Les revendications cultuelles s’accroissent en entreprise. Bien qu’en hausse, les conflits restent rares.
Prières, signes ostentatoires, absences pour des fêtes à caractère confessionnel : les manifestations et revendications religieuses augmentent au travail, selon une étude de l’agence d’intérim Randstad réalisée par l’Observatoire du fait religieux en entreprise (Ofre). «En 2015, le fait religieux se manifeste avec plus d’intensité que par le passé : près d’un quart [23%] des personnes interrogées déclare rencontrer régulièrement – de façon quotidienne, hebdomadaire ou mensuelle – la question du fait religieux dans l’entreprise, alors qu’elles n’étaient que 12% en 2014», note le document (1).
Si certaines demandes ayant trait à la religion se règlent sans difficulté, les cadres interrogés par l’Observatoire font état d’une hausse de cas conflictuels, qui sont passés de 3% en 2014 à 6% en 2015. Un doublement dû, selon Lionel Honoré, président de l’Ofre, à une crispation des croyants après les attentats de janvier contre Charlie Hebdo et l’Hyper Cacher de la porte de Vincennes à Paris.
«Racisme». Pour les auteurs de l’étude, plusieurs facteurs alimentent les crispations, notamment la crainte, par les hiérarchies d’entreprise, d’être accusées «de racisme ou [de] discrimination» par les salariés pratiquants. Certains vont jusqu’à remettre en cause «la légitimité de l’entreprise et/ou du manager à contraindre la pratique religieuse». L’Ofre observe une forte progression de salariés (58%) qui définissent la laïcité comme «la défense de la liberté de culte», tout autant que «la neutralité de l’Etat vis-à-vis des religions».
Excepté les «cas conflictuels» qui restent marginaux, «la pratique ou les croyances religieuses ne sont pas un sujet tabou», souligne l’Ofre : 86% des personnes interrogées déclarent ainsi connaître la confession de leurs collègues, et 81% considèrent que la religion est un sujet de discussion qui a sa place dans la sphère professionnelle. En revanche, la pratique religieuse dans l’enceinte de l’entreprise est nettement moins acceptée, puisque 38% des salariés affirment qu’elle peut avoir «un effet négatif» sur les relations entre collègues.
Le contexte général reste toutefois «apaisé», insistent les chercheurs. Tant qu’elle n’empiète pas sur le bon fonctionnement de l’entreprise, la religion est globalement bien acceptée : 88% des cas religieux rencontrés n’entraînent «ni conflit ni blocage». Autre chiffre : 92% des sondés déclarent ne pas être dérangés de savoir que leur collègue est pratiquant.
L’étude distingue nettement deux types de faits religieux : le premier qui relève d’une demande personnelle recueille l’assentiment du panel interrogé, alors que le second, qui remet en cause l’entreprise et son organisation, est au contraire refusé. Ainsi, 75% des managers consultés trouvent admissible que leurs collègues qui le souhaitent prient pendant les temps de pause. Mais ils sont tout aussi nombreux (78%) à juger inacceptable que l’on refuse d’exécuter une tâche pour un motif religieux.
Aménagement. L’observatoire a cherché à savoir quels étaient les trois demandes à caractère religieux les plus fréquentes au sein de l’entreprise. Dans l’ordre, on note l’absence pour les jours de fête (19% des cas), le port de signes religieux (17%) et l’aménagement d’horaires (12%). Les trois sont très largement acceptées.
(1) Etude réalisée en ligne en février et mars. 1 296 réponses ont été prises en compte. 93% des personnes ayant répondu occupent des fonctions d’encadrement, dont 30% dans la gestion des ressources humaines.
Dans le milieu universitaire, l’obsession du voile et des menus de cantine font bondir une majorité de chercheurs. (Photo Christophe Maout)
Depuis 1991 et la création d’une chaire d’histoire et de sociologie de la laïcité à l’EPHE, une cinquantaine d’universitaires débattent du concept. Ces chercheurs, qui privilégient une approche ouverte, reconnaissent avoir du mal à convaincre les élus.
On la voit dans les côtelettes de porc servies à la cantine. On va la chercher dans les cheveux des puéricultrices de crèches et des étudiantes de fac. «La laïcité est récemment devenue la quatrième valeur de la devise républicaine française», note Valentine Zuber, historienne. Problème : alors que, depuis les attentats de janvier, les dirigeants politiques, à droite bien sûr mais aussi à gauche, ont convoqué la laïcité pour sceller l’union nationale, personne ne s’entend en réalité sur ce qu’elle signifie. Ce mot devenu parapluie, mécompris, distordu, et parfois instrumentalisé, abrite désormais des versions opposées. Laïcité libérale ou extensive ? Pour les partisans de la première, l’Etat doit être neutre et se borner à organiser la coexistence des convictions de chacun. Pour les seconds, les citoyens doivent aussi accepter de devenir un peu plus neutres dans l’espace public. Les premiers mettent au-dessus la libre expression individuelle et donc des croyances ; les seconds privilégient une cohésion nationale qui nécessiterait de lisser les différences culturelles ou cultuelles.
Qu’en disent les universitaires qui travaillent, précisément, sur la laïcité ? Que nous apprennent-ils sur ce mot polyphonique ? Premier constat : dans le milieu universitaire, l’obsession du voile et des menus à la cantine, brandie par Nicolas Sarkozy pendant la campagne des départementales, et plus largement le besoin de refonder la laïcité dans un sens plus restrictif, font bondir une majorité de chercheurs. Ceux-là dénoncent un dangereux dévoiement du concept par la classe politique. «Ces discriminations légales [envers les femmes voilées, ndlr] sont en train de construire un régime juridique d’exception, qui bafoue le droit à l’éducation et le droit au travail», écrivaient ainsi Marielle Debos, Abdellali Hajjat, Stéphanie Hennette Vauchez dans Libération (édition du 11 mars).
«Demande sociale». Dans les années 70, à l’université, la laïcité n’est même pas un sujet de débat ou de recherche. Ou alors historique. «A la fac de droit, on nous enseignait bien quelques arrêts anciens, mais pour tous, les choses étaient claires, simples, tranchées», raconte Patrice Rolland, juriste. C’est un fait divers qui va rendre le mot explosif. En septembre 1989, trois gamines d’un collège de Creil (Oise) veulent garder leur voile en cours. Le proviseur s’y oppose. L’histoire de Fatima, Leïla et Samira devient affaire d’Etat. Le ministre de l’Education, Lionel Jospin, estime que la scolarité des jeunes filles doit primer, que l’école ne peut les exclure. En novembre, Elisabeth Badinter, Régis Debray, Alain Finkielkraut, Elisabeth de Fontenay et Catherine Kintzler lui répondent vertement dans le Nouvel Obs : «Monsieur le ministre, l’avenir dira si l’année du Bicentenaire aura vu le Munich de l’école républicaine.» La recherche universitaire se saisit alors de la laïcité. Son approche en est entièrement renouvelée.
«Avec Creil, l’Etat s’est rendu compte que la religion devenait plus visible dans l’espace public. Il existait une demande sociale et il fallait l’étudier avec recul», témoigne Valentine Zuber (1). Une chaire d’histoire et de sociologie de la laïcité est fondée en 1991 à l’Ecole pratique des hautes études. Puis un laboratoire, le «Groupe sociétés, religions, laïcités», cofinancé par le CNRS et l’EPHE. A leur tête, alors, Jean Baubérot, figure tutélaire de la sociologie de la laïcité. Protestant, ce dernier est, avec le catholique Emile Poulat, décédé en novembre, le père fondateur d’une lecture souple de la loi de 1905. Une pensée que résume Philippe Portier, le remplaçant de Baubérot à la tête du labo : «La laïcité est une forme de reconnaissance du religieux. Elle garantit la liberté de chacun d’exprimer sa foi tant qu’il ne bouleverse pas l’ordre public.» Aujourd’hui, une cinquantaine de sociologues, historiens, juristes ou philosophes travaillent dans le labo, qu’ils soient athées pur jus ou marqués par une culture religieuse. «Ces problématiques ont vite connu un très grand succès», raconte Valentine Zuber, elle-même chercheuse au sein du GSRL.
Sphère privée. A côté de la libérale «école Baubérot», un courant de chercheurs retraçant une analyse postcoloniale de la société s’oppose, à partir des années 2000, lui aussi radicalement à une laïcité restrictive et militante. Ceux-là dénoncent l’islamophobie sous couvert de la loi, la domination de la majorité sur certains groupes ethnoraciaux. «Depuis plus de dix ans, le voile est une question qui n’a fait qu’instrumentaliser à moindres frais les droits des femmes au profit de politiques racistes aux relents paternalistes et colonialistes», écrivaient ainsi des enseignants-chercheurs (dont Nacira Guénif-Souilamas, Marwan Mohammed et Eric Fassin) dans une autre pétition publiée dans Libération le 8 mars, signée depuis par 1 800 universitaires.
Si aujourd’hui la majorité de chercheurs est favorable à cette laïcité «ouverte», le relatif consensus ne doit pas faire oublier l’existence de voix divergentes, d’autres regards. Des philosophes, surtout, cherchent à refonder le concept de laïcité. Comme Catherine Kintzler (2) ou Henri Pena-Ruiz. «Il faut ranimer cette laïcité qui a été offerte en cadeau au Front national, estime la philosophe. La république distingue des espaces privés et publics, organise des respirations, c’est en cela qu’elle est le contraire de l’intégrisme. L’élève aussi a droit à une double vie, hors du regard de ses parents. L’école n’a pas à refléter la société.» Dans cette optique, les particularismes doivent être relégués dans la sphère privée, au nom d’un principe supérieur : le vivre ensemble. Portée par des essayistes et des intellectuels médiatiques, soutenue par «la forteresse enseignante», selon Philippe Portier, la voix de cette laïcité de combat porte davantage dans le débat public.
Catherine Kintzler est philosophe. Ancienne professeure de lycée, aussi. Lors de l’affaire du voile de Creil, c’est elle qui avait cosigné la tribune du «Münich scolaire». Le mois dernier, elle a failli s’étrangler en écoutant François Hollande qui, après les attentats de Charlie Hebdo et de l’Hyper Cacher, tentait de fixer un cap à sa laïcité. «Contrairement à ce que dit le président Hollande, qui cite la loi de 1905 à l’envers, la république ne reconnaît pas tous les cultes, elle n’en reconnaît aucun !» reprend-elle. La laïcité est ici un idéal républicain. C’est aussi ce qu’affirmait l’éditorial de Charlie Hebdo des «survivants». En une, le prophète pardonnait tout. A l’intérieur, l’éditorial disait «pas la laïcité positive, pas la laïcité inclusive, pas la laïcité je ne sais quoi, la laïcité point final». «L’article prônait « une laïcité sans qualificatif », commente l’historienne Florence Rochefort (3). Je comprends le mot d’ordre. Mais les chercheurs ne peuvent pas souscrire à cette approche. Il y a sans doute une envie de laïcité dans la société civile aujourd’hui. Mais elle ne peut pas être un catéchisme. Ce que les sciences sociales révèlent, c’est que la laïcité est toujours le résultat d’un rapport de force.» «Le risque, renchérit Philippe Portier, c’est que les pratiques concrètes ne soient analysées que comme des écarts à ce modèle idéal.»
«Livre de tout le monde». Depuis les années 2000, dans les travaux de recherche, la laïcité est croisée avec d’autres thématiques, comme le féminisme, les migrants, les nouveaux courants religieux, la médecine ou la mort… Au sein du GSRL, Florence Rochefort interroge la laïcisation par le prisme du genre. Elle a notamment montré que les militants laïcs de la IIIe République ont finalement trouvé un terrain d’entente avec l’Eglise en sacrifiant les femmes et leur droit de vote. La laïcité n’a pas toujours été le combat féministe que prétendent les pourfendeurs du voile d’aujourd’hui. «Depuis 1900, le pacte laïc s’est chaque fois construit sur des exclusions : les femmes, les homosexuels… Il faudrait éviter que le pacte de réconciliation nationale qu’on voit poindre aujourd’hui se fasse contre les jeunes femmes musulmanes», prévient l’historienne.
Les sciences sociales ont désacralisé la laïcité. Les comparaisons internationales l’ont sortie de son splendide isolement français. «Il existe des laïcités multiples, qui renvoient chacune à différentes manières d’accommoder les relations entre la religion et la politique», précise Philippe Portier. A tel point que des chercheurs étudient aujourd’hui la «laïcité états-unienne». Laïc, ce pays qui fait prêter serment à ses présidents la main sur la bible ? «La République française a fondé son identité sur l’absence de dieu, explique Valentine Zuber. Le contrat politique anglo-saxon se fonde, lui, sur une transcendance : les députés américains jurent sur un livre fermé, le Livre de tout le monde. Un député américain musulman a ainsi prêté serment sur le Coran.» Pour cet Etat beaucoup plus religieux que l’Etat français, le pilier de la laïcité n’est pas la neutralité, mais la séparation entre l’Etat et les cultes – là-bas bien plus étanche qu’ici.
«Pas comprise». Le jour où nous avons interviewé Florence Rochefort, elle allait être auditionnée par les sénateurs. «Je dois dire qu’il est difficile pour nous, chercheurs, de parvenir à faire entendre les nuances que peut revêtir le voile pour une jeune fille, quand les hommes politiques et une partie des féministes ont décidé que le foulard ne pouvait avoir qu’une seule signification : l’oppression», confiait-elle. Puis nous avons échangé avec une de ses collègues, qui venait d’être entendue par les mêmes sénateurs : «J’ai dû mal m’exprimer, ils ne m’ont pas comprise.»
Les chercheurs se plaignent de n’être pas entendus. «Le 11 septembre 2001, puis l’arrivée du FN au deuxième tour de la présidentielle de 2002 ont marqué un basculement : le discours des sciences sociales a été disqualifié», note le politologue Abdellali Hajjat, qui travaille sur ce qu’il nomme «la construction du problème musulman» en France. «Experts, essayistes ou politiques nous ont dit : « Vous n’avez pas réussi à repenser la société. Vous êtes des idéalistes, vous ne faites pas face à la réalité. »»Les élus locaux disent ne pas retrouver dans les travaux universitaires ce qu’ils voient aujourd’hui dans leur circonscription. «Il y a tout de même une montée de la religiosité. Mais ça, qui en parle parmi ces universitaires de gauche ?» s’agace un intellectuel, ancien membre de la commission Stasi. Réuni en 2003, ce groupe de réflexion devait plancher sur l’opportunité d’une loi interdisant le voile à l’école (qui sera votée un an plus tard). La commission s’étonnait déjà du manque d’études scientifiques quantifiant la présence réelle de voiles à l’école.
Des signes épars laissent pourtant espérer un dialogue plus fructueux entre élus et chercheurs. La revue socialiste vient de consacrer son numéro de mars à la laïcité – les partisans d’une option libérale et ouverte y sont largement représentés. L’Observatoire de la laïcité, relancé par François Hollande pour pacifier les débats sur l’expression religieuse dans l’espace publique, a donné aux chercheurs l’impression d’être enfin entendus. Leur message est simple, à l’image de celui de Florence Rochefort : «La laïcité n’a pas réponse à tout.»
Place de la République, le 18 janvier 2015. (Photo : JOEL SAGET.AFP)
Le républicanisme reste un type d’organisation valable mais son articulation avec l’expression des différences doit être revisitée.
Dans une thèse menée entre 2000 et 2005, nous avons montré que le rapport à l’islam d’enfants d’immigrés est lié à leurs trajectoires d’entrée dans la vie adulte, celles-ci s’allongeant désormais jusqu’au-delà de la trentaine. Ces jeunes estiment, non sans raison, que la couleur de leur peau, le fait d’être enfants de l’immigration postcoloniale et leur quartier d’habitation sont l’objet de jugements dépréciatifs qui contrarient leur accès aux opportunités sociales, à l’école, sur le marché du travail comme aux guichets des administrations.
Certains jeunes cherchent alors dans l’islam une inscription dans une généalogie prestigieuse. Se considérer comme descendant de Mahomet et se rapprocher de ses compagnons par l’habit et la piété est une quête de requalification. Celle-ci est façonnée par les offres religieuses salafistes dans lesquelles un islam dés-historicisé est censé gouverner la vie du croyant de la naissance à la mort. Cette identification à l’islam ne donne généralement pas lieu à une radicalisation violente, certains jeunes devenant simplement pieux. Dans d’autres situations, pourtant, la filiation s’éprouve au travers d’une inscription dans une communauté musulmane mondiale qu’il s’agit de défendre par les armes contre les attaques dont elle est l’objet.
Féminité islamique
En revanche, les identifications des jeunes femmes à l’islam relèvent d’autres logiques. Certaines d’entre elles s’attachent à un islam spirituel (plutôt que culturel) pour mettre à distance la religion parentale dominée par les obligations. Porter le foulard permet aussi, lors des premières années à l’université, de montrer sa fidélité à la famille pour accéder ensuite à une plus grande autonomie.
Ces artisanes de liberté tempérée considèrent que les discours qui articulent féminisme et dénonciation des inégalités des sexes au sein des populations immigrées sont une violence faite à leurs familles. Dans certains cas, afficher les signes d’une féminité islamique dans l’espace public est une protestation contre un type de féminisme qui stigmatise les populations. Ce fait protestataire n’est pas nouveau. Dans le contexte étatsunien, les Afro Américaines ont développé des mouvements autonomes de lutte contre le racisme et le sexisme parce que le féminisme des blanches mettait à l’écart les populations noires.
Les trajectoires de ces filles d’immigrées façonnent aussi leurs sensibilités, qui sont plutôt conservatrices, sur la famille et le couple. Ces positions ne relèvent pas d’un «défaut d’assimilation», qu’il faudrait corriger, et encore moins de radicalisation ; elles sont un point de vue, parmi d’autres, dans une société pluriculturelle.
Reconnaissance de la pluralité culturelle
En France, le développement du salariat et de l’État social, la scolarisation de masse dans une école laïque, publique et gratuite ont stabilisé un contrat social fondé sur l’égalité des individus en droit, la laïcité et la neutralisation des différences dans l’espace public. Ce républicanisme est mis à l’épreuve pour trois raisons. Tout d’abord, dans les sociétés européennes contemporaines se rencontrent des populations dont les croyances, les pratiques et les représentations du monde sont diverses. Ensuite, la globalisation modifie les cadres de référence de l’individu. Les mobilités, dans le cyberespace comme entre les régions du monde, facilitent la multiplicité des appartenances et des loyautés. Ce contexte de dés-imbrication de l’État, de la nation et de la société fragilise les logiques de reproduction et l’adhésion du plus grand nombre à des valeurs partagées héritées d’hier. Enfin, l’accroissement des inégalités socio-économiques depuis 1975, après une longue période de reflux de celles-ci, déstabilise la logique de réciprocité sur laquelle reposait le contrat social.
Le républicanisme reste un type d’organisation socio-politique valable mais son articulation avec l’expression des différences doit être revisitée. En premier lieu, la reconnaissance de la pluralité culturelle de notre pays est indispensable. Les élus devraient davantage rappeler que le port du foulard ou du qamis dans la rue exprime une religiosité, garantie par la liberté de conscience, pilier fondateur de la laïcité. En deuxième lieu, le débat public sur les migrations et la diversité, aujourd’hui monopolisé par quelques acteurs, devrait refléter les différences qui traversent la société française. De nombreuses voix y sont complètement absentes car elles n’ont pas accès aux grands médias et s’expriment alors sur le net, espace de liberté sans garde-fous. Enfin, une grande politique nationale visant les discriminations liées à l’origine, réelle ou supposée, est plus que jamais nécessaire. Son absence a nourri, pendant des décennies, la représentation selon laquelle le racisme et les épreuves liées à l’origine et à la couleur de peau n’étaient pas pris au sérieux par la puissance publique, alimentant un ressentiment qui s’exprime à son paroxysme dans les quartiers les plus ségrégués.
Nathalie Kakpo est auteure de L’islam, un recours pour les jeunes (Presses de Science Po).
Défilé de la fête du travail, le 1er mai 2013, à Strasbourg. (Photo Frederick Florin. AFP)
Un amendement de la loi Macron permet de modifier les dates des jours fériés religieux dans les départements d’outre-mer afin de célébrer d’autres fêtes, non chrétiennes.
Aujourd’hui, il y a douze jours fériés en France. On compte cinq fêtes civiles : le jour de l’an, la fête du travail (1er mai), la capitulation de l’Allemagne nazie (le 8 mai), la fête nationale (le 14 juillet) et l’armistice de la Première Guerre mondiale (le 11 novembre). On dénombre aussi six fêtes religieuses : le lundi de Pâques (le 6 avril en 2015), le jeudi de l’Ascension (14 mai 2015), le lundi de Pentecôte (le 25 mai 2015 qui est désormais un jour non payé), l’Assomption (le 15 août), la Toussaint (le 1er novembre) et Noël (le 25 décembre).
Mais voilà, l’amendement 2992 de la loi Macron envisage de remettre en cause ses sacro-saintes fêtes, comme le souligne le Parisien. Il indique que, dans les départements d’outre-mer, «afin de tenir compte des spécificités culturelles, religieuses et historiques, un arrêté préfectoral peut remplacer des jours fériés – le lundi de Pâques, l’Ascension, le lundi de Pentecôte, l’Assomption, la Toussaint – par un même nombre de jours fériés locaux.» Le rapporteur de la loi a souligné que les fêtes religieuses en France donnaient «un statut légal» uniquement à des fêtes chrétiennes. Eric Ciotti qualifie ce dispositif de «scandale institutionnel» qui remet en cause «l’identité et la culture de notre pays».
En attendant, Libération a pris les devants pour savoir à quoi ressemblerait notre calendrier si on changeait les dates des jours fériés.
SI ON CHOISISSAIT D’AUTRES FÊTES RELIGIEUSES
C’est la députée PS de la Réunion, Ericka Bareigts qui est à l’origine de cet amendement. Une façon de reprendre une des propositions d’Eva Joly. Pendant la campagne de l’élection présidentielle, la candidate écologiste avait proposé de rendre fériées les fêtes de l’Aïd et de Yom Kippour, provoquant une polémique jusque dans son camp.
Yom Kippour, aussi appelé le «jour du Grand Pardon» ou «jour des Expiations», est la fête la plus importante du calendrier hébraïque. Les fidèles juifs sont invités à réparer les fautes commises envers Dieu et envers leurs prochains. C’est un jour marqué par le jeûne. Cette journée rappelle la faute du veau d’or. Après avoir quitté l’Egypte, Moïse se rend sur le mont Sinaï pour recevoir les Tables de la Loi. Pendant ce temps, le peuple hébreu se détourne de Dieu pour adorer une statue en or en forme de veau. Yom Kippour sera célébrée le 22 et 23 septembre 2015.
L’Aïd al-Fitr est la fête musulmane marquant la rupture du jeûne du mois de Ramadan. Les musulmans se rassemblent alors pour faire des prières rituelles festives. Des mets et des boissons sont servis dans les mosquées et dans les maisons. Les enfants reçoivent des sucreries, ce qui explique l’autre nom de l’Aïd : la «fête du sucre». Cette année, elle sera célébrée le 18 juillet.
La fête de la Réformation, fêtée le 31 octobre, commémore un acte traditionnellement considéré comme fondateur du protestantisme. En 1517, le moine Martin Luther affiche, sur les portes de la chapelle du château de Wittenberg en Saxe (Allemagne), ses thèses contre les indulgences.
Divali, la fête des Lumières hindoue, célèbre le retour de Rama à Ayodhya, où les habitants éclairaient les rues où le roi passait, avec une multitude de lampes. La célébration s’étend sur cinq jours, et le troisième est appelé le «grand Divali», c’est le plus important. Les autres jours sont liés à des traditions et mythes différents. Le lendemain, c’est donc le début d’une nouvelle année indienne, et ce jour est appelé Annakut. Cette année, la fête tombe entre le 11 et le 15 novembre 2015.
Vesak ou Visakha est la principale fête bouddhiste. On y célèbre la naissance, l’éveil et l’extinction de Bouddha. La communauté bouddhiste se réunit alors pour méditer sur les trois «Joyaux» : le Bouddha, le dharma (son enseignement) et le sangha (communauté des pratiquants). Elle est fêtée en France, le 2 juin 2015.
SI ON CÉLÉBRAIT SEULEMENT LA RÉPUBLIQUE
A l’inverse, on pourrait décider de supprimer tous les jours fériés en lien avec la religion. Pour avoir 12 jours chômés, il faudrait donc ajouter des dates de commémoration basées sur les valeurs de la République.
Le 21 janvier serait à retenir car c’est le jour où le roi de France Louis XVI, est guillotiné à Paris, en 1793. Une façon toutefois un peu radicale de célébrer la fin de la monarchie.
Plus consensuel, on peut célébrer un autre épisode de la Révolution, le 20 juin 1789, date du serment du Jeu de Paume où les députés de l’Assemblée nationale jurent de ne pas se séparer avant d’avoir donné une constitution à la France.
Révolution toujours, mais au mois d’août (ce qui permettrait de remplacer le 15 août de la Vierge), la France pourrait chômer le 4 août en souvenir de l’abolition des privilèges par la Constituante. Tous les citoyens sont désormais égaux en droits et en devoirs. Une manière de remplacer le 15 août et la fête de l’Assomption en somme.
Ou le 26 août, qui deviendrait un second jour de fête nationale pour rappeler le vote de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, proclamant les droits naturels de l’homme et la souveraineté de la nation, en 1789.
Plus militaire, le 20 septembre 1792, la bataille de Valmy est la première victoire décisive de l’armée française après la Révolution. Les Prussiens essayent de marcher sur Paris. Ils sont stoppés près du village de Valmy, en Champagne-Ardenne. L’issue de la bataille est considérée comme «miraculeuse».
Enfin, le 5 octobre célébrerait la proclamation de la Ve République, en 1958, après le référendum du 28 septembre de la même année.
SI LES RÉGIONS ÉTAIENT MISES À L’HONNEUR
Enfin, il ne faut pas oublier que la France est constituée de multiples régions aux identités fortes qui ont leurs propres fêtes. Celles-ci pourraient être reprises et devenir des jours chômés en référence à la diversité régionale.
Le 18 novembre célèbre la proclamation de la constitution corse, lancée par Pascal Paoli, en 1755. Ce texte est souvent considéré comme la première constitution démocratique du monde moderne. «La Corse se donne une constitution basée sur la souveraineté du peuple et la séparation des pouvoirs. Le pouvoir législatif reste confié aux consultes. L’exécutif est assuré par un Conseil d’Etat présidé par le général et subdivisé en trois sections : politique, économique et militaire. Le pouvoir judiciaire est donné, suivant l’importance des délits, à des tribunaux situés au niveau de la paroisse, de la pieve, de la province ou de la nation.»
La fête de la Saint-Yves (Gouel Erwan en breton) ou fête de la Bretagne deviendrait un événement national. Elle serait célébrée tous les ans le 19 mai en l’honneur du patron des avocats et des Bretons. C’est l’occasion de processions mais aussi de pardons dans les églises.
On pourrait aussi fêter la Saint-Étienne. C’est une fête chrétienne célébrée le 26 décembre qui commémore le premier martyr de la chrétienté. Etienne fut accusé, en l’an 36, de blasphème contre le sanhédrin (assemblée législative juive de Jérusalem) et fut condamné à la lapidation. C’est surtout une excuse supplémentaire pour digérer la dinde de Noël. La Saint-Étienne est déjà un jour férié en Moselle et en Alsace (qui ont également droit à un deuxième jour chômé supplémentaire : le vendredi saint).