Ikéa ou le management de la diversité

IkéaenArabe

PDG de Ikea de 1999 à 2009, Anders Dahlvig a publié en juin un ouvrage où il revient sur son expérience à la tête du leader mondial de l’ameublement. LSA a sélectionné les bonnes feuilles.

LSA – Quel message voulez-vous faire passer avec votre livre ?

Anders Dahlvig – Quand on est PDG, on n’a pas le temps de réfléchir sur son travail. J’ai pensé qu’il serait bien de le prendre aujourd’hui pour tirer des leçons du modèle Ikea. Mais je ne voulais pas d’un énième manuel de management ou d’un recueil de potins sur la famille Kamprad, il s’agit des leçons que l’on peut tirer du business model Ikea à destination des professionnels.

LSA – Quelles conclusions en avez-vous tirées ?

A. D. – À force de conceptualiser, j’ai compris l’importance des valeurs. Elles permettent de mieux recruter, de garder les gens plus longtemps et plus motivés. Le contrôle de la chaîne de valeur est aussi fondamental, du design des produits jusqu’à leur vente. Peu de distributeurs contrôlent toutes ces étapes. Ensuite, il faut aussi exister à l’échelle mondiale. On peut réussir sur les marchés émergents à condition d’avoir d’excellents prix et un engagement de longue durée. Enfin, Ikea a un propriétaire solide, qui s’inscrit dans la durée.

LSA – Quels souvenirs gardez-vous d’Ingvar Kamprad ?

A. D. – Nous avions une relation proche. Ikea est sa vie, il allait régulièrement voir les magasins à travers le monde. C’est un homme intelligent, et il faisait de bonnes remarques, même s’il n’était pas impliqué dans la gestion quotidienne.

MANAGEMENT La diversité ? « Si tout le monde pense la même chose, vous verrez peu de progrès. »

« D’un point de vue business, il y a au moins quatre bonnes raisons pour promouvoir la diversité.

Orientation client : pour qu’une entreprise puisse comprendre ses clients, et ses employés, l’équipe dirigeante doit refléter la diversité qui existe au sein de ces deux groupes. 70% des clients d’Ikea sont des femmes, et les groupes ethniques minoritaires représentent une proportion importante dans de nombreux magasins. […]

Prise de décision : si tout le monde pense la même chose, vous verrez peu de progrès. […] Une entreprise qui n’installerait aux postes de responsabilité que des personnes issues du même milieu aura certes des réunions très calmes et agréables, mais pas très productives.

Recrutement : aucune preuve scientifique prouve que les Suédois d’âge moyen seraient meilleurs que les autres dans le commerce d’articles d’ameublement. […]

Motivation : la reconnaissance est un facteur de motivation très puissant. La promotion, ou même la simple perspective de promotion, instaure une forte motivation. […] « Je suis un partisan des organisations « plates ». Plus il y a de niveaux hiérarchiques, plus il y a de bureaucratie et moins il y aura de responsabilité individuelle. À chaque fois que le développement de l’entreprise exigeait l’addition d’un niveau hiérarchique, par exemple au niveau régional, j’ai toujours refusé de le faire. Si nécessaire, un poste de directeur régional est créé, mais jamais une structure complète. Si possible, les directeurs régionaux doivent avoir une autre casquette. Contrairement à ce qui est communément admis en management, je préfère que l’étendue des responsabilités d’un cadre dirigeant soit très large. »

« PLUS LE CLIENT S’IMPLIQUE, MOINS LE PRIX EST ÉLEVÉ »

« J’ai la conviction que les gens ont plus de temps que d’argent. Plus le client s’implique dans le processus de vente, moins le prix du produit sera élevé. Tout le système de commercialisation repose sur l’intégration du client dans le système de distribution. Le client choisit le produit, le prend, le paie à la caisse, le transporte et l’assemble lui-même. »

« LE MARKETING SELON DILBERT »

« La communication-marketing a toujours été l’une des disciplines qui m’ont le plus frustré. Quand je dois écouter des présentations interminables sur la segmentation du marché, la publicité de marque et le comportement des clients, je suis constamment tenté de revenir à la conception du marketing selon Dilbert : « Tout ce que vous avez besoin de savoir, c’est que vous vendrez plus de produits en baissant les prix. » Et souvent, les choses sont réellement aussi simples que cela. »

BACK OFFICE Derrière les magasins, la logistique et l’internet

« Des efforts se sont également portés sur l’augmentation des livraisons directes des fournisseurs aux magasins pour réduire les coûts d’approvisionnement. La proportion des livraisons directes est ainsi passée de 25% à près de 40% en 2009. Cela a été rendu possible grâce à des volumes de vente plus importants ainsi que par l’augmentation de la surface des magasins. Un changement important a été entrepris dans la stratégie de distribution. Jusque-là, tous les entrepôts centraux stockaient l’ensemble de la gamme (à l’exception des articles en livraison directe). Dans la nouvelle stratégie, les biens durables, qui représentent près de 10% des ventes mais 50% des articles, sont désormais stockés dans un ou deux entrepôts centraux qui servent toute l’Europe tandis que les produits de grande consommation, qui composent 50% des volumes vendus, sont stockés dans des entrepôts à proximité des marchés locaux. […] « En près de dix ans, le site d’kea est passé de pratiquement 0 à 500 millions de visites par an. Les TIC et les médias numériques vont prendre de plus en plus d’importance dans l’expérience magasin, en améliorant les services (caisses automatisées, cartes de fidélité, crédit), les opérations (fixation des prix, gestion des stocks) et les ventes (démonstration de l’utilisation des produits…). Les nouvelles technologies faciliteront le travail des employés, mais elles vont jouer un rôle déterminant pour mieux intégrer le client dans le processus de vente. »

PROPOS RECUEILLIS PAR J.-B. DUVAL
Pour en savoir plus : http://www.lsa-conso.fr

Souad Massi : « La poésie arabe est aussi philosophique et politique »

SouadMassi

Après quelques années passées à écumer les scènes du monde au sein de la formation Les Chœurs de Cordoue, Souad Massi nous livre enfin un nouvel album qui fleure bon la musique arabo-andalouse. Bel hommage aux grands poètes arabes, « El Mutakallimûm » invite à plonger dans une culture à la richesse inestimable.

 

Saphirnews : « El Mutakallimûm », qui veut dire « les orateurs » en arabe, est votre 4e album studio. Pourquoi cet hommage aux poètes du monde arabe ?

Souad Massi : Quand je ne suis pas bien, je me réfugie dans la poésie. Cela me fait du bien de m’immerger dans une autre époque, de découvrir d’autres atmosphères. Cela me procure un sentiment d’apaisement : j’avais surtout envie de partager cela avec les gens. Je l’ai fait aussi parce que j’en avais assez que l’on nous associe à l’ignorance, à la sauvagerie et au terrorisme. Le plus grand médecins qui a inspiré tous les contemporains est Avicenne ; le plus grand mathématicien, qui a été l’inventeur de l’algorithme et de l’algèbre, est Al-Khârizmi. Les plus grands scientifiques d’Europe ont travaillé sur des œuvres de chercheurs arabes, idem pour les philosophes.

Contrairement à votre précédent album « Ô Houria », il n’y a pas de chansons en français dans celui-ci ?

Souad Massi : Au départ, je voulais travailler sur deux textes de Victor Hugo, j’avais aussi des poèmes kabyles. Puis j’ai décidé que je n’allais pas les mélanger, j’ai alors voulu faire un véritable album hommage à la poésie arabe et un album hommage à la poésie berbère. Ensuite je verrai…
Quand je compose, la musicalité me vient naturellement avec le texte, car je sais où je vais. Mais, pour El Mutakallimûm, cela n’a pas été le cas. Le plus difficile a été avec les anciens poèmes, car même si je lis l’arabe classique, je ne comprends pas l’arabe du VIIe siècle ! J’ai dû effectuer un travail de recherche (historique, linguistique) avec des spécialistes qui m’ont aidée à traduire ces textes et à les comprendre pour pouvoir ensuite faire le travail musical.

Vous êtes venue en France en 1999 pour un concert et y êtes restée…

Souad Massi : Oui, j’étais venue pour trois jours et on m’a fait une belle proposition. La plupart de jeunes rêvaient de ce pays ; moi, je ne pensais pas rester en France. Ce n’était pas un pays qui m’attirait, même si j’ai toujours adoré la langue française et sa culture. Je suis une grande fan de Victor Hugo, j’ai grandi avec ses textes. Mes parents francophones m’ont transmis cet amour de la poésie et de la culture française. Lorsqu’on m’a proposé de rester, j’en ai parlé avec ma famille, et ils m’ont dit : « Tente ta chance ! » car, à cette période, je pensais arrêter la chanson.

Vos parents étaient très attachés à la culture, à la musique. Pouvez-vous nous confier des souvenirs d’enfance ?

Souad Massi : J’ai grandi dans un quartier populaire d’Alger qui s’appelle Bologhine, sur les hauteurs d’Alger, en haut de Notre-Dame d’Afrique. Mes cousins jouaient tous les soirs des reprises d’El Hachemi Guerouabi, par exemple ; et moi, j’écoutais et j’ai grandi avec les sonorités des musiques chaabi. Mon père, lui, tous les soirs, faisait aussi tourner ses vinyles de musique chaabi ou de musique française. On écoutait beaucoup Jacques Brel.

C’est ce qui vous a donné envie de faire de la musique ?

Souad Massi : Non, pas du tout, cela m’est venu plus tard, vers 17 ou 18 ans. J’aimais la poésie, l’écriture, la lecture. Je rêvais de devenir metteur en scène ou réalisatrice, j’écrivais des scénarios. C’est seulement plus tard que je me suis mise à composer des chansons sans me rendre compte, puis j’ai commencé à chanter. J’ai fait une école technique, j’ai passé ma vie avec du ciment, du bâtiment, des calculs, des dosages… Lire et écrire étaient mon refuge. Je refusais tellement mon quotidien que j’avais besoin de m’évader.

C’est à cette période que vous avez intégré un groupe de hard rock. Un choix surprenant ?

Souad Massi : Je n’ai pas l’air comme ça, mais j’aimais bien [rires] ! J’ai fait partie du groupe Atakor, qui existe toujours, mais il y avait deux parties : l’une hard rock et l’autre rock, celle où j’intervenais. J’avoue avoir écouté un peu de hard rock, cela me faisait du bien. J’étais quelqu’un de très pudique, je n’osais pas m’exprimer, je n’osais pas dire non et c’est une musique qui m’a aidée. C’est sans doute pour cette raison que je comprends aujourd’hui certains jeunes qui ont choisi le gothique par exemple. Ce sont en réalité des jeunes qui sont gentils, instruits. Il ne faut pas cataloguer les gens ou avoir des a priori sur eux.

On trouve beaucoup de nostalgie dans votre musique, est-ce le mal du pays ?

Souad Massi : Je me sentais déjà décalée ou étrangère en Algérie. Quand je retournais à Alger, on m’appelait la Kabyle, on trouvait que j’étais démodée parce que je venais de Kabylie. Jeune, j’en ai souffert mais plus maintenant. Quand je suis venue en France, j’ai vécu doublement cette nostalgie. J’avais vécu dans une grande famille et je me retrouvais seule dans un studio. Cela me fait penser à mon grand-père qui était venu seul en France, a travaillé dans le bâtiment, dans les chemins de fer, a fait des petits boulots et est mort dans d’étranges circonstances. Il n’y a pas eu d’enquête. C’est source de traumatisme.
Quand j’ai fait Paris avec Marc Lavoine, je songeais à mon grand-père qui était perdu dans les rues de Paris et économisait pour envoyer au bled. Je pense aussi aux chibanis d’aujourd’hui qui vivent dans des chambres d’hôtel pourries qu’ils louent 500 € et d’où l’on veut les virer. Ils sont obligés de rester ici six mois de l’année pour toucher leurs retraites. Pourtant ils ont servi la France comme chair à canon : pourquoi n’y a-t-il pas de reconnaissance ? Ils méritent de vivre dignement.
Dans l’album El Mutakallimûm, je suis passée à autre chose, avec beaucoup moins de nostalgie. Les titres ici sont beaucoup plus philosophiques et plus politiques.
Souad Massi : « La poésie arabe est aussi philosophique et politique »
El Mutakallimûm, les plus beaux poèmes arabes chantés par Souad Massi

Née le 23 août 1972 à Alger, Souad Massi est issue d’une famille de six enfants où la musique a toujours occupé une place importante. Destinée à une carrière en urbanisme, elle entretient son amour pour la musique qui la pousse à arpenter les scènes algéroises jusqu’au jour où elle est invitée à se produire en France. Coup de foudre du public et des professionnels qui l’invitent à rester et à signer Raoui (2001), un premier album qui remporte un large succès. Souad Massi sortira par la suite Deb (2003), suivi de Mesk Elil (2005), qui remportera la Victoire du meilleur album de musiques du monde.
De retour avec El Mutakallimûm, la chanteuse nous offre aujourd’hui un véritable trésor musical, où elle nous invite à découvrir la grande poésie arabe à travers des œuvres d’Abou El Kacem El Chabi, d’Abou Madi et d’autres illustres poètes, sur des rythmes arabo-andalous, afro et flamenco.

Pour en savoir plus : http://www.saphirnews.com/

Visite-conférence : le Paris arabe historique


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Cette visite-conférence dans le Ve arrondissement permet de prendre la mesure des liens privilégiés entre le monde arabe et la France. L’IMA est le point de départ de la promenade qui s’achève à la mosquée de Paris.

Le parcours

Ce parcours-promenade est de quatre étapes, environ 2h de riches découvertes :

L’IMA, dont la mission est de faire connaître le monde arabe, en est le point de départ. Son bâtiment, à l’architecture contemporaine, contribue au dialogue entre les cultures occidentale et arabe.

La visite se poursuit devant le Collège de France et la Sorbonne, pour y évoquer les premiers enseignements de l’arabe sous François 1er, la curiosité française pour l’Orient au XVIIIe s. et sous l’Empire.

Puis, dans l’une des plus anciennes églises de Paris, Saint-Julien-le-Pauvre on parlera des lieux de cultes des chrétiens arabes de France.

On rappellera, l’attraction exercée par Paris sur le monde arabe. La présence de réformateurs et des érudits arabes au XIXe s dans le quartier, les débats d’idées qui les ont agités. C’est ici que sont nées les premières imprimeries, les premiers journaux en langue arabe en France. Les librairies arabes d’aujourd’hui, en sont les héritières.

La promenade s’achève par la visite de la Mosquée de Paris.

Quand ?
Tous les samedis du 9 mai 2015 au 26 septembre 2015 de 15h à 17h30, sur réservation.
Attention : la visite du samedi 8 août 2015 est annulée.
  Accueil général de l’Institut du monde arabe, entrée côté parvis
Durée  2h30
Combien  15€ tarif plein / 13€ tarif réduit* / 7€ enfant de moins de 12 ans / 20€ 1 Parent +1  Enfant
* Bénéficient du tarif réduit : les membres de la société des Amis de l’IMA, les adhérents IMA, les étudiants et les demandeurs d’emploi.

Juillettistes ou aoûtiens : deux façons radicalement différentes de vivre l’été

Juilletistes-Aoutiens

Ce week-end, les vacanciers vont se croiser : certains débutent leurs vacances, les autres les terminent. Historiquement, prendre ses vacances le septième ou le huitième mois de l’année était révélateur d’un certain style de vie.

Atlantico : Les juillettistes et les aoûtiens ont souvent été présentés comme deux tribus irréconciliables. Qu’en est-il réellement ? Qui sont les juillettistes et qui sont les aoûtiens ? Existe-t-il de réels différences sociologiques entre ces deux catégories de vacanciers ?

Pierre Perrier : Historiquement, dans les grandes entreprises publiques, comme les travaux publics, et le secteur industriel (industrie automobile notamment), par le jeu des conventions salariales, les congés étaient établis plutôt sur la période d’août. Le huitième mois de l’année est traditionnellement celui des classes populaires et de la classe ouvrière.

Cela reste en partie vrai aujourd’hui pour la main-d’œuvre industrielle ou des travaux publics, même si la classe ouvrière est moins importante aujourd’hui. La manière de prendre des vacances diffère en fonction de l’appartenance socio-professionnelle. Un cadre a une plus grande liberté pour décider des moments de vacances tandis que l’ouvrier ou le salarié des travaux publics va avoir des périodes de congés imposées.

Les juillettistes et les aoûtiens partent-ils aux mêmes endroits ?

Le bord de mer reste la destination la plus attractive au mois d’août qui est aussi le mois des vacances en famille. En août, les vacances sont davantage pensées pour les enfants, ce qui explique que la plage est souvent la destination privilégiée. Au mois de juillet, il y a traditionnellement plus de diversité des lieux de vacances.

La séparation nette juillettistes/aoûtiens est-elle toujours aussi pertinente aujourd’hui ?

Non, aujourd’hui, la distinction entre juillettistes et aoûtiens est plus difficile à établir et pas forcément pertinente. D’abord, il faut souligner que nous sommes dans une tendance « baissière » du nombre de départs, y compris pour les cadres et les urbains qui partent moins en vacances. Seulement 53% des Français partent en vacances en 2013 contre 57% au début de la crise en 2008. La seule catégorie épargnée est celle des seniors. Cette population, qui est la niche du tourisme aujourd’hui, part à d’autre moment que l’été, de façon plus étalée dans l’année. La bonne santé des seniors, leur pouvoir d’achat et les nouvelles valeurs du voyage et de la découverte qui se sont diffusées dans le corps social jusque dans cette génération plus âgées, expliquent cette évolution. Les étudiants partent également en dehors des mois d’été. Cela s’explique par le changement de calendrier universitaire qui leur permet d’être libre dès juin.

De manière générale, la période historique des congés payés, durant laquelle les gens prenaient un mois de  vacances, est terminée. Les séjours sont désormais plus courts : en moyenne, une dizaine de jours aujourd’hui et cela tend à se réduire encore. Les vacances sont plus courtes, mais aussi plus fractionnées, y compris sur la période d’été. Les gens partent moins longtemps, mais plus souvent dans l’année.

Par ailleurs, les gens anticipent moins les départs pour pouvoir bénéficier d’opportunités de dernière minute. Il y a aussi moins de fidélité des vacanciers par rapport aux lieux de vacances. Les gens partent moins sur le même lieu de vacances d’une année sur l’autre. Les pratiques et les destinations de vacances sont moins ritualisées que par le passé.

Quelles sont les nouvelles tendances ?

Il y a notamment un tourisme émergent qui est le tourisme urbain. Ce tourisme se développe auprès des classes moyennes dans les grandes villes particulièrement attractives : 12-14% des destinations sont désormais urbaines.

Le juillettiste fait ses valises lorsque ses collègues sont au travail et revient au bureau au moment où l’activité économique tourne au ralenti. Mérite-t-il sa réputation de « fainéant » ? L’aoûtien est-il vraiment plus studieux ?

Encore une fois, cette distinction n’est plus vraiment pertinente car les cartes sont brouillées. Là encore, on observe de nouvelles tendances. De plus en plus gens ne partent pas en vacances pour travailler davantage les mois d’été. Les salariés à revenus modestes ont ainsi un double-emploi sur la période de juillet/août. Il y a aussi les gens qui continuent à travailler tout en étant en vacances. Les technologies, notamment les outils informatiques,  permettent aujourd’hui de travailler à distance. Un entre-deux où on est jamais pleinement en vacances est aujourd’hui en train de se dessiner.

Pierre PERIER

Pierre Perier est sociologue, professeur en Sciences de l’éducation à l’université de Haute-Bretagne. Il est membre du Centre de Recherche sur l’Education les Apprentissages et la Didactique (CREAD). Il est notamment l’auteur de L’ordre scolaire négocié. Parents, élèves, professeurs dans les contextes difficiles (Presses universitaires de Rennes (PUR), 2010) et de Vacances populaires. Images, pratiques, mémoire (PUR, 2000).

Pour en savoir plus : http://www.atlantico.fr

Ces musées arabes et turcs qui refont l’histoire

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Le salon d’apparat de la maison de l’architecte égyptien Omar El Farouk, dans l’oasis du Fayoum (Égypte).

Découvrez le dossier

La mise en scène du passé possède une longue histoire dans l’architecture et la muséographie occidentales. La présence de l’histoire dans les musées et les intérieurs arabes ou turcs n’est pas moins riche. L’invention coloniale de la tradition, puis la formation des imaginaires nationaux ou régionaux, tel le panarabisme, en ont été des vecteurs privilégiés, non sans continuum de l’un à l’autre…

Egalement au sommaire…

Dans la rubrique Histoire, un éclairage original du récit fondateur de la monarchie marocaine par les Idrîssides dans lequel la numismatique pèse son poids. Un Portrait dédié à un « bilan d’étape » de l’œuvre de Jacques Berque, à l’occasion des vingt ans de sa disparition. Une promenade en texte et en images dans la Tunisie des poètes, aux antipodes du tourisme de masse, qui nous conduit de Sfax à Tunis en passant par l’archipel des Kerkennah. Deux nouvelles rubriques : un « Voyage en cuisine » dédié à l’escabèche et un « Arrêt sur photo » commenté par l’écrivain Abdelkader Djemaï. Et comme chaque trimestre, toute l’actualité artistique et littéraire du trimestre…

Pour en savoir plus : http://www.imarabe.org/

« Champions de France », la série hommage aux sportifs issus de l’immigration

RachidBouchareb
Rachid Bouchareb, réalisateur de la série « Champions de France » diffusée de juin 2015 à l’été 2016 sur France Télévisions.

« France Télévisions, qui a obtenu en 2014 le « label diversité », s’est engagé avec tous ses collaborateurs à promouvoir une image plus respectueuse de la diversité qui fait la richesse et la force de la France », a déclaré fin mai Rémy Pflimlin, le président-directeur général de France Télévisions. Une démarche qui, selon lui, vient illustrer le projet Champions de France, réalisé par Rachid Bouchareb avec l’aide de l’historien Pascal Blanchard, spécialiste des histoires de l’immigration et des enjeux de diversité. Cette collaboration avec France Télévisions est loin d’être la première pour les deux hommes : ils avaient ensemble réalisé « Frères d’armes » qui rend hommage en portraits à ceux et à celles issus des anciennes colonies qui se sont battus pour la France lors des deux guerres mondiales.

Pendant un an, ce sont 45 portraits, qui parlent de 65 champions, qui seront diffusés au fil des semaines sur toutes les chaînes du groupe. « Des portraits de deux minutes dédiés à ces destins exceptionnels de sportifs issus de la diversité, qui ont fait l’honneur de leur pays et la joie de millions de Français », a annoncé Rémy Pfimlin. Ils sont sportifs, comédiens, journalistes, animateurs ou encore réalisateurs engagés de renom. Tous sont passionnés de sport, d’histoire et ont accepté de prêter leurs voix pour incarner ces sportifs aux destins exceptionnels dans des épisodes qui durent deux minutes.

Jamel Debbouze, Lilian Thuram, Kad Merad, Sami Bouajila, Nelson Monfort, Abd al Malik, Charles Berling, Rokhaya Diallo et bien d’autres nous embarquent dans les récits de vie de personnages qui appartiennent à l’histoire du sport français depuis les JO en Grèce de 1896 tels Marcel Cerdan, le «bombardier marocain » né en Algérie, champion du monde de boxe, Marie-José Pérec, la seule athlète française à détenir une triple médaille d’or olympique, Abdelkader Zaaf, le cycliste maghrébin le plus populaire du Tour de France (vidéo plus bas), Alfred Nakache, le «nageur d’Algérie » qui fut déporté par les nazis, Zinedine Zidane, qui fut le héros de 1998, après Michel Platini, qui fut celui de l’Euro 1984.

La diffusion de la série s’étalera jusqu’aux prochaines compétitions internationales qui se dérouleront en été 2016, dont le championnat d’Europe de football (Euro) programmée en juillet en France.

La série Champions de France est programmée toutes les semaines sur toutes les chaînes de France Télévisions : sur France 2, le samedi, à 6 h 55, avant Télématin ; sur France 3, le dimanche, à 20 h 05, avant Tout le sport ; sur France 4, le dimanche, à 19 h 50, après un divertissement ; sur France 5, le samedi, à 17 h, après un documentaire ; sur France Ô, le samedi, à 19 h 50, après Info Soir ; sur le réseau outre-mer 1re, le samedi à 18 h 55.

 

 

Rédigé par Fatima Khaldi

Mercredi 22 Juillet 2015
Pour en savoir plus : http://www.saphirnews.com/

Et si on filmait la laïcité ?

Etsionfilmaitlalaicité

Depuis mars 2015, ENQUÊTE anime un atelier dans un centre social à Vaulx-en-Velin, en banlieue lyonnaise. Le centre Georges Levy a demandé à l’association d’entreprendre un travail de réflexion citoyenne avec les enfant, de 9-11 ans, sur le racisme, l’antisémitisme et la xénophobie. Décidée à élargir les perspectives à des réalités plus positives, ENQUÊTE propose aux enfants de créer un glossaire filmé qui parlerait aussi de la laïcité, des faits religieux et de vivre ensemble.

Mercredi 6 mai, c’est la première séance de tournage. Seules cinq filles sont présentes mais elles sont très motivées, même les plus timides qui avaient initialement refusées d’être filmées. Mélissa, une animatrice du centre social nous apporte son soutien, c’est elle qui tiendra la caméra, le moment venu. La « réunion de pré-tournage » peut commencer ! Comme chaque semaine, en début de séance, le tour de table du cahier des chercheurs permet de reprendre la liste des termes à définir. Les filles sont toutes d’accord pour insister sur les définitions des termes de « laïcité » et de « religions en France ». La compétition est intense pour savoir qui sera filmé !

Les filles expliquent à Mélissa « On va faire un film ! ». Je leur demande de présenter plus en détail le contenu de l’atelier et le projet du glossaire « Et si vous commenciez par les définitions ? ». Elles se lancent à deux voix. Mélia commence « la laïcité, c’est comme la cour de récré, y’a ceux qui jouent au foot et ceux qui jouent au ballon autour des tables de ping-pong, tu sais ? » et Faustine poursuit « Et bien, ils doivent jouer chacun à leur jeu, sans gêner les autres, sans leur jeter le ballon dessus. C’est pareil pour les religions, tu dois faire ta religion de ton côté sans gêner les autres ». L’animatrice, Mélissa leur répond avec ses propres mots pour dire que la laïcité se fonde sur le respect et permet de vivre ensemble. Les discussions engagées aux séances précédentes continuent. Elles ne cessent de s’enrichir. Les filles approuvent les propos de Mélissa, elles en feront des mots-clés pour le glossaire !

Nous continuons la discussion avec les « dix minutes du chercheur », pour apprendre à se poser des questions, à partir du quotidien. Esma nous parle d’un reportage qu’elle a vu à la télévision et qui semble l’avoir perturbée : « un père, il dit à sa fille qu’elle n’est plus de sa famille… ». Je lui demande si le mot qu’elle cherche est « répudiée ?», elle acquiesce et continue : « pourquoi des gens n’aiment pas leur famille ? Ce n’est pas normal ! ». Camélia lui demande  « Pourquoi ce père a répudié sa fille ? à cause du mariage ? de la religion ? ». Esma lui répond « je sais pas trop… oui c’est un mariage avec une autre religion, je crois ». Cela nous permet de parler des couples mixtes. Faustine évoque sa famille : « ma tata, elle est mariée avec mon tonton marocain et on est même allé au Maroc en vacances. Pourtant ma maman et moi on va au catéchisme, mais je suis quand même à moitié marocaine ». Camélia la reprend « mais non, tu n’es pas marocaine si c’est ton oncle qui est marocain ! » « oui, mais ma tata, elle est un peu marocaine, alors nous aussi ». C’est bien parce qu’ils vivent la diversité des origines et des appartenances géographiques, nationales et religieuses au quotidien, que les enfants en parlent si naturellement et se questionnent sur ces sujets. A nous, éducateurs – parents, animateurs, professeurs – de leur apporter des connaissances et de préciser certaines notions…

« Tu réponds à nos questions ? »

La séance se poursuit, le tournage est sur le point de commencer : « quand une personne accepte d’être filmée, vous lui posez la question à haute voix et lentement. C’est quoi le modèle de  question déjà ? » Elles répondent du tac au tac : « selon vous, quelle est la définition de … ? » Nous voilà partis dans les couloirs du centre social à la rencontre de potentiels « interviewés ». Nous avons décidé de débuter en terrain connu pour que les enfants s’entrainent. « Hamida ! tu réponds à nos questions ? » demande Mélia à la responsable du bureau des jeunes. Cette dernière refuse, mais Mélia ne lâchera pas le morceau ! Tout au long de la séance elle me répétera : « Tu verras, si le directeur nous répond, je pourrai convaincre Hamida ! » ou encore  « on a eu plein de refus : Hamida va être obligé de me dire oui ! ». Mais malgré leurs efforts, Hamida tiendra bon, elle ne veut pas être filmée…

Nous sollicitons les employés des bureaux administratifs ; certains acceptent, d’autres refusent. D’autres encore tergiversent ou négocient «  Oui mais à condition de connaître les questions à l’avance pour pouvoir y réfléchir. » L’ambiance est détendue ; mais les enfants, qui connaissent bien leurs interlocuteurs, gardent leur sérieux. Ils restent concentrés pour réaliser au mieux ce projet qui leur tient à cœur. Ils sont fiers de ce « véritable tournage !»

Pour terminer, nous filmons une animatrice et certains enfants de son groupe qui rangent et nettoient la cour, au pied des immeubles. Cette animatrice porte le voile en dehors du centre. Elle nous demande que son visage ne soit pas filmé mais accepte, avec grand plaisir semble-t-il, de répondre aux questions des petits enquêteurs. Cela ne pose aucun problème aux enfants qui optent pour un plan serré sur ses mains. Une fillette d’environ 6 ans prend ensuite la parole : « Dieu il est tout en haut et tout le monde l’aime ! ». Les cinq filles s’exclament: « Ho, elle est trop mignonne !! ». Elles sont ravies de cette intervention « les Musulmans ne parlent que des Musulmans et les Chrétiens des Chrétiens ! Elle, elle a parlé de tout le monde ! ».

Tournage en extérieur

Deux semaines ont passées, nous sommes le 20 mai, tous les enfants sont là pour cette deuxième séance de tournage ! Le centre social relaie la demande de la mairie de Vaulx-en-Velin. Il souhaite avoir un petit topo pour présenter notre atelier et notre projet. Ravis, nous décidons avec les enfants qu’il faudra intégrer ce passage comme une introduction à notre glossaire filmé. Faustine, Souleymane et Camélia, les moins timides, s’en chargent, la première prise est la bonne : « Cette deuxième séance de tournage commence très bien ! ».

S’ensuit notre briefing de « pré-tournage ». Deux nouvelles personnes acceptent d’être filmées : un employé de mairie de passage au centre et un visiteur. Forts de cette confiance, les petits enquêteurs sont prêts à sortir du centre. Une passante répond favorablement à leur demande, mais son amie refuse malgré l’insistance de Mélia, décidément tenace : « Allez, ça ne durera pas longtemps ! ». Nous continuons notre chemin jusqu’à la zone commerciale du quartier de la Grappinière. Accueil chaleureux dans le snack où nous filmons le patron et un client au son des steaks sur le grill. L’un des clients plaisante : « dis donc, ta femme sait que tu ne travailles pas ?! Ce film il va passer ce soir à BFM ! ». Les enfants sont très fiers. Je dois néanmoins rester vigilante et ne pas hésiter à les recadrer. Tourner à l’extérieur du centre, près de commerces qu’ils fréquentent régulièrement, les déconcentre facilement. Sur le chemin, ils saluent leurs camarades de classe, leurs voisins…

Nous essuyons plusieurs refus au salon de coiffure, au taxiphone et dans une brasserie. Camélia me fait très justement remarquer : « tu as vu ici, la caméra bloque les gens ». Mélissa, l’animatrice, me rappelle le propos d’une coiffeuse « ici à Vaulx, on ne peut pas parler de religion devant une caméra » . Je propose alors que nous fassions une prise de Mélia qui en guise de conclusion explique face caméra les conditions de réalisation du tournage : beaucoup de réponses positives mais aussi quelques refus. Ces derniers sont-ils dus à la caméra ou à la nature du sujet abordé ? Quoi qu’il en soit nous sommes tous d’accord pour dire que cela est révélateur de nos questionnements. Et de mon côté « et bien voici un bon sujet d’enquête pour un prochain atelier : les religions et les médias ! »

Pour en savoir plus : http://www.enquete.asso.fr/ 

En finir avec l’esprit victimaire

EspritVictimaire

L’entretien de l’esprit victimaire en milieu difficile est le meilleur moyen d’entretenir l’immobilité de l’esprit, et de figer les volontés de l’intelligence. Mais qu’est-ce que l’esprit victimaire ? C’est croire profondément, avec l’aide de « certains », que ce qui nous arrive de mauvais en matière de situation sociale, c’est de la faute d’un ennemi désigné, lequel, de par son intervention au cours de différents événements, nous a tendu des pièges, coupé les ailes, et brisé notre avenir. Cet état d’esprit, à l’origine de bien des haines destructrices pour tous, donne lieu au développement d’une attitude d’hostilité doublée d’une renonciation à la prise en main de son propre destin. C’est l’excuse la plus facile, la plus solide, et en même temps, la plus dévastatrice pour l’esprit. Souvent, l’Histoire est tragique, sa conscience est maintes fois utile, mais elle ne doit en aucun cas influer négativement sur l’ambition et l’avenir. Bien au contraire. Nous voudrions que notre jeunesse possède sa propre action pour tracer son propre chemin. Pour cela, elle a besoin de s’affranchir de ceux qui lui parlent sans cesse de son passé pour l’empêcher de regarder devant. Elle a également besoin de s’affranchir du discours de ceux qui lui désignent des adversaires et qui lui racontent toujours, par exemple, que sa situation sociale est un mauvais départ qui sonne déjà pour elle la fin du combat. Elle a enfin besoin de s’affranchir de ceux qui lui trouvent toutes les excuses pour lui permettre de rester à terre. Car on devient paresseux à force d’excuses ; l’intelligence devient stérile et la victimisation annonce le sentiment d’inutilité de l’être qui se cherche, en conséquence, une porte dérobée par laquelle il peut fuir son monde. Une belle pensée d’un grand écrivain nous apprend que « ceux qui vivent sont ceux qui luttent ».

Cultiver l’esprit de bonne volonté

Ces faiseurs de mauvais discours, qui ont souvent des comptes personnels à régler, prennent en otage notre jeunesse et lui font ses questions et ses réponses sur sa situation, la conduisant à penser sous leur dictée. La victimisation est un engrenage et ces gens lui servent de force motrice. Nous voudrions donc inviter à cultiver l’esprit de volonté pour en finir avec l’esprit victimaire ; car nous pensons que face à une volonté farouche aucun obstacle ne peut résister, qu’il soit d’ordre discriminatoire, social, scolaire, ethnique ou religieux. Un camarade qui n’arrivait pas à trouver un emploi a eu l’idée de créer sa propre entreprise et a employé une autre personne qui partageait les mêmes difficultés. Deux amis, partis de rien, ont crée Like dat’, une boisson très saine à base de jus de datte, qui se vent désormais sur trois continents.D’autres connaissances encore se sont lancées dans le monde artistique et tentent, grâce à leur talent, d’attirer l’attention du public sur la situation de notre monde ; ils voyagent partout, et sont devenus de bons exemples. La volonté fait courber les obstacles comme le vent fait courber les roseaux. Car chaque jour est une nouvelle occasion pour refaire l’histoire, pour donner aux événements une trajectoire nouvelle. Les exemples de personnes ayant réussi en partant de situations très défavorables abondent autour de nous. Et parfois même, il arrive que finalement ces malheureuses situations de départ, lorsqu’elles sont surmontées, nous dotent d’un avantage considérable : l’esprit de la détermination et la culture de la volonté ; autrement dit, le secret de toutes les vraies réussites.

 

En finir avec l’esprit victimaire

Refuser l’enfermement de la jeunesse

Refuser l’esprit victimaire c’est donc devenir un être « sans excuse », avec beaucoup de dignité. C’est cultiver un esprit positif, et une pensée qui devient un formidable projectile qui vise devant. Car tout être qui vit dans la victimisation ne peut évoluer ; il a l’impression qu’un complot est mené contre lui, que le destin joue en sa défaveur. Il devient violent, il s’agite, et finit par ne croire en plus rien.D’évidence, il ne s’agit pas d’accepter le racisme, et toutes les discriminations liées à un nom, une cité, à une appartenance ethnique ou religieuse… Il ne s’agit pas non plus de vouloir ruiner le travail de ces associations qui se battent noblement pour dénoncer ces abus, et de ces gens qui mènent un travail d’investigation pour mettre à nu les travers de notre société afin de la faire évoluer, mais il s’agit surtout de dire à notre jeunesse que tout est possible, qu’en chacun de nous il y a une fleur de la vie, laquelle, touchée par la lumière de la volonté, pourrait à tout moment s’ouvrir et s’épanouir.Nous vivons dans un monde où il y a de belles possibilités, où tant de choses peuvent être encore créées. Il y a tant à innover et à réparer, à bâtir et à inventer. L’histoire liée au passé colonial de certains pays est terrible, mais il faut refuser de s’y enfermer, car elle peut être mortelle. Le devoir de mémoire est d’une extrême importance, mais toujours pour aider à gagner en esprit positif. Nos cités sont malmenées, mais elles regorgent de formidables forces. Ces forces-là, qui s’ignorent souvent, doivent trouver la voie de l’espoir et de la croyance en soi. Pour cela, elles ont besoin qu’on leur parle de possibilités, d’avenir, et non tout le temps des traumatismes du passé.

Certaines associations qui se montent dans nos cités se trompent parfois de combat ; elles tendent à montrer que nos quartiers sont forts, renforcent cette identité, et participent donc à figer la situation. Le vrai combat serait d’aider à en finir avec cette ghettoïsation en finissant avec ces quartiers justement. C’est tout l’enjeu de la libération de l’esprit.

Cette liberté permettrait de prendre à bras le corps son propre destin, et plus loin, celui de notre espèce humaine dont l’existence même est menacée avec la question de la pollution, et les agressions faites à l’ensemble de la faune et de la flore.

En finir donc avec la victimisation permettrait de rendre lucide le regard de l’intelligence, afin de pouvoir se battre enfin pour notre avenir commun, et sauver ce qu’il reste encore à sauver de notre monde.

Abderrahim Bouzelmate, auteur et enseignant, a publié Dernières nouvelles de notre monde et Apprendre à douter avec Montaigne (De Varly Éditions, 2013). Avec Sofiane Méziani, il a publié De l’Homme à Dieu, voyage au cœur de la philosophie et de la littérature (Albouraq Éditions, 2015).

Mercredi 8 Juillet 2015
Pour en savoir plus : http://www.saphirnews.com/

Mustapha Cherif : « En ces temps de crise, continuer à éduquer et à dialoguer »

MustafaCherif

Ce Ramadan 2015, mois de spiritualité par excellence, n’a pas été épargné par des exactions meurtrières commises au nom de l’islam. Mais le message de paix ‒ dont le mot « As-Salâm », le Pacifique, est l’un des 99 noms de Dieu ‒ doit prévaloir, nous dit le philosophe Mustapha Cherif. Face à la propagande du choc et au danger du repli sur soi, l’espérance en une société meilleure reste le moteur de notre humanité et l’éducation un de nos principaux outils.

Saphirnews : L’actualité française et internationale ne cesse d’être ponctuée d’actes de terrorisme. En même temps, intellectuels, leaders associatifs et une grande majorité des populations musulmanes européennes les dénoncent catégoriquement. Vos écrits ne cessent d’alerter sur les extrémismes de tous bords. Pensez-vous que la situation s’aggrave ou s’améliore ?

Mustapha Cherif : Trop de personnes ne parviennent pas à faire la part des choses. Certains développent une haine de la religion, de l’islam, ils ne saisissent pas son sens réel. Dans cette catégorie, des médias ont une lourde responsabilité. Ils émettent des opinions erronées, profitent des outils et espaces dont ils disposent pour entretenir la confusion, l’essentialisme, des calomnies et des appréciations fausses.
Des courants d’idées matérialistes, allergiques à la spiritualité, ou xénophobes, en profitent. D’autres, des rigoristes, figent la religion et l’instrumentalisent. Tous nuisent à ce qu’ils croient défendre. Cependant, l’immense majorité des citoyens, toutes convictions concernées, reste proche du juste milieu et se méfie à juste titre des discours extrémistes et respecte les critiques constructives. Il nous faut expliquer et consolider la voie du juste milieu.

Vous prônez l’éducation au dialogue interreligieux, des cultures et des civilisations : pour quelles raisons ?

Mustapha Cherif : Il y a trop de malentendus, d’ignorances et de désinformations. Il faut en sortir. Apprendre à se connaître, pour se respecter, passe par l’acquisition des instruments de la compréhension du monde, de sa propre culture, sa religion et sa société, mais aussi celles des autres. Ce qui signifie apprendre à apprendre et à écouter, afin que la capacité à acquérir des connaissances puisse se maintenir tout au long de la vie. Penser et agir par soi-même et avec les autres et pouvoir répondre de ses pensées et de ses choix pour avoir une capacité d’autonomie et d’ouverture à l’altérité vont de pair avec le renforcement du dialogue et de la responsabilité personnelle dans le destin collectif.

Quelles méthodes préconisez-vous ?

Mustapha Cherif : Encourager les regards croisés, pour apprendre à faire lien, afin que chacun s’enrichisse d’autrui et puisse être acteur et porteur de sens évolutif. Il s’agit de partager des points de vue et des expériences, afin de découvrir que l’autre a une part de vérité dans tous les aspects de l’existence. Comprendre le bien-fondé des règles régissant les comportements individuels et collectifs, à y obéir et à agir conformément à elles, principe de discipline et d’entraide. La pédagogie interculturelle et interreligieuse contribue à tisser des liens et à créer de la fraternité et de l’amitié.

Vous défendez le principe du vivre-ensemble : comment le réaliser ?

Mustapha Cherif : Il s’agit d’apprendre à vivre ensemble, afin de participer et de coopérer avec les autres croyants et non-croyants au bien commun et à toutes les activités humaines. Ce n’est point une fiction, le vivre-ensemble reste une réalité. La bonne voie pour le renforcer est de promouvoir l’apprentissage du « vouloir-vivre ensemble », en développant la connaissance des autres, de leur Histoire, de leurs traditions et de leur spiritualité. Par l’interconnaissance, reconnaître les bienfaits de la laïcité ouverte, le pluralisme des opinions, des convictions, des croyances et des modes de vie, principe de la coexistence des libertés et des valeurs.

Que dit la civilisation musulmane au sujet de l’éducation au vivre-ensemble ?

Mustapha Cherif : L’éducation se veut totale. Elle vise cinq dimensions de la personnalité humaine qui doivent être prises en compte : une dimension sensible (culture de la sensibilité) ; une dimension normative (culture de la règle et du droit), une dimension cognitive (culture du jugement), une dimension pratique (culture de l’engagement) et une dimension éthique.
Elle s’adresse au cœur et à la raison, à l’esprit et au corps, à l’individu et à la communauté. L’élève mémorise davantage les savoirs qu’il construit lui-même au fil de ses expériences que la connaissance énoncée par l’enseignant. Les citoyens musulmans d’Europe prouvent tous les jours leur capacité à vivre leur temps, la sécularité et la modernité, sans perdre leurs racines. Pour éviter les dérives, c’est cette ligne du juste milieu qu’il faut encourager.

Ces préconisations ne risquent-elles pas de rester des vœux pieux compte tenu de la crise économique européenne qui se cherche des boucs émissaires (les immigrés, les musulmans…) et du contexte international géopolitique où la loi du plus fort prévaut au nom d’intérêts financiers (pétrole, eau, ressources minières, armements…) ?

Mustapha Cherif : Tenter d’éveiller les consciences à la paix des esprits et au vivre-ensemble n’est point un vœu pieux. C’est une responsabilité collective. Il est clair que la crise économique et morale mondiale suscite des réactions irrationnelles et des fuites en avant. L’islamophobie, le racisme antimusulman sont un prolongement de l’antisémitisme. Hannah Arendt disait que la propagande totalitaire et mensongère se cherche des boucs émissaires comme diversion pour asseoir son hégémonie. Tous les hommes et toutes les femmes de bonne volonté doivent rester vigilants et unis afin que la fraternité humaine l’emporte sur l’exclusion et la loi du plus fort. Le droit et le respect de la diversité doivent prévaloir. Je reste confiant, les citoyens ne sont pas dupes.
Mustapha Cherif est philosophe. Il est l’auteur, notamment, de Le Coran et notre temps (Éd. Albouraq, 2012) ; Le Prophète et notre temps (Éd. Albouraq, 2012), Le Principe du juste milieu (Éd. Albouraq, 2014). Il est également l’auteur de la note Éducation et islam (Fondapol, mars 2015, 44 p.)
Rédigé par Huê Trinh Nguyên
Samedi 11 Juillet 2015
Pour en savoir plus : http://www.saphirnews.com