La laïcité, notion biaisée par les politiques

On la voit dans les côtelettes de porc servies à la cantine. On va la chercher dans les cheveux des puéricultrices de crèches et des étudiantes de fac. «La laïcité est récemment devenue la quatrième valeur de la devise républicaine française», note Valentine Zuber, historienne. Problème : alors que, depuis les attentats de janvier, les dirigeants politiques, à droite bien sûr mais aussi à gauche, ont convoqué la laïcité pour sceller l’union nationale, personne ne s’entend en réalité sur ce qu’elle signifie. Ce mot devenu parapluie, mécompris, distordu, et parfois instrumentalisé, abrite désormais des versions opposées. Laïcité libérale ou extensive ? Pour les partisans de la première, l’Etat doit être neutre et se borner à organiser la coexistence des convictions de chacun. Pour les seconds, les citoyens doivent aussi accepter de devenir un peu plus neutres dans l’espace public. Les premiers mettent au-dessus la libre expression individuelle et donc des croyances ; les seconds privilégient une cohésion nationale qui nécessiterait de lisser les différences culturelles ou cultuelles.

Qu’en disent les universitaires qui travaillent, précisément, sur la laïcité ? Que nous apprennent-ils sur ce mot polyphonique ? Premier constat : dans le milieu universitaire, l’obsession du voile et des menus à la cantine, brandie par Nicolas Sarkozy pendant la campagne des départementales, et plus largement le besoin de refonder la laïcité dans un sens plus restrictif, font bondir une majorité de chercheurs. Ceux-là dénoncent un dangereux dévoiement du concept par la classe politique. «Ces discriminations légales [envers les femmes voilées, ndlr] sont en train de construire un régime juridique d’exception, qui bafoue le droit à l’éducation et le droit au travail», écrivaient ainsi Marielle Debos, Abdellali Hajjat, Stéphanie Hennette Vauchez dans Libération (édition du 11 mars).

«Demande sociale». Dans les années 70, à l’université, la laïcité n’est même pas un sujet de débat ou de recherche. Ou alors historique. «A la fac de droit, on nous enseignait bien quelques arrêts anciens, mais pour tous, les choses étaient claires, simples, tranchées», raconte Patrice Rolland, juriste. C’est un fait divers qui va rendre le mot explosif. En septembre 1989, trois gamines d’un collège de Creil (Oise) veulent garder leur voile en cours. Le proviseur s’y oppose. L’histoire de Fatima, Leïla et Samira devient affaire d’Etat. Le ministre de l’Education, Lionel Jospin, estime que la scolarité des jeunes filles doit primer, que l’école ne peut les exclure. En novembre, Elisabeth Badinter, Régis Debray, Alain Finkielkraut, Elisabeth de Fontenay et Catherine Kintzler lui répondent vertement dans le Nouvel Obs : «Monsieur le ministre, l’avenir dira si l’année du Bicentenaire aura vu le Munich de l’école républicaine.» La recherche universitaire se saisit alors de la laïcité. Son approche en est entièrement renouvelée.

«Avec Creil, l’Etat s’est rendu compte que la religion devenait plus visible dans l’espace public. Il existait une demande sociale et il fallait l’étudier avec recul», témoigne Valentine Zuber (1). Une chaire d’histoire et de sociologie de la laïcité est fondée en 1991 à l’Ecole pratique des hautes études. Puis un laboratoire, le «Groupe sociétés, religions, laïcités», cofinancé par le CNRS et l’EPHE. A leur tête, alors, Jean Baubérot, figure tutélaire de la sociologie de la laïcité. Protestant, ce dernier est, avec le catholique Emile Poulat, décédé en novembre, le père fondateur d’une lecture souple de la loi de 1905. Une pensée que résume Philippe Portier, le remplaçant de Baubérot à la tête du labo : «La laïcité est une forme de reconnaissance du religieux. Elle garantit la liberté de chacun d’exprimer sa foi tant qu’il ne bouleverse pas l’ordre public.» Aujourd’hui, une cinquantaine de sociologues, historiens, juristes ou philosophes travaillent dans le labo, qu’ils soient athées pur jus ou marqués par une culture religieuse. «Ces problématiques ont vite connu un très grand succès», raconte Valentine Zuber, elle-même chercheuse au sein du GSRL.

Sphère privée. A côté de la libérale «école Baubérot», un courant de chercheurs retraçant une analyse postcoloniale de la société s’oppose, à partir des années 2000, lui aussi radicalement à une laïcité restrictive et militante. Ceux-là dénoncent l’islamophobie sous couvert de la loi, la domination de la majorité sur certains groupes ethnoraciaux. «Depuis plus de dix ans, le voile est une question qui n’a fait qu’instrumentaliser à moindres frais les droits des femmes au profit de politiques racistes aux relents paternalistes et colonialistes», écrivaient ainsi des enseignants-chercheurs (dont Nacira Guénif-Souilamas, Marwan Mohammed et Eric Fassin) dans une autre pétition publiée dans Libération le 8 mars, signée depuis par 1 800 universitaires.

Si aujourd’hui la majorité de chercheurs est favorable à cette laïcité «ouverte», le relatif consensus ne doit pas faire oublier l’existence de voix divergentes, d’autres regards. Des philosophes, surtout, cherchent à refonder le concept de laïcité. Comme Catherine Kintzler (2) ou Henri Pena-Ruiz. «Il faut ranimer cette laïcité qui a été offerte en cadeau au Front national, estime la philosophe. La république distingue des espaces privés et publics, organise des respirations, c’est en cela qu’elle est le contraire de l’intégrisme. L’élève aussi a droit à une double vie, hors du regard de ses parents. L’école n’a pas à refléter la société.» Dans cette optique, les particularismes doivent être relégués dans la sphère privée, au nom d’un principe supérieur : le vivre ensemble. Portée par des essayistes et des intellectuels médiatiques, soutenue par «la forteresse enseignante», selon Philippe Portier, la voix de cette laïcité de combat porte davantage dans le débat public.

Catherine Kintzler est philosophe. Ancienne professeure de lycée, aussi. Lors de l’affaire du voile de Creil, c’est elle qui avait cosigné la tribune du «Münich scolaire». Le mois dernier, elle a failli s’étrangler en écoutant François Hollande qui, après les attentats de Charlie Hebdo et de l’Hyper Cacher, tentait de fixer un cap à sa laïcité. «Contrairement à ce que dit le président Hollande, qui cite la loi de 1905 à l’envers, la république ne reconnaît pas tous les cultes, elle n’en reconnaît aucun !» reprend-elle. La laïcité est ici un idéal républicain. C’est aussi ce qu’affirmait l’éditorial de Charlie Hebdo des «survivants». En une, le prophète pardonnait tout. A l’intérieur, l’éditorial disait «pas la laïcité positive, pas la laïcité inclusive, pas la laïcité je ne sais quoi, la laïcité point final». «L’article prônait « une laïcité sans qualificatif », commente l’historienne Florence Rochefort (3). Je comprends le mot d’ordre. Mais les chercheurs ne peuvent pas souscrire à cette approche. Il y a sans doute une envie de laïcité dans la société civile aujourd’hui. Mais elle ne peut pas être un catéchisme. Ce que les sciences sociales révèlent, c’est que la laïcité est toujours le résultat d’un rapport de force.» «Le risque, renchérit Philippe Portier, c’est que les pratiques concrètes ne soient analysées que comme des écarts à ce modèle idéal.»

«Livre de tout le monde». Depuis les années 2000, dans les travaux de recherche, la laïcité est croisée avec d’autres thématiques, comme le féminisme, les migrants, les nouveaux courants religieux, la médecine ou la mort… Au sein du GSRL, Florence Rochefort interroge la laïcisation par le prisme du genre. Elle a notamment montré que les militants laïcs de la IIIe République ont finalement trouvé un terrain d’entente avec l’Eglise en sacrifiant les femmes et leur droit de vote. La laïcité n’a pas toujours été le combat féministe que prétendent les pourfendeurs du voile d’aujourd’hui. «Depuis 1900, le pacte laïc s’est chaque fois construit sur des exclusions : les femmes, les homosexuels… Il faudrait éviter que le pacte de réconciliation nationale qu’on voit poindre aujourd’hui se fasse contre les jeunes femmes musulmanes», prévient l’historienne.

Les sciences sociales ont désacralisé la laïcité. Les comparaisons internationales l’ont sortie de son splendide isolement français. «Il existe des laïcités multiples, qui renvoient chacune à différentes manières d’accommoder les relations entre la religion et la politique», précise Philippe Portier. A tel point que des chercheurs étudient aujourd’hui la «laïcité états-unienne». Laïc, ce pays qui fait prêter serment à ses présidents la main sur la bible ? «La République française a fondé son identité sur l’absence de dieu, explique Valentine Zuber. Le contrat politique anglo-saxon se fonde, lui, sur une transcendance : les députés américains jurent sur un livre fermé, le Livre de tout le monde. Un député américain musulman a ainsi prêté serment sur le Coran.» Pour cet Etat beaucoup plus religieux que l’Etat français, le pilier de la laïcité n’est pas la neutralité, mais la séparation entre l’Etat et les cultes – là-bas bien plus étanche qu’ici.

«Pas comprise». Le jour où nous avons interviewé Florence Rochefort, elle allait être auditionnée par les sénateurs. «Je dois dire qu’il est difficile pour nous, chercheurs, de parvenir à faire entendre les nuances que peut revêtir le voile pour une jeune fille, quand les hommes politiques et une partie des féministes ont décidé que le foulard ne pouvait avoir qu’une seule signification : l’oppression», confiait-elle. Puis nous avons échangé avec une de ses collègues, qui venait d’être entendue par les mêmes sénateurs : «J’ai dû mal m’exprimer, ils ne m’ont pas comprise.»

Les chercheurs se plaignent de n’être pas entendus. «Le 11 septembre 2001, puis l’arrivée du FN au deuxième tour de la présidentielle de 2002 ont marqué un basculement : le discours des sciences sociales a été disqualifié», note le politologue Abdellali Hajjat, qui travaille sur ce qu’il nomme «la construction du problème musulman» en France. «Experts, essayistes ou politiques nous ont dit : « Vous n’avez pas réussi à repenser la société. Vous êtes des idéalistes, vous ne faites pas face à la réalité. »»Les élus locaux disent ne pas retrouver dans les travaux universitaires ce qu’ils voient aujourd’hui dans leur circonscription. «Il y a tout de même une montée de la religiosité. Mais ça, qui en parle parmi ces universitaires de gauche ?» s’agace un intellectuel, ancien membre de la commission Stasi. Réuni en 2003, ce groupe de réflexion devait plancher sur l’opportunité d’une loi interdisant le voile à l’école (qui sera votée un an plus tard). La commission s’étonnait déjà du manque d’études scientifiques quantifiant la présence réelle de voiles à l’école.

Des signes épars laissent pourtant espérer un dialogue plus fructueux entre élus et chercheurs. La revue socialiste vient de consacrer son numéro de mars à la laïcité – les partisans d’une option libérale et ouverte y sont largement représentés. L’Observatoire de la laïcité, relancé par François Hollande pour pacifier les débats sur l’expression religieuse dans l’espace publique, a donné aux chercheurs l’impression d’être enfin entendus. Leur message est simple, à l’image de celui de Florence Rochefort : «La laïcité n’a pas réponse à tout.»

Sonya FAURE

Pour en savoir plus : http://www.liberation.fr

(1) «Le Culte des droits de l’homme: une religion républicaine française», éd. Gallimard.

(2) «Penser la laïcité», de Catherine Kintzler, éd. Minerve.

(3) «Normes religieuses et genre: mutation, résistance et reconfiguration XIX-XXI», éd. Armand Collin.

A lire également «La Possibilité du cosmopolitisme», de Constantin Languille, éd. Gallimard.

Les français et l’assiette

Pierre Birnbaum est historien et sociologue. Professeur émérite à l’université Paris I-Panthéon-Sorbonne, il a publié La République et le cochon (Seuil, 2013). Dans cet ouvrage, il montre combien la question des particularismes alimentaires a suscité des débats passionnés dès avant la naissance de la République française, et analyse de quelle manière l’État, si attaché au principe de laïcité, a envisagé l’exception alimentaire, de la Révolution à nos jours. Une analyse bienvenue, à l’heure où cette question suscite des débats enflammés au niveau politique.

 

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Depuis plusieurs mois, on note dans la vie politique française une crispation sur la question du casher, et surtout du halal. Ce débat est-il spécifique à notre époque ?

Non. Dans mon livre, j’étudie le rapport entre l’universalisme des Lumières au XVIIIe siècle et la spécificité des comportements alimentaires. Ce thème surgit chez celui qui symbolise le plus l’esprit des Lumières : Voltaire. Il se montre hostile à toute forme de séparation interne à la nation – sans qu’il y ait nécessairement une dimension antisémite dans ses propos. La même question rejaillit aujourd’hui : jusqu’où peut-on tolérer l’exceptionnalisme dans notre société ? Avec une crainte sous-jacente : que cela porte atteinte au socle républicain.

Ces polémiques ont-elles affecté les autres pays européens ?

Alors que les philosophes français et les Jacobins ont développé l’idée d’un corps unifié de la nation – homogénéisé par la raison –, les Lumières à l’anglaise se sont ouvertes au pluralisme et au libéralisme. Un événement illustre à merveille cette ouverture des pays anglo-saxons. Le 4 juillet 1788 – jour de la fête de l’Indépendance des États-Unis –, une grande parade a lieu à Philadelphie. La fête s’achève par un immense banquet réunissant des milliers de citoyens. Parmi eux, des rabbins mangent de la nourriture casher, sans que personne ne s’en offusque. Ce qui compte, c’est de participer non à la nation, mais à une « Nation of nations », comme le dit George Washington. Au même moment, en France, les révolutionnaires vont détruire toute forme d’identités collectives : patois, corporations, etc., et rêver d’une table commune à tous les citoyens.

La période de la Révolution affectionne les banquets, propices à l’épanouissement d’un esprit citoyen. Pourquoi ?

Le restaurant est une invention française qui date du XVIIIe siècle. Le député Charles de Villette, proche de Voltaire, se plaît à imaginer un banquet utopique où l’on verrait « un million de personnes assises à la même table (…) ; et ce jour, la nation tiendrait son grand couvert. » C’est le rêve républicain de la réconciliation des différences. Tous ceux qui ne viennent pas manger au banquet de la nation en raison de leurs croyances – même s’ils sont patriotes – posent problème. Dans les pays anglo-saxons, au contraire, la nourriture est une affaire privée. Le repas n’a pas cette dimension collective. S’il est très difficile de savoir avec précision ce qu’on mangeait lors des banquets républicains, le cochon y était partie prenante. De même en ce qui concerne les menus publics des présidents français ou des préfets : aujourd’hui encore, il s’agit bien souvent de mets que des juifs religieux ne peuvent manger.

Des voix se sont-elles élevées contre cette volonté d’uniformisation alimentaire ?

Il faut savoir que les catholiques, bien plus que les juifs, ont souffert de cette intransigeance jacobine. Ceux qui mangeaient du poisson le vendredi risquaient la prison ! Certains catholiques ont donc pris position contre l’universalisme jacobin, en particulier le comte de Clermont-Tonnerre, qui déclara : « Y a-t-il une loi qui m’oblige à manger du lièvre et à en manger avec vous ? » Il milita en faveur de l’émancipation des Juifs, processus qui leur a permis de devenir des citoyens à part entière de la nation française, bénéficiant des mêmes droits que leurs compatriotes. Clermont-Tonnerre s’est opposé à ceux qui considéraient – et ils étaient nombreux – que les Juifs ne pouvaient être émancipés parce qu’ils « ne pourront ni boire ni manger, ni se marier avec des Français ! », comme le clamait le Jacobin Reubell en 1790. L’abbé Grégoire, lui aussi, a défendu l’idée que la fraternité n’était pas incompatible avec le maintien de nourritures distinctes.

En 2012, le Premier ministre François Fillon a qualifié les régimes halal et casher d’« anachroniques ». Or, ils semblent connaître un regain d’intérêt à l’heure actuelle.  Comment l’expliquer ?

C’est toute la question de la légitimité du religieux qui se pose ici. Toute forme de croyance peut être jugée anachronique au siècle où la technologie est reine. Le possible retour de ces pratiques alimentaires témoigne d’un besoin de réenchantement du monde qui ne remet pas nécessairement en cause les valeurs universalistes et la citoyenneté. Cela dit, un tel retour reste difficile à évaluer, car on ne sait pas grand-chose de la réalité de ces pratiques, du moins pour la cacherout, aux siècles antérieurs.

Candidat à la présidentielle, François Hollande déclarait que, lui élu, le halal ne serait jamais toléré dans les cantines. Les spécificités alimentaires sont-elles incompatibles avec une société laïque ?

Je ne le crois pas. Il y a eu une forme de translation du modèle catholique au modèle républicain. La table républicaine, c’est la Cène métamorphosée, la communion républicaine. S’il est nécessaire d’éviter toute forme de communautarisation dans l’espace public, il faudrait que chacun puisse consommer, à la table de la République, une nourriture conforme à ses valeurs. Sous la IIIe et la IVe République, l’école avait su se montrer tolérante et ouverte au pluralisme. Le temps des accomodements raisonnables semble aujourd’hui problématique.

Le cochon apparaît comme l’objet du clivage, comme le montrent les manifestations « saucisson et pinard » organisées depuis quelques années. On a l’impression qu’aux yeux de ceux qui s’élèvent contre la cacherout ou le halal, être français, c’est manger du cochon ?

Ce type de manifestation n’est pas anodin car il reflète le rêve qu’ont certains d’homogénéiser de manière identitaire l’espace public et la citoyenneté. Il y a deux ans, une quarantaine de députés ont commémoré la fête nationale autour d’un apéritif « saucisson-pinard » au sein même de l’Assemblée nationale. Les banquets révolutionnaires s’en prenaient certes aux particularismes, mais c’était au nom de l’universalisme, dans une volonté d’intégration. Ici, on se trouve face à des repas organisés pour exclure l’autre qui n’en est pas moins citoyen.

Propos recueillis par Virginie Larousse – publié le 25/03/2015

Pour en savoir plus : http://www.lemondedesreligions.fr/

 

À l’école, de grandes disparités dans l’enseignement des religions

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Le «fait religieux» est abordé en cours d’histoire-géographie ou de français. Il sera renforcé en 2016 dans les programmes, a promis François Hollande.

À la suite des attentats de Paris, François Hollande a affirmé qu’il porterait «une attention particulière» à l’enseignement du «fait religieux» à l’école. La place de cet enseignement qui s’affiche «laïc» devra être renforcée en 2016 dans les programmes du primaire et du collège. L’Observatoire de la laïcité recommandait, à son tour, quelques jours plus tard, d’étendre «l’enseignement laïc du fait religieux dès l’école primaire».

Depuis les rapports du recteur Philippe Joutard en 1991 et celui du philosophe Régis Debray, qui plaidait en 2002 pour le développement d’un enseignement du «fait religieux», ce dernier, certes, a progressé.

Il est inclus dans les programmes d’histoire-géographie essentiellement, mais aussi de français et d’histoire des arts depuis 2005. Essentiellement au collège mais aussi à l’école primaire. Contrairement à d’autres pays, ce n’est toutefois pas une matière à part.

Dans une France où l’école publique s’est construite sur la séparation de l’Église et de l’État, le sujet reste très sensible. La sénatrice Esther Benbassa en a fait les frais, elle qui proposait au détour d’un rapport, en novembre dernier, un horaire «dédié» pour cet enseignement dès le plus jeune âge. Le Sénat s’est offusqué. La méfiance reste vive du côté de ceux qui craignent le retour de cours de «catéchisme» et une forme de prosélytisme religieux. Et les croyants sont prompts à craindre une déformation de leur religion par l’État laïc.

On peut certes considérer que passer, comme aujourd’hui, par plusieurs disciplines complémentaires pour «contextualiser» les faits religieux est riche de points de vue et de complexité. On peut aussi considérer qu’il s’agit de saupoudrage, d’une façon de noyer le poisson. Mais il est vrai que créer une nouvelle matière est difficile sur un plan administratif et pédagogique…

Surtout tourné vers le passé, l’enseignement des religions est en partie déconnecté de ce que vivent les élèves. S’il est abondamment question, essentiellement dans les programmes d’histoire du collège, de la naissance des grandes traditions religieuses ou des guerres de religions, il n’est quasiment pas fait référence au monde contemporain. «À croire que les religions sont figées dans le passé», critique Isabelle Saint-Martin, la directrice de l’Institut européen en sciences des religions. «Pallier cet éclatement serait positif. Il manque un fil directeur, une cohérence entre les contenus et une visibilité», estime-t-elle. Cette disparité est une «faiblesse si cela conduit à ne voir les faits religieux que du point de vue de l’histoire par exemple et à ne les voir que par la lunette étroite de tel programme qui fait l’impasse sur telle religion ou telle période. Le traitement des faits religieux dans les disciplines montre clairement qu’il est inégal et irrégulier», estime Philippe Gaudin, responsable de formations sur cette question.

Du pain sur la planche

Autant de critiques qui exaspèrent Hubert Tison, secrétaire général de l’Association des professeurs d’histoire-géographie: «Le fait religieux ? Mais c’est très présent dans les programmes! Les professeurs ne cessent d’en parler. Ils notent des devoirs sur la naissance de l’Islam par exemple.» Beaucoup évoquent aussi au détour d’un chapitre historique, la façon dont les religions se pratiquent aujourd’hui. Des visites de lieux de culte sont souvent organisées…

Hubert Tison reconnaît que «dans certaines écoles», «on rencontre des réflexions d’élèves qui demandent pourquoi il faut étudier le christianisme. À l’inverse, d’autres demandent pourquoi il faut étudier l’islam. On a aussi des élèves juifs, ulcérés que l’on puisse parler de la Palestine. Très bien informés, voire déformés, certains cherchent à faire passer leurs idées.»Un professeur d’histoire doit être «très solide en ce qui concerne l’histoire des religions et afficher une attitude honnête et neutre», insiste-t-il.

Les stratégies d’évitement des enseignants sont pourtant une réalité. Pour évacuer de possibles tensions religieuses dans les classes, certains évitent tout sujet portant sur la religion. «J’essaie de me former mais je suis mal à l’aise avec l’islam surtout quand les élèves commencent à citer telle ou telle sourate, indique ainsi une professeur de lettres dans les Hauts-de-Seine, je manque de culture religieuse, y compris concernant le christianisme.»

Conscient du problème, le gouvernement a annoncé qu’un module spécifique serait intégré à la formation initiale dans les écoles supérieures du professorat et de l’éducation (Espé). Du pain sur la planche, car la disparité d’enseignement est aujourd’hui la règle, d’une discipline et d’une région à l’autre.

Marie-Estelle Pech

Pour en savoir plus : http://www.lefigaro.fr

Décès d’Emile Poulat, sociologue du catholicisme et de la laïcité

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L’historien et sociologue Emile Poulat, décoré de la Légion d’honneur, le 9 décembre 2012 lors d’une cérémonie à l’Elysée, à Paris (Photo Bertrand Langlois. AFP)

 

Emile Poulat, figure de la sociologie du fait religieux en France dans la seconde moitié du XXe siècle, spécialiste du catholicisme et de la laïcité, est mort samedi à Paris à l’âge de 94 ans, a annoncé la communauté de Sant’Egidio.

«Avec lui disparaît un illustre savant, une mémoire du XXe siècle et de l’Eglise et un fidèle compagnon de la Communauté de Sant’Egidio», écrit dans un communiqué cette association internationale de laïcs basée à Rome, très engagée dans le dialogue interreligieux.

Né le 13 juin 1920 à Lyon dans une famille très catholique, réfractaire au STO durant la guerre, Emile Poulat a été ordonné prêtre en mars 1945 (BIEN 1945) à Notre-Dame de Paris. Prêtre «au travail» (dans une compagnie d’assurances, un laboratoire d’électrochimie), il partage les positions progressistes des prêtres-ouvriers insoumis à Rome, sur lesquels il écrira plusieurs ouvrages. Rayé de la liste des prêtres du diocèse de Paris en 1954, il quitte le clergé et se marie l’année suivante.

Docteur en théologie en 1950, Emile Poulat a été le cofondateur du premier groupe de sociologie des religions au Centre national de la recherche scientifique (CNRS) dès 1954, huit ans avant de soutenir en Sorbonne sa thèse d’Etat sur la «crise moderniste» dans l’Eglise, l’un des sujets de prédilection de cet historien du catholicisme contemporain.

Son oeuvre, considérable (une trentaine de livres, des centaines d’articles) et qui couvre plus d’un demi-siècle, s’est aussi focalisée sur l’analyse de la loi de 1905 de séparation des Eglises et de l’Etat, socle de la laïcité à la française dont il a été un défenseur infatigable, louant son équilibre.

Longtemps directeur de recherche au CNRS (1968-1987) et directeur d’études à l’Ecole des hautes études en sciences sociales (EHESS, 1978-2007), Emile Poulat était officier de la Légion d’honneur, dont le président François Hollande lui a remis les insignes le 9 décembre 2012, jour anniversaire de la loi de 1905. Le chef de l’Etat a salué dimanche matin dans un communiqué «un esprit libre» et «un infatigable défenseur des valeurs de la République».

«Proche de la communauté de Sant’Egidio et de son fondateur Andrea Riccardi depuis les années 1970, Emile Poulat était, avec son épouse Odile, un fidèle participant aux rencontres annuelles de prières et de dialogue pour la paix organisées depuis 1986 dans l’Esprit d’Assise», rappelle pour sa part cette association.

«Intellectuel aussi libre que rigoureux, érudit et homme de foi, Emile Poulat a montré par toute sa vie l’exemple d’un art de l’amitié, du dialogue avec tous et de la paix», ajoute la communauté.

Pour en savoir plus : http://www.liberation.fr

 

Banlieues : les entreprises mieux soutenues… et les villes ?

Ces dernières années, les annonces se multiplient concernant le soutien financier au monde de l’entreprise dans les banlieues. Un fonds nouveau a été lancé le 9 octobre en présence du ministre de la Ville Patrick Kanner. Si cette aide est bienvenue, elle est loin d’être suffisante pour résorber la crise dans les banlieues françaises.

Le lancement officiel d’un fonds d’investissement à destination de entrepreneurs de banlieues s’est déroulée jeudi 9 octobre en présence du ministre de la Ville, Patrick Kanner, et de la secrétaire d’État à la Politique de la ville, Myriam El Khomry. Impact Partenaires, la société de gestion qui gère ce fonds, a levé 40 millions d’euros auprès d’acteurs institutionnels (BPI France, Axa, BNP Paribas) et de grands patrons comme Claude Bébéar ou encore Eric de Rothschild.

15 millions d’euros avaient déjà été collectés par le passé, portant le montant total de ce fonds à 55 millions d’euros. A l’AFP, Mathieu Cornieti, le président d’Impact Partenaires, explique qu’il s’agit de « la plus grande levée en Europe continentale pour un fonds à vocation sociale ».

Cette somme sera déployée sur cinq ans. L’objectif est clair : créer des emplois locaux en soutenant financièrement des entreprises à visée sociale. Entreprises de propreté, de recyclage, de prêt-à-porter… les domaines d’activités des entreprises sont diverses mais elles ont en commun d’agir « en termes d’emplois dans les zones urbaines défavorisées, d’insertion, de handicap et d’apprentissage ».


Le Qatar aux abonnés absents

« Cette levée de fonds est un signal fort. Elle consacre l’idée qu’il y a beaucoup de potentiel, de dynamisme et de créativité dans ces quartiers. Et pour ces entrepreneurs, c’est une forme de reconnaissance de voir de grandes entreprises investir à leurs côtés », a salué Myriam El Khomri.

En avril 2013, François Hollande avait affiché sa volonté d’agir en ce sens. Il avait alors annoncé le lancement, par le biais de la Banque publique d’investissement (BPI), d’un financement entièrement consacré à la création de nouvelles entreprises dans les quartiers défavorisés. Aujourd’hui, difficile de connaître l’avancée de ce projet. Dans la même veine, le Qatar avait annoncé verser 50 millions d’euros à destination des porteurs de projets d’entreprises dans les banlieues. Mais cette aide n’est toujours pas arrivée.

Le fonds Impact Partenaires mise, pour sa part, sur des entreprises bien implantées et ne le cache pas. Le retour sur investissement attendu est de 8 % par an.


100 millions d’euros réclamés pour les villes les plus pauvres

Le soutien financier de ces investisseurs est, dans un contexte de crise, attendu pour la croissance de ces entreprises. Mais ce fonds est loin de tout résoudre. Des aides publiques sont encore des plus nécessaires pour faire face à une crise ravageuse dans les quartiers populaires.

Les élus de l’association Ville et Banlieues regroupant des maires de villes populaires réclament ainsi 100 millions d’euros supplémentaires à l’État pour les communes les plus en difficultés concernées par la politique de la ville. Ils jugent trop insuffisante la hausse de la dotation de solidarité urbaine (DSU) qui ne permettra pas, à leurs yeux, de compenser la baisse des dotations générales aux collectivités prévues dans le projet de loi de finances 2015.

« Ils redoutent que ce manque annuel de 1,4 milliard d’euros concernant les communes durant trois ans (prévision effectuée selon la répartition de 2014) ne contraigne durablement leur contexte financier, engendrant de graves répercussions en terme d’investissement public et de maintien des services publics. », écrivent-ils dans un communiqué le 9 octobre.

Une nouvelle carte de la politique de la ville a été redessinée en juin dernier : l’Etat avait alors fait le choix de concentrer son aide à 1 300 quartiers les plus pauvres de France contre 2 500 par le passé. Cette géographie ne prendra effet qu’au 1er janvier 2015.

Après 30 ans de politique de la ville, le chemin est encore long pour résorber les inégalités territoriales.

Pour en savoir plus : http://www.saphirnews.com

Des personnalités musulmanes proposent à François Hollande de « tirer l’islam vers le haut »

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2/10/14 – 15 H 14

Une vingtaine de représentants de la société civile – avocats, médecins, politiques, journalistes – de confession musulmane ont signé la semaine dernière une tribune intitulée : « Nous aussi sommes de « sales Français » » condamnant les crimes de l’État islamique.

Mercredi 1er octobre, ils ont longuement rencontré le président de la République François Hollande à qui ils ont soumis leurs propositions pour « tirer l’islam vers le haut ».

« Nous sommes allés lui dire d’abord que, pour nous, ce qui se passe en ce moment est l’horreur absolue », rapporte Bariza Khiari, sénatrice socialiste de Paris, selon qui cette prise de position était « attendue » et « a été entendue ».

« Nous refusons cette polémique stérile qui oppose ceux qui s’expriment – accusés de duplicité – et ceux qui refusent de s’associer aux manifestations », poursuit-elle. « Au fond, nous sommes tous d’accord pour condamner ces crimes, seul le mode d’expression nous distingue ».

ISLAM SPIRITUEL, LIBRE ET RESPONSABLE

Madjid Si Hocine, médecin et militant associatif, Saad Khiari, cinéaste, Ghaleb Bencheikh, président de la Conférence mondiale des religions pour la paix, Said Branine, rédacteur en chef d’Oumma.com, ou encore Faycal Megherbi et Kamel Maouche, avocats au barreau de Paris, sont également venus dire au président de la République que « l’islam n’est pas celui qu’on perçoit dans les médias à travers ces gamins ghettoïsés ».

« C’est aussi nous, tenants d’un islam spirituel, libre et responsable », rappelle la sénatrice qui se décrit comme « farouchement laïque et sereinement musulmane ».

Parmi leurs propositions figure la création d’une chaire sur l’islam au Collège de France pour « intellectualiser, organiser le débat, la confrontation d’idées ». « La France devrait être le Harvard de l’islam », estime Bariza Khiari, convaincue que « l’islam d’Europe, parce qu’il se confronte à d’autres, peut apporter beaucoup au monde musulman ».

JOURNÉE MONDIALE DU VIVRE-ENSEMBLE

Sur une idée des Scouts musulmans de France, le petit groupe a également réclamé à François Hollande « l’aide de l’État » pour porter auprès des Nations unies une « journée mondiale du vivre-ensemble », ou de « la fraternité ». « La liberté, en France, on n’a pas de problème, l’égalité on essaye. En revanche, la fraternité personne n’en parle », déplore sa porte-parole.

Enfin, une dernière proposition a été retenue par le président de la République, qui a promis de « l’étudier », celle de constituer « un annuaire des talents issus de la diversité » à l’intention des médias, qui renvoient trop souvent une image « caricaturale, déformante » de la communauté musulmane. Le petit groupe avait même proposé à François Hollande de « réunir les grands patrons de presse » pour discuter de la manière dont ils traitent de l’islam dans leurs colonnes.

« Je pense que le président, que je connais depuis de longues années, est conscient des fractures béantes de la société. Il nous a accordé une heure d’écoute totale, suivie d’une heure d’un petit débat », se réjouit la sénatrice de Paris.

Anne-Bénédicte Hoffner

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