Selon une étude du Centre de recherche pour l’étude et l’observation des conditions de vie (Credoc), « aujourd’hui 81 % des Français adhèrent à l’interdiction du port visible de tout signe d’appartenance religieuse comme par exemple le voile, la kippa, la croix dans les entreprises ». Cette opinion a fortement évolué ces dernières années : en 2005, moins d’un Français sur deux (49 %) soutenait cette idée. Le rapport explique cette évolution par « des crispations à l’égard de la place de l’islam » et les débats autour du procès lié au licenciement d’une employée de crèche qui avait refusé de retirer son foulard sur son lieu de travail (affaire Baby-Loup).
De la même manière, d’après cette étude réalisée à la demande de la Direction générale de la cohésion sociale et intitulée « Le modèle social à l’épreuve de la crise », une proportion grandissante des sondés est attachée à ce que la religion soit cantonnée à la sphère privée. 67 % d’entre eux demandent par exemple que les pouvoirs publics veillent « avant tout, à ce que les croyances et les pratiques religieuses des individus ne soient pas visibles dans les espaces publics plutôt qu’à protéger la liberté des croyances et des pratiques religieuses (32 %) ».
Au total, 93 % des Français sont d’accord avec l’idée que « les religions peuvent créer des tensions au sein de la société ». Une idée qui traverse l’ensemble du corps social, y compris les personnes ayant la foi. L’apport positif des religions via la transmission de valeurs et de repères est moins net dans l’esprit des Français (69 %).
Plus globalement, la perception de la diversité ne fait pas consensus : selon l’étude, pour 55 % des Français « la diversité des cultures et des origines est une richesse pour notre pays », alors que pour 44 %, celle-ci « rend difficile la vie en commun ».
Une ligne de partage divise, d’un côté, « des publics plutôt jeunes, urbains, diplômés qui voient la diversité plutôt comme une richesse » et, de l’autre, « des personnes peu diplômées, séniors, habitants de zone rurale qui l’appréhendent comme une difficulté ». La perception « tient davantage aux attitudes en matière de tolérance en général (racisme déclaré, souhait d’intégration des immigrés) qu’à la proximité de vie avec les quartiers dits « sensibles » », souligne l’étude, basée sur l’enquête « Conditions de vie et Aspirations des Français », réalisée deux fois par an depuis 1978 et qui porte, à chaque vague, sur un échantillon de 2000 personnes de 18 ans et plus, enquêtées en face à face.
De plus, les Français, quelles que soient leurs origines, « plébiscitent à plus de 90% les valeurs républicaines, y compris la laïcité », selon un sondage pour la Licra.
Des passants dans les rues de Paris. (FRED DUFOUR / AFP)
Une minorité de Français, un sur cinq, a le sentiment d’appartenir à une « communauté spécifique » du fait de ses origines ou de sa religion, parmi lesquels beaucoup citent la France ou le catholicisme, selon un sondage OpinionWay pour la Licra publié mercredi 15 octobre.
Parmi les 22% de personnes citant leur appartenance à une « communauté spécifique », près d’un tiers se définit comme « Français » ou « Français de souche, vrai Français, Français d’origine… », d’autres citent la Bretagne (3%), l’Europe (4%), l’Afrique (3%).
Les Français « plébiscitent à plus de 90% les valeurs républicaines »
Quant à ceux qui invoquent une communauté religieuse, trois quarts sont catholiques, 9% musulmans, 5% protestants et 2% juifs, selon ce sondage.
Mais surtout, « l’immense majorité des Français n’affiche aucune appartenance communautaire », souligne la Ligue contre le racisme et l’antisémitisme (Licra), qui consacre ses universités annuelles, de vendredi à dimanche au Havre, à la lutte contre le communautarisme.
De plus, les Français, quelles que soient leurs origines, « plébiscitent à plus de 90% les valeurs républicaines, y compris la laïcité », se réjouit cette association.
Parallèlement, 77% des sondés jugent que les replis communautaires sont un danger pour la société. La majorité juge qu’ils sont liés aux conflits internationaux (67%), à la crise (62%), au besoin de valeurs, de racines (61%) et aux discriminations (58%).
Près de trois quarts des sondés (72%) estiment par ailleurs que la France ne traite pas toutes les minorités de la même manière mais aucune minorité n’apparaît unanimement comme privilégiée.
« A quelle minorité accorde-t-on le plus d’importance? », a demandé Opinionway aux sondés qui évoquaient une différence de traitement: 15% ont cité les étrangers ou immigrés, 13% les Juifs, 13% les musulmans, 5% les Roms, 4% les homosexuels, 4% les chômeurs, etc.
Le sondage a été réalisé les 8 et 9 octobre sur la base d’un échantillon représentatif de 1.006 personnes interrogées en ligne.
Vendredi 29 septembre, 10 h, j’arrive «aux Minguettes». Plus précisément, au collège Paul Eluard à Vénissieux, dans la banlieue sud de Lyon. 24 paires d’yeux d’une classe de 6ème m’attendent, visiblement contents qu’une personne ait fait le déplacement rien que pour eux. Leur jeune professeure d’histoire-géographie fait les présentations. Elle a bien préparé ses élèves, car ils sont intéressés et attentifs. Je leur explique que je suis là pour cette première séance du jeu «l’Arbre à défis», pour les familiariser, eux et leur enseignante, à son fonctionnement, et qu’ils continueront à y jouer le reste de l’année. Voilà qui nous amène à définir le mot «défi» : pour eux, pas de doute, c’est «lancer un défi à quelqu’un». Je les questionne : «Ne peut-on pas aussi s’en lancer à soi-même, pour progresser ?».Pour jouer à « L’Arbre à Défis », il s’agira de se lancer des défis entre équipes d’élèves. Puis le verbe «collaborer». Et là, petit flottement ; un élève tente : «C’est faire quelque chose ensemble ?». «Bravo!», j’explique à tous que notre jeu permettra de construire un bel arbre tous ensemble, mais que l’équipe qui aura récolté le plus de points aura gagné. Dans mon élan, et pour pimenter cette notion, un peu trop sûre que je vais leur apprendre quelque chose, je leur demande s’ils connaissent la devise des jeux olympiques ; et là, une élève répond instantanément : «L’essentiel, c’est de participer !».
Voyant l’impatience des enfants, on entre dans le vif du sujet, après avoir détaillé les règles des 4 défis.
1ère carte : Défi de la «Bonne définition» avec le mot «Laïcité»
Agitation momentanée au moment du choix de l’équipe qui va préparer ce défi : sur le modèle du jeu du dictionnaire, il s’agit de proposer plusieurs définitions pour une notion. Ils veulent évidemment tous y aller, d’autant plus qu’ils vont préparer ce défi en équipe, dans une petite pièce jouxtant leur salle d’histoire-géo. Enfin, en équipe, c’était l’idée de départ… Vu le bruit qui parvient de la petite salle, je décide d’y aller ! Grosse foire d’empoigne ! Pas pour rédiger la définition, non, mais pour savoir qui va la lire devant le reste de la classe. Je leur rappelle la devise de Pierre de Coubertin, bien lointaine à ce moment précis, puis les aide à rédiger la définition. C’est un exercice difficile, de réduire un texte de 10 lignes en une phrase… Il y a ceux qui n’ont retenu qu’une phrase et qui veulent absolument que ce soit celle-ci ; et ceux qui n’ont pas vraiment compris et qui continuent de se chamailler, ou encore ceux pour qui c’est vendredi et qui regardent un peu par la fenêtre, du côté du week-end… Ils réussissent à se mettre d’accord sur une phrase, «La laïcité, c’est la séparation des affaires des églises et de l’Etat», et une élève la recopie, très lentement et avec application. Ils désignent ensuite celui qui va lancer le défi devant les autres.
Arrivé devant la classe, deux petits «miracles» ! Dès qu’il prononce le mot «laïcité», une élève sort de son cartable ce qu’ils ont déjà travaillé avec leur professeure à ce sujet : à partir d’un conte de l’Observatoire de la laïcité, ils avaient abordé les notion de différences de calendrier, de monothéisme, polythéisme, athéisme et agnosticisme et des moyens pour permettre à ces différentes convictions de coexister. Elle est visiblement très contente de le faire et éveille la curiosité des autres élèves qui se sentent ainsi concernés. Elle fait sans le savoir ce qui est le plus important pour un élève ; elle réactive d’elle-même des connaissances passées, preuve qu’elle a bien compris et est capable de s’en servir à bon escient. Deuxième petit miracle : après le comptage des points, l’élève qui a lancé le défi lit le texte de la carte «Laïcité» d’une bonne voix et sans hésitation. «Félicitations ! Tu as lu très clairement». J’ajoute que c’est essentiel de savoir lire, parler, défendre des idées devant ses camarades. Encore une compétence que « L’Arbre à défis » permet facilement de développer.
2ème carte : Défi du « Mot inconnu » avec le lieu « La Mecque ».
Ils adhèrent très vite à ce défi car tous ou presque connaissent les règles du jeu «Taboo» dont il s’inspire : il s’agit de faire deviner le plus vite possible aux autres équipes un mot, sans en utiliser certains. L’équipe choisie pour ce défi est très excitée du mystère qui plane autour du mot secret, et de partir en chuchotant vers la petite salle ! Cette fois-ci, je vais d’emblée avec eux. S’amorce une discussion pour le choix des 3 indices ; tous connaissent La Mecque, avec cependant pas mal d’approximations. Par exemple le mot «pèlerinage»ne sort qu’avec mon aide. Le mot « musulman » vient en premier, comme celui de «mosquée». Je les laisse faire le choix de l’ordre, et on retourne vers la classe. Le mot inconnu est très vite trouvé, puis une élève lit le texte correspondant à cette carte, devant ses camarades, sur l’estrade. Elle a une bonne diction et tout se passe bien, jusqu’à la lecture des mots, en arabe dans le texte, «Al Masjid Al Haram» ; elle a beaucoup de mal à s’empêcher de rire en le lisant car elle bute sur la langue. Mais en même temps, elle est très gênée, surtout quand une élève s’exclame : «C’est pas bien ! Il faut pas rire quand on parle de ça !». Leur professeure intervient : «laisse la s’exprimer et ne lui fais pas la morale ». L’élève poursuit sa lecture, en s’appliquant pour les deux derniers mots en arabe:«Ka’ba» et «hadj». Ce petit incident souligne bien que pour ces 24 élèves, dont 21 sont musulmans, ce n’est pas si facile de faire référence à sa culture. S’ils en sont fiers, ils n’ont pas tous les éléments pour bien l’assimiler : ici la connaissance de la langue arabe. Il y a comme une gêne à en parler, comme si cela leur rappelait une fois de plus cette origine qu’ils ont parfois du mal à assumer. A ce moment me revient en mémoire une chanson du groupe Zebda qui fait référence à cette double appartenance, parfois difficile à vivre. A-t-on vraiment réalisé ce que cela représente pour eux de vivre cette double culture ? Le chemin est long pour qu’elle signifie, pour eux, une richesse…
3ème carte : Défi «Vrai ou faux» avec le mot «mosquée»
Je présente ce défi, car ici toutes les équipes jouent. Je lis le texte et leur pose 6 questions «vrai» ou «faux». Un peu de brouhaha pour donner la réponse. Plutôt que de désigner un élève par équipe pour la dire, on décide ensemble de l’écrire sur un papier, ce qui évite d’entendre trop tôt la bonne réponse et de tricher. Comme les élèves connaissent tous bien ce mot, et qu’ils ont bien écouté le texte que j’ai lu, les bonnes réponses sont nombreuses ; les points s’accumulent pour chaque équipe, l’arbre s’étoffe, et ils sont heureux !
4ème et dernière carte : Défi des «stéréotypes» avec la photo d’un visage d’homme au teint basané, portant un turban sur la tête et une chemise sans col
Avant de le lancer, il s’agit d’élucider le sens du mot «stéréotype». Dans un premier temps, aucun élève ne trouve. Quand je leur donne un synonyme, «préjugé», les langues se délient. L’un s’exclame : «C’est formé avec deux mots : « pré » (avant) et « jugé » (juger quelqu’un) : ça veut dire juger quelqu’un avant de le connaître». Je suis émerveillée de les voir faire des ponts aussi facilement avec d’autres matières. On revient au mot«collaborer» : il y a une «collaboration» des matières ! Mais revenons à notre défi ! Il s’agit de trouver la religion de cet homme, après leur avoir montré sa photo : est-il musulman, chrétien ou juif ? J’écoute leurs discussions. A aucun moment, une équipe n’imagine qu’il est chrétien, car l’élément déterminant pour eux, auquel je n’avais pas pensé, est la «gandoura», cette sorte de chemise longue sans col portée par cet homme. Les avis sont cependant partagés : trois équipes pensent qu’il est musulman, et une équipe, qui «sent» le piège, affirme qu’il est juif, «sinon ce serait trop facile !». Pas une n’a imaginé qu’il pouvait être chrétien : or cet homme est copte. Grosse déception : «Ben comment on pouvait savoir ?! Il avait l’air d’un arabe… ». Je les rassure «Effectivement, c’était dur de trouver, et de toutes façons aucune équipe n’a eu de point». J’enchaîne pour dénouer avec eux l’amalgame entre «arabe» et «musulman». L’un fait référence à une appartenance géographique, historique, l’autre à une appartenance religieuse. Ce n’est pas simple, et il faudra qu’ils le reprennent avec leur professeure, qui pourra s’aider des cartes «arabe» et «musulman» de notre jeu.
Danielle André, est experte associée à Enquête, dirigée par Marine Quenin
La laïcité originelle n’est pas ce laïcisme sectaire, cheval de Troie de la banalisation du racisme par nos élites.
«Toutes les civilisations ne se valent pas», déclarait en 2012 Claude Guéant, ministre de l’Intérieur. Cet été, Manuel Valls s’interrogeait sur la compatibilité de l’islam avec la démocratie. Pour Edwy Plenel, directeur de Mediapart, cette banalisation de discours xénophobes au plus haut sommet de l’Etat alimente une «guerre des civilisations». Son dernier livre Pour les musulmans est un plaidoyer pour les minorités, une réponse aux Alain Finkielkraut et autre Eric Zemmour.
A écouter certains, les musulmans seraient comptables de tout, du chômage en France aux têtes coupées par l’Etat islamique…
Depuis trente ans, on veut nous faire croire que les musulmans, pris en bloc alors qu’ils sont divers, d’origine, de culture ou de croyance, sont la cause de tous nos maux : du chômage, de la crise économique ou de l’insécurité de nos quartiers. Ce livre est un cri d’alarme pour la France, pour les minorités, pour dire que nous n’acceptons pas ça. Nos compatriotes musulmans ne sont en rien comptables de crimes perpétrés par des mouvements totalitaires se revendiquant abusivement de l’islam. De plus, les premières victimes de ce terrorisme, ce sont d’abord des musulmans, en Irak, en Syrie, qui vivent depuis des années avec le spectacle de têtes coupées et de corps éventrés. Enfin, nous en sommes là aujourd’hui, avec l’Etat islamique, à cause des guerres successives engagées par les puissances occidentales dans la région qui ont produit ce monstre totalitaire. Ceux qui demandent aux musulmans d’être comptables de ce qui se passe en Irak devraient se souvenir que, dans les années 80, l’Occident armait, jusqu’aux armes chimiques, le dictateur Saddam Hussein en brandissant l’épouvantail de la révolution iranienne. Dans un article publié dans le Figaro le 16 mai 1896, intitulé «Pour les juifs», Emile Zola écrivait : «A force de montrer au peuple un épouvantail, on crée le monstre réel.»Cela vaut pour les musulmans aujourd’hui.
Les médias parlent de la «barbarie» de l’Etat islamique. Cela justifie-t-il une intervention militaire ?
Je ne le crois pas. Ce mot repris dans toute la presse nous empêche de penser. Il y a des crimes monstrueux, nous sommes tous pour les combattre mais nous devons chercher à en comprendre les causes, ce qui ne veut pas dire les excuser. Chacun est le barbare de l’autre. Montaigne qui écrivait aux temps de guerres de religion disait que chacun trouve barbare ce qui n’est pas de sa coutume.
En France, la peur de l’étranger existe, accentuée par la crise. Comment répondre à cette angoisse ?
Je ne crois pas à la réalité de ce sentiment. Ce que vous décrivez là renvoie plutôt au piétinement de la question sociale et démocratique, et les médias n’ont pas à accompagner cette logique de stigmatisation en faisant parler le peuple à sa place.
Finkielkraut affirme qu’«il y a un problème de l’islam en France». Vous ne partagez donc pas ce diagnostic ?
Arrêtons d’alimenter ce fantasme. C’est un discours idéologique fait par des propagandistes qui veulent nous entraîner dans une guerre de tous contre tous, de la France contre elle-même, en ethnicisant et en islamisant la question sociale. Ce que je constate, c’est un mouvement de laïcisation de toutes les religions y compris les musulmans de France. Nous sommes une Amérique de l’Europe, acceptons d’en avoir l’imaginaire au lieu de monter une communauté contre l’autre, de monter une identité contre l’autre.
Vous rappelez que la laïcité, invoquée pour restreindre le religieux, était à l’époque une «loi de libération»…
La laïcité originelle n’est pas ce laïcisme sectaire qui est à la laïcité ce que l’intégrisme est aux religions et qui est aujourd’hui le cheval de Troie de la banalisation de la xénophobie et du racisme par nos élites, permettant la notabilisation de l’extrême droite. La laïcité est aujourd’hui comprise comme le refus des religions et notamment des religions minoritaires, alors que la loi de 1905 affirme tout le contraire. A l’époque, les Républicains ont mis fin au face à face mortifère entre le catholicisme et la République pour mettre en place un pluriel, une loi de séparation des Eglises et de l’Etat. Ils donnent ainsi droit de cité au protestantisme et au judaïsme tout en ouvrant un chemin de laïcisation aux catholiques qui, contre la hiérarchie catholique, permettra l’affirmation du catholicisme social. De la même façon, notre pays doit donner droit de cité aux musulmans dans la diversité de ce que le mot recouvre. Le peuple français n’est pas plus raciste qu’un autre. Aujourd’hui, nous sommes en train de mettre une partie de notre peuple en guerre contre l’autre et cela sert le jeu des puissants.
Vous refusez la notion d’assimilation, Zemmour vous accuse de nourrir chez les Français une haine des musulmans…
J’ai grandi dans les Caraïbes, puis en Algérie, je suis arrivé en France à 18 ans, je n’avais pas les codes, j’ai détesté l’atmosphère sociale à Sciences Po, j’ai dû m’intégrer. On doit tous s’intégrer à un moment ou à un autre. Mais l’assimilation est une injonction à l’effacement pour se plier à une norme majoritaire. Nous sommes pluriels, le monde à venir est un imaginaire de la relation. Edouard Glissant écrivait : «Je peux changer en échangeant avec l’autre sans me perdre pour autant ni me dénaturer.» Les racistes cherchent à nous immobiliser, à nous rendre dépendant de notre origine, de notre naissance. Or, la promesse de la République, c’est le mouvement, c’est cette égalité des droits et des possibles.
Vous craignez que la peur de l’étranger n’alimente une restriction des libertés, que pensez-vous de la loi antiterroriste de Bernard Cazeneuve ?
Au nom de la sécurité, cette loi porte atteinte aux droits fondamentaux de tous par des restrictions qui visent notamment l’espace public numérique. Elle porte atteinte à la liberté d’expression en sortant des délits d’opinion de la loi sur la presse, et en les aggravant s’ils sont commis sur Internet. Il ne faut pas confondre propagande et crime. Une démocratie doit rester froide face au terrorisme, c’est une affaire de police, de renseignement. Nous sommes une société ouverte et il y aura peut-être hélas des attentats qui nous frapperont, mais nous ne devons pas mettre en péril ce qui est le socle de la démocratie parce qu’il y a cette menace. Ce serait le meilleur service à rendre à ceux qui veulent nous terroriser.
Face au discours de la peur, vous évoquez la nécessité d’un «imaginaire concurrent», quel est-il ?
C’est un imaginaire démocratique. Il aura fallu deux guerres mondiales et un crime contre l’humanité pour que l’on inscrive la notion d’égalité dans la Constitution et dire qu’en République, il n’y a pas de distinction d’origine, de race et de croyance. Il faut travailler à ce programme soit respecté. Derrière toutes ces exacerbations identitaires et religieuses, ce que l’on veut effacer, c’est le peuple. Si on rejette le peuple, il se venge et produit des monstres, soit des monstres terroristes qui sont des enfants perdus de nos quartiers déshérités, soit des monstres politiques avec des valeurs de haine et d’exclusion qui peuvent porter atteinte à nos valeurs démocratiques.
Que se passe-t-il à notre époque si rationnelle pour que l’on soit témoin d’actes d’une telle barbarie ?
Qu’y a-t-il que nous ne comprenons pas, que nous ne voyons pas pour que surviennent de telles tragédies politico-religieuses ? Rien ne saurait susciter une telle violence que des visions divergentes du sens de l’histoire, des réponses à l’énigme de la vie. Ce qui touche au destin ultime de chacun.
Notre Europe sécularisée est sonnée par l’upercut de fondamentalistes qui, tout en étant loin géographiquement, distillent chez elle, le venin de paroles fanatiques. La violence est d’autant plus grande que l’Europe baigne toujours dans un athéisme pratique. Celui-ci a rejeté les grandes traditions religieuses et l’adhésion de foi qu’elles supposent, mais aussi – et cela n’a pas été suffisamment perçu – l’immense travail de la raison sur les données de foi.
Ainsi les trois religions monothéistes qui se prétendent révélées conservent un contenu à croire, mais elles l’accompagnent d’un colossal effort pour comprendre. Si la foi catholique peut sembler irrationnelle à de nombreux observateurs, elle est pourtant constamment soumise à la critique de la raison. De même pour le Judaïsme ou l’Islam qui avancent dans l’histoire sous l’impérieuse obligation d’être crédible, c’est à dire compréhensible et recevable par la raison. Celle-ci expurge systématiquement du corpus des vérités proposées à la foi, ce qui nous semble aujourd’hui des énormités. Sur l’affaire Galilée, Jean-Paul II écrivait à l’Académie Pontificale des sciences en 1992 : « La science nouvelle, avec ses méthodes et la liberté de recherche qu’elles supposent, obligeait les théologiens à s’interroger sur leurs propres critères d’interprétation de l’Écriture. La plupart n’ont pas su le faire. Paradoxalement, Galilée, croyant sincère, s’est montré plus perspicace sur ce point que ses adversaires théologiens. « Si l’Écriture ne peut errer, écrit-il à Benedetto Castelli, certains de ses interprètes et commentateurs le peuvent et de plusieurs façons » (Lettre du 21 décembre 1613) ».
La raison va purifier la foi, autant que la foi va offrir une lumière plus vive sur le sens de l’histoire au travail de la raison. Elles ont une même source et tendent ensemble vers la contemplation de la vérité. Ainsi, le regard moderne sur les traditions religieuses doit il redécouvrir tout le travail des siècles d’intelligence qui ont scruté le langage de la foi. Or, l’affirmation de l’autonomie de la raison contre la foi s’est accompagnée du rejet de la reconnaissance des efforts de raison consentis par nos aïeux sur la foi elle-même. Passée dans un univers social où la laïcité impose d’ignorer les religions, il s’en suit un refus d’enseigner et de travailler à partir de la rationalité des religions historiques. Cette absence de travail, ce refus de considérer l’héritage rationnel sur les questions religieuses a laissé en friche le vaste champ de la crédulité naturelle qui habite toute personne.
Il est alors devenu très facile à partir de discours basés sur la seule autorité d’une proposition assez forte, d’une personnalité assez charismatique pour emporter l’adhésion d’une personne privée de repères et de réflexes rationnels sur les croyances. Les croyances explosent dans notre monde. Refuser de les considérer et de les interroger en raison, revient à laisser partir à la dérive les esprits inquiets et les livrer aux plus improbables croyances. Les rumeurs prolifèrent facilement car l’homme vit nécessairement de croyances.
Dans un monde où il est devenu ringard de croire en Dieu, on ne se rend plus compte que nous nous sommes mis à croire en n’importe quoi et en n’importe qui. Nous avons cru un temps que les avancées technologiques de notre modernité dispenseraient – enfin ! – de croire. Or, tout être humain doit rassembler ce qu’il sait dans un récit personnel, il doit croire quelque chose au sujet de ce qu’il sait.
Chacun doit donc se construire une représentation personnelle du sens de sa vie et de l’histoire. Celle-ci relèvera toujours du domaine de la croyance. Dès lors, la victoire contre les fondamentalismes ne viendra pas du rejet d’évocations religieuses dans l’éducation, mais au contraire d’un effort accru de questionnement sur ce que ces traditions pluriséculaires ont légué. Les jeunes français qui sont si aisément manipulés par les réseaux sociaux n’ont pas été éduqués à une réflexion critique sur la foi. Leur disponibilité à croire est totale, leur aptitude de raison critique est faible. Les grands témoins de la foi que furent Maïmonide, saint Thomas d’Aquin ou Ibn Arabi devraient être connus en vertu de leur effort de penser rationnellement la foi en Dieu.
Foi et raison sont ordonnées l’une à l’autre, elles sont ensemble les plus surs garants de l’équilibre psychique et de la fécondité spirituelle des sociétés.
Pour une fois en France, ce n’est pas le Front national (FN) qui ouvre le débat mais la Ligue de l’enseignement, confédération d’associations françaises d’éducation populaire et laïque, qui a organisé un échange sur la laïcité dans les cantines scolaires, mardi 23 septembre, dans la commune de L’Isle-d’Espagnac, en Charente-Maritime.
Tous les élus et responsables de services de restauration scolaire du département, ainsi que les parents, étaient conviés à ce débat dans l’ère du temps, raconte le quotidien La Charente Libre.«Il faut que ce soit débattu sur la place publique pour que ce ne soit plus tabou, affirme Michel Le Jeune, président du Centre national de ressources des restaurants d’enfants et de jeunes. L’affaire du voile a changé beaucoup de choses. L’alimentation est aussi une manière de faire valoir sa religion. Mais on n’aime pas traiter ce sujet de cette façon-là, sinon, on ne parle que des musulmans».
Pourtant, une réalité demeure : les requêtes pour une alimentation halal existent et sont bien plus nombreuses que pour des menus casher, constate le journal. Que faire ? Michel Le Jeune reçoit, conseille, oriente des élus parfois désemparés quand surviennent les premières demandes pour ce type d’alimentation. « Les familles veulent savoir pourquoi la viande halal n’est pas disponible dans la restauration scolaire. Dans les années 1990, les collectivités pouvaient dire qu’elles n’en trouvaient pas en volume suffisant. Ce type de réponse n’est plus possible, il faut argumenter », raconte-t-il.
Une variété de situations
Ensuite, le journal brosse un état des lieux des pratiques dans les cantines scolaires de la région. A Angoulême et Soyaux, c’est un refus clair et net de prendre en considération ce genre de demandes : une «décision politique des élus», selon Martine Dupuy, la responsable du pôle enfance à la mairie de Soyaux.A Confolens, ce refus a été motivé par «l’absence massive» de demandes, explique l’adjoint au maire Frédéric Boob. De fait, en 2014 la marie a reçu pour la première fois une requête de menu halal et elle ne concernait qu’une seule personne.
Il y a aussi la solution du menu sans porc, rappelle La Charente Libre. Mais les situations décrites par le journal oscillent entre intransigeance républicaine et pragmatisme. A Chasseneuil par exemple, les choses ne sont pas formalisées. Un seul menu existe mais pour n’exclure personne, du poisson ou du poulet sont servis à ceux qui ne tolèrent pas le porc. «Pour être conciliant», explique-t-on à la mairie. A Fléac, qui accueille une dizaine d’enfants qui ne mangent pas de porc, on s’en tient en revanche à une seule offre. Charge aux parents mécontents de ne pas opter pour la cantine. Et parfois, comme à la communauté des communes Val-de-Charente, les principes ont damé le pion au pragmatisme. «Nous sommes à l’école laïque, il n’y a pas de raison qu’il y ait un menu de substitution, justifie José Dupuis, chargé des affaires scolaires. C’est un principe de respect de la laïcité mais ce n’est pas non plus une question à laquelle on est confronté au point de mettre en place une réflexion là-dessus.»
La variété des situations observées en Charente Maritime s’explique par la législation en place, conclut le journal. Aujourd’hui, la mise en œuvre de repas sans porc et halal est laissée à l’appréciation des conseils municipaux pour les écoles primaires et maternelles, des conseils généraux pour les collèges. Une circulaire d’en août 2011 d’août stipule que la cantine est un service public facultatif et que « le fait de prévoir ses menus en raison de pratiques confessionnelles ne constitue ni un droit pour les usagers ni une obligation pour les collectivités. Il appartient à chaque organe délibérant (conseils municipaux ou conseils généraux) de poser les règles en la matière».
Mais qu’en pensent les lecteurs du journal ? Leur avis est sans appel. A la question «Trouvez-vous normal que les menus des cantines tiennent compte des confessions religieuses des enfants ?», 90,2% ont répondu par la négative.
Jean Picq, magistrat à la Cour des comptes, enseigne à Sciences Po les rapports entre politique et religion et vient de publier « La liberté de religion dans la République », chez Odile Jacob.
Comment concilier l’exigence de neutralité, que la laïcité impose à l’Etat, et le besoin légitime qu’éprouvent les croyants d’exprimer leurs convictions religieuses, y compris dans l’espace public ?
La religion peut-elle rester circonscrite au for intérieur, comme le veut une tradition républicaine française défensive, voire méfiante, à l’égard de l’expression religieuse ?
La laïcité, la république et le religieux
Jean Picq va puiser chez les philosophes politiques – de Spinoza à Claude Lefort, de Paul Ricœur à Marcel Gauchet –pour défendre une laïcité plurielle et ouverte. Il montre qu’elle est fondamentalement un art de vivre ensemble. Encore et toujours à construire.
« On met la laïcité à toutes les sauces et il n’y a pas de définition absolue. La loi de séparation entre l’Eglise et l’Etat, de 1905, dit qu’il y a séparation entre l’Etat et les religions et elle donne des libertés fondamentales« , explique Jean Picq.
Le combat entre la religion et la politique a toujours existé et partout dans le monde l’homme est entre la politique et la religion. « Le principe de séparation est absolue. Les religions n’ont pas à imposer quoi que ce soit en morale ou en matière de mœurs à l’Etat, et l’Etat n’a pas à instrumentaliser la religion à des fins politiques. »
Matthieu Stricot et Fabien Leone – publié le 18/04/2014
Des congés pour motifs religieux sont-ils vraiment des congés comme les autres ? Les managers peuvent-ils traiter la religion comme tout autre sujet ? Lors du colloque sur la laïcité organisé par le Centre d’étude du fait religieux contemporain (Cefrelco), à Paris début avril, des professionnels ont témoigné sur leur gestion du fait religieux en entreprise. Compte-rendu.
La neutralité religieuse n’existe pas dans le droit du travail qui régit les entreprises privées. Par conséquent, la liberté religieuse doit prévaloir. Mais comment concilier travail et religion ? De nombreux professionnels préfèrent apporter des réponses au cas par cas.
«Nous étions d’abord favorables à la création de salles de prières. Nous avons changé d’avis après consultation des délégués du personnel. Les 480 votants ont tous voté pour l’application de la laïcité», assure Jean-Luc Petithuguenin, P-DG de Paprec Group.
Pourtant, l’entreprise leader du recyclage en France se veut championne de la diversité. «Dès le premier jour, nous avons décidé que nous lutterions contre le racisme et l’antisémitisme», déclare le P-DG. Paprec Group emploie 4 000 employés de 56 nationalités différentes, diplômés comme non-diplômés.
Pourquoi appliquer une laïcité stricte dans ce cas ? «Nous ne sommes ni antireligieux ni contre l’islam. Par mes origines huguenotes, je suis attaché à la liberté religieuse. Mais je considère que la laïcité est la protection des croyants modérés. Par exemple, j’ai 200 employées musulmanes d’origine maghrébine. Plusieurs m’ont dit qu’elles étaient contre le port du voile dans l’entreprise, car elle n’en portent pas personnellement et n’ont pas envie d’être discriminée en tant que mauvaise musulmane».
« Le voile n’est pas un problème »
Cette vision est loin d’être partagée par Francine Blanche, membre de la direction confédérale de la CGT : «Il ne faut pas créer un problème là où il n’y en a pas. Il y a quelques dizaines d’années, les femmes se baladaient avec un couvre-chef dans la rue et des religieuses en tenue couverte exerçaient dans les hôpitaux sans que cela ne perturbe l’équilibre psychologique des patients. Dans l’affaire de Baby Loup, on en a fait toute une histoire. On sait pourtant que la majorité des femmes exerçant dans l’aide à la personne en Ile-de-France sont d’origine musulmane. Qu’elles soient voilées ou pas, le travail est un moyen d’émancipation.» La syndicaliste reste très dubitative sur la conception d’une charte dans une entreprise : «Il faut appliquer le droit existant et examiner les situations au cas par cas», estime-t-elle.
« Il y a toujours eu des méchouis partagés »
C’est ce que tente d’accomplir Pierre Coppey, président de Vinci Autoroute. «Un jour, je venais de faire signer un contrat à une femme. Elle m’a tout de suite dit qu’elle viendrait avec son voile. Je ne pouvais pas m’y opposer. Ça s’est très bien passé ». Chez Vinci Autoroutes, de nombreux salariés sont musulmans. La pratique religieuse et la tradition ne posent pas de problèmes sur les chantiers : « Il y a toujours eu des méchouis et des festins partagés. La pratique religieuse se régule à la base.»
Les seuls problèmes relèvent du prosélytisme : «Si dans les vestiaires d’un chantier, cinq salafistes font du prosélytisme dans un groupe de quinze ouvriers, c’est la révolution. Là, le chef d’équipe doit intervenir.»
De manière générale, Pierre Coppey estime qu’ «on fait porter aux entreprises beaucoup de responsabilités en matière d’intégration».
La liberté religieuse d’abord
Ces questions relevant du domaine politique ne sont pas faciles à appliquer pour les managers. «Il y a une confusion entre laïcité et sécularisation. Le principe de neutralité n’existe pas dans le droit du travail. C’est la liberté religieuse qui prévaut», estime Hicham Benaïssa, consultant Diversité à la fondation Agir contre l’exclusion. Le doctorant à l’École pratique des hautes études dans le groupe Sociétés religions, laïcités a mené pendant quatre ans une enquête auprès de managers et de salariés. Il a remarqué que certaines entreprises ne veulent pas entendre parler de diversité religieuse.
Pourtant, la Charte de la diversité de 2004 contient 18 critères dont l’appartenance religieuse. Hicham Benaïssa pointe des effets secondaires dans la promotion de la diversité : «J’ai rencontré Samir, un jeune employé recruté grâce aux critères de diversité. Il ne comprenait pas pourquoi il devrait gommer ce pour quoi il avait été recruté. » Pour le chercheur, «les entreprises sont coincées entre deux discours : la diversité et la laïcité ».