Algérie : la fragmentation des mémoires

ALGER

L’anniversaire des 60 ans du début de la guerre d’Algérie n’a, il faut le dire, pas été l’occasion de beaucoup de commentaires de notre côté de la méditerranée. Ce n’est bien entendu pas le cas en Algérie et c’est bien normal: leurs commémorations mettent l’accent sur 1954, et le début de la guerre contre la présence coloniale française, tandis que la France célèbre surtout la fin de la guerre, près de huit ans plus tard. C’est loin d’être un détail: cela prouve le malentendu historique qui perdure entre ces deux nations. Pour les Algériens, le 1er novembre explique la guerre par l’histoire longue de la colonisation, tandis que pour les Français, il s’agit d’insister sur le départ des harkis et l’exil des Européens, ceux que l’on appellera plus tard les « pieds-noirs ». Cette distorsion temporelle (le début ou la fin de la guerre comme commémoration essentielle) entre l’un et l’autre pays au sujet des manifestations du souvenir donne à réfléchir.

Ces dernières années, nous sommes passés d’une période d’amnésie française envers cette séquence de notre histoire, à une hypermnésie traduite par une inflation de toute sorte de documentaires, films, romans, autobiographies, etc. Mais cela ne traduit pas pour autant une réelle connaissance de l’histoire !

C’est cette hypermnésie nouvelle qui nous fait assister à une sorte d’éclatement, de fragmentation de la mémoire. Nos mémoires s’opposent et ont chacune une conception ainsi qu’une vision différente de l’histoire, ce qui se concrétise par exemple par la divergence au niveau des dates de commémoration. Fondamentalement, les conflits de mémoire se portent sur la date de fin de la guerre. En France, toute une partie symbolisée par les anciens combattants, les appelés, retient les accords d’Evian du 18 mars 1962. En revanche, les immigrés algériens qui vivent en France voient la tragédie de la manifestation du FLN à Paris le 17 octobre 1961 comme symbole tragique de la fin du conflit. Les pieds-noirs, eux, vont focaliser leur attention sur le massacre du 5 juillet de l’année suivante, avec le massacre et l’enlèvement à Oran de civils européens. Les Algériens d’Algérie, eux, célèbrent la fête de l’indépendance du 5 juillet 1962. On voit donc bien qu’il y a une séparation des mémoires, d’une rive à l’autre de la méditerranée, mais également d’un même côté, avec des différences entre les mémoires. Cette fragmentation des mémoires est due à un déficit des récits d’histoire. Il n’y pas de consensus mémoriel. Au contraire, on assiste à une séparation mémorielle: d’un côté des groupes veulent renoncer à toute forme de culpabilité vis à vis de la colonisation, qu’ils jugent positive. En Algérie, on est au contraire dans l’attente d’excuses pour la longue période coloniale. C’est là toute la difficulté.

Gardons toutefois le cap sur l’optimisme. Il faut, dans le fond, poursuivre le travail d’écriture de l’histoire, accorder une plus grande place aux historiens de tous bords, sans céder au tyrannisme de certains groupes de mémoire qui veulent imposer leur histoire en toute méconnaissance des faits. C’est pour ça qu’il est important de restituer l’ensemble des points de vues autour de cette histoire longue, des harkis aux indépendantistes, en passant par les pieds-noirs. Pour y parvenir, il faut respecter cette multiplicité des points de vue, les restituer, et non avoir une mémoire exclusive, univoque qui refuse la reconnaissance de la souffrance de l’autre, comme certains, tournée uniquement vers les immigrés de manière obsessionnelle. Il nous faut traiter l’histoire de la nation dans toute sa complexité.

Benjamin Stora, historien

Publication:

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Dernier ouvrage: La guerre d’Algérie expliquée en images, publié au Seuil. Septembre 2014. 29€.

Pour en savoir plus : http://www.huffingtonpost.fr

Banlieues : les entreprises mieux soutenues… et les villes ?

Ces dernières années, les annonces se multiplient concernant le soutien financier au monde de l’entreprise dans les banlieues. Un fonds nouveau a été lancé le 9 octobre en présence du ministre de la Ville Patrick Kanner. Si cette aide est bienvenue, elle est loin d’être suffisante pour résorber la crise dans les banlieues françaises.

Le lancement officiel d’un fonds d’investissement à destination de entrepreneurs de banlieues s’est déroulée jeudi 9 octobre en présence du ministre de la Ville, Patrick Kanner, et de la secrétaire d’État à la Politique de la ville, Myriam El Khomry. Impact Partenaires, la société de gestion qui gère ce fonds, a levé 40 millions d’euros auprès d’acteurs institutionnels (BPI France, Axa, BNP Paribas) et de grands patrons comme Claude Bébéar ou encore Eric de Rothschild.

15 millions d’euros avaient déjà été collectés par le passé, portant le montant total de ce fonds à 55 millions d’euros. A l’AFP, Mathieu Cornieti, le président d’Impact Partenaires, explique qu’il s’agit de « la plus grande levée en Europe continentale pour un fonds à vocation sociale ».

Cette somme sera déployée sur cinq ans. L’objectif est clair : créer des emplois locaux en soutenant financièrement des entreprises à visée sociale. Entreprises de propreté, de recyclage, de prêt-à-porter… les domaines d’activités des entreprises sont diverses mais elles ont en commun d’agir « en termes d’emplois dans les zones urbaines défavorisées, d’insertion, de handicap et d’apprentissage ».


Le Qatar aux abonnés absents

« Cette levée de fonds est un signal fort. Elle consacre l’idée qu’il y a beaucoup de potentiel, de dynamisme et de créativité dans ces quartiers. Et pour ces entrepreneurs, c’est une forme de reconnaissance de voir de grandes entreprises investir à leurs côtés », a salué Myriam El Khomri.

En avril 2013, François Hollande avait affiché sa volonté d’agir en ce sens. Il avait alors annoncé le lancement, par le biais de la Banque publique d’investissement (BPI), d’un financement entièrement consacré à la création de nouvelles entreprises dans les quartiers défavorisés. Aujourd’hui, difficile de connaître l’avancée de ce projet. Dans la même veine, le Qatar avait annoncé verser 50 millions d’euros à destination des porteurs de projets d’entreprises dans les banlieues. Mais cette aide n’est toujours pas arrivée.

Le fonds Impact Partenaires mise, pour sa part, sur des entreprises bien implantées et ne le cache pas. Le retour sur investissement attendu est de 8 % par an.


100 millions d’euros réclamés pour les villes les plus pauvres

Le soutien financier de ces investisseurs est, dans un contexte de crise, attendu pour la croissance de ces entreprises. Mais ce fonds est loin de tout résoudre. Des aides publiques sont encore des plus nécessaires pour faire face à une crise ravageuse dans les quartiers populaires.

Les élus de l’association Ville et Banlieues regroupant des maires de villes populaires réclament ainsi 100 millions d’euros supplémentaires à l’État pour les communes les plus en difficultés concernées par la politique de la ville. Ils jugent trop insuffisante la hausse de la dotation de solidarité urbaine (DSU) qui ne permettra pas, à leurs yeux, de compenser la baisse des dotations générales aux collectivités prévues dans le projet de loi de finances 2015.

« Ils redoutent que ce manque annuel de 1,4 milliard d’euros concernant les communes durant trois ans (prévision effectuée selon la répartition de 2014) ne contraigne durablement leur contexte financier, engendrant de graves répercussions en terme d’investissement public et de maintien des services publics. », écrivent-ils dans un communiqué le 9 octobre.

Une nouvelle carte de la politique de la ville a été redessinée en juin dernier : l’Etat avait alors fait le choix de concentrer son aide à 1 300 quartiers les plus pauvres de France contre 2 500 par le passé. Cette géographie ne prendra effet qu’au 1er janvier 2015.

Après 30 ans de politique de la ville, le chemin est encore long pour résorber les inégalités territoriales.

Pour en savoir plus : http://www.saphirnews.com

Pourquoi la gauche a un problème avec la religion

La religion est-elle « de droite » ? Depuis longtemps, l’idée selon laquelle les « gens de gauche » sont forcément athées semble être acceptée… A tort. Dans « Les religions sont-elles réactionnaires ? » (Textuel), le pasteur Stéphane Lavignotte s’attaque au drôle de « tabou » qui, à gauche, entoure le fait religieux… alors que celui-ci demeure une préoccupation pour ceux qui sont censés constituer sa base : les milieux populaires.

Barbara Lambert : 57 % des électeurs du PS et 35 % des électeurs du Front de gauche sont catholiques, dites-vous… des chiffres dont on n’a pas conscience tant on a tendance à penser que la gauche est athée…

Stéphane Lavignotte : Quand j’ai commencé à travailler et que je suis tombé sur ces chiffres, j’ai moi-même été un peu étonné.D’autant que si on regarde l’évolution dans le temps, 56 % des Français continuent à se déclarer croyants alors qu’en 1947, ils étaient 66 %. Alors qu’on pourrait penser qu’il y a eu une sécularisation massive, on s’aperçoit en fait que la baisse de la croyance n’est pas si importante que cela. Les gens qui sont croyants et qui votent et/ou militent à gauche sont bien plus nombreux qu’on ne le croie. La question – c’est un des points de départ de mon livre – est de savoir si on peut faire de la politique en ignorant complètement cette réalité-là, qui est une réalité importante pour les personnes concernées. Ce n’est pas anodin, aujourd’hui, de dire qu’on est croyant. Si les gens le disent peu, c’est à la fois parce qu’ils ont peur des réactions et parce qu’ils ont intégré cette idée reçue selon laquelle il n’y aurait pas de croyants à gauche. Il y a un effet d’autocensure très important chez les personnes concernées.

 BL : Et c’est cet effet d’autocensure qui explique que la gauche ne pense pas le religieux ?
SL : Il y a à la fois censure et autocensure. Je suis pasteur et je milite à gauche et ce qui est drôle, c’est que dès que les gens savent que je suis pasteur, très rapidement, dans les couloirs, après les réunions, un grand nombre d’entre eux vient me dire : « Tu sais, moi aussi, je suis croyant ». Ce sont des réalités qu’on occulte complètement.

BL : La gauche s’est-elle sciemment désinvestie de la question religieuse ? Pourquoi ? Par calcul ? Par incapacité à assumer ?

SL : Faisons un peu d’Histoire… De 1945 aux années 1960-70, la gauche a l’impression que les croyants sont à l’extérieur des organisations politiques. Pour gagner de l’influence politique dans le pays, elle se dit qu’elle doit aussi s’adresser aux croyants, et aux catholiques. On voit alors le PC, puis le PS, développer des choses que l’on trouverait incroyables aujourd’hui pour toucher ce public-là…

BL : Vous citez Georges Marchais, déclarant : « L’anticléricalisme est un infantilisme »… Une phrase étonnante !

SL : Oui, cette phrase date de 1976. De la même façon, en 1964, le Parti communiste organise très officiellement une soirée scientifique dans la grande salle de la Mutualité à l’occasion des 500 ans de la mort de Calvin. Un événement qui paraît impensable aujourd’hui… A ce moment-là, ces organisations sont capables de mobiliser, dans leur histoire, dans leur réflexion, de quoi penser intelligemment les religions. Mais une fois les chrétiens entrés dans le militantisme politique au sein du PS et du PC, c’est comme si ces derniers n’y trouvaient pas vraiment leur place…

BL : Vous soulignez que les chrétiens s’inscrivent au PC comme au PS, mais qu’au sein du PS, ils s’engagent à la gauche du parti parce qu’ils « ressentent un décalage social »…

SL : Quand on pense « chrétiens de gauche », on pense Rocard, Delors, pas aux courants les plus à gauche. Mais ils étaient nombreux aussi à rejoindre le PC, le PSU (né d’une alliance qui comprenait des partis politiques chrétiens) ou toute l’extrême gauche. Dans ceux qui rentrent au PS, beaucoup rejoignent le Cérés néo-marxiste de Jean-Pierre Chevènement, qui n’était pas alors si « nationaliste-républicain ». Il y a un décalage social parce qu’un grand nombre de chrétiens qui s’engagent à gauche sont des militants de terrain, impliqués dans la vie associative, le syndicalisme, etc. et qu’au PS, ils se retrouvent face à des personnes issues de milieux sociaux beaucoup plus élevés. Par ailleurs, ces chrétiens de gauche entrent dans des organisations où ils découvrent que la lutte pour le pouvoir est très forte. Là, il y a un décalage au niveau de l’engagement. Ils se sont engagés pour être « au service de » alors que la lutte politique commande de « se servir, soi », pour gravir les échelons… Il y a deux décalages : un décalage social et un décalage sur le sens et les méthodes de l’engagement. Pour beaucoup de ces Chrétiens de gauche, le fait d’être Chrétien doit se vivre dans leur vie au quotidien – dans leurs relations avec les autres, mais aussi dans leur recherche de justice au sein même de leur organisation syndicale, de leur organisation politique… Or, la lutte pour le pouvoir, c’est tout sauf tendre la joue gauche. Ce décalage est toujours actuel et cela montre la difficulté de la gauche à intégrer non seulement les croyants mais, de manière générale, les milieux populaires, les militants associatifs, syndicaux, du mouvement social…

BL : Le décalage social dont vous parlez peut-il être rattaché au fait que le PS aurait, selon certains, y compris à gauche, décroché des classes populaires ?

SL : Ce décalage s’inscrit à mon avis au croisement de deux choses. D’un côté, une désintellectualisation de la gauche : il n’y a plus d’idée, de vraie matrice de pensée. Au XIXe siècle et jusqu’à la fin des années 1970, à gauche, il y avait énormément de ressources, de débats, visant à permettre de penser la question religieuse. Aujourd’hui, la gauche n’a plus le logiciel de pensée. De l’autre, il y a sans doute, effectivement, une distance vis-à-vis des milieux populaires. C’est rare d’entendre des responsables de haut niveau du PS revendiquer leurs origines populaires comme le fit Jean-Pierre Bel dans son discours lors de son élection à la présidence du Sénat. La conséquence étant que les catholiques d’origine populaire vont à la fois cacher qu’ils sont catholiques, et qu’ils sont issus des milieux populaires. Le milieu populaire est un milieu croyant. Il est resté croyant du côté chrétien et « blanc », mais il est à nouveau croyant du côté arabe, antillais ou africain. Or la gauche est complètement déconnectée de ces milieux populaires-là. Il y a une vision assez méprisante de ces personnes et le fait qu’elles soient croyantes est perçu comme un indice du fait qu’elles ne seraient pas encore assez « intégrées » ou « éduquées ».

BL : Vous soulignez que la gauche ne parle jamais de la foi musulmane, qu’elle met en revanche toujours en avant son athéisme…

SL : Elle arrive encore moins à penser la foi musulmane. Il y a eu une espèce de blackout, en gros, du début des années 80 à maintenant, sur la question religieuse. Quand le fait religieux a repris de l’importance dans le débat social, en 1989, par exemple, au moment de la première affaire du voile à Creil, ou en 2004, la gauche a complètement paniqué. On se souvient que dans les milieux militants, les gens n’avaient aucun outil politique pour penser le retour du religieux. La gauche s’est retrouvée complètement perdue quand le phénomène est réapparu.Elle a du coup réagi plus avec un esprit « Café du commerce » qu’avec la volonté de penser le problème, y compris de manière laïque. Je ne dis pas du tout cela pour remettre en cause le principe de la laïcité mais parce qu’il faudrait être capable de penser le religieux comme un phénomène historique, politique, social – un objet sociologique comme un autre…

BL : C’est un objet qu’on pense plus volontiers « de droite », ou conservateur…

SL : Il est vrai que les institutions religieuses dominantes en France et en Europe sont plutôt conservatrices, en tout cas sur les questions de morale. Mais sur la défense des immigrés ou la régulation en économie, par exemple, les positions du Vatican sont plus proches de celles de la gauche que de celles de la droite. On a tendance à penser le fait religieux, soit comme une essence éternelle, soit de manière un peu folklorique. On dit, par exemple, que le bouddhisme est une religion d’amour. Or, on s’aperçoit qu’au Sri Lanka, le bouddhisme est très nationaliste, qu’il a joué un rôle dans la répression des Tamouls. Le fait religieux n’est pas une essence. Il s’inscrit dans une société, des rapports de classe, une histoire donnés…

BL : Vous donnez des exemples de périodes dans l’Histoire où la religion a accompagné le progrès…

SL : On cite toujours la phrase de Marx sur la religion, « opium du peuple ». Pourtant, dans le même paragraphe, il décrit aussi la religion comme une « protestation contre la détresse réelle », l’« âme d’un monde sans cœur ». Dans certaines situations du passé et encore aujourd’hui, le fait religieux est l’inspiration, le moteur, la ressource de milieux populaires, dominés, de la paysannerie, pour pouvoir faire avancer des revendications extrêmement radicales. L’un des premiers terreaux de la construction de la gauche, qui est à l’origine de la naissance des mutuelles, des coopératives, de tout ce qui fait aujourd’hui l’Etat social, réside dans un socialisme utopique qui est très majoritairement un socialisme chrétien, ou, pour reprendre l’expression de Saint-Simon ou de Fourier, un « nouveau christianisme », fondé dans un souci de progrès social.

BL : Pourquoi la gauche doit-elle absolument penser le religieux, comme vous l’invitez à le faire ? Quel est le danger si elle ne le fait pas ?

SL : Le danger est qu’actuellement, la gauche se coupe complètement de sa base sociale qui, historiquement, est la base populaire. Elle s’en coupe pour bien d’autres raisons – on a une politique économique qui est tout sauf dans l’intérêt de sa base sociale. Mais cela se surajoute en ne prenant pas en compte les choses qui sont importantes pour sa base sociale en faisant comme si ça n’existait pas. Elle crée aussi une schizophrénie parmi ses militants. Il y a un nombre incroyable de militants « au placard » avec leur foi. Cela ne peut rien produire de positif en termes d’engagement. Pour le coup, la gauche laisse la droite utiliser cette thématique-là, ce dont elle ne se prive pas, quitte à donner dans la contradiction. La droite peut dire « L’islam menace la laïcité, donc il faut défendre la laïcité » et, dans le même temps, « Il faut défendre l’identité chrétienne de la France contre l’islam ». Cela en rajoute dans la relégation de franges de plus en plus importantes de la population, qu’il s’agisse des personnes issues de l’immigration arabe, africaine, antillaise. Et cela explique en partie aussi la montée de l’abstention, puisque les gens ne peuvent plus se reconnaître dans les partis qui sont censés défendre leurs intérêts.

BL : Quels moyens concrets la gauche a-t-elle pour « repenser le religieux » ?

SL : Il y a, je crois, tout un travail de formation à faire en interne pour que les partis politiques se réapproprient leur propre réflexion et leur propre logiciel intellectuel sur le sujet. Quand elle a voulu s’adresser aux catholiques et aux protestants dans les années 1960-70, la gauche a fait un certain nombre de gestes, elle a initié un certain nombre de dialogues. Par exemple, de 1960 à 1964, date à laquelle a eu lieu ce fameux colloque pour les 500 ans de la mort de Calvin, le PC a, par exemple, organisé de vrais échanges entre ses intellectuels et certains des intellectuels les plus importants de la communauté protestante, l’idée étant de voir jusqu’où on pouvait trouver des plages d’accord, y compris sur la morale ou la question de la transcendance !

Il faudrait des gestes significatifs et des messages clairs. Il faudrait clairement dire par exemple que défendre la laïcité, ce n’est pas faire la guerre aux croyances, qu’au contraire, une laïcité vraiment riche pour la société est une laïcité qui nourrit l’échange, le dialogue, l’enrichissement et la confrontation entre les différentes cultures religieuses pour qu’elles puissent à leur tour nourrir leur propre réflexion sur les valeurs. Il faudrait le dire et que les actes suivent, or toutes les décisions sur le voile prises depuis 10 ans disent le contraire. Il faudrait déjà, que la gauche ait moins peur de cette question-là. Après tout, elle a su « faire avec » depuis le XIXe siècle, à une époque où le catholicisme avait quand même un pouvoir dans la société très supérieur à celui qu’a l’islam aujourd’hui. Le catholicisme était ultra-majoritaire dans la société française : toutes les élites industrielle, militaire, scientifique étaient catholiques et la gauche d’alors n’a pas eu peur de prendre le sujet à bras-le-corps. Avec une population musulmane qui représente au maximum aujourd’hui 8 % de la population et qui n’a pas les mêmes leviers de pouvoir dans la société, la gauche devrait pouvoir y arriver. Elle devrait pouvoir reprendre ce travail-là.

Pour plus d’information : http://www.atlantico.fr

Des personnalités musulmanes proposent à François Hollande de « tirer l’islam vers le haut »

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2/10/14 – 15 H 14

Une vingtaine de représentants de la société civile – avocats, médecins, politiques, journalistes – de confession musulmane ont signé la semaine dernière une tribune intitulée : « Nous aussi sommes de « sales Français » » condamnant les crimes de l’État islamique.

Mercredi 1er octobre, ils ont longuement rencontré le président de la République François Hollande à qui ils ont soumis leurs propositions pour « tirer l’islam vers le haut ».

« Nous sommes allés lui dire d’abord que, pour nous, ce qui se passe en ce moment est l’horreur absolue », rapporte Bariza Khiari, sénatrice socialiste de Paris, selon qui cette prise de position était « attendue » et « a été entendue ».

« Nous refusons cette polémique stérile qui oppose ceux qui s’expriment – accusés de duplicité – et ceux qui refusent de s’associer aux manifestations », poursuit-elle. « Au fond, nous sommes tous d’accord pour condamner ces crimes, seul le mode d’expression nous distingue ».

ISLAM SPIRITUEL, LIBRE ET RESPONSABLE

Madjid Si Hocine, médecin et militant associatif, Saad Khiari, cinéaste, Ghaleb Bencheikh, président de la Conférence mondiale des religions pour la paix, Said Branine, rédacteur en chef d’Oumma.com, ou encore Faycal Megherbi et Kamel Maouche, avocats au barreau de Paris, sont également venus dire au président de la République que « l’islam n’est pas celui qu’on perçoit dans les médias à travers ces gamins ghettoïsés ».

« C’est aussi nous, tenants d’un islam spirituel, libre et responsable », rappelle la sénatrice qui se décrit comme « farouchement laïque et sereinement musulmane ».

Parmi leurs propositions figure la création d’une chaire sur l’islam au Collège de France pour « intellectualiser, organiser le débat, la confrontation d’idées ». « La France devrait être le Harvard de l’islam », estime Bariza Khiari, convaincue que « l’islam d’Europe, parce qu’il se confronte à d’autres, peut apporter beaucoup au monde musulman ».

JOURNÉE MONDIALE DU VIVRE-ENSEMBLE

Sur une idée des Scouts musulmans de France, le petit groupe a également réclamé à François Hollande « l’aide de l’État » pour porter auprès des Nations unies une « journée mondiale du vivre-ensemble », ou de « la fraternité ». « La liberté, en France, on n’a pas de problème, l’égalité on essaye. En revanche, la fraternité personne n’en parle », déplore sa porte-parole.

Enfin, une dernière proposition a été retenue par le président de la République, qui a promis de « l’étudier », celle de constituer « un annuaire des talents issus de la diversité » à l’intention des médias, qui renvoient trop souvent une image « caricaturale, déformante » de la communauté musulmane. Le petit groupe avait même proposé à François Hollande de « réunir les grands patrons de presse » pour discuter de la manière dont ils traitent de l’islam dans leurs colonnes.

« Je pense que le président, que je connais depuis de longues années, est conscient des fractures béantes de la société. Il nous a accordé une heure d’écoute totale, suivie d’une heure d’un petit débat », se réjouit la sénatrice de Paris.

Anne-Bénédicte Hoffner

http://www.la-croix.com

Quels remèdes politiques aux dérives fondamentalistes ?

PUBLIÉ LE 22/09/2014 À 16:14

Que se passe-t-il à notre époque si rationnelle pour que l’on soit témoin d’actes d’une telle barbarie ?

Qu’y a-t-il que nous ne comprenons pas, que nous ne voyons pas pour que surviennent de telles tragédies politico-religieuses ? Rien ne saurait susciter une telle violence que des visions divergentes du sens de l’histoire, des réponses à l’énigme de la vie. Ce qui touche au destin ultime de chacun.

Notre Europe sécularisée est sonnée par l’upercut de fondamentalistes qui, tout en étant loin géographiquement, distillent chez elle, le venin de paroles fanatiques. La violence est d’autant plus grande que l’Europe baigne toujours dans un athéisme pratique. Celui-ci a rejeté les grandes traditions religieuses et l’adhésion de foi qu’elles supposent, mais aussi – et cela n’a pas été suffisamment perçu – l’immense travail de la raison sur les données de foi.

Ainsi les trois religions monothéistes qui se prétendent révélées conservent un contenu à croire, mais elles l’accompagnent d’un colossal effort pour comprendre. Si la foi catholique peut sembler irrationnelle à de nombreux observateurs, elle est pourtant constamment soumise à la critique de la raison. De même pour le Judaïsme ou l’Islam qui avancent dans l’histoire sous l’impérieuse obligation d’être crédible, c’est à dire compréhensible et recevable par la raison. Celle-ci expurge systématiquement du corpus des vérités proposées à la foi, ce qui nous semble aujourd’hui des énormités. Sur l’affaire Galilée, Jean-Paul II écrivait à l’Académie Pontificale des sciences en 1992 : « La science nouvelle, avec ses méthodes et la liberté de recherche qu’elles supposent, obligeait les théologiens à s’interroger sur leurs propres critères d’interprétation de l’Écriture. La plupart n’ont pas su le faire. Paradoxalement, Galilée, croyant sincère, s’est montré plus perspicace sur ce point que ses adversaires théologiens. « Si l’Écriture ne peut errer, écrit-il à Benedetto Castelli, certains de ses interprètes et commentateurs le peuvent et de plusieurs façons » (Lettre du 21 décembre 1613) ».

La raison va purifier la foi, autant que la foi va offrir une lumière plus vive sur le sens de l’histoire au travail de la raison. Elles ont une même source et tendent ensemble vers la contemplation de la vérité. Ainsi, le regard moderne sur les traditions religieuses doit il redécouvrir tout le travail des siècles d’intelligence qui ont scruté le langage de la foi. Or, l’affirmation de l’autonomie de la raison contre la foi s’est accompagnée du rejet de la reconnaissance des efforts de raison consentis par nos aïeux sur la foi elle-même. Passée dans un univers social où la laïcité impose d’ignorer les religions, il s’en suit un refus d’enseigner et de travailler à partir de la rationalité des religions historiques. Cette absence de travail, ce refus de considérer l’héritage rationnel sur les questions religieuses a laissé en friche le vaste champ de la crédulité naturelle qui habite toute personne.

Il est alors devenu très facile à partir de discours basés sur la seule autorité d’une proposition assez forte, d’une personnalité assez charismatique pour emporter l’adhésion d’une personne privée de repères et de réflexes rationnels sur les croyances. Les croyances explosent dans notre monde. Refuser de les considérer et de les interroger en raison, revient à laisser partir à la dérive les esprits inquiets et les livrer aux plus improbables croyances. Les rumeurs prolifèrent facilement car l’homme vit nécessairement de croyances.

Dans un monde où il est devenu ringard de croire en Dieu, on ne se rend plus compte que nous nous sommes mis à croire en n’importe quoi et en n’importe qui. Nous avons cru un temps que les avancées technologiques de notre modernité dispenseraient – enfin ! – de croire. Or, tout être humain doit rassembler ce qu’il sait dans un récit personnel, il doit croire quelque chose au sujet de ce qu’il sait.

Chacun doit donc se construire une représentation personnelle du sens de sa vie et de l’histoire. Celle-ci relèvera toujours du domaine de la croyance. Dès lors, la victoire contre les fondamentalismes ne viendra pas du rejet d’évocations religieuses dans l’éducation, mais au contraire d’un effort accru de questionnement sur ce que ces traditions pluriséculaires ont légué. Les jeunes français qui sont si aisément manipulés par les réseaux sociaux n’ont pas été éduqués à une réflexion critique sur la foi. Leur disponibilité à croire est totale, leur aptitude de raison critique est faible. Les grands témoins de la foi que furent Maïmonide, saint Thomas d’Aquin ou Ibn Arabi devraient être connus en vertu de leur effort de penser rationnellement la foi en Dieu.

Foi et raison sont ordonnées l’une à l’autre, elles sont ensemble les plus surs garants de l’équilibre psychique et de la fécondité spirituelle des sociétés.

http://www.lavie.fr/blog/laurent-stalla-bourdillon/