Pourquoi la France a un vrai problème avec l’islam (mais pourquoi les Français, eux, n’en ont pas)

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Alors que les Républicains se réunissent ce jeudi pour débattre sur l’islam, une étude montre que les Français sont les plus tolérants d’Europe à l’égard de leurs compatriotes de confession musulmane. Le réflexe qui consiste à brandir l’islamophobie s’agissant des défis de l’intégration de l’islam prouve combien l’approche collective du sujet est déficiente.

Selon une étude réalisée par le think tank américain Pew research Center, les Français ont l’opinion la plus favorable (76%) à l’égard des musulmans résidant en France. Les Britanniques (72%) et les Allemands (69%) arrivent aussi dans le trio de tête des pays partageant cet avis. Les Italiens et les Polonais sont les deux populations majoritairement défavorables aux musulmans de leur pays avec respectivement 61 et 56% d’opinion hostile. Les Espagnols, quant à eux, sont 52% à se manifester en faveur des musulmans situés en Espagne.

Atlantico : Un sondage réalisé par Pew Research Center, révèle que, parmi les Européens, c’est la population française qui a l’opinion la plus favorable des musulmans – à 76%, devant les Britanniques qui sont 72% à partager cet avis  Pourtant, les Français sont aisément soupçonnés d’islamophobie, en témoigne les innombrables campagnes lancées sur le sujet et la focalisation sur le décompte des actes islamophobes. Pourquoi un tel biais ?

Rémi Brague : J’espère que l’inventeur du mot « stigmatisation » l’a fait breveter, car, si oui, il a dû faire fortune. On fait passer sous ce pavillon les marchandises les plus variées. J’aimerais que l’on mette à la place le mot de « critique ». Et pour deux raisons : d’une part, il implique que l’on distingue (c’est le sens du verbe grec qui en constitue l’étymologie) ce qui est bon de ce qui est mauvais. Et d’autre part, il suppose que l’on a des arguments à faire valoir, et pas simplement des affects. Or, parler de stigmatisation, ou de phobie, c’est suggérer que l’on est en présence de réactions purement épidermiques, et en tout cas injustifiées.

L’emploi du mot « racisme » est aussi un de ces mots qui empêchent de penser. Une religion n’est pas une race. Si la notion de race est vraiment solide (pour ma part, je la trouve molle…), elle désigne une qualité innée que l’on ne peut pas perdre : un Saint-Bernard ne devient pas un chihuahua. Or, une religion, en revanche, est quelque chose dont on peut changer. Sauf peut-être, justement, pour l’islam, qui se considère comme étant la religion « naturelle » de l’humanité. Une déclaration attribuée à Mahomet dit que tout homme naît selon le « naturel » (fitra) et que ce sont ses parents qui en font un juif ou un chrétien. Mais ils n’ont pas besoin de le faire musulman, car il est supposé l’être déjà.

Guylain Chevrier : Tout d’abord, la France ne l’oublions pas est une terre d’accueil et d’intégration, de tolérance des différences, mais sur le modèle du pacte républicain, à savoir, sous la condition de respecter ce qui nous est commun, la loi, les libertés, le politique, la démocratie, la Nation. La Haute Autorité de Lutte contre les Discriminations et pour L’égalité (HALDE) lorsqu’elle était en fonction, avait rendu une étude où parmi les critères de discrimination la religion ne représentait que 2% de l’ensemble, ce qui est encore vrai dans les récentes études du Défenseur des droits. On sait combien cet argument de l’islamophobie est avancé par certains à bon escient, avec l’exagération qu’il porte, pour parer à toute exigence critique constructive dans les rapports que l’islam entretien avec notre société, alors que les choses ici ne vont pas de soi. Dans la plupart des pays dits musulmans, l’islam est religion d’Etat contrairement à la France, dont la loi de séparation des Eglises et de l’Etat est le pilier de sa République. Il y a pour toute nouvelle religion un chemin à accomplir pour embrasser les institutions républicaines et trouver sa place, c’est là l’enjeu qui a été brouillé derrière l’entretient du fantasme d’une société rejetant massivement l’islam, bien que refusant certains excès du religieux (loi interdisant de se dissimuler le visage dans l’espace public, dite par certains, anti-burqa).

Ghaleb Bencheikh : En toute rigueur et dans l’absolu, dans les nations démocratiques, les sondages qui sollicitent l’opinion d’une frange de la nation sur une autre frange sont plus que problématiques. Toutefois, le résultat de ce  sondage remet les choses à plat. Il permet d’engager des ressources afin de gagner cette bataille pour construire une nation commune, fière de son Histoire commune, le général de Gaulle a raison de dire « cette France qui vient du fond des âges ». Et tous les citoyens doivent aussi être solidaires de ce patrimoine.

En tant que citoyen de confession islamique, il est nécessaire de refonder notre pensée théologique. Nous pouvons le faire en France, et nous devons le faire en France. Les musulmans, les théologiens, doivent s’atteler à cette vaste entreprise qui ne pourra se passer de la désacralisation de la violence, de revoir le discours classique, voire rétrograde, de sortir de l’obscurantisme qui prévaut dans les banlieues ou dans certaines mosquées. Il faut également former les imams à l’esprit intelligent ; insuffler l’amour de la France dans le cœur des imams et des musulmans, prier pour la République comme le font nos compatriotes juifs. Se sentir corps dans la nation, répondre par le fameux aphorisme prophétique « aimer sa patrie d’une marque de foi ». Cela correspond à participer au récit national. Cela permettrait de passer outre une vision archaïque de la religion, et surtout entreprendre ce travail de refondation de la pensée théologique.

En quoi cette dénonciation largement exagérée de l’islamophobie a-t-elle pu parasiter l’image que l’on se fait de l’islam ?

Guylain Chevrier : L’exagération vient déjà du terme lui-même, que l’on traduit par « délit de blasphème », interdiction de la critique d’une religion. Ce qui implicitement signifie que tout ce qui touche à l’islam ne pourrait être dit que par les musulmans eux-mêmes. Le caractère de victimisation qu’il porte dans cet état d’esprit a aussi eu tendance à exaspérer, en présentant en quelque sorte l’islam comme la seule chose qui ne pourrait supporter le débat démocratique au pays des idées. Ce terme a donc une forte connotation politique qui a eu pour effet de faire écran à l’ouverture d’un véritable dialogue avec nos concitoyens de confession musulmane.

Il y a une autre responsabilité. Celle des grands médias, a avoir repris ce terme sans nuance. Mais aussi parallèlement, du fait de parler systématiquement de « communauté musulmane » lorsque sont évoqués les musulmans (France info peut dire « 4 millions de musulmans commencent aujourd’hui le ramadan » au début du jeune), donnant l’impression d’un tout homogène, où la pensée démocratique ne circule pas, figé sur des préjugés religieux. Une situation alimentée par une partie des musulmans qui se sont affirmés à travers une visibilité propre à des manifestations vestimentaires qui ont rompu avec la neutralité de notre société sécularisée. Le port du voile est ainsi perçu comme la volonté de faire passer des valeurs religieuses avant celles de la société, et comme le refus du mélange au-delà de la communauté de croyance. Tout le contraire de la mixité sociale et culturelle qui est une valeur capitale de notre république égalitaire, qui ne survivrait pas à une séparation selon les différences.

La progression des communautarismes, des inégalités sociales et territoriales, au détriment du vivre ensemble, qui a contribué au développement de tensions et du repli sur soi, constitue une situation qui a encouragé le recours à l’argument de la lutte contre l’islamophobie.

Quels sont les défis l’islam pose à la société française ? Quelles sont les failles dans nos modes de pensées traditionnels qu’il révèle ?

Guylain Chevrier : Face à une minorité agissante qui a fait un usage outrancier de la lutte contre l’islamophobie, on a cédé sur la nécessité de tenir bon sur la laïcité. Ainsi, la laïcité qui assure la liberté de conscience de tous les citoyens s’est trouvée réduite aux yeux des différentes majorités à la seule « liberté religieuse » ou au dialogue inter-religieux. Au lieu de traiter les musulmans d’abord comme des citoyens, on a créé de toute pièce un organisme qui était censé les représenter, le Conseil Français du Culte Musulman, tendant à figer les possibilités d’une intégration républicaine par l’effet d’identification communautaire ainsi créé, dont certains ont su s’emparer pour jouer de cette logique. Les élus, peu ou prou, participent trop souvent au financement public des lieux de culte, croyant acheter ainsi la paix sociale. Des pratiques qu’a entérinées le Conseil d’Etat à travers toute une série de dérogations qui aménagent le principe de laïcité pour le vider de son sens. A l’école, sous couvert de laïcité, c’est l’obsession du renforcement de l’enseignement du fait religieux auquel on fait appel, pour organiser l’intégration des élèves par leurs différences. On a cru par là voir une solution au mal être qui règne, appuyant dans le sens de ce qui sépare alors qu’il s’agirait de redonner au contraire, au principe de laïcité, toute sa portée d’intérêt général. D’autant qu’elle culmine dans la protection des différences, à porter au-dessus de toutes le bien commun, assurant ainsi qu’aucune d’entre elles ne prenne le pouvoir sur les autres.

A l’affirmation de l’islam, on a répondu par le traitement égal des religions, ce qui a été une erreur. On a ainsi donné une réponse à un tout qui est en réalité hétérogène, avec des musulmans divers qui entendent pouvoir choisir leur façon d’exercer leur religion sans que l’on encourage à ce qu’on leur impose une seule façon de voir, par voie d’assignation. D’autant que nous avons affaire à une religion en mouvement.

Ghaleb Bencheikh : Interdire toute critique de l’islam, y compris de l’islamisme ou du fondamentalisme sous prétexte de l’islamophobie n’est pas sain. En revanche, ce que j’appelle la misislamie, c’est-à-dire, la haine de l’islam assumée et l’hostilité déclarée et revendiquée à l’encontre des musulmans est totalement inacceptable. Et elle doit tomber sous le coup de la loi.  Pour le reste, on ne peut pas avancer sans une critique constructive. Nous devons même en être demandeurs. Toute doctrine ou philosophie, toute théologie qui ne s’affirme pas dans  le débat, et qui fuit le choc des idées finit par s’atrophier et se vulnérabiliser. Il ne reste plus que le fanatisme pour essayer de survivre quelques instants.

Notre démocratie, fût-elle évolutive et perfectible, nous permet de vivre sous un ciel plus clément à Paris qu’à Riyad ou à Khartoum ou à Alger, et il incombe à nos compatriotes de confession islamique de poser un débat académique, intellectuel, porteur et émancipateur. Je suis atterré de voir que beaucoup parmi les musulmans sont plutôt dans une logique de religiosité sauvage, comme l’aurait dit le Cardinal Danielou, une religiosité crétinisante, davantage opérée de manière comptable sur le licite ou l’illicite pour rentrer au paradis et éviter de périr par le feu de l’enfer. Ceci n’est pas bon : les idioties sur les effets alimentaires ou vestimentaires reflètent l’idée que nous n’avons pas su sortir des basses-eaux d’une religiosité archaïque.

Comment cette dimension politique de l’islam se traduit-elle concrètement ?

Rémi Brague : En principe, l’islam considère les nationalités et les origines sociales comme secondaires par rapport à l’appartenance à la « nation » (umma) islamique. Dans l’histoire, telle que les musulmans se la racontent, on attribue toute sorte de maux à l’attachement exclusif à une nation particulière. Quant à savoir comment « les » musulmans de France ressentent leur appartenance à la France, comment ils la situent par rapport à d’autres appartenances, cela varie selon les individus.

C’est aussi nous qui rabattons certaines personnes sur leur identité musulmane, alors que nous pourrions les considérer, comme ils se considèrent eux-mêmes, comme pouvant être certes musulmans en matière de religion, mais aussi comme originaires de tel pays du Maghreb, du Levant ou d’Afrique noire, comme parlant tel langage (« les Arabes », quelle insulte pour les Berbères !), comme exerçant tel métier, etc.

Cette nature politique de l’islam est-elle compatible avec la conception française de la laïcité et de la liberté de conscience qui reposent sur l’idée que la religion relève de la sphère privée ? En quoi l’islam fait-il exploser nos catégories de pensée traditionnelles ?

Rémi Brague : Notre notion de « religion » est calquée sur le christianisme. Nous distinguons ainsi des activités que nous considérons comme religieuses, par exemple la prière, le jeûne, le pèlerinage, et d’autres qui, pour nous, ne relèvent pas du religieux, comme certaines règles de vie : interdictions alimentaires, vestimentaires, rapports entre sexes, etc. Or, pour l’islam, ce sont là des parties intégrantes de la religion. Ce qu’ils appellent « religion », c’est avant tout un code de comportement, une démarche à suivre (c’est le sens du mot sharia). Il en est ainsi parce que le Dieu de l’islam n’entre pas dans l’histoire, soit par alliance (judaïsme), soit en poussant l’alliance jusqu’à l’incarnation (christianisme), mais y fait entrer la manifestation de Sa volonté, sous la forme de commandements et d’interdictions. Le message divin est soit une répétition des messages précédents (un seul Dieu, qui récompense et punit), soit une législation la plus précise possible. Le judaïsme connaît lui aussi un code de conduite très précis, mais ce code ne vaut que pour les Juifs. L’islam, lui, dit que tout homme doit s’y conformer.

Nous avons du mal à le comprendre, mais l’islam est avant tout un système de règles qui doivent avoir force de loi dans une communauté. Ces règles peuvent être appuyées par l’Etat si celui-ci est musulman, auquel cas on aura une police spéciale pour assurer, par exemple, le respect du jeûne du ramadan ou la vêture des femmes. Mais si la pression sociale (parents, grands frères, etc.) ou la force de la coutume y suffisent, tant mieux. L’islam distingue une invocation de Dieu qui peut se faire en privé, et une prière publique, avec des formules et des gestes déterminés. C’est elle qui constitue l’un des cinq « piliers » de l’islam.

La laïcité, notre vache sacrée, n’est pas elle-même une idée très claire.

C’est une cote mal taillée, produit d’un compromis entre deux instances localisées et historiquement datées : l’Etat français du XIXe siècle et l’Eglise catholique. L’appliquer telle quelle à l’islam, à la mesure duquel elle n’a pas été taillée, entraîne des mécomptes. Le christianisme a l’habitude de séparer la religion et les règles juridiques ; pour l’islam, le seul législateur légitime est Dieu.

Pourquoi est-il important aujourd’hui de sortir de la confusion entretenue autour de l’islam ? Quels sont les faux débats qui ont pu émerger ?

Guylain Chevrier : Le temps est à une clarification vitale pour pouvoir avancer. Il s’agit d’inverser le sens des choses pour mettre en valeur l’apport d’une laïcité bien comprise par tous, s’exprimant à travers l’égalité de traitement devant la loi indépendamment de la religion, de la couleur ou de l’origine, donc un humanisme qui permet l’accès de chacun aux mêmes biens, économiques et sociaux par exemple, qui ne peut se négocier dans ses principes essentiels. Il n’y a pas de religion à exclure par principe de cette convergence, de la compréhension de cette communauté de biens, mais faut-il encore lever les confusions que comprend par essence le terme islamophobie.

Dans un contexte d’’agitation autour de la lutte contre l’islamophobie, on a vu monter les revendications religieuses à caractère communautaire d’une minorité de musulmans parfois très militants : jours fériés musulmans en remplacement de jours chrétiens en réalité laïcisés, revendications de salles de prières dans les entreprises qui ne sauraient être des lieux de culte, de piscines ouvertes à des horaires spécifiques uniquement pour des femmes ce qui est discriminatoire… L’affaire Baby Loup, qui a donné lieu aux pires procès en islamophobie, a été finalement un marqueur de la période pour montrer toute l’importance que tous se retrouvent sur les mêmes valeurs, et qu’au nom d’une religion ou d’une autre, on ne puisse imposer la reconnaissance juridique des particularismes qui conduisent inévitablement à la différence des droits.

Pour autant, ce n’est pas la première fois que cette crainte de l’islamophobie est factuellement déboutée. Entre islam et nation française, comment sortir de l’émotion pour revenir à la raison ?

Guylain Chevrier : A force d’utiliser l’argument de l’islamophobie pour empêcher le débat public sur les rapports qu’entretient la République avec l’islam, ses grands enjeux ramenés à la simple question de l’accepter ou de le rejeter, non seulement de la part du CFCM ou de l’UOIF, mais des grandes formations politiques, on a nuit à une nécessaire réflexion au regard des rapports entre cette religion et notre société. On a laissé se développer l’idée que la laïcité serait un instrument ne visant qu’à la stigmatiser et à la restreindre. Il faut montrer que c’est un outil de libération et que les règles qui s’appliquent à tous de manière universelle ne sont en aucune façon hostiles aux musulmans, mais au contraire, à ne pas leur faire un sort particulier et visent à ce qu’ils prennent toute leur place dans l’espace commun citoyen. Cela ne peut aller sans pointer c’est vrai, certains problèmes, telle l’égalité hommes-femmes contestée par les textes (Coran – Sourate 4), une des clés de voûte aujourd’hui de notre société.

Cela passe aussi par une réforme indispensable plus large de l’islam, comme le rappel l’anthropologue des religions Malek Chebel1, entre autres, en ce qui concerne la séparation du politique et du religieux, qui n’est pas encore acquise et est indissociable de la modernité démocratique. Les politiques ne devraient pas s’immiscer dans l’univers religieux en croyant pouvoir y influer en faveur de l’enseignement d’une religion apaisée, mais garantir le cadre qui place la religion en situation de devoir s’adapter à un ensemble dans lequel elle peut parfaitement trouver sa place en en comprenant le sens, et ce, sans toucher à la citoyenneté, première dans l’ordre de l’identité et de la reconnaissance de chacun au regard de tous.

Pour en savoir plus :  http://www.atlantico.fr

Une Semaine de rencontres islamo-chrétiennes pour « convertir nos regards »

La 14e édition de la Semaine de rencontres islamo-chrétiennes (SERIC) se déroule du 13 au 23 novembre. Quelque 100 manifestations sont organisées dans toute la France et en Europe pour que chrétiens et musulmans dialoguent autour de questions religieuses, mais aussi de questions de société et d’actualité internationale. Une Semaine pour faire se rencontrer deux mondes, et concourir au mieux vivre ensemble dans un contexte toujours plus troublé.

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S’interroger ensemble sur la place des religions, dans les sujets de société mais aussi sur les questions internationales, échanger les points de vue sur les grandes questions religieuses,« vivre la dimension spirituelle des rencontres interreligieuses », le tout dans un esprit convivial et festif… C’est là tout l’esprit de la 14e Semaine de rencontres islamo-chrétiennes (SERIC), qui se déroulera du 13 au 23 novembre 2014. Une semaine pour dépasser les clichés et les préjugés, et appeler les deux communautés à sortir de leurs peurs, à travers plusieurs dizaines d’événements organisés dans toute la France mais aussi en Europe.

« Revivifier les liens »

Dans ces temps de crise et d’incertitudes économiques et sociales, de montée des extrémismes et de l’islamophobie, une telle manifestation doit « œuvrer au mieux vivre ensemble » entre chrétiens et musulmans, « en favorisant des liens de convivialité et de proximité ». L’actualité française, mais aussi internationale, rend cette semaine de rencontres « nécessaire » estime le Groupe d’amitié islamo-chrétienne (GAIC), à l’initiative de la Semaine.

Treize éditions de SERIC se sont déjà succédé, mais « par les temps qui courent, c’est particulièrement important. Notamment avec les événements d’Irak, où des chrétiens ont été forcés à se convertir, les relations entre chrétiens et musulmans doivent être revivifiées », tient à souligner Saïd Ali Koussay, vice-président du GAIC, qui participera en tant qu’intervenant à plusieurs événements du SERIC.

« La résolution du conflit en Israël-Palestine est avant tout de nature politique. Mais il y a aussi un substrat religieux indéniable », évoque Myriam Bouregba, responsable de l’Atelier Israël Palestine au sein du GAIC et ancienne coordinatrice de la SERIC pour les éditions précédentes. « L’actualité de ces derniers jours le montre d’une lumière crue avec les agissements de l’extrême droite religieuse sur l’Esplanade des Mosquées à Jérusalem. Les croyants et leurs représentants ont une responsabilité énorme pour montrer que l’horizon de la résolution du conflit ne peut se faire que dans la justice, notamment par la reconnaissance des droits nationaux du peuple palestinien dans le cadre du droit international, pour aboutir à une paix réelle et durable », poursuit Myriam Bouregba, qui animera avec Saïd ali Koussay et Jean-Claude Petit, président du réseau Chrétiens de la Méditerranée, une grande conférence sur la question de l’engagement des croyants pour la paix en Israël-Palestine.

La précédente édition de la Semaine de rencontres islamo-chrétiennes avait recensé 71 événements dans 42 villes ou arrondissements des grandes villes, dont 18 à Paris et en Île-de-France, et 43 en province. Ces manifestations, organisées autour de trois grands axes (religieux et spirituel, sujets de société, rencontres culturelles et conviviales) avaient réuni entre 6 000 et 7 000 personnes. En incluant les événements organisés en Europe, ce sont au total 115 événements qui ont été organisés l’année précédente pour « sortir de nos a priori et de nos peurs ».

Dépasser les préjugés

La SERIC veut permettre aux chrétiens et aux musulmans de se découvrir « dans le respect de leur identité culturelle et religieuse », et aussi qu’ils « apprennent à dépasser les clichés et les préjugés qui les habitent. » Nous sommes « invités à convertir nos regards », comme le formulent les organisateurs.

D’autant que « si nos deux religions sont deux religions distinctes, avec des différences, il y a aussi des points d’approche, des points de convergence, des points d’entente » précise Saïd Ali Koussay. « Il n’y a pas d’antinomie entre les chrétiens et les musulmans », insiste-t-il.

La SERIC est aussi pour lui l’occasion de « marquer aux yeux du grand public qu’il existe en France une structure qui entretient des liens intimes, fraternels entre chrétiens et musulmans » et de « montrer au grand jour que les chrétiens et les musulmans en France s’aident, fraternisent, s’aiment ».

Quelques temps forts de la semaine

Samedi 15 novembre, de 9 h 30 à 17 h à la Grande Mosquée de Paris, une journée de réflexion sur le thème « Accompagner la mort comme une étape ». La matinée, deux tables-rondes s’intéresseront à des questions généralistes : « Qu’est-ce qui se passe après la mort ? », puis « Nourri par cette espérance, comment accompagner une personne en fin de vie et son entourage ? ». L’après-midi, les sujets seront abordés de manière plus concrète à travers quatre ateliers : les rites et leur sens ; l’accompagnement des mourants et de leurs familles ; la place du deuil ; les questions éthiques.

De nombreuses manifestations autour de la vie après le mort et de l’au-delà sont prévues à Strasbourg et à Lingolsheim, en Alsace, tout au long de la semaine.

La ville de Cannes n’est pas seulement celle du festival de cinéma et de ses paillettes.

Dimanche 16 novembre, une marche interreligieuse sur la paix a lieu sur la croisette, à l’initiative de la paroisse catholique de Saint-Nicolas, la communauté évangélique de Cannes, la communauté protestante de Cannes, les communautés israélites consistoriales et loubavitch de Cannes, de la mosquée Al-Madina, de la Grande Mosquée Iqraa, de l’Eglise anglicane de Cannes, de l’institut bouddhiste Karmapa, de la confrérie soufie AISA et de l’abbaye cistercienne de Lérins.

Autre grand moment de la SERIC, la soirée consacrée à Israël-Palestine, lundi 17 novembre, à Paris. « Quelle solidarité des croyants pour la justice et la paix en Israël-Palestine ? » se demanderont les participants. Les débats seront animés par Mgr Dubost (Conférence des évêques deFrance), François Clavairoly (Fédération Protestante de France), Zuhair Mahmood (UOIF, directeur de formation des imams de l’IESH), Yeshaya Dalsace (rabbin de la communauté Massorti), pasteure Martine Millet (SABEEL France), Ghaleb Bencheikh (Religions pour la paix), Mustapha Cherif et père Michel Lelong (anciens coprésidents-fondateurs du GAIC).

Plusieurs représentations de la pièce de théâtre Pierre et Mohamed : retour en Algérie, de Francesco Agnelo, seront jouées. Présentée pour la première fois au festival d’Avignon en 2011, elle rend hommage à l’engagement de Pierre Claverie (1938-1996), évêque d’Oran, dans le dialogue interreligieux, et à son chauffeur, Mohamed Bouchikhi (1975-1996), tous deux morts dans l’explosion d’une bombe placée à l’entrée de l’évêché. Vendredi 12 novembre, à Paris ; samedi 22 novembre, à Toulon ; dimanche 23 novembre, à Nevers (projection).

Plusieurs « cafés couples » ou dîners consacrés aux couples islamo-chrétiens sont au programme. Ils permettront d’échanger sur la vie à deux et la vie de famille. Les « jeunes couples » notamment y trouveront des conseils pour commencer leur vie commune sur de bons rails. Samedi 22 novembre, à Créteil ; dimanche 23 novembre, à Paris ; dimanche 23 novembre, à Marseille.

Expositions, projections-débats, goûters de l’amitié, repas et soirées festives, conférences… Des dizaines d’autres manifestations sont prévues à travers toute la France. Voir le programme complet.

Rédigé par Christelle Gence | Mercredi 12 Novembre 2014

Pour en savoir plus : http://www.saphirnews.com

Des personnalités musulmanes proposent à François Hollande de « tirer l’islam vers le haut »

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2/10/14 – 15 H 14

Une vingtaine de représentants de la société civile – avocats, médecins, politiques, journalistes – de confession musulmane ont signé la semaine dernière une tribune intitulée : « Nous aussi sommes de « sales Français » » condamnant les crimes de l’État islamique.

Mercredi 1er octobre, ils ont longuement rencontré le président de la République François Hollande à qui ils ont soumis leurs propositions pour « tirer l’islam vers le haut ».

« Nous sommes allés lui dire d’abord que, pour nous, ce qui se passe en ce moment est l’horreur absolue », rapporte Bariza Khiari, sénatrice socialiste de Paris, selon qui cette prise de position était « attendue » et « a été entendue ».

« Nous refusons cette polémique stérile qui oppose ceux qui s’expriment – accusés de duplicité – et ceux qui refusent de s’associer aux manifestations », poursuit-elle. « Au fond, nous sommes tous d’accord pour condamner ces crimes, seul le mode d’expression nous distingue ».

ISLAM SPIRITUEL, LIBRE ET RESPONSABLE

Madjid Si Hocine, médecin et militant associatif, Saad Khiari, cinéaste, Ghaleb Bencheikh, président de la Conférence mondiale des religions pour la paix, Said Branine, rédacteur en chef d’Oumma.com, ou encore Faycal Megherbi et Kamel Maouche, avocats au barreau de Paris, sont également venus dire au président de la République que « l’islam n’est pas celui qu’on perçoit dans les médias à travers ces gamins ghettoïsés ».

« C’est aussi nous, tenants d’un islam spirituel, libre et responsable », rappelle la sénatrice qui se décrit comme « farouchement laïque et sereinement musulmane ».

Parmi leurs propositions figure la création d’une chaire sur l’islam au Collège de France pour « intellectualiser, organiser le débat, la confrontation d’idées ». « La France devrait être le Harvard de l’islam », estime Bariza Khiari, convaincue que « l’islam d’Europe, parce qu’il se confronte à d’autres, peut apporter beaucoup au monde musulman ».

JOURNÉE MONDIALE DU VIVRE-ENSEMBLE

Sur une idée des Scouts musulmans de France, le petit groupe a également réclamé à François Hollande « l’aide de l’État » pour porter auprès des Nations unies une « journée mondiale du vivre-ensemble », ou de « la fraternité ». « La liberté, en France, on n’a pas de problème, l’égalité on essaye. En revanche, la fraternité personne n’en parle », déplore sa porte-parole.

Enfin, une dernière proposition a été retenue par le président de la République, qui a promis de « l’étudier », celle de constituer « un annuaire des talents issus de la diversité » à l’intention des médias, qui renvoient trop souvent une image « caricaturale, déformante » de la communauté musulmane. Le petit groupe avait même proposé à François Hollande de « réunir les grands patrons de presse » pour discuter de la manière dont ils traitent de l’islam dans leurs colonnes.

« Je pense que le président, que je connais depuis de longues années, est conscient des fractures béantes de la société. Il nous a accordé une heure d’écoute totale, suivie d’une heure d’un petit débat », se réjouit la sénatrice de Paris.

Anne-Bénédicte Hoffner

http://www.la-croix.com