En Espagne, l’héritage religieux de la mosquée-cathédrale de Cordoue fait l’objet d’une controverse

Mosquée-Cathédrale-Cordoue

La ville espagnole de Cordoue dans le sud de l’Espagne, est le théâtre d’une controverse autour de sa célèbre mosquée-cathédrale, propriété de l’Eglise que certains accusent de diluer son héritage islamique.

L’attraction touristique principale de la ville, inscrite depuis 1984 au patrimoine mondial de l’Unesco, est à la fois un monument majeur de l’art musulman et une cathédrale chrétienne depuis le Moyen Âge.

« Sainte Eglise Cathédrale » : Le touriste visitant l’édifice se verra remettre un document portant ce titre.

Il a été choisi par l’évêché de la ville, propriétaire de ce joyau architectural édifié par les émirs et califes omeyyades entre les VIIIème et Xème siècles. Après la conquête musulmane de l’Espagne, la mosquée avait elle-même été bâtie sur le site d’une basilique chrétienne.

Aujourd’hui dans son dépliant l’Eglise utilise onze fois le mot cathédrale, deux fois le terme mosquée et deux fois la formule « cathédrale, ancienne mosquée ». Quand au site internet, il est enregistré sous le nom de domaine « catedraldecordoba.es ».

Ce que n’apprécient pas ceux qui ont créé un groupe de pression, appelé « Mosquée Cathédrale patrimoine de tous », qui y voient une tentative de « changement de l’histoire ».

Dans l’Espagne conquise par les musulmans au VIIIe siècle, la mosquée était le principal lieu de culte de l’islam en Occident. Après la reconquête de la cité par le roi catholique Ferdinand III en 1236, les Castillans en firent à nouveau une église.

Une réforme législative du gouvernement de José María Aznar (Parti populaire, droite) a permis depuis 1998 à l’Eglise catholique de prendre possession de bâtiments religieux n’ayant pas de propriétaire officiel, sans avoir à prouver directement leur propriété.

C’est ainsi que le diocèse de Cordoue est devenu formellement propriétaire de la fameuse ancienne mosquée, le 2 mars 2006, pour la modique somme de 30 euros.

La cathédrale a été construite au XVIème siècle au coeur même de l’édifice. Mais jusque-là « tous les évêques de Cordoue s’étaient sentis (…) comme des protecteurs, pas comme ses propriétaires », explique Miguel Santiago, porte-parole de la plateforme.

L’église est « propriétaire légitime » depuis 1236 répond José Juan Jiménez, porte-parole du diocèse, évoquant sa « consécration » par le roi (un acte religieux qui rend sacré) cette année-là. « Ce temple est une cathédrale ».

L’Eglise l’a gérée pendant huit siècles en prenant soin de son architecture, alors que les musulmans avaient eux détruit la basilique originale qui remontait aux wisigoths, fait-il valoir.

Le groupe citoyen met aussi en cause la gestion culturelle et touristique du monument.

Empreinte de l’islam

« La mosquée-cathédrale est l’axe culturel de la ville, sa principale entreprise touristique. Changer son nom, c’est aller à l’encontre des intérêts touristiques de Cordoue et, c’est plus grave, contre son essence historique, artistique et symbolique », estime Miguel Santiago.

Cet enseignant en biologie de 59 ans affirme que l’Eglise minimise le passé de la mosquée en se bornant à évoquer « l’intervention islamique » dans son architecture, ou encore « l’empreinte » de l’islam.

Les musulmans de Cordoue sont restés discrets et à l’écart de la polémique. « La tentative de changement de l’histoire du bâtiment nous blesse, tenter d’effacer l’appellation mosquée », estime toutefois Kamel Mejelef, président de l’association des musulmans de Cordoue. « Les gens lorsqu’ils viennent à Cordoue, viennent voir la mosquée, pas la cathédrale ».

Le groupe de pression réclame que le bâtiment soit public et cogéré avec l’administration.

« Les curés s’y connaissent beaucoup en messes, mais je doute que cela soit le cas en matière de tourisme et de culture », résume Miguel Santiago.

En 2014, la mosquée cathédrale a reçu 1,5 million de visiteurs, (9,4% de plus que l’année précédente), qui ont fait rentrer dans les caisses de l’église près de dix millions d’euros.

Le débat autour du trésor architectural de Cordoue inquiète aussi son maire José Antonio Nieto (PP).

« Nous voulons clarifier les choses avant que cela n’aille trop loin et (nous voulons) que l’image de Cordoue soit celle d’une ville ouverte et de consensus où prévalent la concorde et la cohabitation », dit-il.

En attendant, une pétition demandant aux autorités espagnoles et à l’Unesco d’intervenir a recueilli près de 387.000 signatures sur le site change.org.

 

« En tant que cathédrale, elle est semblable à toutes les andalouses. Mais en tant que mosquée elle est unique », insiste de son côté l’experte en gestion du patrimoine María Ángeles Querol, de l’Université complutense de Madrid.

 

Pour en savoir plus : http://www.huffpostmaghreb.com/

 

L’amour ici et là-bas

AimerIcietLabas13Fev2015

Les Tables Rondes de l’APAL ont présenté hier soir une intervention de Marie DAVIENNE – KANNI au CCO de Villeurbanne

avec l’association des Amis de la Présence Africaine, soutenu par le collectif Africa 50 :

Les couples mixtes :

leur formation, la réaction des tiers, l’affirmation de son choix, questions de point de vue… et au-delà des différences, suivi d’un débat très animé !

Pour en savoir plus : http://www.lyonpresenceafricaine.com/

 

PrésenceAfricaine

Le Mawlid, la fête en dépit de la fatwa

 Assida_zgouzou
Le 3 janvier 2015 était célébrée la fête musulmane Mawlid an Nabi «Naissance du prophète». Bien que le Coran, ne la mentionne pas, la tradition situe la date de naissance de Muhammad ou Mahomet le 12 de Rabia al Awal, troisième mois du calendrier islamique, soit en 570 de l’ère chrétienne. Le calendrier islamique étant lunaire, la date de la célébration est décalée de dix jours chaque année sur le calendrier grégorien et a coïncidé cette année aux fêtes du Nouvel an. Elle sera de nouveau célébrée le 23 décembre 2015.
L’événement est fêté par la plupart des communautés musulmanes dans le monde, qu’elles soient sunnites ou chiites. Contrairement aux deux aïds, le petit (l’Aïd el-Fitr) et le grand (l’Aïd al-Adha), cette célébration ne fait pas partie des fêtes religieuses authentiquement sacrées. Aucune trace de cette fête n’existe en effet ni dans le Coran ni dans la Sunna (les paroles et actions du Prophète). L’anniversaire de Mahomet n’a jamais été célébré de son époque, mais a posteriori en Egypte au quatrième siècle de l’Hégire. Ce qui explique pourquoi certains mouvements affiliés au salafisme et au wahhabisme considèrent le Mawlid comme une innovation religieuse étrangère à l’islam et voient en elle une copie de la célébration de Noël chez les chrétiens ou de la Hanoucca chez les juifs. Ils la réprouvent même : Le cheikh Abdul Aziz Al-Asheikh, grand mufti d’Arabie Saoudite  a redit cette année que c’était pécher que de célébrer la naissance du prophète.En dépit de la recrudescence de cette controverse ces dernières années, la tradition populaire, et notamment culinaire reste très vivace.Dans la plupart des États musulmans, le jour du Mawlid reste férié.

La naissance du Prophète est l’occasion pour la plupart des musulmans de se réunir pour se remémorer la vie de Mahomet, grâce aux lectures du Coran, des prières ou des chants religieux, et surtout de partager des plats spécifiques.

Dans les foyers musulmans, les débats vont bon train sur le choix de l‘assida que les femmes vont préparer. En effet, si cette crème dessert est communément partagée par tous les Etats arabes, il existe une multitude de variantes selon les pays.

Rien que dans les foyers tunisiens, on compte au moins deux façons de préparer cette crème. Une traditionnelle, la assida bidha ou assida blanche à base de semoule cuite à laquelle on ajoute du beurre salé (smen) et du miel. Et une autre, beaucoup plus raffinée mais aussi plus coûteuse, confectionnée à partir de graines de pin d’Alep (zgougou) nappée d’une crème pâtissière. Elle est ensuite décorée de fruits secs grillés et concassés.

En Algérie, celle qui reste la plus consommée est à base de semoule agrémentée de beurre et de sucre ou miel. Mais il existe plusieurs variétés d’assida à base d’huile d’olive, de miel et de lait appelé tagloudi ou hrira.

En Libye une seule est préparée à base de farine, au Soudan dans la région du Darfour elle est à base de millet, au Yémen elle est accompagnée d’une sauce épicée…

Au Caire, une autre tradition est très répandue. La fête commence dans la journée par une procession de la mosquée El Rifaï jusqu’à la mosquée El Hussein en passant par la citadelle. Le quartier d’El Hussein est illuminé par des centaines de guirlandes et de néons, des tentes aux couleurs chatoyantes ornées de dessins islamiques sont dressées dans les rues. Et surtout, les commerçants du quartier garnissent leurs étals de poupées et des chevaux en sucre d’orge de couleurs vives, que l’on offre aux enfants, poupées maquillées et habillées pour les petites filles et chevaux pour les petits garçons. Une tradition pittoresque, héritée de l’époque des Fatimides qui a bien failli se perdre dans les années 2000 avec l’arrivée de poupées en plastique venues de Chine… Les adultes ont aussi droit à leur confiseries : les «Halawet El Mouled» – douceurs du Mouled, tels que loukoums, croquants aux sésames ou aux cacahuètes.

Ainsi, la pérennité et l’attachement populaire à la célébration du Mawlid an Nabi doivent certainement beaucoup au folklore culinaire. Ils montrent la vitalité de l’islam et son esprit de convivialité, de partage et de joie, plutôt que de haine et d’exclusion même s’il s’agit d’un événement plus festif que religieux.

 

Recette pour l’assida zgougou

Ingrédients : pour 8 verrines

Pour la crème de zgougou

  • 250g de zgougou moulu (chez votre épicerie orientale)1.50l d’eau minérale
  • 150g de farine t55
  • 25cl d’eau
  • 150g de sucre semoule
  • 1c à soupe d’eau de Rose

Pour la crème pâtissière recette

  • 500g de lait
  • 100g de sucre
  • 45g de poudre de crème ou de maïzena
  • 1 gousse de vanille
  • 4 jaunes d’oeufs

Pour les finitions : fruits secs torrefiés moulus ou non (pistaches, amandes, pignons de pins et noisettes…).

Préparation :

  • Mélanger le zgougou moulu dans le 1.50l d’eau et passer au mixeur , Filtrer 3 à 4 fois à travers d’un tamis
  • Dans une casserole mettre la farine et 25cl deau minérale et puis le sucre et la crème de zgougou et mettre sur feu moyen sans cesser de remuer avec un fouet laisser cuire pendant 20 min
  • Dès que la crème épaissie retirer du feu ajouter l’eau de rose
  • Remplir vos verrines à moitié de crème et laisser refroidir
  • Entre temps préparer la crème pâtissière
  • Mettre le lait à chauffer dans une casserole avec le contenue de la gousse de vanille fendue et grattée
  • Mélanger à sec le sucre et la maïzena et ajouter les jaunes d’oeufs et mélanger énergiquement au fouet.
  • A ébullition du lait , verser-le sur le mélange précédent en remuant avec le fouet.
  • Remettre le tout dans la casserole lavée mais non séchée.
  • Faites cuire la crème sur le feu tout en fouettant elle doit bouillir au moins 1min 30 selon la quantité et ne surtout pas cesser de remuer pendant la cuisson
  • Dès que la crème est cuite retirer-la du feu et débarrasser-la dans une  plaque large
  • Passer le beurre par dessus  pour éviter que la crème croûte.
  • Recouvrir la crème d’un film alimentaire et la stocker au congélateur immédiatement pendant 10min.
  • Verser une couche de crème pâtissière sur la crème de zgougou et réfrigérer jusqu’au moment de servir décorer de fruits secs

Pour en savoir plus : http://www.fait-religieux.com

Former les profs à la laïcité : d’accord, mais comment ?

 Philippe Gaudin, directeur adjoint à l’Institut européen en sciences des religions, a été désigné avec d’autres pour concevoir les contenus, méthodes et priorités de la formation à la laïcité.
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(Photo d’illustration) (Jean-Pierre Clatot/AFP PHOTO)
Le 21 janvier dernier, François Hollande donnait le coup d’envoi d’une mobilisation générale de la communauté éducative autour des valeurs de la République. Au premier rang desquelles la laïcité. Le lendemain, c’était au tour de la ministre de l’Education nationale, Najat Vallaud-Belkacem d’annoncer une série de mesures, pas tout à fait neuves pour la plupart.

On retiendra toutefois la volonté de généraliser l’enseignement de la laïcité. Ce qui existe déjà mais dans une toute petite proportion. L’idée, cette fois, est de créer un effet domino de grande ampleur : former des formateurs qui formeront les professeurs qui formeront les élèves. Pas simple à mettre en oeuvre. Et pour l’heure, rien n’a été tranché sur le fond.

Tout au plus sait-on que les programmes des cours d' »Enseignement moral et civique », mis sur les rails par l’ancien ministre Vincent Peillon, qui entreront en vigueur à la rentrée 2015, vont être réécrits. Mais après ? Philippe Gaudin, responsable des formations recherche à l’Institut européen en sciences des religions (IESR) et ancien professeur de philosophie (1), a été choisi avec d’autres pour mettre en œuvre ce projet. Il définit pour « l’Obs », les contenus, méthodes et priorités de ce nouvel enseignement.

Enseigner les faits religieux

« A l’IESR, nous ne dissocions pas la nécessité d’une formation sur la laïcité d’une formation sur les faits religieux, qui ont tendance à disparaître des programmes d’Histoire ou de Français. Exemple : l’étude de la religion aux Etats-Unis au XXe siècle par exemple a disparu, alors qu’on ne peut comprendre Martin Luther King sans connaître son contexte religieux. L’effort n’a pas été soutenu depuis 1995, car c’est un enseignement transversal. Difficile d’entretenir la flamme !

Qu’on se comprenne bien. Enseigner le fait religieux, comme l’a recommandé le rapport de l’historien Philippe Joutard dès 1989, n’est pas faire entorse à la laïcité. Il s’agit plutôt d’une maturation, d’une extension de la laïcité, dans un monde qui ne ressemble plus à la France de 1905. Nous vivons dans une société à la fois très sécularisée, et dans laquelle les identités religieuses peuvent se manifester, pour le meilleur et pour le pire. Face à cela, l’école ne peut rester muette.

Je vois deux grandes justifications à l’enseignement des faits religieux :

– Intellectuelle : on ne peut pas bien comprendre le passé, ni le présent, si on n’a pas une bonne connaissance des faits religieux ; et on ne peut pas non plus comprendre le patrimoine artistique.

– Politique : pour faire société dans un monde marqué par une nouvelle pluralité religieuse, il faut une culture commune. D’où l’expression de Régis Debray, d’une « laïcité d’intelligence ».

La laïcité ainsi entendue n’est pas ouverte à tous les vents, ni une sorte de libre-service où toutes les religions s’exprimeraient n’importe comment. Elle reste fidèle à l’esprit de l’école, celui de la connaissance et du savoir.

Apprendre à penser

« Pour la rentrée 2015, il n’est pas prévu de faire un cours de laïcité spécifique. Cette notion sera intégrée à l’enseignement moral et civique, prodigué de l’école maternelle à la terminale, environ une heure par semaine, mais sous la forme d’ateliers par exemple, à l’image des TPE. Toute la communauté éducative sera concernée.

On pourrait y discuter des questions autour de la cantine, par exemple. L’idée est de proposer un enseignement laïc de la morale et non d’enseigner « la morale laïque », qui était l’expression initiale de Vincent Peillon quand il a lancé le projet. Autrement, il ne s’agit pas d’enseigner une morale toute faite – à part les règles de droit fondamental – mais d’apprendre le questionnement éthique et de le traduire dans son comportement. C’est peut-être une façon d’apprendre à agir avec sagesse avant la classe de philosophie !

Ce qui n’exclut pas pour autant que les questions de laïcité soient présentes dans tous les autres enseignements. A l’issue de la formation, il y aura une forme d’évaluation, mais certainement pas telle qu’elle est pratiquée habituellement, avec copies et notes. Elle reste à définir. »

Démultiplier les référents laïcités

« Notre institut participera à la formation des formateurs. Sur les 1.000 formateurs annoncés, nous allons d’ores et déjà nous appuyer sur les « référents laïcité » des académies créés en 2014, en général composés d’inspecteurs ou de professeurs d’Espé (Écoles supérieures du professorat et de l’éducation). Eux-mêmes, devront trouver d’autres formateurs et toucher ainsi le plus grand nombre de professeurs possible. Ce processus commence à peine, la tâche sera rude.

Former les futurs professeurs d’abord

La priorité, c’est la formation initiale des jeunes générations d’enseignants, de façon à toucher tous les futurs professeurs à partir de maintenant. Il doivent recevoir une formation dans trois domaines : la laïcité, les faits religieux et une préparation à enseigner cette nouvelle discipline qui sera dans les programmes dès la rentrée 2015.

En revanche, impossible de former tous les professeurs en poste à court et moyen terme. Si les modules de formations ne peuvent s’adresser à 50 personnes à la fois et s’il y a 100.000 professeurs (sur environ 800.000) à former, cela fait un très grand nombre de modules de formation ! »

Cibler les établissements en difficulté

« Est-ce qu’il ne faudrait pas une étude sérieuse sur ce qui se passe dans les établissements de l’ensemble du territoire du point de vue de la laïcité ? Avec une équipe de chercheurs indépendants, une méthodologie scientifique, une déontologie transparente et, pourquoi pas, un conseil de surveillance scientifique et politique.

Y-a-t-il des difficultés ? Y-a-t-il des élèves qui refusent d’écouter leurs professeurs sur telle partie du programme ? Sans doute observerait-on que la situation est bonne dans de nombreux établissements. Cela contribuerait à rasséréner le climat moral, social et politique en France. Il apparaîtrait – dans quelle proportion je ne sais pas – qu’une minorité d’établissements posent problème. Il faudrait alors clairement les identifier et connaître précisément  leurs difficultés.

A partir de là, on peut avoir une vraie politique volontariste avec de gros moyens -pas seulement au sens financier mais aussi ‘moral’ justement !-pour y apporter un remède. L’école porte toutes les misères du monde et elle n’a pas le pouvoir de les supprimer. Mais on y verrait plus clair. L’école est l’âme de la République et sur le plan de notre pacte politique, la République est l’âme de la France. Si notre école va mal, c’est l’ensemble de la communauté nationale qui va mal. Ce ne serait donc pas une dépense mal placée. »

Propos recueillis par Sarah Diffalah

(1) « Vers une laïcité d’intelligence en France ? L’enseignement des faits religieux en France comme politique publique d’éducation depuis les années 1980 », Presses Universitaires d’Aix-Marseille, 2014.

« Double défi pour l’école laïque : enseigner la morale et les faits religieux », Riveneuve éditions, 2014.

L’Institut européen en sciences des religions est une composante de l’Ecole Pratique des Hautes Etudes. Il a été créé après le rapport de Régis Debray en 2002 qui préconisait un pont entre le monde de la recherche universitaire et tous ceux qui ont besoin de formation sur le fait religieux, notamment dans l’administration publique. Ses fonctionnaires travaillent pour l’Education nationale, et sont donc en concertation avec le ministère, ainsi qu’avec la Direction générale de l’Enseignement scolaire, mais apportent la plus-value et l’indépendance universitaire et scientifique. L’Institut a été nommé par la ministre de l’Education pour participer à la formation des formateurs à la laïcité.

Publié le 04-02-2015 à 11h03

Pour en savoir plus : http://tempsreel.nouvelobs.com/

Le sens des mots

Je reconnais au Premier ministre le mérite d’avoir décrit une réalité de l’immigration souvent minorée ou même déniée. Manuel Valls a eu raison de parler de « misère sociale », de « ghetto », de « relégation périurbaine », de « misère sociale », auxquelles « s’additionnent les discriminations quotidiennes parce que l’on n’a pas le bon nom de famille, la bonne couleur de peau ». Tout ceci existe, c’est la réalité quotidienne de millions de Français, et même des « immigrés » les mieux intégrés.

Il fallait enfin poser le diagnostic et admettre la réalité. C’est un premier pas encourageant pour la classe politique française qui, depuis des décennies, a refusé d’admettre les immenses problèmes liés à l’intégration. Ce refus est d’autant plus scandaleux qu’il est le résultat, soit d’une naïveté méprisante, soit d’une mauvaise conscience ou encore d’une méconnaissance coupable. Espérons que ces déclarations soient une étape franchie, un acquis sans retour pour qu’enfin, les gouvernements puissent agir concrètement sans fausse pudeur ou mystifications paralysantes.

Pourtant, il faut reprocher au même Premier ministre l’emploi d’un mot qui se voulait fort pour décrire cette situation, « l’apartheid », mais c’est un mot faux. En effet, si la situation de certains « quartiers » est très inquiétante et que le sort réservé à une grande partie de la population issue de l’immigration est, à bien des égards, scandaleuse, la France ne connaît pas une situation d’apartheid. Le laisser penser est dangereux.

Dangereux pour la nécessaire sérénité et quiétude qui doit exister entre les Français, quelles que soient leurs origines. Dangereux pour les « minorités visibles » de se laisser cantonner à être perçues comme une population ségrégée. Dangereux car ceux qui dénoncent et luttent contre la société, en dévoyant une idéologie politico-religieuse pour provoquer des actes abjectes, pourraient croire qu’ils sont des héros en puissance. En effet, Nelson Mandela a été pendant des décennies considéré comme un « terroriste » par le pouvoir sud-africain. Ne donnons pas l’occasion à nos terroristes en puissance de croire à un destin de libérateur d’un « peuple ». Ce sont des fous ou des terroristes dangereux qui instrumentalisent la religion pour assouvir leurs pulsions meurtrières.

La France n’est pas une société qui organise et légitime la discrimination et le racisme. Les mots ont un sens. Dire « apartheid » voudrait dire aussi que toutes les personnes issues de l’immigration se retrouvent de l’autre côté d’un mur invisible les séparant des Français d’origine. Ce n’est pas vrai. De la même manière, le Premier Ministre ne peut pas dire que l’intégration n’est pas un « mot qui ne veut plus rien dire ». La France est le pays où les mariages mixtes sont les plus nombreux. L’immense majorité des Français d’origine sont totalement étrangers à l’idée de racisme et, encore plus, à ses pratiques. La France sait que la diversité est une chance pour elle. Et enfin, une grande majorité de Français issus de l’immigration sont la preuve vivante d’une intégration réussie. L’immigration ne se résume pas qu’aux échecs scolaires, à la violence, aux quartiers sensibles, au chômage ou à une pratique religieuse.

Plusieurs acteurs se mobilisent, comme Le club XXIe siècle, pour changer les représentations de la diversité dans la société française. En dix ans, beaucoup de choses ont changé. Certes, pas assez et pas assez vite. Mais les Français issus de la diversité qui sont « visibles » ne sont plus uniquement des sportifs et des rappeurs. Ces Français sont aussi ministres, entrepreneurs, médecins, chercheurs, journalistes, présentateurs à la télévision, élus, hauts fonctionnaires, cadres en entreprise, et tous ceux que l’on ne voit jamais mais qui sont des citoyens honnêtes, travailleurs, fiers.

La France « diversifiée » s’intègre et travaille. Les Français issus de la diversité sont fiers d’être Français à l’image du discours émouvant de Lassana Bathily prononcé lors de la cérémonie où il a été fait français. Les Français issus de l’immigration ont souffert, comme tous les Français, lors des attaques terroristes qui ont fait des victimes françaises comme nous. Nous souffrons aussi parce que nous savons le prix que nous en aurons à payer dans le regard des autres, nous craignons encore plus de préjugés, encore plus de défiance, encore moins d’avenir.

La perte d’espérance est le pire des horizons que l’on puisse imaginer pour un citoyen. Si l’on ajoute à cela les discriminations ethniques ou religieuses, la situation peut devenir hors de contrôle. Il est donc urgent de cesser d’opposer les Français, les uns aux autres. Il ne doit y avoir que des citoyens français, aspirant à vivre ensemble. Encore une fois, le sens des mots est important. Que l’on cesse de parler de musulmans de France ou de juifs de France, mais plutôt de citoyens français de confessions musulmane, juive ou catholique.

Aujourd’hui, le plus important serait de redonner l’espoir, à tout un peuple, d’un avenir meilleur. Dans la difficulté et sans espérance, un peuple se déchire, les tensions croissent, les incompréhensions et les haines surgissent et les violences deviennent possibles.

La France est malade et les Français de toute origine souffrent. La France est malade d’une éducation nationale défaillante pour tous les Français. La France est malade de ses institutions que tous les Français respectent de moins en moins. La France est malade d’un chômage structurel de masse qui touche tous les Français. La France est malade d’une urbanisation impensée et chaotique. La France est malade d’une violence non-maîtrisée.

C’est ensemble que tous les Français doivent construire leur avenir. Les responsables politiques doivent s’attacher à prendre en compte la réalité, rien que la réalité et toute la réalité, sans exagération, sans stigmatisation. Maintenant, ils doivent imaginer les solutions et penser le futur d’une France apaisée, forte et fière de ses valeurs.

Arnaud Dupui-Castérès, Président de Vae Solis Corporate, cabinet de conseil en statégie d’information et communication de crise

Publication: Mis à jour:

Pour en savoir plus : http://www.huffingtonpost.fr/

Diversité : mélange explosif ou modèle vertueux ?

Epices

Les adversaires des sociétés multiculturelles ont de quoi se réjouir. Dans de nombreuses parties du monde, au Moyen-Orient (Syrie, Irak), en Afrique (Libye, Mali, Nigeria), en Asie, des guerres civiles font rage, opposant bouddhistes et musulmans, chiites et sunnites, arabes et noirs, chrétiens et musulmans, musulmans et juifs.

La France, on le voit bien aujourd’hui, n’est pas épargnée par une violence à base ethnique et religieuse. Depuis quelques jours, lieux de culte juifs et musulmans sont sous protection policière. Les réseaux sociaux bruissent d’anathèmes entre communautés. Des personnalités telles que Thilo Sarrazin en Allemagne, David Cameron en Grande-Bretagne, sans parler de nombreux politiciens français, proclament l’échec du multiculturalisme. La seule solution pour eux: un modèle d’intégration laïc gommant toute manifestation publique de différence, et notamment de religion.

L’exemple de trois pays d’Asie du Sud-Est permet pourtant de battre cette idée en brèche. En Birmanie, en Malaisie et à Singapour, les Britanniques avaient suscité des mouvements migratoires et la constitution de sociétés « plurielles » afin de nourrir le développement économique de leur empire. Lors de leur indépendance, ces territoires s’étaient donc retrouvés peuplés par des ethnies majoritaires (Bamar au Myanmar, Bumiputra en Malaisie, Chinois à Singapour) mais également des ethnies/religions minoritaires, avec des affrontements violents, culminant dans les années 1960.

Le Myanmar va réprimer, parfois de façon sanglante, les minorités présentes sur son sol, et notamment la minorité musulmane et les ethnies Kachins et Karens, tenues pour responsables de tous les maux. La plupart des descendants d’immigrés indiens et chinois sont expulsés. Les dictateurs combattent la diversité physiquement.

La Malaisie adopte une politique plus ouverte. Les Chinois peuvent continuer à posséder des entreprises. Pour autant, se met en place, dans la foulée des émeutes du 13 mai 1969 (dans laquelle plusieurs centaines de Chinois sont tués), une constitution dans laquelle est gravée dans le marbre la « préférence ethnique » en faveur des Bumiputras, groupe majoritaire dominé du temps de la colonisation. 80% des postes de fonctionnaires leur sont réservés. Des quotas similaires existent dans l’enseignement supérieur, ce qui provoque une émigration de Chinois et d’Indiens, partant faire leurs études à l’étranger.

Singapour prend une troisième voie. Davantage encore qu’en Malaisie, des investissements massifs sont réalisés dans l’éducation, et le pays parie sur la libre entreprise. Mais plutôt que de prendre acte de la domination de l’ethnie majoritaire (les Chinois à 75%), les dirigeants singapouriens mettent en place une politique volontariste imposant la coexistence entre les différentes ethnies, quartier par quartier, immeuble par immeuble. La diversité est célébrée en tant que telle lors d’une journée dédiée, le Harmony Day. Les autres jours de congés nationaux sont ceux des différentes religions en présence (bouddhiste, musulmane, chrétienne). Les enfants sont éduqués dans le plurilinguisme.

Une très grande attention est donnée à l’intégration, avec un soutien systématique des élèves en difficulté (cours particuliers gratuits pour les jeunes enfants qui peinent à apprendre et à lire). Toutes les filières d’enseignement sont également dotées et valorisées. Une construction patiente et systématique d’une identité commune, sans laissés pour compte.

L’exemple de ces trois pays illustre la latitude dont bénéficient les gouvernements pour réprimer les différences, les contenir en les laissant subsister, ou pour en faire un avantage concurrentiel.

Singapour, qui célèbre la diversité et l’éducation, occupe la troisième place dans le classement des pays selon le pouvoir d’achat par habitant du Fonds monétaire international, la Malaisie qui l’encadre par une politique de préférence ethnique est, elle, à la 59ème place. Le Myanmar, qui a longtemps tenté de réprimer dans le sang sa propre diversité, se traîne au bas du tableau à la 161ème place.

La France ne peut plus se contenter de subir la diversité de sa population. Le choix est devant nous. Vivre dans le chaos, exclure les minorités, ou transformer cette diversité en atout.

Pour en savoir plus :  http://www.huffingtonpost.fr

Les religions, un bien pour la République

 SignesReligieux

L’école joue un rôle déterminant dans l’éducation au vivre-ensemble. Rien d’étonnant, donc, qu’après le temps de l’émotion suscitée par les attentats à Paris et à Montrouge du 7 au 9 janvier, elle fasse l’objet d’attention. Jeudi dernier, la ministre de l’éducation nationale a fourni les détails de la « grande mobilisation de l’école pour les valeurs de la République » voulue par le président de la République : nouvel enseignement moral et civique, renforcement de l’éducation aux médias, renforcement de la formation des enseignants « à la laïcité et à l’enseignement moral et civique », célébration chaque 9 décembre de la Journée de la laïcité, participation des élèves à la semaine de lutte contre le racisme et l’antisémitisme…

Najat Vallaud-Belkacem a également demandé au Conseil supérieur des programmes de renforcer la place de l’enseignement du fait religieux dans le cursus scolaire. Depuis la remise du rapport Debray en 2002, la nécessité d’un tel parcours n’est plus discutée. Tout l’enjeu pour l’école publique est de savoir comment aborder le fait religieux et les textes fondateurs dans « un esprit de laïcité respectueux des consciences et des convictions », pour reprendre des termes officiels. D’où l’approche essentiellement historique, censée libérer les enseignants de leurs éventuelles préventions ou réticences.

Mais cette perspective n’est pas neutre. Elle cantonne le fait religieux au passé et tient implicitement l’expérience croyante comme quelque chose d’archaïque ou d’exotique, alors que celle-ci oriente la vie de nombreuses familles dans leur recherche du bien. La remise sur le chantier du programme d’enseignement sur le fait religieux gagnerait à dépasser ce jugement de valeur implicite. La République a besoin des religions parce que celles-ci animent et soutiennent des lieux concrets – à commencer par les familles – où s’incarnent et s’expérimentent les valeurs de liberté, d’égalité et de fraternité. L’expérience et le fait religieux sont de bonnes choses pour l’unité républicaine. De cela un enseignement attaché à la laïcité doit aussi rendre compte.

Dominique Greiner

25/1/15 – 19 H 34

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« Nous ne sommes pas formés à la laïcité »

L’académie de Paris organise les 22 et 23 janvier une formation ouverte au personnel de l’éducation nationale sur la laïcité et l’enseignement des faits religieux.

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Pour une fois, ils sont de l’autre côté de la barrière. Enseignants, directeurs d’établissement ou conseillers principaux d’éducation, ils sont une centaine à être assis ce jeudi 22 janvier dans un amphithéâtre du lycée Montaigne, à Paris.

Ils sont venus assister à une session de formation organisée par l’académie de Paris et l’Institut européen en sciences des religions sur un sujet plus que jamais d’actualité : « enseignement et laïcité ».

« Il en va de notre vivre ensemble »

Ces deux journées étaient programmées bien avant les attentats des 7, 8 et 9 janvier. Mais les tueries lui donnent une résonance particulière.

« Ce moment doit nous donner l’occasion d’une mobilisation durable, il en va de notre vivre ensemble et de la cohésion de notre société », plaide un des intervenants, le philosophe Abdennour Bidar. « Il y a des questions et des responsabilités que nous ne pouvons plus ajourner », poursuit son voisin de table, Alain Seksig, membre du Haut conseil à l’intégration.

« Des parents refusent de nous serrer la main »

Dans la salle, des applaudissements fusent après chaque intervention. Des questions et des réflexions, aussi. Elles émanent d’expériences de terrain.

Les uns évoquent les menus à la cantine, les autres la séparation filles-garçons à la piscine, la peur diffusée par certains élèves, l’isolement de la France en matière de laïcité sur la scène internationale… « Messieurs les intellectuels, il faut aussi parler de ce que vivent les femmes, lance une voix féminine. Il y a des parents qui refusent de nous serrer la main. »

«J’ai besoin d’un argumentaire »

Cet enseignant en technologie, lui, veut souligner les manques de sa formation. « On ne m’a jamais parlé de laïcité quand je suis passé en IUFM il y a seize ans, explique-t-il. Je veux bien engager un débat avec les élèves sur ce sujet, mais on risque de se faire bouffer. On voit bien que des questions simples amènent des réponses complexes. Ce dont j’ai besoin, c’est déjà d’un simple argumentaire ».

Face à ce témoignage, Abdennour Bidar ne cache pas son énervement. « Une littérature sur la laïcité existe depuis plus d’un siècle, assène-t-il. Vous êtres des enseignants, des intellectuels. C’est aussi de votre responsabilité de prendre du temps pour lire ces textes et vous construire vous-même votre argumentaire. Il faut être vigilant par rapport à l’idée d’un prêt-à-penser fourni par l’institution. Je comprends que vous vous sentiez démunis, je comprends l’insécurité que vous pouvez ressentir, mais c’est à chacun de se prendre en main et de monter au front ! »

« Nous ne sommes pas formés »

À la sortie de cette première matinée consacrée aux fondements de la laïcité, Fabrice, un prof d’espagnol de 35 ans, prend la défense de son collègue. « La réalité, c’est que nous ne sommes pas formés pour mener un débat sur des questions de religion, confie-t-il. Moi non plus, je n’ai jamais eu de formation sur la laïcité et ma culture religieuse est limitée. Je ne connais presque rien de l’Islam. On est conscient qu’il faut passer par du débat, mais on est confrontés à des élèves qui ont d’autres repères. »

À côté de lui, sa voisine, qui enseigne les mathématiques, poursuit : « on se retrouve très seul face à une classe. Il faut aussi ne pas oublier qu’on a affaire à des adolescents qui aiment provoquer des adultes ». Pour elle, la laïcité est une « évidence ». « Elle fait partie de notre quotidien, elle est dans la loi, reprend-elle. Mais on a peut-être oublié de mettre l’accent sur la laïcité. Je n’avais jamais pensé avoir, un jour, à faire ce genre de formation. »

Pascal Charrier

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Les attentats de Paris vus par les enfants

 

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Vendredi 9 janvier au soir, je suis venue à l’atelier affligée. L’après-midi, tous les quarts d’heure, une nouvelle alarme s’affichait sur mon téléphone. Entre les deux frères Kouachi retranchés dans une imprimerie en Seine-et-Marne, la prise d’otage en cours dans le supermarché casher Porte de Vincennes et la place Trocadéro évacuée, impossible de sortir de ma tête l’attentat qui s’est déroulé deux jours plus tôt dans la rédaction de Charlie Hebdo. Cette tragédie, pour sûr, il était essentiel d’en parler avec les CM, des enfants de 9-10 ans, qui participent depuis novembre aux ateliers Enquête au sein d’un centre social situé à Ménilmontant (Paris XXe). Mais comment faire au mieux vu les circonstances ? Avant la séance, Marine, notre coordinatrice, me conseille de partir de leurs connaissances et de travailler à partir de questionnements. Elle me rappelle aussi que leur enseignant à l’école a normalement déjà fait le point avec eux sur ces terribles événements. Ce qui me rassure un peu : je pourrai construire un dialogue à partir d’une réflexion déjà entamée.

« C’est la guerre ! »

Une fois arrivée, Laetitia qui supervise les ateliers au centre social, m’indique qu’aucune séance n’a été effectuée avec les enfants pour revenir sur l’attentat de Charlie Hebdo. Elle-même a néanmoins répondu aux questions des jeunes qui ont exprimé des réactions vives ces derniers jours, comme cette jeune fille qui a déclaré aux autres : « C’est la guerre ! »

Abou Bakr arrive, puis c’est au tour de Rama. Pendant que je termine mes préparatifs pour cette séance dédiée à Muhammad*,  le dernier prophète de l’islam – le hasard fait parfois bien les choses, c’est le thème du jour dans le programme des ateliers -, je leur propose de débuter par une discussion sur les événements de la semaine. Abou Bakr n’attend pas une seconde pour râler : « Oh non ! Notre maitresse nous a déjà parlé de Charlie Hebdo pendant deux heures ! » Je lui réponds que si tout est clair et bien en place dans sa tête, nous continuerons la suite du programme.


« J’ai rigolé pendant la minute de silence »

Une fois qu’ils sont assis, je leur demande de m’expliquer ce qui s’est passé cette semaine. En forme, Abou Bakr se lance dans un long récit un peu confus et désordonné qui raconte l’itinéraire de ces deux frères dont l’un a été en prison et qui ont tué 12 personnes à Charlie Hebdo. « Pour moi, c’est pas des musulmans ! ». C’est à ce moment-là que Rama intervient. Pas d’accord, elle pense de son côté que ce sont des musulmans. Je les laisse se disputer un peu avant de poursuivre ; je reviendrai ensuite sur ce point de mésentente. Tous les deux s’opposent aussi quant au nombre de morts. Sur ce sujet, je leur dit que ce nombre n’est pas l’objet de notre discussion mais que ce qui compte, c’est sa dimension dramatique et que les personnes décédées sont des journalistes, des policiers et un agent d’entretien. Je relance alors Rama pour qu’elle me donne sa version.

Ce qui lui importe surtout, c’est de me raconter qu’elle a rigolé pendant la minute de silence jeudi à son école : « Mais faut m’excuser, j’ai une copine qui rigolait aussi et j’ai pas pu m’empêcher ». Elle se répète, y revient à plusieurs reprises, comme si elle avait besoin qu’on lui pardonne. « Ok, je comprends, c’est dommage, ca arrive parfois quand on est mal à l’aise, mais ne t’inquiète pas. » Je complète cependant en insistant sur le fait que ce temps de silence était important et symbolique, « symbolique, comme la notion de symbole que nous avons vu récemment, vous vous souvenez ? Ca veut dire quelque chose de commun, de partagé, et qui a le même sens pour tous. Dans ce contexte, de dire que tous ensemble, on n’est pas d’accord ». Puis je reviens avec eux sur leurs désaccords, en leur expliquant qu’il s’agit en effet de musulmans mais que ces terroristes ne représentent qu’une partie des musulmans qui vivent leur foi de manière violente et radicale.

Pas le temps de développer car Abdel Rahim, plus âgé que les deux autres, débarque dans l’atelier. Je l’accueille et lui demande de me raconter également les événements. Il me parle alors des morts et m’affirme que l’attentat s’est déroulé à Pantin où apparemment sa sœur était présente aux moments des faits. Comme Abou Bakr, il est pris par le déroulé de l’actualité, déclinaison de l’actualité en continue, comme avalé par le défilé des images. Sans analyse…. Je précise que la tuerie a eu lieu dans la rédaction de Charlie Hebdo, située près de la place de la République.

 

Des stylos en l’air

Pour être sûre de leur compréhension, je les questionne : « Savez-vous ce que c’est, Charlie Hebdo ? » Je les aide un peu ; ils finissent par me répondre qu’il s’agit d’un journal. Ils semblent avoir des difficultés à comprendre ce qu’est une rédaction, notion que je m’attache à leur clarifier. Ils ont aussi du mal à définir la spécificité du journal ; ce qui explique, peut-être, qu’aucun d’entre eux n’ait évoqué les caricatures de Muhammad. « C’est quoi une caricature selon vous ? » Yeux ouverts mais muets, ils ont du mal à répondre. Je leur propose une définition : « Ce sont des dessins qui reprennent des faits d’actualité, souvent en se moquant ».

Je leur explique que Charlie Hebdo a publié, il y a quelques années, des caricatures du prophète de l’islam. Que celles-ci ont blessé de nombreux musulmans. Et je poursuis avec la liberté de la presse, la liberté d’expression : « Pour autant, il est important dans une démocratie, dans notre pays, de laisser la possibilité à chacun de s’exprimer, notamment la presse, tout en respectant les lois ». Pour leur donner une illustration concrète, qui les aide souvent à comprendre, je leur rappelle que je suis journaliste et que personne n’a le droit de me tuer pour un article publié. Cela irait, comme pour Charlie Hebdo, à l’encontre à la fois de l’interdit du meurtre mais aussi de la liberté de l’expression qui fait partie des valeurs républicaines. Ce qui explique que de nombreuses personnes, qui sont venus rendre hommage aux journalistes et aux policiers mercredi soir, brandissaient un stylo en l’air, « Encore un symbole ! La notion revient souvent ce soir… il s’agit du symbole de la liberté de pouvoir s’exprimer, de pouvoir se moquer ». Etant moi-même place de la République le 7 janvier au soir, je leur raconte comment cet hommage, très silencieux, s’est déroulé, tout en leur montrant des photos publiées dans Le Petit Quotidien des différentes manifestations organisées dans le monde.

 « Et que signifie « Je suis Charlie » qu’on voit partout ? ». Ils ne savent pas plus. Je reparle de symbole – décidément le fil conducteur de la séance -, pour montrer que cette petite phrase est un raccourci pour dire qu’on refuse ce qui s’est passé.
Il me semble que nous pouvons passer à la deuxième partie de l’atelier dédiée à Muhammad. Après un jeu de devinette sur ce nom, je demande à ces enfants, pourtant pour la plupart musulmans, ce qu’ils connaissent de ce personnage. Hormis qu’il s’agisse d’un prophète de l’islam, tous donnent leur langue au chat. Il ne s’agit pas ici d’aborder la transmission de la foi, mais bien la transmission laïque de connaissances sur les religions et la laïcité ; le travail en leur compagnie n’est pas terminé…

*L’association Enquête a fait le choix, dans ses différents outils,  d’évoquer le prophète musulman par la transcription « Muhammad », et non pas « Mahomet ». Celui-ci  se justifie à la fois par la plus grande proximité de cette forme avec sa forme arabe et d’autre part car l’utilisation de « Mahomet », transmise depuis au moins l’époque des croisades, souvent dans des ouvrages polémiques, renvoie à une connotation péjorative.

Alice Papin

le 27.01.2015 à 10:57

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