Ramadan sous la canicule : quand jeûner devient un péché

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Le mois du Ramadan est finit depuis jeudi dernier, mais la canicule de cette année 2015 a été d’une rare intensité. Dans ces conditions, quelle attitude doivent adopter les musulmans qui jeûnent pour ne pas subir les fâcheuses conséquences d’un coup de chaud sur leur santé ?

Alerte canicule. Météo France a placé depuis mardi 30 juin près de 50 départements de France en vigilance orange en raison d’un « épisode caniculaire précoce et durable ». L’épisode de l’été 2003 reste gravé dans les mémoires. La canicule avait alors fait 15 000 morts, les autorités sanitaires ayant sous-estimé à l’époque l’impact de la chaleur sur les populations fragiles.

Les pouvoirs publics se disent aujourd’hui mobilisées pour parer à cette situation, « appelée à durer et à s’étendre à de nouvelles régions du Nord et de l’Est du pays » selon le ministère de la Santé. Des conseils pratiques sont également diffusés à grande échelle pour faire face à la chaleur.*

Jeûner malgré tout ?

Particularité cette année, l’épisode caniculaire intervient en plein mois du Ramadan. La France n’est pas la seule à le subir. Plusieurs pays du monde musulman font face à une exceptionnelle chaleur, comme au Pakistan où les autorités dénombrent plus de 1 300 morts en une semaine.

Lors de cette période de 29 ou 30 jours consécutifs, les musulmans se soumettant à ce pilier n’ont pas la possibilité de manger et surtout de boire de l’aube jusqu’au coucher du soleil. Chacun y va de son astuce pour tenir bon : s’asperger d’eau fraîche – la douche n’étant pas interdite pendant Ramadan ! –, se rincer la bouche, rester au frais ou encore éviter de sortir pendant les fortes périodes de chaleur.

Mais lorsque la difficulté est telle que la santé peut ne plus suivre, faut-il se forcer à jeûner ? La réponse est évidemment non, de l’avis des principales écoles juridiques de l’islam. La vie est sacrée et c’est autour de ce principe fondamental que la religion musulmane est aussi bâtie, bien que des usurpateurs aient décidé d’en dévoyer les enseignements pour justifier le terrorisme.

Mehdi, 29 ans, témoigne : « J’ai souvent mal aux reins mais je me suis forcé à faire Ramadan au début. Comme tout le monde, avec tout le monde… ». Non sans conséquences, aggravées par la hausse de températures observée depuis plusieurs jours : certaines fois, « je n’arrive presque plus à bouger. » Sous les conseils avisés de son entourage, il est désormais convaincu que la meilleure chose à faire pour sa santé est d’arrêter le jeûne le temps qu’il faudra. « Même quand j’ai l’impression que ça va mieux. Je dois boire », dit-il.

La dérogation a ses règles

Car se forcer à jeûner malgré les risques encourus n’est pas recommandé, voire interdit dans certains cas, et revient en effet, selon la tradition islamique, à dénigrer une faveur de Dieu envers les Hommes. « Dieu veut pour vous la facilité, Il ne veut pas pour vous la difficulté », lit-on à la sourate « La Vache » (verset 185). Ainsi, toute personne se sentant en incapacité de jeûner par crainte pour sa santé sont dispensées de jeûne. Nul besoin d’une énième fatwa : la dérogation est déjà possible pour elles, quel que soit l’âge, au même titre que les malades, les personnes très âgées, les femmes enceintes ou encore les voyageurs.

En revanche, ils sont tenus de rattraper les jours non jeûnés dans l’année « par un nombre égal d’autres jours » (verset 184 de la sourate « La Vache ») dès lors qu’ils sont en capacité de le faire ou bien, le cas échéant, de compenser ces jours par des dons en nature ou en argent afin de nourrir des nécessiteux. Etre dispensé de jeûne ne signifie pas forcement avoir raté son Ramadan : autant faire usage de la dérogation lorsque celle-ci est justifiée !

 

Les conseils à adopter par tous, mais surtout par les personnes fragiles les plus à risques, diffusés par le ministère de la Santé afin de lutter au mieux contre les conséquences de la chaleur :
• Buvez régulièrement de l’eau sans attendre d’avoir soif ;
• Rafraîchissez-vous et mouillez-vous le corps (au moins le visage et les avants bras plusieurs fois par jour) ;
• Mangez en quantité suffisante et ne buvez pas d’alcool ;
• Évitez de sortir aux heures les plus chaudes et passez plusieurs heures par jour dans un lieu frais (cinéma, bibliothèque municipale, supermarché, musée…) ;
• Evitez les efforts physiques ;
• Maintenez votre logement frais (fermez fenêtres et volets la journée, ouvrez-les le soir et la nuit s’il fait plus frais) ;
• Pensez à donner régulièrement de vos nouvelles à vos proches et, dès que nécessaire, osez demander de l’aide ;
• Prévoir le matériel nécessaire pour lutter contre la chaleur : brumisateur, ventilateur….
• Consultez régulièrement le site de Météo France pour vous informer.
Pour en savoir plus : http://www.saphirnews.com

Musulmans : la réalité des discriminations au travail

A CV équivalent, un Français d’origine extra-communautaire a entre deux et trois fois moins de chances d’être convoqué à un entretien d’embauche lorsqu’il est perçu comme musulman plutôt que chrétien. Quels sont les ressorts de cette discrimination ? Comment la combattre, alors que la diversité apparaît bénéfique pour l’entreprise ?
Par Marie-Anne Valfort, membre associé à PSE-Ecole d’économie de Paris et maître de conférences à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne.

 Coexister2

Spécialiste des questions sociales, Marie-Anne Valfort analyse la réalité des discriminations dans l’entreprise, dont sont victimes les musulmans, et leur impact, y compris sur la bonne marche des entreprises.

Quelle est l’origine de vos recherches sur l’intégration des immigrés musulmans dans les sociétés occidentales et notamment en France ?

En 2008, un testing sur CV mené en interne par le groupe Casino a montré que les Français d’origine extra-communautaire (asiatique, africaine, maghrébine) sont systématiquement discriminés par rapport aux Français d’origine française . Cependant, l’intensité de la discrimination qu’ils subissent semble très dépendante de la région dont ils sont issus. Ainsi, des trois origines précitées, c’est l’origine maghrébine qui est la plus discriminée. Ce statut particulier des candidats d’origine maghrébine suggère que ce n’est pas seulement l’origine extra-communautaire qui est source de discrimination de la part des recruteurs. L’appartenance probable à la religion musulmane du Français d’origine maghrébine (le Maghreb étant à forte majorité musulmane) semble constituer un handicap de plus pour lui.

C’est cette hypothèse que j’ai voulu tester avec deux collègues américains, Claire Adida (Université de San Diego) et David Laitin (Université Stanford). Nous avons ainsi lancé en 2009 un programme de recherche financé par la National Science Foundation dont l’objectif était de répondre aux deux questions suivantes: 1  les individus sont-ils plus discriminés lorsqu’ils sont perçus comme musulmans plutôt que chrétiens? 2 si oui, quels sont les ressorts de cette discrimination?

Les musulmans sont-ils discriminés simplement parce qu’ils sont musulmans ?

La réponse est « oui », malheureusement. En 2009, nous avons mené un testing sur CV qui était le premier à tester l’existence d’une discrimination en raison de la religion. Plus précisément, afin de pouvoir attribuer d’éventuelles différences de taux de réponse entre les candidats fictifs de notre testing à leurs seules différences d’affiliation religieuse, nous avons assigné à ces candidats le même pays d’origine (le Sénégal). Notre testing sur CV nous a permis de conclure que l’appartenance supposée à la religion musulmane plutôt qu’à la religion chrétienne est un facteur important de discrimination sur le marché du travail français. Ainsi, à CV équivalent, un Français d’origine extra-communautaire (sénégalaise en l’occurrence) a entre 2 et 3 fois moins de chances d’être convoqué à un entretien d’embauche lorsqu’il est perçu comme musulman plutôt que chrétien.

Quels sont les ressorts de cette discrimination ?

Afin d’identifier ces ressorts, nous avons conduit une enquête auprès de 500 ménages d’origine sénégalaise vivant en France, dotés des mêmes caractéristiques de départ à leur arrivée en France, à l’exception de leur religion (une partie de ces ménages est chrétienne, l’autre est musulmane). Nous avons également organisé des « jeux expérimentaux » durant lesquels des Français sans passé migratoire récent ont interagi avec des immigrés d’origine sénégalaise chrétiens et musulmans. La combinaison de ces données met en lumière un cercle vicieux qui peut se décrire comme suit :

Les musulmans diffèrent par rapport à leurs homologues chrétiens (et a fortiori par rapport aux Français sans passé migratoire récent) en fonction de leurs normes religieuses et de leurs normes de genre : ils attachent plus d’importance à la religion et ont une vision plus traditionnelle des rôles qui incombent aux hommes et aux femmes ;

Ces différences culturelles constituent une source de discrimination de la part des employeurs qui craignent, en recrutant un candidat musulman, d’être confrontés à plus de revendications à caractère religieux mais aussi à plus de conflits entre salariés de sexe différent. Mais ces différences culturelles alimentent également une discrimination moins rationnelle de la part des Français sans passé migratoire récent dans leur ensemble. Ces derniers font en effet l’amalgame entre « attachement plus fort à la religion » et « rejet de la laïcité » et entre « vision plus traditionnelle des rôles qui incombent aux hommes et aux femmes » et « oppression des femmes ». En d’autres termes, ils perçoivent la présence des musulmans comme une menace culturelle susceptible de remettre en cause au moins deux grands principes auxquels ils sont particulièrement attachés : l’indépendance du politique par rapport au religieux et l’égalité hommes-femmes. Cet amalgame amène les Français sans passé migratoire récent à se montrer moins coopératifs à l’égard des personnes qu’ils perçoivent comme musulmanes, y compris lorsqu’ils ne s’attendent à aucune hostilité particulière de la part de ces personnes au moment où ils interagissent avec elles ;

Les musulmans perçoivent plus d’hostilité de la part des Français sans passé migratoire récent que ne le perçoivent leurs homologues chrétiens. Cette perception ne les incite pas à gommer les différences culturelles qui les séparent de leur société d’accueil, et les pousse au contraire à souligner ces différence s: ces différences se creusent d’une génération d’immigrants à l’autre plus qu’elles ne s’estompent ;

Cette tendance au repli des musulmans exacerbe à son tour la discrimination qu’ils subissent en France.

Comment lutter contre les discriminations à l’égard des musulmans sur le marché du travail ?

Il est essentiel que les entreprises forment leur personnel à la non-discrimination. L’objectif de ces formations est double. Elles consistent à expliquer aux participants les biais décisionnels (goût pour l’entre-soi, recours aux stéréotypes…) qui engendrent la discrimination, et à les convaincre de la nécessité de résister à ces biais. Car la lutte contre les discriminations, notamment ethno-religieuses, est bénéfique pour la performance de l’entreprise.

D’abord parce qu’elle permet de réduire son risque juridique. La discrimination à raison de l’origine et de la religion est en effet illégale et sanctionnée, si elle est prouvée, d’amendes élevées. Pour que cette menace de la sanction soit crédible et donc amène les entreprises à limiter leurs comportements discriminatoires, il faudrait instaurer un contrôle accru de leurs pratiques de recrutement. Ainsi, on pourrait imaginer qu’une institution publique telle que le Défenseur des droits se lance dans des opérations de testing à la fois plus fréquentes et plus systématiques. Le discours de Manuel Valls du 6 mars 2015 sur « La République en actes » va d’ailleurs dans ce sens.

La lutte contre les discriminations, bénéfique pour l’entreprise

Par ailleurs, l’engagement dans la lutte contre les discriminations ethno-religieuses permet à l’entreprise de s’afficher comme socialement responsable, un « plus » pour attirer les investisseurs. Mais encore faut-il que l’entreprise puisse mesurer sa diversité ethno-religieuse afin de se fixer des objectifs visant à l’améliorer. Si des progrès ont pu être réalisés au cours des dernières années en termes d’égalité hommes-femmes ou d’intégration des personnes handicapées dans l’entreprise, c’est précisément parce que la proportion de femmes et de personnes handicapées a été mesurée et considérée par certaines entreprises comme un indicateur de performance à part entière.

Il est donc essentiel que l’entreprise puisse collecter, avec le soutien de la Cnil , des données objectives au moins sur la nationalité et le lieu de naissance des salariés et de leurs parents. Ce n’est qu’à cette condition que l’entreprise pourra communiquer sur la représentativité de la composition ethno-religieuse de ses salariés par rapport à la zone d’emploi dans laquelle elle est située (l’information sur l’origine nationale des habitants de la zone d’emploi et de leurs parents est disponible via l’enquête Emploi (INSEE) depuis 2005)… Et qu’elle sera donc incitée à s’engager de manière active dans des politiques visant à améliorer cette représentativité.

La diversité, un levier de performance

Enfin, il est important de rappeler aux entreprises que les rares études qui ont réussi à estimer l’impact de la diversité ethno-religieuse des équipes sur leur productivité ont pour l’instant montré que cet impact est positif. La diversité ethno-religieuse est un levier de performance pour l’entreprise car elle permet la mise en commun d’un ensemble de compétences et d’expériences plus riches. Encore faut-il que l’ensemble des salariés et managers de l’entreprise réservent un bon accueil aux nouvelles recrues issues de la « diversité ». On peut douter que le simple fait de suivre des formations à la non-discrimination suffise à atteindre cet objectif. Pour être efficaces, ces formations devraient être accompagnées de la démonstration, par le top management, de son engagement dans les politiques de promotion de la diversité ethno-religieuse. A ce titre, on ne peut qu’encourager les grandes entreprises à montrer l’exemple en se dotant de comités exécutifs et conseils d’administration plus représentatifs de la diversité ethno-religieuse de notre pays.

Marie-Anne Valfort  | 

Pour en savoir plus : http://www.latribune.fr