Quelles sont les différences entre les pâques juives et chrétiennes ?

paques

A l’approche des célébrations pascales, tant chez les Juifs que chez les Chrétiens, il n’est pas inutile de dire un mot de la divergence d’interprétation de cette fête chez les uns et chez les autres. Le récit vétéro-testamentaire de l’Exode est univoque mais les adeptes de l’Eglise primitive, tout juifs qu’ils étaient, l’ont interprété dans un autre sens, celui de la Résurrection tout en s’appuyant sur des versets prophétiques. Donc en restant dans le cadre juif, quoique non rabbinique.

L’Exode, d’une part, tel que le relate la Bible hébraïque, et la Résurrection de Jésus, telle qu’elle se lit dans les Evangiles, d’autre part, sont des événements majeurs de l’Histoire sainte. En termes de sociologie religieuse, on pourrait, avec tout le respect nécessaire à l’adresse des fidèles des deux religions, parler de « mythes fondateurs » qui gisent à la base même de la foi. Comme le recommandait Ernest Renan dans son Histoire des origines du christianisme, il ne sert à rien de bannir la légende puisqu’elle est la forme que revêt nécessairement la foi de l’humanité.

Alors que la fête juive de Pâque, Pessah, renvoie à un épisode biblique unique, la sortie d’Egypte, la tradition juive et la tradition chrétienne en font des lectures très différentes. Chacune voit dans cette célébration pascale un épisode crucial de son vécu religieux.

Résumons brièvement les récits bibliques tels qu’ils se lisent dans le second livre de Moïse qui a d’ailleurs donné son nom à cet Exode d’Egypte: après sa révélation à Abraham, Dieu lui promet une innombrable descendance qui sera réduite à l’esclavage en Egypte mais qui ressortira renforcée de l’épreuve. Aguerris par une épuisante traversée du désert, ces enfants d’Israël hériteront de la Terre promise où ils pourront couler des jours heureux…

Cette vision idyllique de l’histoire de l’Israël ancien est conforme à la vocation de la Bible qui n’est pas un livre d’histoire mais défend plutôt une conception théologique du devenir historique. Cela s’appelle une téléologie, du terme grec telos qui renvoie dans le contexte judéo-chrétien à un dessein divin, conçu avant même la création de l’univers. Pour quelles raisons la Providence divine a-t-elle choisi de précipiter les Hébreux dans le creuset égyptien pour les en extraire après quelques siècles de souffrances, on ne le saura jamais.

Mais si nous adoptons une approche anthropologique et sociologique, l’explication suivante s’impose à l’esprit : l’Egypte ancienne, bien que dépourvue de toute tradition esclavagiste antérieure, est considérée ici comme la quintessence de l’impureté, une sorte de laminoir impitoyable, un creuset apte à contribuer à la fondation de l’ancien l’Israël ; le moule implacablement sélectif de l’esclavage fera émerger une nation nouvelle qui s’est donné une langue, forgé une destinée et construit une vision de l’univers. Le cadre de l’histoire sainte est désormais tracé : un peuple, Israël, une foi, le monothéisme, et une patrie, la Terre promise.

La pédagogie du livre de l’Exode consiste dans l’émergence d’une conscience nationale chez un peuple d’anciens esclaves, soudés par la souffrance.

Aujourd’hui, les historiens s’accordent sur l’existence d’un exode progressif mais ne reprennent pas en tout point les récits bibliques. L’intention fondamentale des rédacteurs bibliques est transparente : faire de l’Exode l’événement national fondamental du peuple d’Israël, sa première apparition sur la scène de l’histoire universelle. En somme, un peuple ayant chèrement acquis sa liberté et qui, désormais, se pose en s’opposant. On voit ici aussi la tension polaire existant entre la mémoire du peuple qui interprète de manière spécifique les événements fondateurs de son histoire, et l’Histoire universelle proprement dite, censée garder trace de ce qui s’est vraiment passé… Nous sommes en présence de la sempiternelle opposition entre la mémoire et l’Histoire.

Or, ce filtre de la conscience religieuse se confond avec le regard que nous portons sur les faits : il fonde une identité qui forme à son tour une opinion. Marguerite Yourcenar écrivait en substance dans les Mémoires d’Hadrien que le passé est le souvenir que les événements anciens laissent dans notre mémoire.

Comme chacun sait, le nom de la fête de Pessah, proviendrait, selon l’étymologie biblique qui est populaire et non savante, d’un verbe signifiant passer, surmonter, enjamber. Dieu a enjambé les demeures des fils d’Israël afin de leur épargner les plaies qui se sont abattues sur les Egyptiens. Au plan symbolique que je veux privilégier, ce serait donc un rituel de passage d’un état à un autre, de l’esclavage à la liberté, en l’occurrence. D’où la traduction anglaise de Pâque par pass over (Passover).

Le texte biblique parle du sacrifice pascal offert à Dieu. La tradition juive a donc mis cette fête du sacrifice en relation avec la sortie d’Egypte, afin de lui fournir un enracinement de premier ordre dans l’histoire d’Israël. On peut discerner derrière ce rite la pratique d’un peuple de pasteurs qui marquent l’avènement du printemps par un grand rassemblement autour d’un repas professionnel, sacralisé par la suite en repas communiel… Dès lors, la tradition juive ultérieure a fait de la sortie d’Egypte l’acte de naissance du peuple d’Israël en tant que tel, un peuple qui brisa les chaînes de l’esclavage, se fraya un chemin vers son Dieu à travers un lieu aussi inhospitalier que le désert et finit par recevoir le Décalogue dont il fit don à l’humanité.

Après la Passion, l’Eglise primitive, qui ne comptait alors en son sein que des juifs profondément enracinés dans la tradition ancestrale, revisita son histoire dans laquelle elle projeta son vécu religieux immédiat.

Or, ce qu’elle venait de vivre, à savoir la crucifixion, c’est-à-dire un véritable drame, ne pouvait sonner le glas de son espérance : si les sources juives anciennes avaient relié le sacrifice pascal à la sortie d’Egypte eu égard au caractère fondateur de cet événement, les judéo-chrétiens, c’est-à-dire l’Eglise encore juive, pouvait, elle aussi, décider de puiser dans son nouveau terreau un autre événement, tout aussi important aux yeux du judaïsme ancien, la Résurrection. Ces hommes ne pouvaient se résoudre à la disparition de leur rêve. Vu la proximité de la fête de Pâque et la terrible déception qui s’était abattue sur les Apôtres et les disciples, la fête prenait une autre dimension et devenait celle de la Résurrection et Jésus, l’agneau pascal, l’objet même du sacrifice.

Ce qui est frappant, ce n’est pas tant la profonde divergence des interprétations d’un même événement ou d’une même solennité par deux traditions devenues différentes, que le fait suivant : les adeptes de l’Eglise naissante ont puisé, encore et toujours, dans le terreau du judaïsme, le leur, celui qui les a toujours nourris, pour procéder à cette substitution.

Il existe dans le livre du prophète Osée un passage très expressif qui contient tous les ingrédients de la Résurrection, telle que les Evangiles la conçoivent au sujet de Jésus. Osée (6 ;2) exhorte au retour vers Dieu et s’écrie: « Il nous fera revivre après deux jours; au troisième jour il nous ressuscitera et nous revivrons devant lui… »

Comme la communauté de Jérusalem baignait dans un environnement exclusivement juif et que des hommes tels que Jacques étaient de fins lettrés, est-il concevable que ces juifs profondément religieux aient ignoré un tel verset prophétique ? Or le verset d’Osée commence par évoquer les blessures subies et que Dieu vient justement guérir…

Tout ceci montre bien que cette idée de Résurrection a germé dans un terreau juif dont Jésus est le produit ; mais nous voyons aussi ce qui sépare l’histoire de la mémoire : là où les juifs, demeurés fidèles à l’enseignement de la synagogue ne retenaient de la Pâque que la sortie d’Egypte, en somme la fête de la liberté et l’abolition de l’esclavage, d’autres juifs, désireux de renouveler leur religion par l’intermédiaire de Jésus, jugent que sa crucifixion a nécessairement un sens, qu’elle avait été voulue par Dieu afin de rédimer une humanité pécheresse… C’est un total déplacement de sens, un changement absolu de perspective.

Dans le sillage de Philo d’Alexandrie, l’exégèse patristique est allée dans la même direction en allégorisant la prescription majeure de la fête pascale : la consommation de pain azyme qu’elle interprète comme une exhortation à la modestie et à l’humilité. Alors que le pain levé, couramment consommé, évoque un cœur humain gonflé d’orgueil. Quant à l’Egypte ancienne transformée en berceau de l’esclavage, Philo d’Alexandrie nous invite à n’y voir que l’allégorie d’un espace dénué de spiritualité et d’amour du prochain.

Car, au fond, n’est-ce pas là le véritable enseignement de cette double célébration de la Pâque ? Même un pasteur luthérien comme J. G. Herder relevait que « notre humanité n’est qu’un état transitoire, le bouton d’une fleur qui doit éclore et aboutir à une sorte d’humanité divine… » Tel devrait être l’enseignement éthique de la commémoration de la Pâque, juive et chrétienne : l’abolition de toutes formes d’esclavage, le bannissement de la souffrance et la foi en un avenir meilleur, c’est-à-dire une sorte de résurrection. Herder écrivait aussi que le plus beau rêve de la vie future est que nous jouirons, un jour, dans une humanité fraternelle, du commerce de tous les sages, de tous les justes… Quand on veut préserver son être de l’oubli éternel, on recourt à la résurrection.

Et Ernest Renan lui fit écho en expliquant que la résurrection pourrait être entendue comme la poursuite de la vie dans le cœur de ceux qui vous aiment.

Mais je voudrais laisser le dernier mot à ce grand philosophe allemand, Franz Rosenzweig, mort en 1929 et auteur de l’Etoile de la rédemption où écrivait en conclusion ceci :

Devant Dieu, tous deux, Juif et Chrétien, sont par conséquent des ouvriers travaillant à la même œuvre. Il ne peut se priver d’aucun des deux. Entre eux, il a de tout temps posé une inimitié et néanmoins, il les a liés ensemble dans la réciprocité la plus étroite. Tel est le vrai message de Pessah et de Pâques.

Maurice-Ruben Hayoun Headshot

Publication:
Mis à jour:

Le bio halal s’implante doucement en France

Apparue aux Etats-Unis, la viande halal bio est disponible depuis quelques années en France. S’il n’y a pas de véritable engouement des consommateurs musulmans, ce secteur de niche attire un noyau de fidèles qui devrait s’élargir dans les années à venir. Entretien avec des pionniers.


Le bio halal s’implante doucement en France
Double certification. Depuis quelques années, les musulmans de France peuvent consommer de la viande halal et issue de l’agriculture biologique. Un marché encore très modeste, mais qui a un « vrai potentiel » dans l’Hexagone, estime Hadj Khelil, le fondateur de la marque Tendre France, et pionnier des produits carnés halal et bio en France. La tendance est apparue dans les années 2000 aux Etats-Unis. Actuellement, le marché du bio halal prend de l’ampleur outre-Atlantique. Il a aussi gagné le Royaume-Uni et d’autres pays d’Europe occidentale. Ceux qui se sont lancés dans le créneau estiment que l’industrie du halal est uniquement préoccupée par la façon dont meurt l’animal, et non de la façon dont il vit. Or manger halal, c’est manger sain, affirment-ils. Le marché est porté grâce au développement d’une classe moyenne parmi les populations musulmanes. Dotée d’un pouvoir d’achat plus important, cette dernière veut avoir accès à des produits de meilleure qualité que ceux qui sont généralement proposés. Car, aux Etats-Unis comme en France, par souci de coût, le halal est souvent le parent pauvre de l’industrie agroalimentaire.
Hadj Khelil, le fondateur de Tendre France.

Hadj Khelil, le fondateur de Tendre France.

Des débuts difficiles en France

Avec un marché des aliments bio estimé à 8 milliards d’euros en France en 2015 et un marché du halal donné à plus de 5 milliards d’euros depuis plusieurs années, la niche de la niche a aiguisé quelques appétits. Hadj Khelil a été le premier à se lancer sur le créneau. Acteur du bio depuis 2002, avec sa société Bionoor, « c’est de manière naturelle » qu’il est venu à la viande halal et bio. En 2012, il lance Tendre France, une marque de bœuf bio halal – et, depuis peu, une marque de charcuterie –, après trois années de démarches pour obtenir le label auprès de l’organisme Ecocert, pour qui les deux certifications étaient incompatibles. Aujourd’hui, les affaires se portent bien, mais « on est loin de l’explosion à laquelle je m’attendais », explique Hadj Khelil. « La demande est soutenue, régulière, mais bien en-dessous de ce que j’avais anticipé », confie l’entrepreneur, qui enregistre une progression de son chiffre de 10 à 15 % par an. Autre signe d’encouragement, il fournit plus de points de vente et de restaurants en viande halal et bio qu’au lancement de sa marque.
 

Des réticences multiples

Cependant, les résistances sont doubles, analyse le pionnier du bio halal en France. Les bouchers halal rechignent à vendre du bio, d’abord parce que les méthodes de fonctionnement seraient « très fortement bousculées », explique Hadj Khelil. Surtout parce que la viande bio est vendue plus chère que la viande classique, les commerçants « se disent que les clients ne voudront pas payer plus ». La question du coût est « de toute évidence » un frein, reconnaît l’entrepreneur. De fait, les clients ne sont pas toujours prêts à payer plus pour manger mieux. Ou à manger moins, mais mieux. « Les musulmans, statistiquement, sont les plus gros consommateurs de viande par tête, en quantité, mais pas en qualité », rappelle le patron de Tendre France. Mais selon ce dernier, les musulmans sont « emprisonnés dans leurs habitudes », et ils « n’ont pas compris l’intérêt de manger bien ».
Les Jumeaux, Slim et Karim.

Les Jumeaux, Slim et Karim.

« La nouvelle génération se pose des questions »

Un argument que relativise Karim Loumi, responsable avec son frère Slim de la boucherie halal Les Jumeaux, qui ambitionne de devenir 100 % bio. Selon le boucher, il y a une vraie différence générationnelle. Il compte de nombreux musulmans plutôt jeunes dans sa clientèle, davantage sensibilisés aux bénéfices d’une alimentation saine que leurs aînés. « La nouvelle génération se pose des questions », déclare-t-il.Quand ils ont ouvert leur boucherie aux Lilas, en région parisienne, il y a quatre ans, les frères Loumi ne vendaient que de la viande classique, avant de monter en gamme. C’est avec Hadj Khelil que ces pionniers ont pu se lancer dans le marché. Pendant longtemps, ils ont été la vitrine de Tendre France, avant de prendre leur indépendance. Ils continuent à vendre du bœuf halal et bio, mais aussi de l’agneau, du poulet et parfois du veau doublement certifiés, en traitant directement avec les producteurs et en se chargeant des démarches administratives.

Des clients prêts à venir de loin

Si, à leur passage au bio, les bouchers ont bien perdu des habitués à cause de l’augmentation des prix, Les Jumeaux ont gagné beaucoup d’autres clients. Auparavant, 90 % de la clientèle était non musulmane. Aujourd’hui, en gardant le même nombre de clients non musulmans, le rapport est inversé. Par ailleurs, les clients viennent de très loin, attirés par le bouche-à-oreille. En plus de leur clientèle de proximité, des acheteurs musulmans viennent de toute l’Île-de-France, et même parfois d’autres villes de France. Ils ont aussi une grosse clientèle de convertis, fidélisée par la charcuterie halal et maison produite par Karim et Slim, bien meilleure que la charcuterie vendue sous vide dans les supermarchés. Au moment de parler chiffres, Karim reste discret sur le sujet. Il reconnaît tout de même que son chiffre d’affaires a « énormément progressé » depuis qu’il fait du bio. Mais ce n’est pas pour cette raison qu’il s’est lancé dans ce créneau, ni parce que « c’est à la mode ». Le bio, « c’est une vraie démarche », « une nécessité même », assure le boucher, expliquant que « le halal, cela veut dire sain, pas seulement égorgé. C’est un ensemble ».Tous les consommateurs musulmans ne se mettront pas au bio, mais Les Jumeaux devraient encore gagner des clients dans les années à venir. Signe que le secteur attire et semble promis à un bel avenir, Biolal s’est lancé sur le marché avec l’entremise des Jumeaux. La marque, qui appartient à la société Terres fermes, a annoncé au mois de mars la commercialisation de volailles certifiées bio et halal, et « une gamme complète de différentes viandes » dans un avenir proche. Le directeur général de la société Isla Mondial, Karim Acherchour, a également annoncé sur OummaTV avoir réalisé des tests sur des produits bio avec un partenaire certifié par AVS.Lentement mais sûrement, les consommateurs musulmans désireux de manger bio et halal auront une offre plus variée et plus importante à leur disposition.

Rédigé par Christelle Gence | Lundi 9 Mars 2015

Pour en savoir plus : http://www.saphirnews.com

La laïcité, notion biaisée par les politiques

On la voit dans les côtelettes de porc servies à la cantine. On va la chercher dans les cheveux des puéricultrices de crèches et des étudiantes de fac. «La laïcité est récemment devenue la quatrième valeur de la devise républicaine française», note Valentine Zuber, historienne. Problème : alors que, depuis les attentats de janvier, les dirigeants politiques, à droite bien sûr mais aussi à gauche, ont convoqué la laïcité pour sceller l’union nationale, personne ne s’entend en réalité sur ce qu’elle signifie. Ce mot devenu parapluie, mécompris, distordu, et parfois instrumentalisé, abrite désormais des versions opposées. Laïcité libérale ou extensive ? Pour les partisans de la première, l’Etat doit être neutre et se borner à organiser la coexistence des convictions de chacun. Pour les seconds, les citoyens doivent aussi accepter de devenir un peu plus neutres dans l’espace public. Les premiers mettent au-dessus la libre expression individuelle et donc des croyances ; les seconds privilégient une cohésion nationale qui nécessiterait de lisser les différences culturelles ou cultuelles.

Qu’en disent les universitaires qui travaillent, précisément, sur la laïcité ? Que nous apprennent-ils sur ce mot polyphonique ? Premier constat : dans le milieu universitaire, l’obsession du voile et des menus à la cantine, brandie par Nicolas Sarkozy pendant la campagne des départementales, et plus largement le besoin de refonder la laïcité dans un sens plus restrictif, font bondir une majorité de chercheurs. Ceux-là dénoncent un dangereux dévoiement du concept par la classe politique. «Ces discriminations légales [envers les femmes voilées, ndlr] sont en train de construire un régime juridique d’exception, qui bafoue le droit à l’éducation et le droit au travail», écrivaient ainsi Marielle Debos, Abdellali Hajjat, Stéphanie Hennette Vauchez dans Libération (édition du 11 mars).

«Demande sociale». Dans les années 70, à l’université, la laïcité n’est même pas un sujet de débat ou de recherche. Ou alors historique. «A la fac de droit, on nous enseignait bien quelques arrêts anciens, mais pour tous, les choses étaient claires, simples, tranchées», raconte Patrice Rolland, juriste. C’est un fait divers qui va rendre le mot explosif. En septembre 1989, trois gamines d’un collège de Creil (Oise) veulent garder leur voile en cours. Le proviseur s’y oppose. L’histoire de Fatima, Leïla et Samira devient affaire d’Etat. Le ministre de l’Education, Lionel Jospin, estime que la scolarité des jeunes filles doit primer, que l’école ne peut les exclure. En novembre, Elisabeth Badinter, Régis Debray, Alain Finkielkraut, Elisabeth de Fontenay et Catherine Kintzler lui répondent vertement dans le Nouvel Obs : «Monsieur le ministre, l’avenir dira si l’année du Bicentenaire aura vu le Munich de l’école républicaine.» La recherche universitaire se saisit alors de la laïcité. Son approche en est entièrement renouvelée.

«Avec Creil, l’Etat s’est rendu compte que la religion devenait plus visible dans l’espace public. Il existait une demande sociale et il fallait l’étudier avec recul», témoigne Valentine Zuber (1). Une chaire d’histoire et de sociologie de la laïcité est fondée en 1991 à l’Ecole pratique des hautes études. Puis un laboratoire, le «Groupe sociétés, religions, laïcités», cofinancé par le CNRS et l’EPHE. A leur tête, alors, Jean Baubérot, figure tutélaire de la sociologie de la laïcité. Protestant, ce dernier est, avec le catholique Emile Poulat, décédé en novembre, le père fondateur d’une lecture souple de la loi de 1905. Une pensée que résume Philippe Portier, le remplaçant de Baubérot à la tête du labo : «La laïcité est une forme de reconnaissance du religieux. Elle garantit la liberté de chacun d’exprimer sa foi tant qu’il ne bouleverse pas l’ordre public.» Aujourd’hui, une cinquantaine de sociologues, historiens, juristes ou philosophes travaillent dans le labo, qu’ils soient athées pur jus ou marqués par une culture religieuse. «Ces problématiques ont vite connu un très grand succès», raconte Valentine Zuber, elle-même chercheuse au sein du GSRL.

Sphère privée. A côté de la libérale «école Baubérot», un courant de chercheurs retraçant une analyse postcoloniale de la société s’oppose, à partir des années 2000, lui aussi radicalement à une laïcité restrictive et militante. Ceux-là dénoncent l’islamophobie sous couvert de la loi, la domination de la majorité sur certains groupes ethnoraciaux. «Depuis plus de dix ans, le voile est une question qui n’a fait qu’instrumentaliser à moindres frais les droits des femmes au profit de politiques racistes aux relents paternalistes et colonialistes», écrivaient ainsi des enseignants-chercheurs (dont Nacira Guénif-Souilamas, Marwan Mohammed et Eric Fassin) dans une autre pétition publiée dans Libération le 8 mars, signée depuis par 1 800 universitaires.

Si aujourd’hui la majorité de chercheurs est favorable à cette laïcité «ouverte», le relatif consensus ne doit pas faire oublier l’existence de voix divergentes, d’autres regards. Des philosophes, surtout, cherchent à refonder le concept de laïcité. Comme Catherine Kintzler (2) ou Henri Pena-Ruiz. «Il faut ranimer cette laïcité qui a été offerte en cadeau au Front national, estime la philosophe. La république distingue des espaces privés et publics, organise des respirations, c’est en cela qu’elle est le contraire de l’intégrisme. L’élève aussi a droit à une double vie, hors du regard de ses parents. L’école n’a pas à refléter la société.» Dans cette optique, les particularismes doivent être relégués dans la sphère privée, au nom d’un principe supérieur : le vivre ensemble. Portée par des essayistes et des intellectuels médiatiques, soutenue par «la forteresse enseignante», selon Philippe Portier, la voix de cette laïcité de combat porte davantage dans le débat public.

Catherine Kintzler est philosophe. Ancienne professeure de lycée, aussi. Lors de l’affaire du voile de Creil, c’est elle qui avait cosigné la tribune du «Münich scolaire». Le mois dernier, elle a failli s’étrangler en écoutant François Hollande qui, après les attentats de Charlie Hebdo et de l’Hyper Cacher, tentait de fixer un cap à sa laïcité. «Contrairement à ce que dit le président Hollande, qui cite la loi de 1905 à l’envers, la république ne reconnaît pas tous les cultes, elle n’en reconnaît aucun !» reprend-elle. La laïcité est ici un idéal républicain. C’est aussi ce qu’affirmait l’éditorial de Charlie Hebdo des «survivants». En une, le prophète pardonnait tout. A l’intérieur, l’éditorial disait «pas la laïcité positive, pas la laïcité inclusive, pas la laïcité je ne sais quoi, la laïcité point final». «L’article prônait « une laïcité sans qualificatif », commente l’historienne Florence Rochefort (3). Je comprends le mot d’ordre. Mais les chercheurs ne peuvent pas souscrire à cette approche. Il y a sans doute une envie de laïcité dans la société civile aujourd’hui. Mais elle ne peut pas être un catéchisme. Ce que les sciences sociales révèlent, c’est que la laïcité est toujours le résultat d’un rapport de force.» «Le risque, renchérit Philippe Portier, c’est que les pratiques concrètes ne soient analysées que comme des écarts à ce modèle idéal.»

«Livre de tout le monde». Depuis les années 2000, dans les travaux de recherche, la laïcité est croisée avec d’autres thématiques, comme le féminisme, les migrants, les nouveaux courants religieux, la médecine ou la mort… Au sein du GSRL, Florence Rochefort interroge la laïcisation par le prisme du genre. Elle a notamment montré que les militants laïcs de la IIIe République ont finalement trouvé un terrain d’entente avec l’Eglise en sacrifiant les femmes et leur droit de vote. La laïcité n’a pas toujours été le combat féministe que prétendent les pourfendeurs du voile d’aujourd’hui. «Depuis 1900, le pacte laïc s’est chaque fois construit sur des exclusions : les femmes, les homosexuels… Il faudrait éviter que le pacte de réconciliation nationale qu’on voit poindre aujourd’hui se fasse contre les jeunes femmes musulmanes», prévient l’historienne.

Les sciences sociales ont désacralisé la laïcité. Les comparaisons internationales l’ont sortie de son splendide isolement français. «Il existe des laïcités multiples, qui renvoient chacune à différentes manières d’accommoder les relations entre la religion et la politique», précise Philippe Portier. A tel point que des chercheurs étudient aujourd’hui la «laïcité états-unienne». Laïc, ce pays qui fait prêter serment à ses présidents la main sur la bible ? «La République française a fondé son identité sur l’absence de dieu, explique Valentine Zuber. Le contrat politique anglo-saxon se fonde, lui, sur une transcendance : les députés américains jurent sur un livre fermé, le Livre de tout le monde. Un député américain musulman a ainsi prêté serment sur le Coran.» Pour cet Etat beaucoup plus religieux que l’Etat français, le pilier de la laïcité n’est pas la neutralité, mais la séparation entre l’Etat et les cultes – là-bas bien plus étanche qu’ici.

«Pas comprise». Le jour où nous avons interviewé Florence Rochefort, elle allait être auditionnée par les sénateurs. «Je dois dire qu’il est difficile pour nous, chercheurs, de parvenir à faire entendre les nuances que peut revêtir le voile pour une jeune fille, quand les hommes politiques et une partie des féministes ont décidé que le foulard ne pouvait avoir qu’une seule signification : l’oppression», confiait-elle. Puis nous avons échangé avec une de ses collègues, qui venait d’être entendue par les mêmes sénateurs : «J’ai dû mal m’exprimer, ils ne m’ont pas comprise.»

Les chercheurs se plaignent de n’être pas entendus. «Le 11 septembre 2001, puis l’arrivée du FN au deuxième tour de la présidentielle de 2002 ont marqué un basculement : le discours des sciences sociales a été disqualifié», note le politologue Abdellali Hajjat, qui travaille sur ce qu’il nomme «la construction du problème musulman» en France. «Experts, essayistes ou politiques nous ont dit : « Vous n’avez pas réussi à repenser la société. Vous êtes des idéalistes, vous ne faites pas face à la réalité. »»Les élus locaux disent ne pas retrouver dans les travaux universitaires ce qu’ils voient aujourd’hui dans leur circonscription. «Il y a tout de même une montée de la religiosité. Mais ça, qui en parle parmi ces universitaires de gauche ?» s’agace un intellectuel, ancien membre de la commission Stasi. Réuni en 2003, ce groupe de réflexion devait plancher sur l’opportunité d’une loi interdisant le voile à l’école (qui sera votée un an plus tard). La commission s’étonnait déjà du manque d’études scientifiques quantifiant la présence réelle de voiles à l’école.

Des signes épars laissent pourtant espérer un dialogue plus fructueux entre élus et chercheurs. La revue socialiste vient de consacrer son numéro de mars à la laïcité – les partisans d’une option libérale et ouverte y sont largement représentés. L’Observatoire de la laïcité, relancé par François Hollande pour pacifier les débats sur l’expression religieuse dans l’espace publique, a donné aux chercheurs l’impression d’être enfin entendus. Leur message est simple, à l’image de celui de Florence Rochefort : «La laïcité n’a pas réponse à tout.»

Sonya FAURE

Pour en savoir plus : http://www.liberation.fr

(1) «Le Culte des droits de l’homme: une religion républicaine française», éd. Gallimard.

(2) «Penser la laïcité», de Catherine Kintzler, éd. Minerve.

(3) «Normes religieuses et genre: mutation, résistance et reconfiguration XIX-XXI», éd. Armand Collin.

A lire également «La Possibilité du cosmopolitisme», de Constantin Languille, éd. Gallimard.

La diversité ethnique, source de performance pour l’entreprise

Les jeunes diplômés d’origine étrangère se heurtent toujours à un plafond de verre. Comment faire bouger les entreprises ?

Le point avec Jean-Paul Delevoye, président du Conseil économique, social et environnemental, et Sonia Hamoudi, personnalité associée.

Par Isabelle Hennebelle, , Benjamin Turquier

Publié le

 

Pour en savoir plus : http://videos.lexpress.fr

Repas alternatifs à la cantine : l’appel des végétariens

Les repas servis à la cantine sont au coeur de la polémique depuis 15 jours.

La décision du maire de Chalon-sur Saône de supprimer les repas de substitution dans les cantines de sa ville a provoqué la polémique. Des personnalités profitent du débat pour prouver les vertus des menus sans viande.

Faut-il supprimer les menus de substitution, sans viande de porc, dans les cantines ? À l’origine du débat, le maire UMP de Chalon-sur-Saône, Gilles Platret, qui a décidé d’appliquer ce principe au nom de la laïcité. Le soutien de Nicolas Sarkozy à cette décision a divisé jusque dans son camp, illustrant la polémique née de cette décision.

Le Monde publiait jeudi une tribune signée par des personnalités en faveur du menu alternatif. Mais pas exactement celui dont Gilles Platret s’est fait le fossoyeur. Ces personnalités, dont Matthieu Ricard, prônent un repas végétarien à la cantine. «Le repas végétarien, le plus laïc de tous», c’est le titre donné à cet appel. «Le plat végétarien est une solution laïque et œcuménique aux préférences alimentaires de chacun, qui a le mérite de représenter l’alternative la plus simple […]. Le repas végétarien réunit tout le monde.»

Une autre image de la cuisine française

Allain Bougrain-Dubourg, président de la Ligue pour la protection des oiseaux est cosignataire de cette tribune. Il explique au Figaro l’idée défendue par le texte. «Nous voulons que les cantines scolaires proposent un menu végétarien aussi souvent que possible.» En plus des menus traditionnels, donc. «Pas question de dogmatisme», pour les signataires. Allain Bougrain-Dubourg l’assume, la polémique sur la laïcité a été «l’occasion de formuler des idées qui trottaient déjà dans la tête des signataires». «Nous faisons une proposition crédible et qui n’est pas idéologique», explique-t-il.

«Dans notre article, nous avons évité toute stigmatisation. Nous nous somme abstenus de parler des méthodes d’abattage cruelles qui sont utilisées pour la viande casher et halal, de la traçabilité qui est difficile, mais c’est une réelle préoccupation», affirme le président de la Ligue de protection des Oiseaux (LPO). La philosophie du texte veut ainsi pousser à la réflexion contre la souffrance animale. Allain Bougrain-Dubourg évoque comme autre exemple le «foie gras, emblème de la gastronomie française. Nous voulons donner une autre image de la cuisine de notre pays».

Prendre exemple sur McDonald’s

Concrètement, les enfants qui suivent un régime alimentaire confessionnel trouveraient donc dans leurs assiettes un repas alternatif végétarien, et ne seraient pas exclus s’il y a du porc au menu. Mais ils mangeraient également mieux.

Car le texte n’est pas non plus dénué de revendications écologistes. Allain Bougrain-Dubourg évoque l’exemple McDo. «Aujourd’hui leurs yaourts sont bios. C’est bien la preuve que des commandes en nombre et une relation sur le long terme avec les producteurs peuvent abattre l’idée reçue que si c’est bio, c’est cher.» Le modèle industriel pourrait donc être appliqué aux collectivités locales, qui s’engageraient auprès des agriculteurs bio.

Avec la conférence climat en décembre à Paris en ligne de mire, le texte rappelle que l’élevage serait responsable de 60% des émissions de méthane dans le monde, ce qui représente 14,5% de la production de gaz à effet de serre.

Le principe de ces menus végétariens est déjà appliqué dans quelques cantines françaises. C’est notamment le cas à Paris, dans les cantines du XVIIIe arrondissement, où des repas sans viande sont servis deux fois par mois. Mais aussi à Saint-Etienne, où les élèves peuvent manger végétarien tous les jours. La décision a été prise en décembre dernier, par le maire UMP de la ville.

Par Akhillé Aercke

Mis à jour

Publié

 

Les français et l’assiette

Pierre Birnbaum est historien et sociologue. Professeur émérite à l’université Paris I-Panthéon-Sorbonne, il a publié La République et le cochon (Seuil, 2013). Dans cet ouvrage, il montre combien la question des particularismes alimentaires a suscité des débats passionnés dès avant la naissance de la République française, et analyse de quelle manière l’État, si attaché au principe de laïcité, a envisagé l’exception alimentaire, de la Révolution à nos jours. Une analyse bienvenue, à l’heure où cette question suscite des débats enflammés au niveau politique.

 

Menu-cantine0

Depuis plusieurs mois, on note dans la vie politique française une crispation sur la question du casher, et surtout du halal. Ce débat est-il spécifique à notre époque ?

Non. Dans mon livre, j’étudie le rapport entre l’universalisme des Lumières au XVIIIe siècle et la spécificité des comportements alimentaires. Ce thème surgit chez celui qui symbolise le plus l’esprit des Lumières : Voltaire. Il se montre hostile à toute forme de séparation interne à la nation – sans qu’il y ait nécessairement une dimension antisémite dans ses propos. La même question rejaillit aujourd’hui : jusqu’où peut-on tolérer l’exceptionnalisme dans notre société ? Avec une crainte sous-jacente : que cela porte atteinte au socle républicain.

Ces polémiques ont-elles affecté les autres pays européens ?

Alors que les philosophes français et les Jacobins ont développé l’idée d’un corps unifié de la nation – homogénéisé par la raison –, les Lumières à l’anglaise se sont ouvertes au pluralisme et au libéralisme. Un événement illustre à merveille cette ouverture des pays anglo-saxons. Le 4 juillet 1788 – jour de la fête de l’Indépendance des États-Unis –, une grande parade a lieu à Philadelphie. La fête s’achève par un immense banquet réunissant des milliers de citoyens. Parmi eux, des rabbins mangent de la nourriture casher, sans que personne ne s’en offusque. Ce qui compte, c’est de participer non à la nation, mais à une « Nation of nations », comme le dit George Washington. Au même moment, en France, les révolutionnaires vont détruire toute forme d’identités collectives : patois, corporations, etc., et rêver d’une table commune à tous les citoyens.

La période de la Révolution affectionne les banquets, propices à l’épanouissement d’un esprit citoyen. Pourquoi ?

Le restaurant est une invention française qui date du XVIIIe siècle. Le député Charles de Villette, proche de Voltaire, se plaît à imaginer un banquet utopique où l’on verrait « un million de personnes assises à la même table (…) ; et ce jour, la nation tiendrait son grand couvert. » C’est le rêve républicain de la réconciliation des différences. Tous ceux qui ne viennent pas manger au banquet de la nation en raison de leurs croyances – même s’ils sont patriotes – posent problème. Dans les pays anglo-saxons, au contraire, la nourriture est une affaire privée. Le repas n’a pas cette dimension collective. S’il est très difficile de savoir avec précision ce qu’on mangeait lors des banquets républicains, le cochon y était partie prenante. De même en ce qui concerne les menus publics des présidents français ou des préfets : aujourd’hui encore, il s’agit bien souvent de mets que des juifs religieux ne peuvent manger.

Des voix se sont-elles élevées contre cette volonté d’uniformisation alimentaire ?

Il faut savoir que les catholiques, bien plus que les juifs, ont souffert de cette intransigeance jacobine. Ceux qui mangeaient du poisson le vendredi risquaient la prison ! Certains catholiques ont donc pris position contre l’universalisme jacobin, en particulier le comte de Clermont-Tonnerre, qui déclara : « Y a-t-il une loi qui m’oblige à manger du lièvre et à en manger avec vous ? » Il milita en faveur de l’émancipation des Juifs, processus qui leur a permis de devenir des citoyens à part entière de la nation française, bénéficiant des mêmes droits que leurs compatriotes. Clermont-Tonnerre s’est opposé à ceux qui considéraient – et ils étaient nombreux – que les Juifs ne pouvaient être émancipés parce qu’ils « ne pourront ni boire ni manger, ni se marier avec des Français ! », comme le clamait le Jacobin Reubell en 1790. L’abbé Grégoire, lui aussi, a défendu l’idée que la fraternité n’était pas incompatible avec le maintien de nourritures distinctes.

En 2012, le Premier ministre François Fillon a qualifié les régimes halal et casher d’« anachroniques ». Or, ils semblent connaître un regain d’intérêt à l’heure actuelle.  Comment l’expliquer ?

C’est toute la question de la légitimité du religieux qui se pose ici. Toute forme de croyance peut être jugée anachronique au siècle où la technologie est reine. Le possible retour de ces pratiques alimentaires témoigne d’un besoin de réenchantement du monde qui ne remet pas nécessairement en cause les valeurs universalistes et la citoyenneté. Cela dit, un tel retour reste difficile à évaluer, car on ne sait pas grand-chose de la réalité de ces pratiques, du moins pour la cacherout, aux siècles antérieurs.

Candidat à la présidentielle, François Hollande déclarait que, lui élu, le halal ne serait jamais toléré dans les cantines. Les spécificités alimentaires sont-elles incompatibles avec une société laïque ?

Je ne le crois pas. Il y a eu une forme de translation du modèle catholique au modèle républicain. La table républicaine, c’est la Cène métamorphosée, la communion républicaine. S’il est nécessaire d’éviter toute forme de communautarisation dans l’espace public, il faudrait que chacun puisse consommer, à la table de la République, une nourriture conforme à ses valeurs. Sous la IIIe et la IVe République, l’école avait su se montrer tolérante et ouverte au pluralisme. Le temps des accomodements raisonnables semble aujourd’hui problématique.

Le cochon apparaît comme l’objet du clivage, comme le montrent les manifestations « saucisson et pinard » organisées depuis quelques années. On a l’impression qu’aux yeux de ceux qui s’élèvent contre la cacherout ou le halal, être français, c’est manger du cochon ?

Ce type de manifestation n’est pas anodin car il reflète le rêve qu’ont certains d’homogénéiser de manière identitaire l’espace public et la citoyenneté. Il y a deux ans, une quarantaine de députés ont commémoré la fête nationale autour d’un apéritif « saucisson-pinard » au sein même de l’Assemblée nationale. Les banquets révolutionnaires s’en prenaient certes aux particularismes, mais c’était au nom de l’universalisme, dans une volonté d’intégration. Ici, on se trouve face à des repas organisés pour exclure l’autre qui n’en est pas moins citoyen.

Propos recueillis par Virginie Larousse – publié le 25/03/2015

Pour en savoir plus : http://www.lemondedesreligions.fr/

 

Pour une grande politique de la diversité

Dans une thèse menée entre 2000 et 2005, nous avons montré que le rapport à l’islam d’enfants d’immigrés est lié à leurs trajectoires d’entrée dans la vie adulte, celles-ci s’allongeant désormais jusqu’au-delà de la trentaine. Ces jeunes estiment, non sans raison, que la couleur de leur peau, le fait d’être enfants de l’immigration postcoloniale et leur quartier d’habitation sont l’objet de jugements dépréciatifs qui contrarient leur accès aux opportunités sociales, à l’école, sur le marché du travail comme aux guichets des administrations.

Certains jeunes cherchent alors dans l’islam une inscription dans une généalogie prestigieuse. Se considérer comme descendant de Mahomet et se rapprocher de ses compagnons par l’habit et la piété est une quête de requalification. Celle-ci est façonnée par les offres religieuses salafistes dans lesquelles un islam dés-historicisé est censé gouverner la vie du croyant de la naissance à la mort. Cette identification à l’islam ne donne généralement pas lieu à une radicalisation violente, certains jeunes devenant simplement pieux. Dans d’autres situations, pourtant, la filiation s’éprouve au travers d’une inscription dans une communauté musulmane mondiale qu’il s’agit de défendre par les armes contre les attaques dont elle est l’objet.

Féminité islamique

En revanche, les identifications des jeunes femmes à l’islam relèvent d’autres logiques. Certaines d’entre elles s’attachent à un islam spirituel (plutôt que culturel) pour mettre à distance la religion parentale dominée par les obligations. Porter le foulard permet aussi, lors des premières années à l’université, de montrer sa fidélité à la famille pour accéder ensuite à une plus grande autonomie.

Ces artisanes de liberté tempérée considèrent que les discours qui articulent féminisme et dénonciation des inégalités des sexes au sein des populations immigrées sont une violence faite à leurs familles. Dans certains cas, afficher les signes d’une féminité islamique dans l’espace public est une protestation contre un type de féminisme qui stigmatise les populations. Ce fait protestataire n’est pas nouveau. Dans le contexte étatsunien, les Afro Américaines ont développé des mouvements autonomes de lutte contre le racisme et le sexisme parce que le féminisme des blanches mettait à l’écart les populations noires.

Les trajectoires de ces filles d’immigrées façonnent aussi leurs sensibilités, qui sont plutôt conservatrices, sur la famille et le couple. Ces positions ne relèvent pas d’un «défaut d’assimilation», qu’il faudrait corriger, et encore moins de radicalisation ; elles sont un point de vue, parmi d’autres, dans une société pluriculturelle.

Reconnaissance de la pluralité culturelle

En France, le développement du salariat et de l’État social, la scolarisation de masse dans une école laïque, publique et gratuite ont stabilisé un contrat social fondé sur l’égalité des individus en droit, la laïcité et la neutralisation des différences dans l’espace public. Ce républicanisme est mis à l’épreuve pour trois raisons. Tout d’abord, dans les sociétés européennes contemporaines se rencontrent des populations dont les croyances, les pratiques et les représentations du monde sont diverses. Ensuite, la globalisation modifie les cadres de référence de l’individu. Les mobilités, dans le cyberespace comme entre les régions du monde, facilitent la multiplicité des appartenances et des loyautés. Ce contexte de dés-imbrication de l’État, de la nation et de la société fragilise les logiques de reproduction et l’adhésion du plus grand nombre à des valeurs partagées héritées d’hier. Enfin, l’accroissement des inégalités socio-économiques depuis 1975, après une longue période de reflux de celles-ci, déstabilise la logique de réciprocité sur laquelle reposait le contrat social.

Le républicanisme reste un type d’organisation socio-politique valable mais son articulation avec l’expression des différences doit être revisitée. En premier lieu, la reconnaissance de la pluralité culturelle de notre pays est indispensable. Les élus devraient davantage rappeler que le port du foulard ou du qamis dans la rue exprime une religiosité, garantie par la liberté de conscience, pilier fondateur de la laïcité. En deuxième lieu, le débat public sur les migrations et la diversité, aujourd’hui monopolisé par quelques acteurs, devrait refléter les différences qui traversent la société française. De nombreuses voix y sont complètement absentes car elles n’ont pas accès aux grands médias et s’expriment alors sur le net, espace de liberté sans garde-fous. Enfin, une grande politique nationale visant les discriminations liées à l’origine, réelle ou supposée, est plus que jamais nécessaire. Son absence a nourri, pendant des décennies, la représentation selon laquelle le racisme et les épreuves liées à l’origine et à la couleur de peau n’étaient pas pris au sérieux par la puissance publique, alimentant un ressentiment qui s’exprime à son paroxysme dans les quartiers les plus ségrégués.

Nathalie Kakpo est auteure de L’islam, un recours pour les jeunes (Presses de Science Po).

Nathalie KAKPO docteure en sociologie
Pour en savoir plus : http://www.liberation.fr

 

Sept mots-clés méconnus pour mieux comprendre l’islam

Testez vos connaissances : un petit lexique sort en librairie. Il clarifie tous ces termes qui inondent les médias. Et en révéle d’autres.

DervicheTourneurSoufi

Derviche tourneur soufi, une méditation par le mouvement.Image: DR

«Petit lexique pour comprendre l’islam et l’islamisme.» Tout simplement. C’est sous ce titre que paraît cette semaine un précieux ouvrage publié par l’éditeur Erick Bonnier, sous la direction de l’universitaire genevois Hasni Abidi, chercheur au Global Studies Institute. Djihad, fatwa, talibans, wahhabisme, mais aussi Daech ou encore Boko Haram… «Au-delà des controverses et des polémiques», le politologue entend clarifier les mots de l’islam. Parce que «les amalgames et les déformations (…) ne font qu’amplifier l’incompréhension, les clichés et le repli.» En voici sept, de ces mots, très largement méconnus, qui illustrent pourtant la grande complexité de cette religion.

1. Choura

La «consultation» des croyants est une obligation faite au Prophète directement par Dieu, selon le Coran. De nos jours, cela a permis «de justifier l’instauration de régimes parlementaires de type occidental, tout en mettant en oeuvre la notion coranique».

2. Dhimmi

Le «citoyen non musulman d’un Etat musulman» a le même statut juridique qu’un «hôte protégé». Il s’applique surtout au «peuple du livre» (juifs et chrétiens), mais inclut aussi parfois zoroastriens et sabéens. Les dhimmis sont soumis à des impôts spécifiques. «En échange, leur liberté de mouvement ainsi que la protection de leur vie, de leur corps et de leurs biens sont assurées. De même, une pratique restreinte de leur religion leur est garantie.» Mais pas question de «construire des lieux de culte» ni de «faire du prosélytisme» ou d’organiser «des manifestations religieuses ostentatoires».

3. Djihad (le vrai)

Ce mot, tout le monde pense le connaître ! Devenu synonyme de «guerre sainte» dans les médias, il a pourtant une toute autre signification. Il s’agit d’un «effort» tendu vers un objectif louable. Dans sa forme dite «majeure», il s’agit d’un «combat constant de l’homme contre ses passions, effort spirituel dont l’importance primait, à l’origine, sur l’effort guerrier». Dans sa forme dite «mineure», il désigne effectivement une «guerre légale», donc respectant des règles de droit. Ce qui est finalement assez limitatif. De nos jours, les groupes dits «djihadistes» accusent «leurs adversaires musulmans d’hérésie», car la loi islamique autorise la lutte armée dans le cas où «un dirigeant musulman renonce à sa foi».

4. Ijtihad

Ce mot désigne en arabe «l’effort le plus intense (physique ou mental) que l’on place dans une activité». Mais il se réfère généralement à «l’exercice intellectuel entrepris par les oulémas ou muftis» pour comprendre les véritables implications de ce qui est écrit dans le Coran. C’est un «devoir religieux dont le fruit doit constituer le reflet de l’esprit et de la lettre des sources coraniques». Quitte à «se distancer des maîtres du passé». Bref, pas question de piquer au hasard des versets et de les appliquer littéralement, il faut au contraire faire un effort d’interprétation pour bien saisir dans quel esprit ils ont été écrits. «De nos jours, ceux qui souhaitent réformer le droit musulman» se sont emparés de ce concept.

5. Soufisme

Nos médias parlent rarement de ce mouvement mystique. Il s’est pourtant implanté très tôt dans «tout le monde musulman». Influencés par «l’ascétisme chrétien» et «le monachisme bouddhiste», les soufis «estiment pouvoir accéder personnellement à la révélation de Dieu, d’où l’effort d’aller outre les paroles divines contenues dans le Coran». Du coup, «en relativisant le rôle du Prophète, leur mouvement a fait l’objet de persécutions». Récemment, on a vu des djihadistes détruire des mausolées soufis, «accusés d’hérésie».

6. Takfir

Construit sur la même racine que kafir (mécréant), ce terme «se réfère à l’acte d’excommunier un individu ou un groupe d’individus de religion musulmane en raison de leur mécréance en Dieu.» De nos jours, les groupes radicaux, dénommés takfiristes, font un grand usage du takfir, accusant de mécréance tous ceux qui ne partagent pas leurs opinions. Ainsi, «le groupe Etat islamique (Daech) et Boko Haram déclarent unilatéralement qui sont les apostats à éliminer afin de renforcer leur pouvoir à travers la terreur.»

7. Taqiya

Ce terme dérive d’un verbe signifiant «prévenir, se prémunir». Il se réfère à «une dissimulation de la foi par précaution», que ce soit «en cas de persécution ou pour éviter un préjudice». La sourate 3.28 du Coran dit: «Que les croyants ne prennent pas, pour alliés, des infidèles, au lieu de croyants. Quiconque le fait contredit la religion de Dieu, à moins que vous ne cherchiez à vous protéger d’eux.» Historiquement, la dissimulation a été systématisée par les chiites minoritaires, «accusés de toujours dissimuler leurs vraies croyances». Même si ce Petit lexique ne le dit pas, cette méfiance est souvent exprimée, de nos jours, face aux diplomates iraniens. (TDG)

Hasni Abidi, chercheur au Global Studies Institute, Université de Genève.
Créé: 17.03.2015, 15h28
Pour en savoir plus : http://www.tdg.ch/

Un MBA pour améliorer le management des religions

MBADiversitéDialogueManagement

Partant du constat que les religions pèsent de plus en plus dans l’entreprise, le MBA « Diversité, dialogue et management » de l’Institut catholique de Paris (ICP), unique en son genre, propose d’étudier les principaux courants religieux et culturels, et de mieux les comprendre afin d’améliorer le management.

C’est le doyen de la faculté de théologie et de sciences religieuses de l’ICP, Thierry-Marie Courau, qui en a eu l’idée dès 2010. A l’époque, on s’interrogeait sur les moyens d’intégrer « la diversité ». Depuis, le débat s’est déplacé sur les religions, notamment sur l’islam. L’ICP, qui a créé une formation des imams aux valeurs de la République, s’estime particulièrement bien placé sur ces questions. « L’idée du MBA est que, pour manager par le dialogue, il faut comprendre comment se comporter avec des personnes de cultures et de religions différentes, souligne Thierry-Marie Courau, ingénieur à l’origine, devenu franciscain et professeur de bouddhisme. Pour cela, nous nous appuyons sur nos recherches et nos ressources pédagogiques. »

Tous horizons

Cette année, ce MBA accueille dix personnes, de toutes confessions et de tous horizons – le directeur de communication d’un groupe, une directrice d’école enseignant le français langue étrangère (FLE), un psychologue spécialisé dans l’interculturel… Certains participants veulent se réorienter et rejoindre, par exemple, les pôles diversité d’entreprises ou de métropoles. « Nous pourrions aller jusqu’à 15 étudiants, mais pas plus, explique Anne-Sophie de Quercize, la directrice du MBA,car nous assurons un tutorat très approfondi pour aider chacun à affiner son projet et à trouver des stages qui lui correspondent. »

La formation débute par quatre semaines de cours sur les sept grands courants – christianisme, judaïsme, islam, bouddhisme, hindouisme, traditions asiatique et africaine. Puis l’étudiant part en immersion pendant trois semaines pour découvrir une autre religion au quotidien : à la rencontre d’une confrérie soufie au Maroc, dans un ashram indien ou dans un monastère bouddhiste. De retour à Paris, il enchaîne avec cinq séminaires de trois jours, animés par des professionnels, sur des questions concrètes – juridiques notamment – qui se posent dans l’entreprise. Le programme s’achève par un stage de trois à six mois dans une organisation ayant trait à la diversité.

En raison de l’actualité récente, les responsables du MBA ont vu affluer les demandes de renseignements et de formations spécifiques. Le ministère de la défense les a, par exemple, sollicités « afin d’expliquer la laïcité à ses cadres à travers le prisme historique ».

 

En pratique

Conditions d’entrée : bac + 4

Langue : français

Coût : entre 2 500 euros et 4 800 euros suivant les revenus, 7 020 euros en formation continue

Temps de formation : 400 heures sur un an, possibilité d’avoir un certificat si l’on suit les cinq séminaires de trois jours chacun.

 

Pour en savoir plus : http://campus.lemonde.fr/

Cette jeunesse musulmane qui veut quitter la France pour Dubai

Chayma-Haddou

Difficultés à trouver un emploi, stigmatisation liée à leur religion? : de plus en plus de jeunes Français, souvent bac + 5, songent à s’installer à Dubai.

Elle donne rendez-vous au pied des tours de la Défense. Dans ses yeux miroitent celles de Dubai. Chayma Haddou, 31 ans, titulaire d’un master en langues et d’un autre en business et stratégie, a achevé il y a peu un contrat de deux ans dans une grande banque. Elle est partie dans la foulée en repérage dans le Golfe, son « rêve américain ». C’était en janvier, la semaine des attentats. « Quand j’ai vu ça, je me suis dit que ça allait être dur pour nous, les musulmans… Ça m’a donné le cafard. » Dubai est, plus que jamais, une manière de se « fondre dans la masse », mais aussi « d’accélérer sa carrière ». « Ici, on n’a pas le droit d’oser, on n’est pas valorisé. En France, on est issu de l’immigration, alors que là-bas, on a la French touch! On a une double culture avec l’école de la République et pour moi le Maroc à la maison, sur les chaînes de télévision. On est né pour s’adapter. Là-bas, on a le profil idéal.

Pour boucler son projet, Chayma s’est rendue samedi dernier à une journée d’information organisée par l’association Hégire – pour « hijra » ou « exil » en arabe – destinée aux francophones musulmans installés dans le Golfe, 1.300 membres. Le restaurant de Saint-Denis (Seine-Saint-Denis) a fait salle comble : plus de 50 participants. « Depuis quelques mois, de plus en plus de jeunes nous contactent, confirme Khaled Boudemagh, responsable de la structure. On sent un ras-le-bol sur la discrimination, la stigmatisation. A Dubai, il y a moins de pression. On ne vit pas caché, et on pratique beaucoup plus librement notre religion. »

«Ce désir d’ailleurs diffère de l’alya des Juifs qui mettent le cap vers Israël. Il illustre surtout les doutes d’une génération balançant entre deux rives»

Fuir une conjoncture économique difficile et un climat tendu, briser le plafond de verre… Ce désir d’ailleurs diffère de l’alya des Juifs qui mettent le cap vers Israël. Il illustre surtout les doutes d’une génération balançant entre deux rives. En bons enfants de la mondialisation, ces bac +5, diplômés d’écoles de commerce ou d’ingénieurs, rêvent d’en faire un pont. Les pays anglo-saxons ne les intéressent guère ; leurs regards se tournent naturellement vers les Émirats arabes unis et notamment Dubai, qui accueille 15.000 Français, ou vers le Qatar, en plein essor économique.

« Avoir deux cultures peut être un levier »

Calepin en main, Chayma ne perd pas une miette de la discussion. Sa feuille de route est millimétrée : quitter Sevran (Seine-Saint-Denis), se faire embaucher sur place par une société idéalement française, mettre de l’argent de côté et revenir pour créer son entreprise, afin de « remercier ». « La France m’a éduquée. Je veux apporter ma pierre à l’édifice, prouver que la République a fait quelque chose de ses enfants issus de l’immigration. Les petits sont très négatifs. Il faut leur donner envie de rêver, leur montrer qu’on peut être maghrébin et réussir! »

A la table d’à côté, Mohammed, 24 ans, originaire de Roubaix (Nord), fraîchement diplômé d’une école d’ingénieurs, conte les remarques entendues pendant ses stages. « Tu jeûnes? T’es un extrémiste! », « Salut couscous »… Passé l’humiliation, son envie de réussir ne s’est pas estompée. Au contraire. « Petit, je n’ai pas toujours mangé à ma faim… Dubai, c’est mon objectif. Les salaires sont doubles ou triples! » Diplômé d’une école de commerce grenobloise, embauché dans un grand cabinet de conseil, Abdelkarim confirme : « La gueule de l’emploi, ça existe. Il y a de la méfiance vis-à-vis des communautés, la vie est lourde. Je veux partir pour changer d’air. » Prochaine étape, des vacances en immersion, puis démarcher sur des salons professionnels. « J’ai une culture française et une seconde culture maghrébine, tunisienne, confie le jeune homme de 25 ans. Je pense que ça peut être un levier. »

«Comptez au moins 700 euros par mois pour une chambre en colocation et n’acceptez pas de salaires trop bas»

Chayma, Mohammed et Abdelkarim mettront néanmoins les voiles en connaissance de cause : Khaled Boudemagh ne laisse fermenter aucune illusion sur la vie chère, l’absence de sécurité de l’emploi, la concurrence internationale, le fantasme de l’eldorado. « Comptez au moins 700 euros par mois pour une chambre en colocation et n’acceptez pas de salaires trop bas », en dessous de 2.000 euros net. En creux apparaissent aussi des interrogations sur la prière, le port du voile ou la barbe en entreprise. « Vous serez déçus si vous cherchez une pratique très rigoureuse, prévient Samy, trentenaire expatrié à Dubai. Même s’il y a des mosquées partout et qu’on ne travaille pas le jour de l’Aïd. De plus, les entreprises françaises sur place adoptent la même politique que dans l’Hexagone. » Mohammed l’a compris : Dubai n’est pas un « paradis islamique ». Qu’importe, il compte n’y faire qu’un passage. « Je suis parti en Turquie sept mois. Au bout d’un moment, j’ai eu envie de rentrer chez moi, la France. C’est important, le rapport au sol. »

Camille Neveux

Le Journal du Dimanche

15 mars 2015  |  Mise à jour le 16 mars 2015

Pour en savoir plus : http://www.lejdd.fr/