leur camp et renforcez leur crédibilité. S’est-on penché sur les textes marxistes pour expliquer les crimes d’Action directe, ou de la bande à Baader ou le goulag ? Chercherions-nous dans les Évangiles une justification des Croisades ou du génocide des Indiens d’Amérique ? Non.
Pensez-vous qu’il est possible de sortir de ce cercle vicieux ?
Je ne suis pas très optimiste. À partir du moment où les médias américains et européens appellent Daesh « l’État islamique », le terrorisme s’accroît. En luttant contre Ben Laden, longtemps allié des États-Unis, on en a fait un grand héros, avec un retentissement médiatique hors-pair. Deux pays souverains ont été envahis en déployant des moyens militaires absurdes. D’autant plus que l’Irak était considéré par Ben Laden comme un État mécréant à détruire. Et ça continue avec le drame syrien. On a décidé de diaboliser Bachar el-Assad, sous prétexte de réduire un dictateur qui n’est pas dans le sillage géopolitique de l’Occident. Tout en affirmant, à côté, que des organisations comme le Front al-Nosra, pourtant classé comme terroriste, font du bon travail en Syrie. Au Yémen, on recommence à bombarder les Houthis sous prétexte qu’ils sont soutenus par l’Iran et qu’ils appartiennent à l’une des nombreuses branches du chiisme. Ces folies coûtent des milliards de dollars aux contribuables européens et américains. Comment arrêter cette machine ? Depuis 2001, il n’y a aucune demande de comptes dans les pays occidentaux. Il est temps que les démocrates se réveillent pour demander que cela cesse.
– publié le 22/07/2015
(*) Georges Corm, Pour une lecture profane des conflits : sur le « retour du religieux » dans les conflits contemporains du Moyen-Orient, Paris, La découverte, 2015, 11 €.
Du même auteur : Pensée et politique dans le monde arabe : contextes historiques et problématiques, XIXe-XXIe siècles, Paris, La Découverte, 2015, 23 €.
Pour en savoir plus : http://www.lemondedesreligions.fr/
Sérieux s’abstenir
Plaisanterie mise à part, il faut reconnaître que cette franche rigolade est sans doute proportionnelle à la profondeur, voire à la gravité des thématiques que nous sommes amenés à traiter. L’humour est cette soupape de sécurité qui se déclenche pour réintroduire un peu de légèreté, de souffle, despiritualité dans ce que les religions peuvent avoir d’étouffant. D’ailleurs, « être spirituel », en français, signifie autant être porté sur le travail de l’âme que manifester un goût prononcé pour les phrases piquantes… Car derrière ce sujet au demeurant badin – idéal pour un numéro d’été – se cachent, vous l’avez compris, des questions diablement sérieuses. Ce n’est pas sans raison que le christianisme se méfie du rire, qui est l’attribut de Satan.
De fait, toutes les religions n’ont pas, loin s’en faut, le même sens de l’humour. Sous l’humour, le blasphème guette… Et l’actualité nous montre bien à quel point des croyants ne rient pas du tout – ou rient jaune – lorsque d’autres se gaussent d’eux. Faut-il, dès lors, instaurer une « charte de bonne conduite » du rire ? La question a été débattue mille fois. Pour ma part, je pense que s’il fallait instaurer une limite à l’humour, ce serait celle de la Règle d’or, cette maxime de sagesse connue depuis la nuit des temps dans toutes les traditions spirituelles : « Ne fais pas à autrui ce que tu ne voudrais pas que l’on te fasse. » Pour le reste, je trouve quand même que le manque d’humour nuit gravement à la santé – à la sienne propre comme à celle des autres. Dans la vie, mieux vaut éviter d’être trop sérieux. Sans quoi on a vite fait de se prendre au sérieux. « Dieu m’a fait une blague », dit Sarah, l’épouse d’Abraham, après que Dieu lui a donné la grâce d’avoir un enfant – Isaac (« il rit », en hébreu). Elle était alors âgée de 90 ans (Genèse 21,6). Une sacrée blague.
– publié le 25/06/2015
Pour en savoir plus : http://www.lemondedesreligions.fr/
Et si on filmait la laïcité ?
Depuis mars 2015, ENQUÊTE anime un atelier dans un centre social à Vaulx-en-Velin, en banlieue lyonnaise. Le centre Georges Levy a demandé à l’association d’entreprendre un travail de réflexion citoyenne avec les enfant, de 9-11 ans, sur le racisme, l’antisémitisme et la xénophobie. Décidée à élargir les perspectives à des réalités plus positives, ENQUÊTE propose aux enfants de créer un glossaire filmé qui parlerait aussi de la laïcité, des faits religieux et de vivre ensemble.
Mercredi 6 mai, c’est la première séance de tournage. Seules cinq filles sont présentes mais elles sont très motivées, même les plus timides qui avaient initialement refusées d’être filmées. Mélissa, une animatrice du centre social nous apporte son soutien, c’est elle qui tiendra la caméra, le moment venu. La « réunion de pré-tournage » peut commencer ! Comme chaque semaine, en début de séance, le tour de table du cahier des chercheurs permet de reprendre la liste des termes à définir. Les filles sont toutes d’accord pour insister sur les définitions des termes de « laïcité » et de « religions en France ». La compétition est intense pour savoir qui sera filmé !
Les filles expliquent à Mélissa « On va faire un film ! ». Je leur demande de présenter plus en détail le contenu de l’atelier et le projet du glossaire « Et si vous commenciez par les définitions ? ». Elles se lancent à deux voix. Mélia commence « la laïcité, c’est comme la cour de récré, y’a ceux qui jouent au foot et ceux qui jouent au ballon autour des tables de ping-pong, tu sais ? » et Faustine poursuit « Et bien, ils doivent jouer chacun à leur jeu, sans gêner les autres, sans leur jeter le ballon dessus. C’est pareil pour les religions, tu dois faire ta religion de ton côté sans gêner les autres ». L’animatrice, Mélissa leur répond avec ses propres mots pour dire que la laïcité se fonde sur le respect et permet de vivre ensemble. Les discussions engagées aux séances précédentes continuent. Elles ne cessent de s’enrichir. Les filles approuvent les propos de Mélissa, elles en feront des mots-clés pour le glossaire !
Nous continuons la discussion avec les « dix minutes du chercheur », pour apprendre à se poser des questions, à partir du quotidien. Esma nous parle d’un reportage qu’elle a vu à la télévision et qui semble l’avoir perturbée : « un père, il dit à sa fille qu’elle n’est plus de sa famille… ». Je lui demande si le mot qu’elle cherche est « répudiée ?», elle acquiesce et continue : « pourquoi des gens n’aiment pas leur famille ? Ce n’est pas normal ! ». Camélia lui demande « Pourquoi ce père a répudié sa fille ? à cause du mariage ? de la religion ? ». Esma lui répond « je sais pas trop… oui c’est un mariage avec une autre religion, je crois ». Cela nous permet de parler des couples mixtes. Faustine évoque sa famille : « ma tata, elle est mariée avec mon tonton marocain et on est même allé au Maroc en vacances. Pourtant ma maman et moi on va au catéchisme, mais je suis quand même à moitié marocaine ». Camélia la reprend « mais non, tu n’es pas marocaine si c’est ton oncle qui est marocain ! » « oui, mais ma tata, elle est un peu marocaine, alors nous aussi ». C’est bien parce qu’ils vivent la diversité des origines et des appartenances géographiques, nationales et religieuses au quotidien, que les enfants en parlent si naturellement et se questionnent sur ces sujets. A nous, éducateurs – parents, animateurs, professeurs – de leur apporter des connaissances et de préciser certaines notions…
« Tu réponds à nos questions ? »
La séance se poursuit, le tournage est sur le point de commencer : « quand une personne accepte d’être filmée, vous lui posez la question à haute voix et lentement. C’est quoi le modèle de question déjà ? » Elles répondent du tac au tac : « selon vous, quelle est la définition de … ? » Nous voilà partis dans les couloirs du centre social à la rencontre de potentiels « interviewés ». Nous avons décidé de débuter en terrain connu pour que les enfants s’entrainent. « Hamida ! tu réponds à nos questions ? » demande Mélia à la responsable du bureau des jeunes. Cette dernière refuse, mais Mélia ne lâchera pas le morceau ! Tout au long de la séance elle me répétera : « Tu verras, si le directeur nous répond, je pourrai convaincre Hamida ! » ou encore « on a eu plein de refus : Hamida va être obligé de me dire oui ! ». Mais malgré leurs efforts, Hamida tiendra bon, elle ne veut pas être filmée…
Nous sollicitons les employés des bureaux administratifs ; certains acceptent, d’autres refusent. D’autres encore tergiversent ou négocient « Oui mais à condition de connaître les questions à l’avance pour pouvoir y réfléchir. » L’ambiance est détendue ; mais les enfants, qui connaissent bien leurs interlocuteurs, gardent leur sérieux. Ils restent concentrés pour réaliser au mieux ce projet qui leur tient à cœur. Ils sont fiers de ce « véritable tournage !»
Pour terminer, nous filmons une animatrice et certains enfants de son groupe qui rangent et nettoient la cour, au pied des immeubles. Cette animatrice porte le voile en dehors du centre. Elle nous demande que son visage ne soit pas filmé mais accepte, avec grand plaisir semble-t-il, de répondre aux questions des petits enquêteurs. Cela ne pose aucun problème aux enfants qui optent pour un plan serré sur ses mains. Une fillette d’environ 6 ans prend ensuite la parole : « Dieu il est tout en haut et tout le monde l’aime ! ». Les cinq filles s’exclament: « Ho, elle est trop mignonne !! ». Elles sont ravies de cette intervention « les Musulmans ne parlent que des Musulmans et les Chrétiens des Chrétiens ! Elle, elle a parlé de tout le monde ! ».
Tournage en extérieur
Deux semaines ont passées, nous sommes le 20 mai, tous les enfants sont là pour cette deuxième séance de tournage ! Le centre social relaie la demande de la mairie de Vaulx-en-Velin. Il souhaite avoir un petit topo pour présenter notre atelier et notre projet. Ravis, nous décidons avec les enfants qu’il faudra intégrer ce passage comme une introduction à notre glossaire filmé. Faustine, Souleymane et Camélia, les moins timides, s’en chargent, la première prise est la bonne : « Cette deuxième séance de tournage commence très bien ! ».
S’ensuit notre briefing de « pré-tournage ». Deux nouvelles personnes acceptent d’être filmées : un employé de mairie de passage au centre et un visiteur. Forts de cette confiance, les petits enquêteurs sont prêts à sortir du centre. Une passante répond favorablement à leur demande, mais son amie refuse malgré l’insistance de Mélia, décidément tenace : « Allez, ça ne durera pas longtemps ! ». Nous continuons notre chemin jusqu’à la zone commerciale du quartier de la Grappinière. Accueil chaleureux dans le snack où nous filmons le patron et un client au son des steaks sur le grill. L’un des clients plaisante : « dis donc, ta femme sait que tu ne travailles pas ?! Ce film il va passer ce soir à BFM ! ». Les enfants sont très fiers. Je dois néanmoins rester vigilante et ne pas hésiter à les recadrer. Tourner à l’extérieur du centre, près de commerces qu’ils fréquentent régulièrement, les déconcentre facilement. Sur le chemin, ils saluent leurs camarades de classe, leurs voisins…
Nous essuyons plusieurs refus au salon de coiffure, au taxiphone et dans une brasserie. Camélia me fait très justement remarquer : « tu as vu ici, la caméra bloque les gens ». Mélissa, l’animatrice, me rappelle le propos d’une coiffeuse « ici à Vaulx, on ne peut pas parler de religion devant une caméra » . Je propose alors que nous fassions une prise de Mélia qui en guise de conclusion explique face caméra les conditions de réalisation du tournage : beaucoup de réponses positives mais aussi quelques refus. Ces derniers sont-ils dus à la caméra ou à la nature du sujet abordé ? Quoi qu’il en soit nous sommes tous d’accord pour dire que cela est révélateur de nos questionnements. Et de mon côté « et bien voici un bon sujet d’enquête pour un prochain atelier : les religions et les médias ! »
Pour en savoir plus : http://www.enquete.asso.fr/
En finir avec l’esprit victimaire
Cultiver l’esprit de bonne volonté
Refuser l’enfermement de la jeunesse
Certaines associations qui se montent dans nos cités se trompent parfois de combat ; elles tendent à montrer que nos quartiers sont forts, renforcent cette identité, et participent donc à figer la situation. Le vrai combat serait d’aider à en finir avec cette ghettoïsation en finissant avec ces quartiers justement. C’est tout l’enjeu de la libération de l’esprit.
Cette liberté permettrait de prendre à bras le corps son propre destin, et plus loin, celui de notre espèce humaine dont l’existence même est menacée avec la question de la pollution, et les agressions faites à l’ensemble de la faune et de la flore.
En finir donc avec la victimisation permettrait de rendre lucide le regard de l’intelligence, afin de pouvoir se battre enfin pour notre avenir commun, et sauver ce qu’il reste encore à sauver de notre monde.
Abderrahim Bouzelmate, auteur et enseignant, a publié Dernières nouvelles de notre monde et Apprendre à douter avec Montaigne (De Varly Éditions, 2013). Avec Sofiane Méziani, il a publié De l’Homme à Dieu, voyage au cœur de la philosophie et de la littérature (Albouraq Éditions, 2015).
Mustapha Cherif : « En ces temps de crise, continuer à éduquer et à dialoguer »
Ce Ramadan 2015, mois de spiritualité par excellence, n’a pas été épargné par des exactions meurtrières commises au nom de l’islam. Mais le message de paix ‒ dont le mot « As-Salâm », le Pacifique, est l’un des 99 noms de Dieu ‒ doit prévaloir, nous dit le philosophe Mustapha Cherif. Face à la propagande du choc et au danger du repli sur soi, l’espérance en une société meilleure reste le moteur de notre humanité et l’éducation un de nos principaux outils.
Saphirnews : L’actualité française et internationale ne cesse d’être ponctuée d’actes de terrorisme. En même temps, intellectuels, leaders associatifs et une grande majorité des populations musulmanes européennes les dénoncent catégoriquement. Vos écrits ne cessent d’alerter sur les extrémismes de tous bords. Pensez-vous que la situation s’aggrave ou s’améliore ?
Des courants d’idées matérialistes, allergiques à la spiritualité, ou xénophobes, en profitent. D’autres, des rigoristes, figent la religion et l’instrumentalisent. Tous nuisent à ce qu’ils croient défendre. Cependant, l’immense majorité des citoyens, toutes convictions concernées, reste proche du juste milieu et se méfie à juste titre des discours extrémistes et respecte les critiques constructives. Il nous faut expliquer et consolider la voie du juste milieu.
Vous prônez l’éducation au dialogue interreligieux, des cultures et des civilisations : pour quelles raisons ?
Quelles méthodes préconisez-vous ?
Vous défendez le principe du vivre-ensemble : comment le réaliser ?
Que dit la civilisation musulmane au sujet de l’éducation au vivre-ensemble ?
Elle s’adresse au cœur et à la raison, à l’esprit et au corps, à l’individu et à la communauté. L’élève mémorise davantage les savoirs qu’il construit lui-même au fil de ses expériences que la connaissance énoncée par l’enseignant. Les citoyens musulmans d’Europe prouvent tous les jours leur capacité à vivre leur temps, la sécularité et la modernité, sans perdre leurs racines. Pour éviter les dérives, c’est cette ligne du juste milieu qu’il faut encourager.