Des conflits géopolitiques sous couvert de religion

Et si les conflits du Moyen-Orient contemporain n’étaient pas de nature religieuse ? Pour l’historien et économiste libanais Georges Corm, cette approche réductrice de la géopolitique ne sert qu’à légitimer la thèse du « choc des civilisations ». Dans son livre Pour une lecture profane des conflits*, l’universitaire démontre les nombreux mécanismes qui ont permis de légitimer des guerres injustes depuis la fin de la Guerre froide. Une politique qui passe par l’instrumentalisation du religieux.

Par une lecture profane des conflits, entendez-vous vous opposer à la théorie de « choc des civilisations » ?

C’est un retour à la politologie classique, une approche des situations de guerre par une analyse multifactorielle, et non pas par une causalité unique qui serait religieuse, ethnique ou prétendument morale. La thèse du choc des civilisations est, à mon avis, une mise à jour post-moderne de la division du monde entre Sémites et Aryens, qui a provoqué l’antisémitisme effarant ayant mené au génocide des communautés juives d’Europe. Cette thèse perverse empêche de réfléchir sur les causes des conflits. Aveuglée par cette théorie du choc des civilisations, l’opinion publique peut soutenir des entreprises guerrières comme l’invasion de l’Irak, de l’Afghanistan, ou encore les interventions en Libye, en Syrie et très récemment au Yémen.

Au Moyen-Orient, le conflit sunnites-chiites est souvent mis en avant. La religion n’est-elle pas un vecteur de conflit dans cette région du monde ?

Quand le shah d’Iran était en place (1941-1979), sa politique n’était pas différente de celle du régime actuel. Pourtant, personne ne parlait d’opposition entre sunnites et chiites. Des intérêts géopolitiques se jouent aujourd’hui sous couvert de religion. Des enquêtes, publiées notamment dans The New Yorker, montrent que, suite à l’échec de l’invasion de l’Irak, les États-Unis ont décidé de provoquer des troubles entre sunnites et chiites. En créant notamment la notion de triangle chiite  Iran/Syrie/Hezbollah libanais, considéré comme l’équivalent d’un « axe du mal ». C’est très loin de la complexité des réalités de terrain, qui implique les intérêts géopolitiques des régimes turc, qatari, saoudien et israélien. La politique occidentale poursuit une ligne « sunnites contre chiites » sur le plan intérieur, et une vision « monde islamique contre monde occidental » sur un plan plus large. Il s’agit d’une approche fantaisiste : tous les gouvernements des pays musulmans sont dans l’orbite des puissances occidentales à l’exception de l’Iran, qui tente de normaliser ses relations avec les États-Unis.

Pourquoi les problèmes de religion, culture et civilisation sont si souvent invoqués pour justifier les conflits ?

Le Moyen-Orient est l’un des carrefours géopolitiques les plus importants dans le monde. C’est le principal réservoir énergétique. C’est aussi le lieu de naissance des trois monothéismes. Il est très facile d’utiliser les symboles religieux pour couvrir d’un voile les enjeux profanes purement politiques, militaires, économiques et autres désirs de puissance et d’hégémonie. Le Moyen-Orient est constitué de trois grands groupes ethniques ou nationaux : les Perses iraniens, les Turcs et les Arabes. Iraniens et Turcs ont pu hériter de structures d’empires vieilles de plusieurs siècles. En revanche, les Arabes ont été balkanisés dans diverses entités par les deux colonialismes français et anglais.

À l’heure du nationalisme arabe du président égyptien Nasser (1956-1970), la région était le théâtre d’atmosphères révolutionnaires qui menaçaient les intérêts occidentaux. L’organisation des Frères musulmans a été bien instrumentalisée afin de s’opposer à un panarabisme anti-impérialiste et tiers-mondiste qui entretenait des relations croissantes avec le bloc soviétique. Bien plus, l’instrumentalisation du religieux est devenue quasiment la politique officielle américaine pendant la Guerre froide. Zbigniew Brzezinski, conseiller du président américain Jimmy Carter de 1977 à 1981, a décidé d’organiser la mobilisation religieuse contre l’URSS. Dans l’aberrante guerre d’Afghanistan, en 1979, l’Arabie saoudite a été appuyée et financée par les États-Unis pour entraîner des milliers de jeunes Arabes, qui partaient ensuite se battre en Afghanistan. Al-Qaida est née à ce moment-là. Ces groupes de combattants ont ensuite été transportés en Bosnie, en Tchétchénie, aux Philippines, aujourd’hui dans le Xinjiang chinois… L’instrumentalisation de ces groupes mène à des organisations comme l’État islamique.

Vous parlez bien plus d’un recours au religieux que d’un « retour du religieux », expression que vous dénoncez. Pourquoi ?

Il n’y a jamais eu d’abandon du religieux dans l’Histoire du monde. Parler de retour du religieux est un ethnocentrisme européen poussé à l’extrême. Certes, la petite Europe a été relativement déchristianisée. Mais le reste du monde a conservé des liens importants avec la religion. À commencer par les États-Unis, pays fondé par des colons britanniques puritains. Le « retour du religieux » a été beaucoup invoqué pour dénoncer les dictatures marxisantes. Le philosophe allemand Léo Strauss (1899-1973) se demandait s’il ne fallait pas mieux revenir à des législations de type religieuses, après les malheurs qu’il attribuait exclusivement à la laïcité et la Révolution française, qui auraient d’après lui provoqué les deux Guerres mondiales. Accuser la Révolution française ou les philosophes des Lumières de tous les malheurs du monde est une thèse tout à fait exagérée. Pour moi, l’archétype de la guerre d’extermination, du goulag et du nazisme se trouve dans les guerres de religion.

Le raidissement des dogmes, aujourd’hui, traduit-il une nouvelle crise religieuse ?

Il ne faut pas tomber dans le piège des mouvances terroristes actuelles. Elles se réclament de trois théologiens politiques musulmans : Ibn Taymiyya (1263-1328), emprisonné par le sultan pour son extrémisme religieux ; le Pakistanais Abul a’la-Maududi (1903-1979), qui a justifié la sécession sanglante des Indiens de confession musulmane ayant donné lieu à la création de « l’État des purs » (ou Pakistan) ; et le Frère musulman égyptien Sayyid Qutb (1906-1966) qui a considéré tous les régimes politiques arabes comme « hérétiques » parce que ne respectant le principe d’une souveraineté absolue de Dieu sur les hommes. Mais la théologie musulmane, vieille de plus de treize siècles, va bien au-delà de ces trois noms et les théologiens « libéraux » sont très nombreux. Je pense qu’il y a aujourd’hui une crise des monothéismes, à cause de la manipulation du religieux. Concernant l’islam, la croyance wahhabite a été largement condamnée par la plupart des théologiens musulmans qui la considèrent beaucoup trop extrémiste. À l’origine, cette doctrine est née au XVIIIe siècle d’une simple alliance entre le prédicateur Abd al-Wahhab et la famille al Saoud aux ambitions politiques très grandes. Quand, dans la deuxième moitié du XXe siècle, l’Arabie saoudite a atteint une puissance pétrolière et financière importante, le wahhabisme s’est exporté tous azimuts.

Quel rôle joue l’instrumentalisation de la mémoire dans la gestion des conflits ?

Les musulmans restés fidèles au concept de « religion du juste milieu » sont marginalisés. Aujourd’hui, les médias et les chercheurs ne s’intéressent plus à la sociologie des sociétés arabes, turques, perses… Ils se consacrent à l’étude des réseaux islamistes. C’est un islam abstrait, une méga-identité qui ne veut rien dire mais sert à stimuler cette idéologie du conflit des civilisations. On retrouve le même type de crispation, en ce qui concerne le judaïsme. De très nombreux citoyens européens ou américains de confession juive n’approuvent pas la politique d’Israël. Des groupes de religieux, comme Neturei Karta, ne reconnaissent même pas la légitimité de l’État israélien. Mais ils sont totalement marginalisés dans les médias et la recherche académique. Une autre manipulation de la mémoire est le passage de la notion d’Occident gréco-romain à la notion d’Occident judéo-chrétien. Ce coup d’État culturel n’a pas beaucoup de sens, car le christianisme s’est construit contre le judaïsme. Cette opération est destinée à réparer le traumatisme causé par l’Holocauste.

Alors que le XXe a vu, pendant un temps, triompher une vision laïque de l’ordre international, comment la religion a-t-elle pu opérer un tel retour en force ?

Jusqu’aux années 1970, la vie internationale était laïque. Les pays non-alignés basaient leur discours sur le rapport avec les deux grandes puissances. La préoccupation était le développement économique et social, l’appropriation des sciences et les technologies. Tout a basculé avec la Guerre froide. L’extension du marxisme dans les rangs de la jeunesse arabe dans les années 1950-60 était très impressionnant. De quoi inquiéter les milieux militaires et politiques occidentaux. En cherchant à réislamiser les sociétés musulmanes, la doctrine Brzezinski entendait que leurs préoccupations ne soient plus économiques ou sociales, mais théologiques.

Pourquoi la laïcité a-t-elle échoué dans le monde arabe et musulman ?

Je n’aurais pas un jugement aussi abrupt. De très larges pans de laïcité subsistent dans des pays comme la Turquie ou la Tunisie. La Syrie et l’Irak étaient largement laïcisés eux aussi. Tout comme l’Égypte dans les années 1940-1950. Il n’y a pas non plus de recul absolu. Heureusement, il existe encore des millions de musulmans arabes sans comportement religieux ostentatoire. Mais l’échec complet de l’industrialisation est associé à une expansion démographique effarante. Devant l’incapacité de trouver un emploi, la mosquée devient attirante. Toutes les ONG islamiques ont fleuri grâce au financement des monarchies et émirats du Golfe. Elles ont distribué des aides sociales, conditionnées par l’adoption d’un mode de vie religieux.

Les médias et intellectuels occidentaux ont-ils joué un rôle dans cette « réislamisation » ?

Les politologues occidentaux ont donné une crédibilité islamique à des gens comme Ibn Taymyya ou Sayyid Qutb, ainsi que Ben Laden et le soi-disant « État islamique ». Vouloir expliquer des phénomènes comme les attentats du 11 septembre 2001 ou celui de Charlie Hebdo par la religion musulmane ne fait qu’amplifier le malaise. Les organisations terroristes doivent être considérées comme telles. Si vous mobilisez des savoirs soi-disant académiques pour justifier leurs actes par la théologie musulmane, vous jouez dans leur camp et renforcez leur crédibilité. S’est-on penché sur les textes marxistes pour expliquer les crimes d’Action directe, ou de la bande à Baader ou le goulag ? Chercherions-nous dans les Évangiles une justification des Croisades ou du génocide des Indiens d’Amérique ? Non.

Pensez-vous qu’il est possible de sortir de ce cercle vicieux ?

Je ne suis pas très optimiste. À partir du moment où les médias américains et européens appellent Daesh « l’État islamique », le terrorisme s’accroît. En luttant contre Ben Laden, longtemps allié des États-Unis, on en a fait un grand héros, avec un retentissement médiatique hors-pair. Deux pays souverains ont été envahis en déployant des moyens militaires absurdes. D’autant plus que l’Irak était considéré par Ben Laden comme un État mécréant à détruire. Et ça continue avec le drame syrien. On a décidé de diaboliser Bachar el-Assad, sous prétexte de réduire un dictateur qui n’est pas dans le sillage géopolitique de l’Occident. Tout en affirmant, à côté, que des organisations comme le Front al-Nosra, pourtant classé comme terroriste, font du bon travail en Syrie. Au Yémen, on recommence à bombarder les Houthis sous prétexte qu’ils sont soutenus par l’Iran et qu’ils appartiennent à l’une des nombreuses branches du chiisme. Ces folies coûtent des milliards de dollars aux contribuables européens et américains. Comment arrêter cette machine ? Depuis 2001, il n’y a aucune demande de comptes dans les pays occidentaux. Il est temps que les démocrates se réveillent pour demander que cela cesse.

Propos recueillis par Matthieu Stricot – publié le 22/07/2015

(*) Georges Corm, Pour une lecture profane des conflits : sur le « retour du religieux » dans les conflits contemporains du Moyen-Orient, Paris, La découverte, 2015, 11 €.

Du même auteur : Pensée et politique dans le monde arabe : contextes historiques et problématiques, XIXe-XXIe siècles, Paris, La Découverte, 2015, 23 €.

Pour en savoir plus : http://www.lemondedesreligions.fr/

Akhenaton : « Il faut des artistes qui prennent des risques et ouvrent des portes »

Directeur artistique de l’exposition « Hip Hop, du Bronx aux rues arabes » installée pour l’occasion à l’Institut du monde arabe jusqu’au 26 juillet, Akhenaton raconte à Saphirnews la genèse de ce projet et bien plus encore. Au-delà de la polémique autour de sa collaboration avec Coca-Cola, le rappeur star du groupe IAM nous confie ses envies de quitter la France.


Akhenaton, à la direction artistique de l’exposition « Hip Hop, du Bronx aux rues arabes » à l'Institut du monde arabe (IMA). (Photo : © Saphirnews)

Akhenaton, à la direction artistique de l’exposition « Hip Hop, du Bronx aux rues arabes » à l’Institut du monde arabe (IMA). (Photo : © Saphirnews)

Saphirnews : Vous êtes gâté ces derniers temps : entre l’Institut du monde arabe où vous assurez la direction artistique de « Hip Hop, du Bronx aux rues arabes », les Victoires de la musique qui vous ont remis une récompense pour votre dernier album et Coca-Cola qui vous prend comme égérie…

Akhenaton : L’Institut du monde arabe est une vraie institution. Il y a 15 ans, je n’aurais pas fait une expo de hip-hop dans un musée, mais je pense que la période actuelle en a besoin. J’ai aussi réalisé avec le temps que l’institutionnel, ce sont nos impôts et qu’il y avait quelque chose de dramatique à ce que le hip-hop soit une culture ultra répandue mais qu’elle ne soit fixée dans aucun endroit de manière historique. Pour moi, c’était une négation de son existence.Cette expo est importante pour deux raisons : le public ne nous connaît pas, j’ai toujours eu espoir qu’on arriverait à changer les choses et à se faire accepter pour ce qu’on est, c’est-à-dire des créateurs, des gens qui font des morceaux, dansent, font des spectacles, des peintures ; mais cela ne marche pas, on est toujours vu comme des délinquants repentis, des assistés sociaux qui ont eu de la chance. L’idée ici est d’ancrer cette culture dans son existence et de mettre à l’honneur des pays arabes dans leur créativité malgré les difficultés vécues dans ces pays.

 

Akhenaton à l'IMA. © Saphirnews

Akhenaton à l’IMA. © Saphirnews

Qui a pris l’initiative de monter cette exposition ?

Akhenaton : Un ami libanais qui s’appelle Mario Choueiry. Il travaillait pour Emi Arabia quand nous (le groupe IAM, ndlr) étions des artistes signés chez Delabel. On préparait l’album Ombre est lumière (sorti en 1993, ndlr), on samplait beaucoup la musique arabe à l’époque et on cherchait à faire des collaborations avec des artistes du genre. Il nous a permis de collaborer avec un chanteur libyen, Cheb Jilani. C’est lui qui m’a contacté il y a deux ans pour me proposer de faire une expo sur le hip-hop. Pas très à l’aise avec les institutions, je n’étais pas très sûr de vouloir le faire, mais j’ai finalement accepté avec quelques conditions, celles d’éviter de faire quelque chose d’historique car cela demanderait plusieurs espaces d’expositions bien plus grands que l’Institut du monde arabe. Mon idée était de l’axer sur la transmission, car c’est une tradition très arabe et africaine. La transmission orale, la transmission de la culture… Ici, c’est une transmission du Bronx aux pays arabes. Les Français, très prétentieux, croient toujours que le hip-hop est passé par chez eux avant de venir aux pays arabes, mais il est bel et bien venu directement des Etats-Unis aux pays arabes. Au Liban, il y a des rappeurs aussi anciens que ceux du rap français.

Certaines personnes pensent aussi que le hip-hop est né dans les pays arabes avec les soulèvements révolutionnaires…

Akhenaton : Il y a des rappeurs comme Dam ou Gaza Team (des groupes palestiniens, ndlr) avec qui j’ai fait des morceaux qui n’ont pas attendu ces révolutions. Même dans l’engagement, certains rappeurs connaissaient des ennuis dans leurs pays respectifs. The Narcysist (un rappeur irakien, ndlr), par exemple, a dû quitter l’Irak pour aller au Canada. Pareil pour des groupes de métal qui passent leur vie en prison. Ils dérangeaient Saddam Hussein à l’époque, dérangent le gouvernement actuel en place et dérangent Daesh… Je suis très heureux de voir de nombreux graffeurs et artistes du monde arabe venir à l’expo.

 

Affiche « Hip Hop, du Bronx aux rues arabes »

Affiche « Hip Hop, du Bronx aux rues arabes »

Comment avez-vous sélectionné les artistes présents ? Il semble y avoir plus d’artistes occidentaux qu’arabes quand même…

Akhenaton : Dans la partie historique, il y a plus d’Américains tandis que la partie française est un peu plus petite que la partie arabe. Il était important de signaler que ceux qui ont créé cette culture dans le Bronx étaient tolérants et ouverts à toutes les cultures et aux femmes. C’est pour cette raison que j’ai volontairement choisi une femme dans l’affiche de l’exposition, une œuvre du graffeur Noe Two.

Vous avez donné un concert en Egypte pour les 20 ans d’IAM en 2008. Êtes-vous allé dans des pays arabes autres que ceux du Maghreb ?

Akhenaton : On devait faire le Liban en 1990 après la guerre, mais il y avait encore des soucis de sécurité. Le concert a été programmé, annulé et reprogrammé, mais il ne s’est jamais fait. A mon grand regret, je n’y suis jamais allé alors que c’est historiquement un pays important pour moi. J’espère que cette exposition pourra voyager dans les pays arabes et qu’on aura la possibilité de faire des performances avec des groupes locaux. Ce serait faisable au Liban, mais j’ai un petit souci avec les Emirats, car les rappeurs et les graffeurs y morflent beaucoup. Mais pourquoi pas à Abu Dhabi ou à Oman qui sont plus ouverts.

Quel est votre sentiment des événements qui ont suivi le Printemps arabe ?

Akhenaton : J’ai l’impression que le peuple s’est fait voler sa révolution. Il y a des forces obnubilées par le pouvoir qui sont beaucoup plus agressives que la personne lambda qui essaie de changer les choses. On le voit en Syrie : la révolution a été lancée pour espérer plus de liberté, une réelle égalité dans la société syrienne, mais, aujourd’hui, les acteurs d’un côté et de l’autre s’envoient des missiles et des armes dans la gueule. Les gens qui ont fait les premières manifestations sont chez eux enfermés, s’ils ne sont pas arrêtés ou tués.La Libye est une guerre coloniale de l’ère moderne. C’est un braquage des sociétés pétrolières appartenant aux Italiens et aux Allemands, par les Français, les Américains et les Anglais. On a enlevé les clés à certains, on les a données à d’autres. Maintenant, ceux qui ont les clés se les disputent. Le peuple perd au final.Ceux qui s’en sortent le mieux sont les Tunisiens, parce que le niveau d’éducation est beaucoup plus élevé que dans beaucoup de pays, ce qui fait qu’on ne peut pas les baratiner trop longtemps avec de la désinformation. Ils ne se laissent pas marcher sur les pieds. Ce sont ceux qui s’en sortiront le mieux et le plus vite.

Parlons religion. Les personnes que vous rencontrez vous font-elles souvent des allusions au sujet de votre foi ?

Akhenaton : Tout le temps. On me demande souvent : « Mais pourquoi tu t’es converti ? Parce que tu t’es marié à une musulmane ? » Je dis non, c’est parce que j’ai lu des livres et des gens admirables. Dieu merci, je me suis converti en 1992 ! Si je m’étais converti dans la période actuelle, on m’aurait dit que je suis un terroriste ! Le sujet islam n’est pas compris. C’est comme l’expo : il faut de la vulgarisation.Depuis le 11-Septembre, je dis qu’il faut que les chaînes françaises diffusent un film comme Le Message (célèbre œuvre de Moustapha Akkad sorti en 1976 qui relate la vie du Prophète Muhammad, ndlr) pour montrer aux habitants de ce pays que ce n’est pas une religion qui est tombée comme une météorite sur Terre, qu’elle s’inscrit dans une continuité monothéiste lisible par un peuple chrétien et juif. Lisible. Cela permettait de comprendre des tas de choses et de rapprocher du monde en instaurant un dialogue. J’en parlais avant dans ma musique, mais je n’en parle même plus. Les gens sont dans l’émotion et, quand c’est le cas, ils refusent le débat. La peur puis la haine s’installent.

Le climat post-Charlie est-il propice à ouvrir un dialogue, selon vous ?

Akhenaton : Non. Tout est fracturé. Tout est noir ou blanc, rien entre deux. J’ai donné une interview à Europe 1 à ce sujet (en mars, ndlr). Elle a été résumée par Le Figaro par : « Akhenaton dérape sur les caricatures de Mahomet » alors que je parlais de racisme et non de religion. Le Prophète est assez grand, dans mon esprit et dans mon cœur, pour se défendre tout seul. Il a été victime de calomnie mais il a toujours dit de laisser parler les gens car c’est le propre de l’homme de parler.J’ai parlé des caricatures danoises (lors de l’interview, ndlr). La caricature avec la bombe en guise de turban (sur la tête d’un homme présenté comme le Prophète, ndlr) est aussi raciste que les caricatures des juifs pendant l’entre-deux-guerres. Je ne vois pas où est le dérapage… Deux jours après, sur les portes de ma maison, (un domicile dans lequel est installé son studio en réalité après plus de précisions, ndlr) était inscrit « Adieu la France, les Bougnoules nous l’ont mises », accompagnée d’insignes nazis.

Vous avez décidé de ne pas porter plainte. Pourquoi ?

Akhenaton : Parce que je sais que cela n’aboutira pas.

 

Akhenaton : « Il faut des artistes qui prennent des risques et ouvrent des portes »

Pourtant, c’est aussi une façon de délivrer un message important (du fait de votre position)…

Akhenaton : A l’époque, je n’ai pas voulu faire de remous. (…) Mais je ne me prends pas pour un prophète, je fais des erreurs… C’était peut-être une erreur de ma part. Le temps le dira. Je suis cette somme de bons et de mauvais choix… Quand j’ai vu les tags le matin, j’étais sidéré, je n’arrivais plus à parler. Mon premier réflexe a été de me dire : « Je vais me casser, aller en Asie ou aux Etats-Unis. J’en ai assez. »

A propos de départ, n’avez-vous jamais eu envie de vraiment quitter la France ?

Akhenaton : Si, c’est permanent. J’ai habité à New York pendant deux ans, dans les années 1980. (…) Oui, j’ai envie de partir et, en même temps, j’ai envie de lutter. C’est confus dans ma tête.

Si vous deviez partir, où iriez-vous ?

Akhenaton : Je n’irais pas aux Etats-Unis, j’irais à New York (rires). J’ai mes arrières-grands-parents qui sont enterrés là-bas. J’ai aussi une grande partie de ma famille qui y vit, c’est donc la facilité pour moi. C’est un endroit où j’ai des attaches familiales et des amis.J’ai failli partir au Maroc aussi. Je m’y sens bien, j’y vais souvent (sa femme est d’origine marocaine, ndlr), j’y suis très bien avec mon petit port tranquille où je mange du poisson grillé… Casablanca est une ville qui explose, j’ai plein d’amis qui sont partis y vivre et travailler. Il y a plein de choses qui se font dans cette ville, des opportunités pour des gens qui ont envie de travailler. C’est ouvert d’esprit. Je trouve les peuples des pays arabes beaucoup plus accueillants, beaucoup plus ouverts et prêts à recevoir le monde, alors que, nous (en France, ndlr)…, nous sommes aigris.

 

Qu’est-ce qui vous retient en France ?

Akhenaton : Ma famille, mes enfants, leurs amours de jeunesse. Ils sont adolescents…

Vous dites songer à partir, est-ce un message que vous souhaitez délivrer à la jeunesse ?

Akhenaton : Non. Je ne suis pas un exemple. Si je pense à partir, c’est parce que la France m’a usé en 30 ans. Je suis usé de répéter les mêmes trucs et de voir les mêmes choses sans aucun changement. (…) Le message à délivrer aux jeunes générations est de se battre et de prendre le relais, de montrer qu’on peut faire des choses bien.(…) Quand on fait un sondage pour demander ce qu’est un Arabe bien intégré, on nous révèle que ce sont des personnes qui mangent du jambon et qui boivent de l’alcool, et non des gens qui ont un travail, vont à l’université, ont une famille et paient leurs impôts. Les critères d’intégration : le porc et le vin. C’est quand même des critères de surface ! On n’est pas dans une profondeur de réflexion. Je suis pour la laïcité, mais pas pour qu’elle tombe dans un fondamentalisme laïque car il peut être aussi dangereux que les autres formes de fondamentalisme. Je suis contre tous les radicalismes. Beaucoup d’hommes politiques auraient dû retourner à l’école et étudier l’Histoire, cela aurait évité à Nicolas Sarkozy de prononcer le discours de Dakar (en 2007 durant lequel il a affirmé que « l’homme africain n’est pas assez entré dans l’Histoire », ndlr) s’il avait ouvert quelques livres.

Vous êtes au cœur d’une polémique, celle de votre collaboration avec Coca-Cola. On vous a reproché d’être en totale contradiction avec les valeurs que vous avez véhiculées à travers vos morceaux durant toute votre carrière.Votre réponse n’est-elle pas un peu légère ? Parce que vous êtes une personne publique qui a tenu beaucoup de propos moralisateurs, peu importe si tel fan est assis devant un PC « made in China » ou s’il boit du Coca dans sa voiture alimentée par Total, car c’est vous qui êtes un exemple et pas lui, c’est à vous qu’on reproche de ne pas être cohérent.

Akhenaton : Si un fan me reproche tout cela, c’est qu’il tient à certaines valeurs, non ? Il embrasse donc ces valeurs et se les applique. A partir du moment où tu ne les appliques pas, tu n’écris pas de lettre (allusion aux critiques pour dénoncer le choix d’Akhenaton, ndlr). Dans mon quotidien, dans tout ce que je consomme, j’ai conscience d’être en contradiction avec des choses que je peux dire, mais il y a des barrières que je ne franchirais pas comme travailler avec des laboratoires pharmaceutiques, des entreprises qui bossent dans l’énergie ou des firmes comme Monsanto (qui promeut les OGM, ndlr).(…) Si on pense que mener un combat frontal contre des multinationales peut aboutir à quelque chose, on se trompe. C’est ce qu’on a fait pendant 30 ans et cela n’a abouti à rien. Il n’y a jamais eu autant de milliardaires et de pauvres sur la planète. Le combat est perdu, il va falloir changer de stratégie. La première fois que les gens de Coca-Cola m’ont reçu, je leur ai parlé de l’aspartame. Je pense sincèrement et naïvement que c’est peut-être ainsi qu’on peut changer les choses.

Pourquoi avoir reversé à certaines associations plutôt qu’à d’autres, qui aident des enfants en Palestine par exemple ?

Akhenaton : J’ai reversé à quatre associations. Je fais depuis dix ans campagne avec la fondation Abbé Pierre, j’ai fait des morceaux, je leur ai donné des morceaux, des téléchargements gratuits. J’ai aussi fait des campagnes pour Action contre la faim, et j’estime normal de reverser à nouveau le cachet à des gens avec qui je travaille depuis des années. Et puis, il y a deux autres associations, celle de Pascal Olmeta dédiée aux enfants malades et Terre des Hommes Valais avec qui on fait des concerts depuis dix ans. Avec 1 000 et quelques euros, tu sauves la vie d’un enfant…Excusez-moi, mais pour tous ceux qui sont devant leur ordi, qui mettent leur petit déjeuner en photo sur Facebook et s’achètent un Coca pour le boire devant, je préfère avoir cela en moins sur la conscience, faire mon action dans le détail et travailler sur ce que je fais. Si je n’avais pas fait de collaboration, il n’y aurait jamais de partenaires qui financent des expos du genre hip-hop (Coca-Cola est un soutien financier de l’exposition à l’IMA, ndlr). Pour l’instant, toutes les portes sont fermées au hip-hop : il faut des artistes qui prennent des risques et ouvrent des portes.
Rédigé par Fatima Khaldi | Lundi 4 Mai 2015
Pour en savoir plus : http//www.saphirnews.com

« Le Prophète Mohammed demande de ne pas prendre les armes »

« Tout est pardonné ». La une de Charlie Hebdo, après l’attentat qui a décimé la rédaction du magazine le 7 janvier 2015, présente le Prophète Mohammed dans une posture de miséricorde. Cette attitude correspond-t-elle aux paroles et actes de Mohammed, que les djihadistes, comme les détracteurs de l’islam, présentent comme un prophète guerrier ? Éric Geoffroy, islamologue à l’université de Strasbourg, nous explique la véritable signification du djihad, très loin de la « guerre sainte » prônée par les fanatiques d’aujourd’hui.

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© Stephane Mahe / Reuters

Cette semaine, la une de Charlie Hebdo met en scène le Prophète Mohammed tenant une pancarte où il est inscrit « Tout est pardonné ». Cela va-t-il dans le sens des paroles et actes du Prophète ?

Beaucoup de paroles et d’agissements du Prophète vont dans le sens de la compassion, de la miséricorde et du pardon. Le Prophète lui-même disait : « Je suis une pure miséricorde offerte aux mondes. » Dans les hadiths, les paroles du Prophète, il est dit que toutes les créatures sont la famille de Dieu. On trouve cette compassion chez tous les prophètes, mais chez Mohammed en particulier. Les terroristes n’avaient pas à venger le Prophète, car il n’était pas dans la vengeance. Un hadith convient tout à fait aux évènements actuels : « Lorsqu’il y a des troubles ou une guerre civile, la personne assise sera en meilleure posture que celui qui sera debout. De même, celle qui marche sera en meilleure posture que celle qui s’empresse. Brisez donc vos arcs, arrachez-en les cordes et frappez le tranchant de vos épées contre un rocher. Et si un agresseur pénètre dans votre demeure, comportez-vous comme le meilleur des fils d’Adam (Abel). » Le Prophète demande donc de ne pas prendre les armes.
De même, la lapidation pour adultère n’est pas une loi islamique. Aux premiers temps de l’islam, la sharia n’existait pas. Les nouveaux musulmans s’inspiraient de la loi de Moïse. Quand certains individus venaient dénoncer un couple adultère au Prophète, celui-ci faisait tout pour ne pas écouter ce genre de témoignages. Il se détournait. Dans toute la vie du Prophète, il y a une insistance sur cette compassion universelle.

Pourquoi cite-t-on souvent le « verset du sabre » – « À l’expiration des mois sacrés, tuez les polythéistes où que vous les trouviez. Saisissez-vous d’eux, assiégez- les… » (s9.v5) – pour évoquer un Prophète « guerrier » ?

On ne peut pas citer les textes révélés sans préciser leur contexte. Cela vaut aussi pour la Bible ou encore la Bhagavad-Gita des hindous. On ne peut pas se saisir des textes sacrés sans la médiation de gens autorisés. En islam, l’accès aux textes sacrés était médiatisé par les oulémas, des théologiens qui connaissaient le contexte. Maintenant, avec Internet, on peut dire n’importe quoi en toute ignorance. Le verset en question sort d’un contexte particulier. Persécutés, le Prophète et ses compagnons avaient dû fuir à Médine. Les musulmans avaient signé une trêve avec les polythéistes de La Mecque. Mais ceux-ci ont trahi le pacte. Le Prophète attendait une révélation pour pouvoir se défendre militairement. Il a attendu 14 ans, depuis le début de la persécution à La Mecque. Ce verset arrive pour dire « Stop », pour demander aux musulmans de se défendre contre les agressions à répétition des Mecquois. D’ailleurs, on ne peut pas lire le verset 9.5 sans le suivant, le 9.6 : « Et si un de ces polythéistes demande ta protection, accorde-la lui afin qu’il écoute la parole de Dieu. Puis fais-le reconduire en lieu sûr. » Cela prouve qu’il ne faut jamais lire un verset hors contexte.

Remettre les choses dans leur contexte, est-ce aussi valable pour les juifs Banû Qurayza tués en 627 ?

Cette tribu juive, alliée aux musulmans de Médine contre les Mecquois, s’était retournée contre les musulmans lors de la bataille du Fossé (Khandaq). À la suite de quoi, les musulmans les ont assiégés et ont eu raison de leur forteresse. L’entrée en islam leur fut proposée, en vain. Afin que leur jugement soit le plus indulgent possible, le Prophète en chargea un grand ami de cette tribu juive, Sa’d ibn Mu’adh, un membre de la tribu arabe médinoise des Aws. Celui-ci fit exécuter les hommes de la tribu pour haute trahison. Le Prophète approuva cette décision. Le jugement de Sa‘d s’inscrivait en fait dans la droite ligne de la loi juive. Dans le cas d’une cité assiégée, il est dit en Deutéronome 20 : 12 : « Et lorsque le Seigneur ton Dieu l’aura livré entre tes mains, tu feras passer tous les mâles au fil de l’épée ; mais les femmes, les enfants, le bétail et tout ce qui se trouvera dans la ville, ainsi que tout son butin, tu le prendras pour toi. »
La trahison a toujours été punie de la peine de mort, dans toutes les lois de la guerre. Or, la clémence que pratiquait le Prophète jusqu’alors avait toujours joué en sa défaveur : la sauvegarde des prisonniers, à l’issue de la bataille de Badr notamment, avait failli être fatale aux musulmans lors des batailles suivantes. Cette fois, le message fut entendu, et une telle situation ne se présenta plus de son vivant.

D’où vient le concept de djihad ? Et plus précisément, dans quel contexte s’applique le djihad mineur, le djihad militaire ?

Le Prophète distingue « djihad majeur » et «djihad mineur ». Le « djihad majeur » consiste à lutter contre son ego, ses passions et ses illusions, en Dieu. Le terme arabe signifie « effort sur soi ». Le djihad doit répandre le bien. Le Prophète dit par exemple à ce propos : « Ôte un caillou du chemin pour ne pas que ça ne nuise pas aux autres. » Quant au djihad mineur, militaire, il n’est autorisé qu’en cas de légitime défense. Ainsi lors des Croisades. Quand les chrétiens prirent Jérusalem en 1099, ils tuèrent les juifs et musulmans qui y vivaient. Lorsque Saladin reprît la ville en 1187, il épargna tout le monde, croisés compris. Il s’est aussi appliqué pendant l’occupation coloniale. Lorsque l’Europe a pris les terres aux Algériens, selon les lois, le djihad pouvait être déclaré. Mais c’est tout. Le djihad ne peut consister à répandre l’islam par l’épée.

Dans ce contexte post-colonial, les djihadistes d’aujourd’hui peuvent-ils interpréter à leur manière le verset : « quiconque tuerait une personne non coupable d’un meurtre ou d’une corruption sur la terre, c’est comme s’il avait tué tous les hommes » (s5.v32). Considèrent-ils que les Occidentaux ont corrompu leurs terres et méritent donc la mort ?

Ces gens-là savent très bien communiquer. Quand ils ont effacé avec des bulldozers l’ancienne ligne de démarcation entre la Syrie et l’Irak, datant des accords Sykes-Picot de 1916, ils ont affirmé effacer le mal que l’Occident avait fait. Même revendication quand ils ont tué Hervé Gourdel en Algérie. Ils nous renvoient notre miroir : les croisades, le colonialisme, la Guerre d’Algérie, les Guerres du Golfe, la création d’Israël, le conflit israëlo-palestinien….. Ils sont dans le ressentiment vis-à- vis de l’Occident. Cela nourrit des rancoeurs au Proche-Orient. Mais les premières victimes des djihadistes sont les musulmans eux-mêmes, que ce soit au Yémen, en Irak, en Syrie, en Afghanistan. Il y a des milliers de morts. Notamment dans le conflit chiites-sunnites, qui a été attisé par les Américains en Irak. Daech joue clairement la carte antichiite. Et certains musulmans tombent dans le panneau.

Par quels référents les djihadistes s’autorisent-ils des pratiques aussi barbares que l’esclavage sexuel des femmes yézidies ?

En islam, il n’y a pas de magistère suprême. La source d’autorité est plurielle. Les fanatiques peuvent lancer une fatwa, en se référant à un avis juridique antérieur. Dans ce cas précis, ils peuvent affirmer qu’en cas de guerre, une femme qui s’offre aux combattants est récompensée. Mais, alors que l’islam prône l’équilibre, ces gens-là sont d’emblée dans l’extrémisme. Plusieurs autorités islamiques ont condamné ces actes, comme le fait de tuer des juifs et des chrétiens, actes totalement contraires à l’islam. Il ne faut pas entrer dans leur jeu. Ne pas développer de ressentiment antimusulman.

Si cela va à l’encontre des valeurs de l’islam, pourquoi ces djihadistes recherchent-ils la guerre à tout prix?

Cette logique jusqu’au-boutiste est animée par un nihilisme messianique. Ils ne sont pas les seuls. Beaucoup de musulmans, de juifs et chrétiens born-again américains, dont l’ex-président des États-Unis George W. Bush, y croient : il faut précipiter le chaos pour susciter la venue du Mahdi, du sauveur qui va préparer le retour de Jésus sur terre. Pour l’islam, Jésus n’est pas mort et va revenir à la fin des temps pour apporter le règne de la paix. Les djihadistes veulent précipiter le conflit en créant une guerre entre l’Occident et le monde musulman. Ils cherchent à attiser les haines, pour provoquer un choc des civilisations qui n’existe pas. C’est un choc des ignorances. Ces ignorances puisent leurs sources dans un malaise civilisationnel. Les gens qui commettent ces actes, comme les frères Kouachi, sont endoctrinés, mais n’ont pas de connaissance réelle de l’islam. Ils développent une culture du ressentiment envers l’Occident, la mondialisation, etc.. et ils cherchent une identité.

Que faut-il faire pour enrayer le phénomène des départs au djihad ?

Il faut créer des centres français de formation à l’islam. Ne pas laisser les gens partir se former en Arabie ou au Pakistan. La France n’a pas pris en compte le renouveau du religieux en général, de l’islam en particulier. Il y a une dizaine d’années, l’État français n’a fait aboutir aucune demande de création d’institut universitaire de formation à l’islam. Alors que le président Chirac y était favorable. La France doit réformer son rapport au religieux et au spirituel. Il faut prendre en compte le besoin de spiritualité. Beaucoup de gens, musulmans ou non, me confient qu’ils étouffent en France, car l’État nie le religieux et la spiritualité. Qu’elle soit islamique, chrétienne, juive ou autre, la spiritualité est à même de dépasser le champ horizontal du conflit. Elle apporte de la sagesse et du recul face aux évènements. Il faut bien sûr faire des lois antiterroristes. Mais il faut avant tout nourrir l’âme humaine, lui donner un sens.

Propos recueillis par Matthieu Stricot – publié le 16/01/2015

Pour en savoir plus : http://www.lemondedesreligions.fr

Islam is love

« Islam is love » : 8 reportages pour comprendre l’islam

 

8 vidéos pour montrer la complexité du monde musulman et de mettre en avant les aspects peu médiatisés (et pacifiques !) de l’islam.

 

[Replay 28′] La Tribune publie chaque jour des extraits issus de l’émission « 28 minutes », diffusée sur Arte. Aujourd’hui, « islam is love » !

 

Novembre 2014. Nous sommes à la rédaction de 28′, en pleine préparation d’une nouvelle émission consacrée à l’État islamique et au chaos qu’il fait régner en Irak et en Syrie. Dans notre recherche d’images pour illustrer l’émission du soir, une vidéo de propagande de Daesh fait tilt. On y voit des pelleteuses, puis des barbus détruire une mosquée. L’image des engins qui s’acharnent sur un dôme ne nous fait pas grand chose. En revanche, en voyant ces hommes pénétrer un lieu sacré et défoncer un autel à coup de pied, de bottes, les bras nous en tombent…

Attendez un peu ! Ces hommes qui prétendent vouloir instaurer un califat musulman, qui donc agissent au nom d’une religion, l’islam, sont en train de détruire une mosquée ?

Mais alors… De quoi parlent-ils ? Quel croyant détruit son lieu de culte ? On a tous déjà entendus parler des iconoclastes qui détruisaient les icônes chrétiennes au Moyen-Âge byzantin, mais l’État islamique, à nos yeux, va plus loin. Il anéantit ce qu’il défend. Et nous, médias, parlons de ces intégristes comme des représentants de l’islam. Il n’en est rien. Ctte question donc : c’est quoi l’islam ? Le vrai islam ?

Nous sommes partis rencontrer des religieux, des artistes, des chercheurs, des journalistes pour qu’ils nous parlent de leur religion (ou pas). Ils nous ont emmenés à Cordoue, en Indonésie, en Algérie, en Iran, à Médine. Ils nous ont parlés de tolérance, de paix, de spiritualité, de poésie, de sexe. Nous voulions qu’ils nous montrent le revers caché de la médaille… Et devinez ! Sur cette face, une inscription : islam is love !

 

Il était une fois Cordoue…

24 septembre 2014. L’assassinat d’Hervé Gourdel par des djihadistes dans les montagnes kabyles réveille chez les Algériens les vieux démons de la « décennie noire ».

17 septembre 2014. Une semaine avant ce meurtre, le ministre des Affaires religieuses algérien, Mohammed Aïssa, avait appelé, dans un grand entretien à « El Watan », à « retrouver une pratique modérée de l’islam ». Nommé le 5 mai 2014, il veut « dépoussiérer [leur] islam ancestral ». Car « chaque fois qu’il y a eu égarement, cela a donné lieu à l’extrémisme », constate-il.

Cet entretien devient dès lors un appel inédit qui résonne dans la société algérienne. Pourtant, Mohammed Aïssa se défend d’avoir un discours nouveau ou de rupture. Au contraire, il en appelle à un islam historique : il veut « réconcilier les Algériens avec l’islam authentique ».

« Nous avons oublié que nous appartenons à une civilisation qui a jailli de Cordoue (…). L’Algérie avait accueilli ceux qui ont été harcelés par l’inquisition en Espagne et qui sont venus avec leurs arts, leur savoir-faire, leur réflexion et leur philosophie. C’est ça l’Algérie qui a été contrainte à oublier ses jalons et ses repères. Comment faire en sorte de renouer avec l’islam de Cordoue ? » continue-t-il.

« L’islam de Cordoue ». L’expression a retenu notre attention.

La civilisation dont il parle est celle qui a émané du califat de Cordoue, en Andalousie. Fondé en 929, le califat connaît son apogée vers les années 960 avant de s’effondrer en 1031. Quelques décennies qui restent une période historique à part. Une période où, dans le sud de l’Espagne actuelle, cohabitent pacifiquement musulmans, chrétiens et juifs dans un saisissant foisonnement intellectuel, culturel et artistique. C’est l’époque du philosophe musulman Averroès et du philosophe juif Maïmonide… Cette civilisation, c’est au sein d’un califat qu’elle s’est épanouie.

C’est donc à l’islam de cette époque que Mohammed Aïssa veut que l’Algérie revienne…

Mais qu’est-ce que c’est que cet islam ? Un islam modéré et tolérant ? Une parenthèse close dans l’histoire des musulmans ? Un mythe ? Un idéal ? Une réalité ?

Pour en savoir plus, nous avons posé la question au journaliste et écrivain algérien Kamel Daoud, au calligraphe Hafid El Mehdaoui, au cheikh Bentounès et à l’artiste plasticien Rachid Koraïchi.

 

 

 

Femmes : deuxième sexe, premier islam

Il y a quelques semaines, nous avons reçu sur le plateau Mehran Tamadon, réalisateur téméraire qui s’est entretenu tout un week-end avec des mollahs iraniens. Sur la question du rapport homme-femme, leur point de vue est flippant : « l’homme est faible et la femme un virus. » Merci messieurs. Cette fois encore, nous nous sommes demandés si le revers de la médaille islamique ne pourrait pas nous apporter quelques surprises, du moins un peu de mesure… Pourquoi le monde masculin musulman a-t-il peur du deuxième sexe ?

Éléments de réponse avec Amira Yahyaoui, blogueuse tunisienne, Chahla Chafiq, sociologue iranienne, Elisabeth Inandiak, journaliste installée en Indonésie et le Cheikh Bentounès.

 

 

Le calligraphe

Hafid El Mehdaoui a quitté l’Algérie avec sa famille en 1994 alors que la « décennie noire » faisait rage. Jeune adolescent, il rejette l’islam qu’il avait connu alors : un islam violent et radical.

Parallèlement, Hafid maintient en vie les liens avec sa culture d’origine par la calligraphie. Enfant, elle ornait les murs de sa maison. Peu à peu, il s’y est intéressé, s’y est essayé. Et il y a découvert la spiritualité musulmane : un message pacifique et prônant l’amour.

Son parcours et son art nous ont intéressé.

 

L’Indonésie diverse mais unie

« Moi Jokowi, appartient à l’islam rahmatan lil alamin, l’islam porteur de paix et non de haine. »

Saviez-vous que Barack Obama avait un frère caché en Indonésie ? Air de ressemblance et air de changement qui flotte sur l’Indonésie depuis l’élection de Joko Widodo, le 22 juillet 2014.

« Je n’appartiens pas à cet islam arrogant qui dégaine son épée de ses mains et de sa bouche ».

Qu’on se le dise : l’islam n’est pas incompatible avec la démocratie ! Et c’est le plus grand pays musulman du monde qui nous le montre. Elisabeth D. Inandiak et Le cheikh Bentounès nous y emmènent.

 

 

Le monde des soufis

Une fois nos recherches lancées, un mot a vite émergé : « Soufisme ». Difficile de mêler amour et islam sans parler de soufisme.

Pas facile non plus de définir ce qu’est le soufisme. Ce serait à la fois « le coeur de l’islam », son essence, une « pratique spirituelle intérieure » et en même temps une philosophie bien plus ancienne, une lumière qui nous viendrait de la nuit des temps…

Pour résumer, un islam transmis de génération en génération depuis Mahomet jusqu’à nous, grâce à des confréries et à leurs guides, les cheikhs. Ou des cheikha d’ailleurs ! Une des plus importantes confréries soufies de Turquie (où la culture soufie est très présente) est dirigée depuis des années par une femme, la cheikha Nur.

Le soufi centre sa vie autour d’une pratique intérieure de l’islam et de la recherche de la vérité. Une vérité propre à chacun et universelle en même temps… Bref, le soufi respire.

 

 

L’islam en vers

Nous vous proposons une interlude poétique avant de retourner dans le vif du sujet.

Laissez-vous porter par la voix d’Abd Al Malik qui rappe l’amour, puis découvrez quelques vers du grand poète soufi Rumi, lu par Rachid Koraïchi. Poète d’aujourd’hui et poète historique pour des paroles intemporelles.

 

 

C’est quoi le djihad ?

Abd Al Malik et le cheikh Bentounès nous proposent leur définition du djihad… Et pas besoin d’aller en Syrie.

 

 

 

Let’s talk about sex !

Et le sexe dans tout ça ? Alors que le prêtre doit montrer son amour pour Dieu par sa chasteté, l’imam peut, quant à lui, profiter pleinement de sa vie sexuelle.

Malek Chebel, anthropologue des religions, a beaucoup travaillé sur l’érotisme dans l’islam et dans le monde arabe. « L’islam est la religion de toutes les gourmandises », nous a-t-il dit. Première nouvelle ! Forcément, on a voulu en savoir plus….

 

Pour en savoir plus : http://www.latribune.fr

Une vague d’athéisme dans le monde arabe

Le “califat islamique” a délié les langues. Les critiques ne visent plus seulement les mauvaises interprétations de la religion, mais la religion elle-même.

Athees
Dessin de Ballaman paru dans La Liberté (Fribourg).

 

Dans le monde arabe, on pouvait certes critiquer les personnes chargées de la religion, mais critiquer la religion musulmane elle-même pouvait coûter la vie à celui qui s’y risquait, ou du moins le jeter en prison. Le mot d’ordre “l’islam est la solution” a été scandé durant toute l’ère moderne comme une réponse toute faite à toutes les questions en suspens et à tous les problèmes complexes du monde musulman.

Mais la création de l’Etat islamique par Daech et la nomination d’un“calife ayant autorité sur tous les musulmans” soulèvent de nombreuses questions. Elles mettent en doute le texte lui-même [les fondements de la religion] et pas seulement son interprétation, l’idée même d’une solution religieuse aux problèmes du monde musulman. Car, au-delà de l’aspect terroriste du mouvement Daech, sa proclamation du califat ne peut être considérée que comme la concrétisation des revendications de tous les partis et groupes islamistes, à commencer par [l’Egyptien fondateur des Frères musulmans], Hassan Al-Banna, au début du XXe siècle. Au cours de ces trois dernières années, il y a eu autant de violences confessionnelles en Syrie, en Irak et en Egypte qu’au cours des cent années précédentes dans tout le Moyen-Orient.

Cela provoque un désenchantement chez les jeunes Arabes, non seulement vis-à-vis des mouvements islamistes, mais aussi vis-à-vis de tout l’héritage religieux. Ainsi, en réaction au radicalisme religieux, une vague d’athéisme se propage désormais dans la région. L’affirmation selon laquelle “l’islam est la solution” commence à apparaître de plus en plus clairement comme une illusion. Cela ouvre le débat et permet de tirer les leçons des erreurs commises ces dernières années.

Peu à peu, les intellectuels du monde musulman s’affranchissent des phrases implicites, cessent de tourner autour du pot et de masquer leurs propos par la rhétorique propre à la langue arabe qu’avaient employée les critiques [musulmans] du XXe siècle, notamment en Egypte : du [romancier] Taha Hussein à [l’universitaire déclaré apostat] Nasr Hamed Abou Zayd.

Car la mise en doute du texte a une longue histoire dans le monde musulman. Elle s’est développée là où dominait un pouvoir religieux et en parallèle là où l’extrémisme s’amplifiait au sein de la société. [L’écrivain arabe des VIIIe-IXe siècles] Al-Jahiz et [l’écrivain persan considéré comme le père de la littérature arabe en prose au VIIIe siècle] Ibn Al-Muqaffa avaient déjà exprimé des critiques implicites de la religion. C’est sur leur héritage que s’appuie la désacralisation actuelle des concepts religieux et des figures historiques, relayée par les réseaux sociaux, lieu de liberté pour s’exprimer et débattre.

Le bouillonnement actuel du monde arabe est à comparer à celui de la Révolution française. Celle-ci avait commencé par le rejet du statu quo. Au départ, elle était dirigée contre Marie-Antoinette et, à la fin, elle aboutit à la chute des instances religieuses et à la proclamation de la république. Ce à quoi nous assistons dans le monde musulman est un mouvement de fond pour changer de cadre intellectuel, et pas simplement de président. Et pour cela des années de lutte seront nécessaires.

—Omar Youssef Suleiman
Publié le 3 octobre 2014 dans Aseef22 (extraits) Beyrouth

 

Pour en savoir plus : http://www.courrierinternational.com