Repas alternatifs à la cantine : l’appel des végétariens

Les repas servis à la cantine sont au coeur de la polémique depuis 15 jours.

La décision du maire de Chalon-sur Saône de supprimer les repas de substitution dans les cantines de sa ville a provoqué la polémique. Des personnalités profitent du débat pour prouver les vertus des menus sans viande.

Faut-il supprimer les menus de substitution, sans viande de porc, dans les cantines ? À l’origine du débat, le maire UMP de Chalon-sur-Saône, Gilles Platret, qui a décidé d’appliquer ce principe au nom de la laïcité. Le soutien de Nicolas Sarkozy à cette décision a divisé jusque dans son camp, illustrant la polémique née de cette décision.

Le Monde publiait jeudi une tribune signée par des personnalités en faveur du menu alternatif. Mais pas exactement celui dont Gilles Platret s’est fait le fossoyeur. Ces personnalités, dont Matthieu Ricard, prônent un repas végétarien à la cantine. «Le repas végétarien, le plus laïc de tous», c’est le titre donné à cet appel. «Le plat végétarien est une solution laïque et œcuménique aux préférences alimentaires de chacun, qui a le mérite de représenter l’alternative la plus simple […]. Le repas végétarien réunit tout le monde.»

Une autre image de la cuisine française

Allain Bougrain-Dubourg, président de la Ligue pour la protection des oiseaux est cosignataire de cette tribune. Il explique au Figaro l’idée défendue par le texte. «Nous voulons que les cantines scolaires proposent un menu végétarien aussi souvent que possible.» En plus des menus traditionnels, donc. «Pas question de dogmatisme», pour les signataires. Allain Bougrain-Dubourg l’assume, la polémique sur la laïcité a été «l’occasion de formuler des idées qui trottaient déjà dans la tête des signataires». «Nous faisons une proposition crédible et qui n’est pas idéologique», explique-t-il.

«Dans notre article, nous avons évité toute stigmatisation. Nous nous somme abstenus de parler des méthodes d’abattage cruelles qui sont utilisées pour la viande casher et halal, de la traçabilité qui est difficile, mais c’est une réelle préoccupation», affirme le président de la Ligue de protection des Oiseaux (LPO). La philosophie du texte veut ainsi pousser à la réflexion contre la souffrance animale. Allain Bougrain-Dubourg évoque comme autre exemple le «foie gras, emblème de la gastronomie française. Nous voulons donner une autre image de la cuisine de notre pays».

Prendre exemple sur McDonald’s

Concrètement, les enfants qui suivent un régime alimentaire confessionnel trouveraient donc dans leurs assiettes un repas alternatif végétarien, et ne seraient pas exclus s’il y a du porc au menu. Mais ils mangeraient également mieux.

Car le texte n’est pas non plus dénué de revendications écologistes. Allain Bougrain-Dubourg évoque l’exemple McDo. «Aujourd’hui leurs yaourts sont bios. C’est bien la preuve que des commandes en nombre et une relation sur le long terme avec les producteurs peuvent abattre l’idée reçue que si c’est bio, c’est cher.» Le modèle industriel pourrait donc être appliqué aux collectivités locales, qui s’engageraient auprès des agriculteurs bio.

Avec la conférence climat en décembre à Paris en ligne de mire, le texte rappelle que l’élevage serait responsable de 60% des émissions de méthane dans le monde, ce qui représente 14,5% de la production de gaz à effet de serre.

Le principe de ces menus végétariens est déjà appliqué dans quelques cantines françaises. C’est notamment le cas à Paris, dans les cantines du XVIIIe arrondissement, où des repas sans viande sont servis deux fois par mois. Mais aussi à Saint-Etienne, où les élèves peuvent manger végétarien tous les jours. La décision a été prise en décembre dernier, par le maire UMP de la ville.

Par Akhillé Aercke

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Les français et l’assiette

Pierre Birnbaum est historien et sociologue. Professeur émérite à l’université Paris I-Panthéon-Sorbonne, il a publié La République et le cochon (Seuil, 2013). Dans cet ouvrage, il montre combien la question des particularismes alimentaires a suscité des débats passionnés dès avant la naissance de la République française, et analyse de quelle manière l’État, si attaché au principe de laïcité, a envisagé l’exception alimentaire, de la Révolution à nos jours. Une analyse bienvenue, à l’heure où cette question suscite des débats enflammés au niveau politique.

 

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Depuis plusieurs mois, on note dans la vie politique française une crispation sur la question du casher, et surtout du halal. Ce débat est-il spécifique à notre époque ?

Non. Dans mon livre, j’étudie le rapport entre l’universalisme des Lumières au XVIIIe siècle et la spécificité des comportements alimentaires. Ce thème surgit chez celui qui symbolise le plus l’esprit des Lumières : Voltaire. Il se montre hostile à toute forme de séparation interne à la nation – sans qu’il y ait nécessairement une dimension antisémite dans ses propos. La même question rejaillit aujourd’hui : jusqu’où peut-on tolérer l’exceptionnalisme dans notre société ? Avec une crainte sous-jacente : que cela porte atteinte au socle républicain.

Ces polémiques ont-elles affecté les autres pays européens ?

Alors que les philosophes français et les Jacobins ont développé l’idée d’un corps unifié de la nation – homogénéisé par la raison –, les Lumières à l’anglaise se sont ouvertes au pluralisme et au libéralisme. Un événement illustre à merveille cette ouverture des pays anglo-saxons. Le 4 juillet 1788 – jour de la fête de l’Indépendance des États-Unis –, une grande parade a lieu à Philadelphie. La fête s’achève par un immense banquet réunissant des milliers de citoyens. Parmi eux, des rabbins mangent de la nourriture casher, sans que personne ne s’en offusque. Ce qui compte, c’est de participer non à la nation, mais à une « Nation of nations », comme le dit George Washington. Au même moment, en France, les révolutionnaires vont détruire toute forme d’identités collectives : patois, corporations, etc., et rêver d’une table commune à tous les citoyens.

La période de la Révolution affectionne les banquets, propices à l’épanouissement d’un esprit citoyen. Pourquoi ?

Le restaurant est une invention française qui date du XVIIIe siècle. Le député Charles de Villette, proche de Voltaire, se plaît à imaginer un banquet utopique où l’on verrait « un million de personnes assises à la même table (…) ; et ce jour, la nation tiendrait son grand couvert. » C’est le rêve républicain de la réconciliation des différences. Tous ceux qui ne viennent pas manger au banquet de la nation en raison de leurs croyances – même s’ils sont patriotes – posent problème. Dans les pays anglo-saxons, au contraire, la nourriture est une affaire privée. Le repas n’a pas cette dimension collective. S’il est très difficile de savoir avec précision ce qu’on mangeait lors des banquets républicains, le cochon y était partie prenante. De même en ce qui concerne les menus publics des présidents français ou des préfets : aujourd’hui encore, il s’agit bien souvent de mets que des juifs religieux ne peuvent manger.

Des voix se sont-elles élevées contre cette volonté d’uniformisation alimentaire ?

Il faut savoir que les catholiques, bien plus que les juifs, ont souffert de cette intransigeance jacobine. Ceux qui mangeaient du poisson le vendredi risquaient la prison ! Certains catholiques ont donc pris position contre l’universalisme jacobin, en particulier le comte de Clermont-Tonnerre, qui déclara : « Y a-t-il une loi qui m’oblige à manger du lièvre et à en manger avec vous ? » Il milita en faveur de l’émancipation des Juifs, processus qui leur a permis de devenir des citoyens à part entière de la nation française, bénéficiant des mêmes droits que leurs compatriotes. Clermont-Tonnerre s’est opposé à ceux qui considéraient – et ils étaient nombreux – que les Juifs ne pouvaient être émancipés parce qu’ils « ne pourront ni boire ni manger, ni se marier avec des Français ! », comme le clamait le Jacobin Reubell en 1790. L’abbé Grégoire, lui aussi, a défendu l’idée que la fraternité n’était pas incompatible avec le maintien de nourritures distinctes.

En 2012, le Premier ministre François Fillon a qualifié les régimes halal et casher d’« anachroniques ». Or, ils semblent connaître un regain d’intérêt à l’heure actuelle.  Comment l’expliquer ?

C’est toute la question de la légitimité du religieux qui se pose ici. Toute forme de croyance peut être jugée anachronique au siècle où la technologie est reine. Le possible retour de ces pratiques alimentaires témoigne d’un besoin de réenchantement du monde qui ne remet pas nécessairement en cause les valeurs universalistes et la citoyenneté. Cela dit, un tel retour reste difficile à évaluer, car on ne sait pas grand-chose de la réalité de ces pratiques, du moins pour la cacherout, aux siècles antérieurs.

Candidat à la présidentielle, François Hollande déclarait que, lui élu, le halal ne serait jamais toléré dans les cantines. Les spécificités alimentaires sont-elles incompatibles avec une société laïque ?

Je ne le crois pas. Il y a eu une forme de translation du modèle catholique au modèle républicain. La table républicaine, c’est la Cène métamorphosée, la communion républicaine. S’il est nécessaire d’éviter toute forme de communautarisation dans l’espace public, il faudrait que chacun puisse consommer, à la table de la République, une nourriture conforme à ses valeurs. Sous la IIIe et la IVe République, l’école avait su se montrer tolérante et ouverte au pluralisme. Le temps des accomodements raisonnables semble aujourd’hui problématique.

Le cochon apparaît comme l’objet du clivage, comme le montrent les manifestations « saucisson et pinard » organisées depuis quelques années. On a l’impression qu’aux yeux de ceux qui s’élèvent contre la cacherout ou le halal, être français, c’est manger du cochon ?

Ce type de manifestation n’est pas anodin car il reflète le rêve qu’ont certains d’homogénéiser de manière identitaire l’espace public et la citoyenneté. Il y a deux ans, une quarantaine de députés ont commémoré la fête nationale autour d’un apéritif « saucisson-pinard » au sein même de l’Assemblée nationale. Les banquets révolutionnaires s’en prenaient certes aux particularismes, mais c’était au nom de l’universalisme, dans une volonté d’intégration. Ici, on se trouve face à des repas organisés pour exclure l’autre qui n’en est pas moins citoyen.

Propos recueillis par Virginie Larousse – publié le 25/03/2015

Pour en savoir plus : http://www.lemondedesreligions.fr/

 

« Votre Bible, à vous, ce sont les programmes  ! »

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Il y a d’abord eu la partie théorique. Trente minutes de cours magistral pour remettre en perspective la laïcité, son émergence et ses dates clés, résumées avec brio par Aminata Diallo, l’inspectrice qui prend en charge, ce 18 mars, la formation d’une vingtaine de contractuels rassemblés au collège Gustave-Courbet de Romainville (Seine-Saint-Denis).

Penchés sur leur cahier, ces enseignants débutants mais pas tous inexpérimentés – quelques uns ont 40, voire 50 ans – prennent des notes scrupuleusement. Sûrs que leur réputation de « profs de seconde zone » les précède dans certaines des écoles où ils sont envoyés pour pallier les difficultés de remplacement, devenues quasi chroniques dans le département. Sûrs aussi qu’après les attentats de janvier, la laïcité figurera ce printemps au concours de l’enseignement, alors que deux sessions sont exceptionnellement organisées à Créteil pour attirer les candidats, certes, mais aussi pour accélérer la titularisation du « volant » de précaires dont ils font partie. En Seine-Saint-Denis, ils sont cette année 520 à colmater les brèches à l’école primaire, une première – on n’avait jusqu’à présent recours à eux que dans le second degré. Travaux pratiques Place, ensuite, aux travaux pratiques. Mme Diallo partage sa « classe » en deux groupes, et propose à chacun une étude de cas. « Vous identifierez les problèmes déontologiques, réglementaires et pédagogiques, explique-t-elle, en vous demandant : si vous étiez l’enseignant de la classe, que feriez-vous ? » « On se retrouve parfois face à des parents qui vous parlent d’une “contre-histoire”… Que leur répondre ? »

Premier cas : celui d’un professeur de CM2 dont des élèves, appuyés par leurs parents, s’opposent à une sortie prévue dans une église pour écouter du Vivaldi. Dans le deuxième cas, c’est un cours sur l’islam qui vaut à un enseignant la réaction courroucée d’un parent. A chaque fois, les familles ont mis en avant leur religion – musulmane dans le premier exemple, catholique dans le second –, affirmant agir au nom même de la laïcité.

« Ce sont deux histoires vraies, précise la formatrice, l’une en Seine-et-Marne, l’autre dans le Val-de-Marne. Elles sont antérieures à cette année, certes, mais elles cristallisent des crispations de la société qui déteignent sur l’école. » Pour aider les contractuels, ni Larousse, ni code de l’éducation, mais la Charte de la laïcité affichée dans tous les établissements depuis la rentrée 2013, dans le but de faciliter l’appropriation par chacun – parents, enseignants, élèves – de ce principe républicain. « Contre-histoire » Dix-huit mois ont passé et beaucoup sur le terrain confient leurs difficultés à « faire vivre » cet outil. « Quand des élèves, tout jeunes, vous parlent de Dieu, comment réagir ? », interroge une contractuelle trentenaire. « On se retrouve parfois face à des parents qui vous parlent d’une “contre-histoire”, relève un autre, invoquent des pans d’histoire occultés, la colonisation notamment… Que leur répondre ? » Un troisième s’interroge sur « la possibilité de se référer, en classe, à une autorité religieuse ». A chaque question, Aminata Diallo répond avec le même aplomb : « Restez dans le champ des savoirs, jamais des croyances. Il n’y a pas de recettes toutes faites… Votre Bible, votre livre à vous, ce sont les programmes », répète-telle. Mezza voce, des discussions s’engagent sur ces sujets qui agitent l’opinion : les repas de substitution, les mères voilées… Des anecdotes que l’on se répète entre professeurs – ici, un cours de natation problématique, là, une leçon de SVT contestée –, en se demandant si elles sont avérées ou de l’ordre de la rumeur.

« Quand on se sent légitime, droit dans ses bottes, on n’a pas de problème particulier avec la laïcité, assure Julie Reteuna, 26 ans mais déjà des études de droit et d’histoire en poche. Sur 26 ou 27 élèves par classe, vous en aurez toujours un ou deux pour faire les malins, mais quand ils m’interpellent, surpris qu’on aborde la christianisation ou l’islam, je leur réponds que la religion ne m’intéresse pas. Le fait religieux, l’histoire, ça, oui ! » « Le 9-3 ostracisé » Ce n’est pas Sadia Mazni, 50 ans, qui lui donnerait tort. Pour cette ex-enseignante en CFA (centre de formation des apprentis) qui s’occupe désormais de CE1-CE2, ces « entorses à la laïcité qui font le buzz, ça ne marque pas notre quotidien ». A l’écouter, « c’est plutôt une lubie de ministres » qui passe à côté des « vrais problèmes » : l’absence de mixité, la ségrégation sociale et scolaire. « Enseigner ici, c’est très dur, note-t-elle. On peut se retrouver face à des élèves qui ne savent pas écrire le français en CM2. Il est là, le nœud ! » Parmi les participants à cette demi-journée de formation – l’une des six promises dans le cadre du « plan d’action » pour la Seine-Saint-Denis –, certains n’ont débuté qu’en janvier.

Parfois la veille des attentats. C’est le cas d’Emilie Grattepanche, 27 ans, qui a commencé à enseigner le 5 janvier. « Je n’ai pas vécu de dérapages, mais l’émotion était vive, raconte cette ancienne assistante d’éducation, qui ne comprend pas qu’« on ait mis l’accent sur ces jeunes affirmant “ne pas être Charlie”, quand tant d’autres étaient solidaires ». Isabelle (elle a préféré conserver l’anonymat), 42 ans, est plus circonspecte. « Autour de moi, la petite phrase “Ils l’ont bien cherché”, en référence aux journalistes assassinés, je l’ai entendue dans la bouche d’élèves, mais aussi d’adultes », regrette-t-elle. Ces contestations, Aminata Diallo ne les occulte pas. « Elles ont existé, mais pas plus je pense dans le 9-3 qu’à Trappes ou Nanterre… même si c’est le 9-3 qui est aujourd’hui ostracisé. » Dans sa circonscription de Montreuil, « les profs n’ont rien lâché », affirme l’inspectrice. L’émotion a été d’autant plus forte que le dessinateur Tignous y était connu comme parent d’élève.

Par Mattea Battaglia

 

Pour en savoir plus :  http://fait-religieux.com/

Pour une grande politique de la diversité

Dans une thèse menée entre 2000 et 2005, nous avons montré que le rapport à l’islam d’enfants d’immigrés est lié à leurs trajectoires d’entrée dans la vie adulte, celles-ci s’allongeant désormais jusqu’au-delà de la trentaine. Ces jeunes estiment, non sans raison, que la couleur de leur peau, le fait d’être enfants de l’immigration postcoloniale et leur quartier d’habitation sont l’objet de jugements dépréciatifs qui contrarient leur accès aux opportunités sociales, à l’école, sur le marché du travail comme aux guichets des administrations.

Certains jeunes cherchent alors dans l’islam une inscription dans une généalogie prestigieuse. Se considérer comme descendant de Mahomet et se rapprocher de ses compagnons par l’habit et la piété est une quête de requalification. Celle-ci est façonnée par les offres religieuses salafistes dans lesquelles un islam dés-historicisé est censé gouverner la vie du croyant de la naissance à la mort. Cette identification à l’islam ne donne généralement pas lieu à une radicalisation violente, certains jeunes devenant simplement pieux. Dans d’autres situations, pourtant, la filiation s’éprouve au travers d’une inscription dans une communauté musulmane mondiale qu’il s’agit de défendre par les armes contre les attaques dont elle est l’objet.

Féminité islamique

En revanche, les identifications des jeunes femmes à l’islam relèvent d’autres logiques. Certaines d’entre elles s’attachent à un islam spirituel (plutôt que culturel) pour mettre à distance la religion parentale dominée par les obligations. Porter le foulard permet aussi, lors des premières années à l’université, de montrer sa fidélité à la famille pour accéder ensuite à une plus grande autonomie.

Ces artisanes de liberté tempérée considèrent que les discours qui articulent féminisme et dénonciation des inégalités des sexes au sein des populations immigrées sont une violence faite à leurs familles. Dans certains cas, afficher les signes d’une féminité islamique dans l’espace public est une protestation contre un type de féminisme qui stigmatise les populations. Ce fait protestataire n’est pas nouveau. Dans le contexte étatsunien, les Afro Américaines ont développé des mouvements autonomes de lutte contre le racisme et le sexisme parce que le féminisme des blanches mettait à l’écart les populations noires.

Les trajectoires de ces filles d’immigrées façonnent aussi leurs sensibilités, qui sont plutôt conservatrices, sur la famille et le couple. Ces positions ne relèvent pas d’un «défaut d’assimilation», qu’il faudrait corriger, et encore moins de radicalisation ; elles sont un point de vue, parmi d’autres, dans une société pluriculturelle.

Reconnaissance de la pluralité culturelle

En France, le développement du salariat et de l’État social, la scolarisation de masse dans une école laïque, publique et gratuite ont stabilisé un contrat social fondé sur l’égalité des individus en droit, la laïcité et la neutralisation des différences dans l’espace public. Ce républicanisme est mis à l’épreuve pour trois raisons. Tout d’abord, dans les sociétés européennes contemporaines se rencontrent des populations dont les croyances, les pratiques et les représentations du monde sont diverses. Ensuite, la globalisation modifie les cadres de référence de l’individu. Les mobilités, dans le cyberespace comme entre les régions du monde, facilitent la multiplicité des appartenances et des loyautés. Ce contexte de dés-imbrication de l’État, de la nation et de la société fragilise les logiques de reproduction et l’adhésion du plus grand nombre à des valeurs partagées héritées d’hier. Enfin, l’accroissement des inégalités socio-économiques depuis 1975, après une longue période de reflux de celles-ci, déstabilise la logique de réciprocité sur laquelle reposait le contrat social.

Le républicanisme reste un type d’organisation socio-politique valable mais son articulation avec l’expression des différences doit être revisitée. En premier lieu, la reconnaissance de la pluralité culturelle de notre pays est indispensable. Les élus devraient davantage rappeler que le port du foulard ou du qamis dans la rue exprime une religiosité, garantie par la liberté de conscience, pilier fondateur de la laïcité. En deuxième lieu, le débat public sur les migrations et la diversité, aujourd’hui monopolisé par quelques acteurs, devrait refléter les différences qui traversent la société française. De nombreuses voix y sont complètement absentes car elles n’ont pas accès aux grands médias et s’expriment alors sur le net, espace de liberté sans garde-fous. Enfin, une grande politique nationale visant les discriminations liées à l’origine, réelle ou supposée, est plus que jamais nécessaire. Son absence a nourri, pendant des décennies, la représentation selon laquelle le racisme et les épreuves liées à l’origine et à la couleur de peau n’étaient pas pris au sérieux par la puissance publique, alimentant un ressentiment qui s’exprime à son paroxysme dans les quartiers les plus ségrégués.

Nathalie Kakpo est auteure de L’islam, un recours pour les jeunes (Presses de Science Po).

Nathalie KAKPO docteure en sociologie
Pour en savoir plus : http://www.liberation.fr

 

Un MBA pour améliorer le management des religions

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Partant du constat que les religions pèsent de plus en plus dans l’entreprise, le MBA « Diversité, dialogue et management » de l’Institut catholique de Paris (ICP), unique en son genre, propose d’étudier les principaux courants religieux et culturels, et de mieux les comprendre afin d’améliorer le management.

C’est le doyen de la faculté de théologie et de sciences religieuses de l’ICP, Thierry-Marie Courau, qui en a eu l’idée dès 2010. A l’époque, on s’interrogeait sur les moyens d’intégrer « la diversité ». Depuis, le débat s’est déplacé sur les religions, notamment sur l’islam. L’ICP, qui a créé une formation des imams aux valeurs de la République, s’estime particulièrement bien placé sur ces questions. « L’idée du MBA est que, pour manager par le dialogue, il faut comprendre comment se comporter avec des personnes de cultures et de religions différentes, souligne Thierry-Marie Courau, ingénieur à l’origine, devenu franciscain et professeur de bouddhisme. Pour cela, nous nous appuyons sur nos recherches et nos ressources pédagogiques. »

Tous horizons

Cette année, ce MBA accueille dix personnes, de toutes confessions et de tous horizons – le directeur de communication d’un groupe, une directrice d’école enseignant le français langue étrangère (FLE), un psychologue spécialisé dans l’interculturel… Certains participants veulent se réorienter et rejoindre, par exemple, les pôles diversité d’entreprises ou de métropoles. « Nous pourrions aller jusqu’à 15 étudiants, mais pas plus, explique Anne-Sophie de Quercize, la directrice du MBA,car nous assurons un tutorat très approfondi pour aider chacun à affiner son projet et à trouver des stages qui lui correspondent. »

La formation débute par quatre semaines de cours sur les sept grands courants – christianisme, judaïsme, islam, bouddhisme, hindouisme, traditions asiatique et africaine. Puis l’étudiant part en immersion pendant trois semaines pour découvrir une autre religion au quotidien : à la rencontre d’une confrérie soufie au Maroc, dans un ashram indien ou dans un monastère bouddhiste. De retour à Paris, il enchaîne avec cinq séminaires de trois jours, animés par des professionnels, sur des questions concrètes – juridiques notamment – qui se posent dans l’entreprise. Le programme s’achève par un stage de trois à six mois dans une organisation ayant trait à la diversité.

En raison de l’actualité récente, les responsables du MBA ont vu affluer les demandes de renseignements et de formations spécifiques. Le ministère de la défense les a, par exemple, sollicités « afin d’expliquer la laïcité à ses cadres à travers le prisme historique ».

 

En pratique

Conditions d’entrée : bac + 4

Langue : français

Coût : entre 2 500 euros et 4 800 euros suivant les revenus, 7 020 euros en formation continue

Temps de formation : 400 heures sur un an, possibilité d’avoir un certificat si l’on suit les cinq séminaires de trois jours chacun.

 

Pour en savoir plus : http://campus.lemonde.fr/

Laïcité : une proposition de loi qui heurte les religions

CrècheBabyLoup

Le texte veut imposer la neutralité dans les structures éducatives accueillant des mineurs.

«Imposer la neutralité religieuse dans les crèches privées.»Une proposition de loi, perçue par certains comme une offensive «antivoile», qui finalement s’est attirée les foudres des religions dans leur ensemble… Un épisode qui en dit long sur cette France en quête tout à la fois de laïcité et de religieux, dans un contexte post-attentats de janvier.

Portée par les radicaux de gauche, la proposition de loi entend imposer la neutralité religieuse dans les structures éducatives privées subventionnées par l’État, qui accueillent des mineurs. Un vaste univers fait de crèches mais aussi de centres de vacances et de mouvements de scoutisme. Prévus jeudi à l’agenda de l’Assemblée, les débats ont été repoussés à la semaine du 11 mai, après les élections départementales. Il faut dire que les critiques ont fusé.

«En minant ainsi peu à peu, insidieusement, notre modèle de laïcité, ce n’est pas un État laïque qu’on veut garantir, mais promouvoir une société vidée de toute référence religieuse. Nous ne pouvons l’accepter», s’est indigné Mgr Pontier, archevêque de Marseille et président de la Conférence des évêques de France, qui perçoit dans ce texte «l’inspiration manifeste d’une méfiance vis-à-vis des religions dont il faudrait protéger les mineurs». L’ambition de la proposition est d’étendre le cadre fixé dans les établissements scolaires, et notamment la loi de 2004 sur le port de signes religieux, à l’éducation de la jeunesse au sens large. Le Conseil supérieur du culte musulman (CFCM) dénonce une «politique d’intolérance». La Fédération du scoutisme français, qui demande le retrait du texte, estime que «la concorde nationale» est menacée.

Face à cette levée de boucliers, dans un débat où pointe aussi la «stigmatisation» des musulmans, le président du groupe PS, Bruno Le Roux, a joué l’apaisement. «La période me semble mal adaptée pour un examen serein», a-t-il indiqué le 10 mars. Le texte reviendra à l’Assemblée la semaine du 11 mai, avec une possibilité d’amendements qu’il reste à confirmer. «J’ai un accord écrit de Bruno Le Roux et un vote positif de son groupe sur la proposition votée en commission», a fait savoir le chef de file des radicaux de gauche, Roger-Gérard Schwartzenberg, qui réfute toute idée d’«enterrement» de la proposition.

Le 5 mars, c’est à la quasi-unanimité que ce texte a été adopté par la commission des lois de l’Assemblée – les Verts et le socialiste Patrick Menucci se sont prononcés contre. Déposé à l’origine par la sénatrice radicale Françoise Laborde, il a été adopté en première lecture au Sénat il y a plus de trois ans, en pleine affaire Baby-Loup. La crèche privée avait défrayé la chronique médiatico-judiciaire pendant quatre ans, avant de voir confirmer le licenciement d’une salariée voilée, par la Cour de cassation en juin 2014. Mais aujourd’hui, deux mois après les attentats de janvier, la donne a apparemment changé.

La proposition de loi pose que les structures accueillant les enfants de moins de 6 ans et les mineurs ont une «obligation de neutralité en matière religieuse», dès lors qu’ils «bénéficient d’une aide financière publique». Le texte ajoute cependant que ces dispositions ne sont pas applicables aux structures se prévalant d’un «caractère propre». Des termes empruntés à l’Éducation nationale qui, conformément à la loi Debré, finance les établissements privés sous contrat et reconnaît leur caractère propre – cet aspect «confessionnel», présent dans la vie scolaire – en échange du respect des programmes et de l’ouverture à tous.

Dans le camp laïque, l’idée d’étendre ce «caractère propre» ne séduit pas forcément, certains arguant qu’il serait possible alors de reconnaître officiellement les crèches coraniques ou «loubavitch», d’obédience juive. Et l’on hésite à légiférer. D’autant que ce «camp» laïque n’en est pas vraiment un. Président de l’Observatoire de la laïcité, Jean-Louis Bianco a fustigé la proposition de loi, jugeant «paradoxal» que des radicaux de gauche puissent «envisager d’adopter cette proposition alors qu’elle figure dans le programme du Front national pour les départementales». Mais, dans les rangs de l’Observatoire, certains, comme Jean Glavany, Patrick Kessel et Françoise Laborde, n’ont pas hésité à dénoncer, après les attentats, l’«angélisme» de leur président.

Caroline Beyer

Pour en savoir plus : http://www.lefigaro.fr/

Proposition de loi sur la neutralité religieuse dans les structures privées : réaction de la Fédération du Scoutisme Français

SF

COMMUNIQUE

du mardi 10 Mars 2015
relatif à l’examen de la Proposition de Loi visant à ‘étendre l’obligation de neutralité à
certaines personnes ou structures accueillant des mineurs et à assurer le respect du principe de laïcité

La proposition de loi « visant à étendre l’obligation de neutralité à certaines personnes ou structures privées accueillant des mineurs et assurer le respect du principe de laïcité », élaborée sans concertation ni débats publics, que l’Assemblée nationale doit examiner le jeudi 12 mars, se présente comme une application du principe de laïcité alors qu’elle le contredit frontalement, ainsi que toute la jurisprudence du Conseil d’Etat et de la Cour de cassation.

Centenaire, le scoutisme en France rassemble des mouvements laïques et des mouvements confessionnels. En tant que mouvements d’éducation populaire, dont la qualité pédagogique est reconnue, les uns et les autres reçoivent des subventions publiques.

Or l’article 2 de la proposition de loi prévoit que les personnes morales de droit privé qui accueillent des mineurs protégés, c’est à dire tout mineur accueilli collectivement, par exemple dans un mouvement de scoutisme, seront soumises à une « obligation de neutralité en matière religieuse ».

C’est la première fois que serait posé en France le principe d’interdiction de subventions publiques à des activités à caractère confessionnel, alors que la loi de 1905 n’interdit que les subventions à des activités cultuelles. Il s’agirait d’une évolution majeure des principes de la laïcité française.

Il est certes prévu que les organisations pourront se prévaloir d’un « caractère propre » leur permettant de bénéficier de financements publics. Mais cette condition est stigmatisante. La liberté de religion, pourtant garantie par la Constitution, comme la liberté de conscience, et par la convention européenne des droits de l’homme, deviendrait un droit d’exception, marqué par la
suspicion.

Ce texte de circonstance, mal étudié, menace les mouvements de scoutisme et, plus fondamentalement, la concorde nationale sur un sujet sensible, sur lequel il serait raisonnable de se garder de toute improvisation.

Nous en demandons le retrait.

bandeau SF

NB : l’examen du projet de loi a été repoussé au 11 mai.

Pour en savoir plus : https://www.sgdf.fr

Laïcité, la France en plein doute

Une proposition de loi visant à étendre le devoir de neutralité des fonctionnaires aux éducateurs du secteur privé relance les polémiques sur le sens de la laïcité républicaine.

 TroisReligionsMono

Guillaume BONNEFONT/IP3/Julian Kumar/GODONG/Leemage/Philippe Lissac/Godong/Leemage

Dans une société marquée à la fois par une forte sécularisation et la présence nouvelle de l’islam, la laïcité est devenue une question identitaire.

L’opération déminage lancée le 9 mars par l’Élysée a provisoirement éloigné la menace. La proposition de loi des radicaux de gauche pour instaurer la neutralité religieuse dans les structures éducatives privées subventionnées ne sera pas débattue jeudi 11 mars. Le sujet, à la veille des élections départementales, était socialement explosif et risquait d’ébranler la majorité. Le chef des députés radicaux, Roger-Gérard Schwartzenberg, a in extremis accepté de retirer le texte. Mais il dit avoir obtenu en contrepartie l’engagement qu’il sera examiné en mai et que le groupe socialiste y apportera « un vote positif ».

La bataille est repoussée, elle n’en sera pas moins violente. Car cette proposition de loi, votée au Sénat en 2012 dans le contexte de l’affaire Baby-Loup, a provoqué une tempête de protestations. Mardi 10 mars au soir, Mgr Georges Pontier, archevêque de Marseille et président de la Conférence des évêques de France, a exprimé la « très vive inquiétude »de ses pairs, qui voient dans ce texte de loi « l’inspiration manifeste d’une méfiance vis-à-vis des religions dont il faudrait protéger les mineurs ». Reçus début mars par l’Observatoire de la laïcité, les cultes protestant et juif ont également critiqué l’initiative. Le Conseil français du culte musulman (CFCM) fustige pour sa part une « politique d’intolérance ».

C’est surtout le coup de colère de Jean-Louis Bianco, président de l’Observatoire de la laïcité et proche du chef de l’État, qui révèle l’ampleur de la polémique. « Il s’agit d’un dévoiement de la laïcité dans une version intégriste, punitive et, même si ses promoteurs s’en défendent, anti-musulmane, anti-religions », assène l’ancien député socialiste, qui insiste sur la fragilité juridique de l’entreprise.

Le débat de la laïcité déporté vers les questions de l’expression religieuse

Comment expliquer qu’une fois encore se réveillent des passions françaises que l’on croyait apaisées ? Au fond, ce n’est plus vraiment la vieille question des cultes et de leurs relations avec les institutions républicaines qui nourrit le problème. Ces vingt dernières années, les choses se sont même plutôt arrangées. En 1995, arrivé à Matignon, Lionel Jospin avait instauré des rendez-vous réguliers avec les cultes, une pratique qui s’est, depuis, maintenue. Nicolas Sarkozy a installé le CFCM en 2003. Quant à la jurisprudence administrative, elle a livré ces dernières années une lecture accommodante du principe de séparation pour permettre le soutien des collectivités locales à des associations cultuelles.

Les polémiques sur la laïcité se sont en fait déportées sur un autre terrain, celui de l’expression religieuse. Un phénomène très bien analysé par le juriste Vincent Valentin (1) qui voit, derrière l’affaire Baby-Loup, la volonté de certains « d’imposer une nouvelle laïcité ».

Professeur à Sciences-Po Rennes, il observe chez nos contemporains – acteurs de terrain, élus politiques, intellectuels – « une déception face aux promesses de la modernité, qui signifiait pour eux l’effacement progressif du religieux. Son retour signe pour eux l’échec de la sécularisation. D’où la volonté d’étendre des obligations de neutralité aux personnes privées. »Mardi 10, dans son communiqué, Mgr Pontier ne faisait pas une autre analyse. Il dénonçait une entreprise visant à cacher les religions « en les faisant disparaître progressivement de tout lieu de vie sociale. » Alors que la loi de 1905 était un texte d’inspiration libérale, il s’agirait désormais de« promouvoir une société vidée de toute référence religieuse », insistait-il.

Une demande de neutralité religieuse de plus en plus extensive

Si l’ensemble des croyances peuvent se sentir concernées, il est clair que c’est l’islam qui fait l’actualité depuis vingt-cinq ans, depuis l’affaire des foulards de Creil en 1989. Le voile est devenu le symbole de la nouvelle question laïque. En 2003, rappelle Vincent Valentin, le député UMP François Baroin remettait à Jacques Chirac un rapport dans lequel « il opposait la logique de la laïcité à celle, individualiste, des droits de l’homme. La laïcité n’est alors plus seulement un principe juridique, mais une manière d’être de la société française. Elle est devenue un marqueur de l’identité française au nom duquel on peut imposer aux personnes d’être neutres ».

Certes, la loi sur les signes religieux de 2002 a été adoptée grâce à un consensus politique sur la nécessaire sanctuarisation de l’école, mais de multiples autres tentatives ont trouvé leurs limites. Fer de lance de cette « nouvelle laïcité », l’ancien Haut conseil à l’intégration avait ainsi proposé de limiter l’expression religieuse sur la voie publique !

Le Grand Orient de France a publié en décembre dernier 25 propositions, parmi lesquelles la prohibition des signes religieux dans l’enseignement supérieur. En mars 2013, le député UMP Éric Ciotti déposait une proposition de loi visant à limiter l’expression religieuse dans le monde de l’entreprise. D’autres encore veulent imposer un devoir de neutralité aux usagers des services publics…

Des familles politiques divisées sur la question

Toutes ces tentatives provoquent de fortes divisions. À droite, où des personnalités comme Alain Juppé s’y montrent très hostiles. Mais surtout à gauche, où s’opposent frontalement deux conceptions. Certains, comme Manuel Valls, donnent la priorité à la lutte contre les communautarismes dans les quartiers, le voile étant selon eux l’instrument d’un islam politique. À l’opposé, une autre partie de la gauche refuse toute stigmatisation des musulmans, quitte à nier la réalité des ratés de l’intégration.

 

Un débat qui a gagné en intensité depuis les attentats de janvier et les prétentions du Front national à se présenter, pour les élections, comme le héraut de la laïcité. « Il y a comme un vent de panique », observe Vincent Valentin. Tenter de faire retomber la tension sera certainement l’une priorité de l’Élysée après les départementales, François Hollande ayant toujours défendu une conception pragmatique de la place des religions dans une société devenue, que l’on s’en réjouisse ou non, multiculturelle.

BERNARD GORCE

(1) Auteur avec Stéphanie Hennette Vauchez de « l’affaire Baby Loup ou la nouvelle laïcité », Ed. LGDJ 2014. 115 p., 17 €
Pour en savoir plus : http://www.la-croix.com

La commission des lois de l’Assemblée adopte la proposition de loi sur la laïcité dans les structures privées

 MèresVoilées

Trois ans : c’est le délai qu’il aura fallu à la proposition de loi « visant à étendre l’obligation de neutralité à certaines personnes ou structures privées accueillant des mineurs et à assurer le respect du principe de laïcité » – adoptée en première lecture par le Sénat le 17 janvier 2012 – pour arriver devant l’Assemblée nationale (voir nos articles ci-contre du 30 novembre 2011 et du 18 janvier 2012). En dépit de cette lenteur, le texte vient toutefois de franchir une étape importante avec son adoption, le 4 mars 2015, par la commission des lois de l’Assemblée.

Un texte déposé dans le contexte de l’affaire Baby Loup

La proposition de loi a été déposée le 25 octobre 2011 par Françoise Laborde – sénatrice de la Haute-Garonne – et l’ensemble du groupe RDSE, composé principalement des Radicaux de gauche. Le dépôt de ce texte est très lié au contexte de l’époque, avec la polémique autour de l’affaire du licenciement d’une salariée voilée par la crèche privée Baby Loup (voir nos articles ci-contre).
Le texte prévoit principalement que « lorsqu’ils bénéficient d’une aide financière publique, les établissements et services accueillant des enfants de moins de six ans sont soumis à une obligation de neutralité en matière religieuse ». Les établissements qui ne bénéficient pas d’une telle aide peuvent néanmoins « apporter certaines restrictions à la liberté d’expression religieuse de leurs salariés au contact d’enfants » (dans les limites définies par l’article L.1121-1 du Code du travail). Des dispositions similaires sont prévues pour les établissements accueillant des mineurs hors du domicile parental. En revanche, ces dispositions « ne sont pas applicables aux personnes morales de droit privé se prévalant d’un caractère propre porté à la connaissance du public intéressé » (autrement dit les structures confessionnelles), sous réserve – dès lors qu’elles bénéficient de financements publics – qu’elles accueillent tous les mineurs sans distinction et que leurs activités « assurent le respect de la liberté de conscience des mineurs ».
Enfin, le texte initial de la proposition de loi prévoit qu' »à défaut de stipulation contraire inscrite dans le contrat qui le lie au particulier employeur, l’assistant maternel est soumis à une obligation de neutralité en matière religieuse dans le cours de son activité d’accueil d’enfants ».

Pas d’obligation pour les assistantes maternelles

La commission des lois de l’Assemblée a adopté, dans sa séance du 4 mars, une quinzaine d’amendements émanant quasiment tous du rapporteur du texte, Alain Tourret, député (RDSE) du Calvados. La plupart sont des amendements de cohérence ne modifiant pas le fond du texte.
Seuls deux amendement identiques présentés par un député PS et par deux députés EELV (Europe Ecologie – Les Verts) – et adoptés par la commission – introduisent une modification de taille en supprimant l’article relatif aux assistantes maternelles. Les auteurs estiment en effet qu' »étendre ainsi l’obligation de neutralité religieuse, dans le silence du contrat, semble introduire un risque constitutionnel et conventionnel. Cette disposition apparaît en effet comme outrepassant le caractère justifié et proportionnel des restrictions à la liberté d’expression religieuse, garantie à l’article 10 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, et à l’article 9 de la Convention européenne des droits de l’homme ».
La commission a en revanche écarté un autre amendement présenté par les deux députés EELV, qui visait à abroger les dispositions relatives aux enfants accueillis hors du domicile parental (article 2 du texte). Un amendement du rapporteur a toutefois restreint le champ d’application de cet article 2 en le limitant au cas des structures d’accueil collectif à caractère éducatif, excluant ainsi les établissements du champ médicosocial, « que le Sénat n’avait pas entendu viser, mais que les dispositions adoptées par celui-ci avaient pourtant pour effet d’inclure dans le champ du texte ».
Après son passage en commission des lois, la proposition doit être examinée en séance publique le 12 mars 2015.

Références : proposition de loi visant à étendre l’obligation de neutralité à certaines personnes ou structures privées accueillant des mineurs et à assurer le respect du principe de laïcité (adoptée en première lecture par le Sénat le 17 janvier 2012, examinée en séance publique par l’Assemblée nationale le 12 mars 2015).

Jean-Noël Escudié / PCA

Publié le vendredi 6 mars 2015

Pour en savoir plus : http://www.localtis.info

Islam de France : pourquoi il faut prendre exemple sur le consistoire de Napoléon

Napoléon-Cazeneuve

Bernard Cazeneuve a annoncé ce mercredi la mise en place d’une «instance de dialogue» avec les communautés musulmanes. Louis Manaranche rappelle comment Napoléon avait réussi à organiser le judaïsme en France.

12 ans après la création solennelle et médiatisée du CFCM revient le serpent de mer de l’organisation par la République d’un islam français. Nombreux sont ceux qui, échaudés par le bilan mitigé du CFCM, sont d’avance convaincus que cette initiative est vouée à l’échec. La France possède pourtant une très ancienne tradition d’organisation des religions.

Une période phare vient spontanément à l’esprit : celle du Concordat de 1801, signé par Bonaparte et le pape Pie VII. L’importance de ce compromis entre le Saint-Siège et la France, après la violence des persécutions anticléricales et de la déchristianisation révolutionnaires, a néanmoins fait un peu oublier les organisations données aux deux autres religions dites concordataires : le protestantisme et le judaïsme. Ce dernier constitue un cas à part. Ce n’est qu’en 1806 que commence sa grande réforme. Napoléon Ier convoque alors une «Assemblée des notables» juifs, nommés par les préfets, à qui il soumet douze questions:

1) Est-il licite aux juifs d’épouser plusieurs femmes?

2) Le divorce est-il permis par la religion juive ? Le divorce est-il valable, sans qu’il soit prononcé par les tribunaux et en vertu de lois contradictoires à celles du code français ?

3) Une juive peut-elle se marier avec un chrétien et une chrétienne avec un juif ?

4) Aux yeux des juifs, les français sont-ils leurs frères ? Ou sont-ils des étrangers ?

5) Dans l’un et l’autre cas, quels sont les rapports que la loi leur prescrit avec les français qui ne sont pas de leur religion ?

6) Les juifs nés en France et traités par la loi comme citoyens français regardent-ils la France comme leur patrie ? Ont-ils l’obligation de la défendre ? Sont-ils obligés d’obéir aux lois et de suivre toutes les dispositions du Code civil ?

7) Qui nomme les rabbins?

8) Quelle juridiction de police exercent les rabbins parmi les juifs? Quelle police judiciaire exercent-ils parmi eux?

9) Cette forme d’élection, cette juridiction de police sont-elles voulues par leurs lois, ou seulement consacrées par l’usage?

10) Est-il des professions que la loi des juifs leur défende ?

11) La loi des juifs leur défend-elle de faire l’usure à leur frère?

12) Leur défend-elle ou leur permet-elle de faire l’usure aux étrangers ?

Derrière ces douze questions, où se mêlent d’authentiques questions sur la loi de Moïse et des préjugés alors bien établis, est posée la question unique de la compatibilité entre la pratique de la religion juive et les principes du Code civil. Il ne s’agit à aucun moment de demander de préférer la citoyenneté française à l’identité juive, ni même de cantonner la pratique religieuse au strict exercice du culte, niant la dimension sociale de toute religion. Seules le respect de la loi commune et l’amour de la patrie sont exigés. On peut ainsi considérer que l’on a ici affaire à une compréhension de ce que l’on n’appelle pas encore la «laïcité» plus respectueuse de la liberté de conscience et plus efficace que bien des caricatures contemporaines.

Une fois les réponses des notables connues et appréciées positivement par l’Empereur, celui-ci convoque une deuxième assemblée, un «grand Sanhédrin», qui se réunit entre février et mars 1807. Composé de 71 membres, dont deux tiers de rabbins, ce conseil reprend l’antique appellation du tribunal suprême qui siégeait à Jérusalem et qui dut céder une part de son pouvoir judiciaire à l’empereur romain. Par cette double convocation, l’Empereur s’assure qu’une autorité religieuse perçue comme légitime ratifie les déclarations des notables.

Voilà une deuxième leçon de bonne compréhension du fait religieux. Cette légitimation est une condition sine qua non de l’organisation de toute religion. Pour en garantir l’indépendance et l’autorité, il faut que les personnalités qui exercent un magistère traditionnel -qu’il y ait ou non un clergé à proprement parler- soient consultées et honorées. Toute apparence de vassalisation ou d’instrumentalisation est ainsi écartée. Le 9 mars 1807, le Sanhédrin confirme les réponses des notables et les fonde religieusement. En conséquence, ces principes étant établis, paraissent les règlements des 17 mars et 11 décembre 1808 qui instituent un Consistoire autour d’un grand rabbin et de trois laïcs dans chaque département où sont recensés 2000 juifs, ainsi qu’un Consistoire central. Si la méthode et la prudence des autorités impériales sont à remarquer, il convient aussi de souligner les bonnes dispositions d’une figure majeure, celle du rabbin strasbourgeois et chef du Sanhédrin David Sintzheim, dont la formule reste profondément actuelle : «Les ordonnances apprendront aux nations que nos dogmes se concilient avec les lois civiles sur lesquelles nous vivons, et ne nous séparent pas de la Société des hommes.»

Louis Manaranche est agrégé d’histoire et président du laboratoire d’idées Fonder demain. Son livre «Retrouver l’histoire» vient de paraître aux éditions du Cerf.

Pour en savoir plus : http://www.lefigaro.fr