Le 4e Forum islamo-chrétien « pour proposer des formes nouvelles de vivre-ensemble »

ForumIslamo-ChrétienLyon2013

Le 4e Forum islamo-chrétien se déroulera les 28, 29 et 30 novembre à Lyon. Dans un contexte national et international particulièrement troublé, qui guidera leurs réflexions, les participants débattront pendant trois jours du mieux vivre-ensemble entre chrétiens et musulmans, mais aussi dans la société tout entière. Ils tenteront d’élaborer des solutions, notamment en réfléchissant à de nouvelles formes d’engagement.

 

La 4e édition du Forum islamo-chrétien (FIC) de Lyon se déroulera du vendredi 28 au dimanche 30 novembre dans la ville des Lumières, une place forte du dialogue interreligieux. Mis sur pied par Azzedine Gaci, le recteur de la mosquée Othmane de Villeurbanne, et Vincent Feroldi, délégué épiscopal au diocèse de Lyon, chargé des relations avec les musulmans, le FIC accueillera comme les années précédentes une cinquantaine de participants, à parité entre chrétiens et musulmans.Côté musulman, Anouar Kbibech, vice-président du Conseil français du culte musulman (CFCM) et président du Rassemblement des musulmans de France (RMF), Amar Lasfar, président de l’Union des organisations islamiques de France (UOIF), Ahmed Jaballah, doyen de l’Institut européen des sciences humaines (IESH) de Paris, Ahmed Miktar, président des Imams de France, seront entre autres présents. Pour les catholiques, Christophe Roucou, directeur du Service des relations avec l’islam (SRI), Jean-Marc Aveline, évêque auxiliaire de Marseille et spécialiste du dialogue interreligieux, Bruno-Marie Duffé, théologien et fondateur la chaire des droits de l’homme à l’Université catholique de Lyon, ou encore des délégués des différentes régions compteront au nombre des participants. Des protestants seront aussi présents, notamment des personnes en responsabilité sur le dialogue interreligieux.

L’actualité à la base des réflexions à venir

Après une édition 2013 centrée autour de la foi des jeunes, ce 4e Forum islamo-chrétien lyonnais est organisé autour de trois axes : « Liberté de conscience, liberté religieuse et prosélytisme », « La violence et le statut de minorité dans nos sociétés », « Le respect de l’autre différent dans un monde pluriel ».« Le forum de cette année a vraiment été commandé par les événements internationaux et nationaux », explique à Saphirnews Vincent Feroldi, co-organisateur du FIC. Une matinée sera consacrée à l’analyse des événements de l’année 2014, et à « toutes les questions que cela pose ». Aussi bien à propos des « événements en Syrie et en Irak, avec l’Etat islamique, de ce qui s’est passé en Algérie au printemps à Ghardaïa, des tensions au sein même de la communauté musulmane, et des tensions entre les différentes communautés ».La question des jeunes Français qui partent combattre en Syrie ou en Irak a aussi retenu l’attention des organisateurs. « On est très marqué par ces jeunes qui partent au jihad », note Vincent Feroldi.« S’ils partent, c’est qu’ils n’ont pas trouvé en France de quoi donner sens à leur vie. Cela interroge. »

 

Azzedine Gaci avec Kamel Kabtane (à g.) et Khaled Bentounès (dr.).

Azzedine Gaci avec Kamel Kabtane (à g.) et Khaled Bentounès (dr.).

Violences de nos sociétés et liberté religieuse au cœur des débats

« La question de la violence qui monte dans nos sociétés » sera particulièrement débattue. La violence semble être devenue ces dernières années « un mode d’expression beaucoup plus prégnant », fait observer Vincent Feroldi. Chez les jeunes, mais pas seulement, elle s’impose aussi de plus en plus en lieu et place du dialogue social (bonnets rouges en Bretagne, barrage de Sivens…). Il s’agira de s’interroger sur l’origine de cette violence, de se demander pourquoi elle est utilisée par certains pour se faire entendre, et aussi de « s’interroger dans nos propres traditions religieuses », en se demandant notamment s’il y a « une violence inhérente ou pas dans les religions ».Les questions de liberté de conscience et de liberté religieuse seront un autre des grands axes de réflexion au cours de ces trois jours de forum. Avec, « en arrière-plan, la question des conversions, dans les deux sens ». Les couples mixtes, les difficultés et les incompréhensions auxquelles ils doivent faire face seront aussi au menu des discussions. Un sujet sur lesquels les responsables religieux des deux communautés ont de plus en plus de demandes, selon Vincent Feroldi, et qui doit les interpeller.

Réfléchir pour innover

Les contextes national et international particulièrement troublé, à la base des réflexions du 4e FIC, doit amener à s’interroger sur ce que « les religieux peuvent apporter comme éléments de réflexion, d’approfondissement, et surtout de propositions pour construire un monde plus serein et où la paix n’est pas une chimère. » « Il faut porter un autre regard sur le monde et sur l’évolution de la démocratie, de la manière de vivre ensemble », affirme Vincent Feroldi.« La montée de l’extrémisme – que l’on observe dans toutes les communautés, il est hors de question de prendre une communauté en bouc émissaire – montre bien qu’il y a un mal-être », estime-t-il. « Analyser ce mal-être pour pouvoir apporter des réponses pertinentes », c’est l’un des enjeux du Forum.« J’ai vraiment la conviction qu’il faut qu’on innove. Il faut trouver de nouveaux modes d’engagement », poursuit Vincent Feroldi. « On ne peut pas se contenter de dénoncer, de dire ce qui ne va pas, il faut proposer des formes nouvelles de vivre-ensemble, dans le respect mutuel », insiste-t-il. « Mais je ne peux pas encore dire lesquelles, c’est ce sur quoi il faut qu’on travaille ! ».

 

Le 4e Forum islamo-chrétien « pour proposer des formes nouvelles de vivre-ensemble »
L’Appel des 110 en arrière-fond
En plus d’avoir été commandé par l’actualité nationale et internationale, le Forum islamo-chrétien de Lyon s’inscrit cette année « dans le prolongement de l’Appel des 110 », formulé à travers le texte Nous nous engageons !, et de « l’extraordinaire dynamique qu’il a insufflé », précise Vincent Feroldi. Lu à l’occasion d’un rassemblement interreligieux tenu à Lyon le 1er octobre, le texte engage des responsables religieux, mais aussi des formateurs, des journalistes, des élus, des artistes à contribuer au mieux-vivre ensemble et à favoriser le dialogue et le respect de l’autre.« L’élément positif a été de découvrir que l’Appel des 110 est devenu aujourd’hui l’appel de 1 400 personnes », se félicite Vincent Feroldi. Surtout, les signataires sont d’« une extrême diversité », souligne-t-il. « C’est l’ensemble de la société française, des gens de toutes les conditions, de toutes les confessions, il y a même des athées » qui se sentent concernés. Autre « fruit » de l’Appel des 110, le lancement de forums régionaux islamo-chrétiens, qui doit en partie répondre à cette volonté des signataires de s’impliquer, et qui sera débattue au cours du 4e FIC.
Pour en savoir plus : http://www.saphirnews.com

Le pape appelle l’Europe à retrouver ses « valeurs humanistes »

PapeFrançoisParlementEuropéen

Le pape François a longuement rappelé l’Union à ses « valeurs humanistes » lors du discours qu’il a prononcé au Parlement européen, à Strasbourg, mardi 25 novembre, demandant aux eurodéputés de « travailler pour que l’Europe redécouvre sa bonne âme ».

« L’heure est venue de construire ensemble l’Europe qui tourne, non pas autour de l’économie, mais autour de la sacralité de la personne humaine, des valeurs inaliénables », a-t-il lancé dans un hémicycle presque plein. Les liens de l’Europe et du christianisme sont « bimillénaires », a rappelé le pape, et « l’Europe a fortement besoin de redécouvrir son visage pour grandir ». «Le moment est venu d’abandonner l’idée d’une Europe effrayée et repliée sur elle-même pour susciter et promouvoir l’Europe protagoniste. »

Une « Europe grand-mère »

Le pape en effet a commencé par faire un diagnostic inquiet de l’état de l’Europe. Dans un monde « de moins en moins eurocentrique », « l’Europe est un peu vieillie et comprimée » et « tend à se sentir moins protagoniste dans un contexte qui la regarde souvent avec distance, méfiance et avec suspicion ». Les citoyens sont devenus méfiants « vis-à-vis des institutions considérées comme distantes, occupées à établir des règles perçues comme éloignées de la sensibilité des peuples particuliers, sinon complètement nuisibles ».

Aux yeux de François, l’Union européenne donne « une impression générale de fatigue et de vieillissement », l’image d’une « Europe grand-mère et non plus féconde et vivante » : « Les grands idéaux qui ont inspiré l’Europe semblent avoir perdu leur force attractive en faveur de la technique bureaucratique de ses institutions. »
« Les êtres humains sont traités comme des objets »
Pour transmettre « un message d’espérance et d’encouragement », François a exhorté les dirigeants européens à placer au centre de leur projet « l’homme comme personne dotée d’une dignité transcendantale » et combattre les situations « dans lesquelles les êtres humains sont traités comme des objets dont on peut programmer la conception, la configuration et l’utilité, et qui ensuite peuvent être jetés quand ils ne servent plus, parce qu’ils deviennent faibles, malades ou vieux ».
Le pape a reproché à l’Europe de trop céder à « une revendication toujours plus grande des droits individuels, qui cache une conception de la personne humaine détachée de tout contexte social et anthropologique, presque comme une monade, toujours plus insensible aux autres monades présentes autour de soi. Au concept de droit, celui – aussi essentiel et complémentaire – de devoir, ne semble plus associé, de sorte qu’on finit par affirmer des droits individuels sans tenir compte que tout être humain est lié à un contexte social dans lequel les droits et devoirs sont connexes à ceux des autres et au bien commun de la société elle-même ».
L’Europe souhaitée par François doit « relier la dimension individuelle (…) à celle de bien commun, de ce “nous-tous” formé d’individus, de familles et de groupes intermédiaires. » « En effet, a-t-il ajouté, si le droit de chacun n’est pas harmonieusement ordonné au bien plus grand, il finit par se concevoir sans limites et, par conséquent, devenir source de conflits et de violences. »

« Affronter ensemble la question migratoire »

A l’homme « comme absolu » doit se substituer un « être relationnel », condition, selon le pape, pour mettre fin à la « culture du déchet » qui met au rebut les plus faibles – personnes âgées, jeunes, pauvres, migrants. La référence aux sujets comme l’euthanasie et l’avortement est directe : « Lorsque la vie n’est pas utile au fonctionnement de ce mécanisme, elle est éliminée sans trop de scrupule, comme dans le cas des malades en phase terminale, des personnes âgées abandonnées et sans soin ou des enfants tués avant de naître. »
Applaudi tantôt plutôt par la droite, tantôt plutôt à gauche, le pape François a appelé les Européens à « affronter ensemble la question migratoire ». « On ne peut tolérer que la mer Méditerranée devienne un grand cimetière », a-t-il lancé. Il a aussi insisté sur la nécessité d’un usage respectueux de l’environnement.
Ce message revêt des airs de mise en garde alors que l’Union européenne vient de lancer l’opération baptisée « Triton », critiquée pour être davantage centrée sur la surveillance des frontières que sur le sauvetage des migrants, contrairement à l’opération italienne « Mare Nostrum » à laquelle elle se substitue. Depuis le mois de janvier, plus de 3 000 migrants ont péri en Méditerranée, marquant d’ores et déjà l’année 2014 comme celle d’un sinistre record.
Accueillant le pape, Martin Schulz, le président du Parlement européen, avait souligné à quel point l’Europe traverse une « crise de confiance » et avait affirmé que les propos du pape pouvaient constituer « une orientation dans une époque désorientée ». François devait ensuite prononcer un second discours devant le Conseil de l’Europe.

Par Cécile Chambraud

Pour en savoir plus : www.fait-religieux.com

 

Esquisse pour une discussion sur la tolérance

KarenBarkey

La tolérance est une condition de la diversité. La diversité religieuse et ethnique a existé dans la plupart des sociétés mondiales au cours de longues périodes historiques. La diversité a parfois conduit à la brutalité et à la violence mais également à différents types d’arrangements ayant favorisé la coexistence pacifique. Une analyse sociologique de la tolérance devra mettre en évidence les conditions dans lesquelles les notions et les pratiques de la tolérance émergent au sein d’une société et de son régime politique, le rôle des différentes autorités publiques et des groupes sociaux, les limites érigées entre les groupes et les ressources auxquelles les acteurs ont accès. Dans mon travail sur la tolérance, j’entreprends une approche relationnelle qui souligne la puissance des relations entre les groupes afin de constituer des aboutissements tolérants. J’ai souligné en particulier le rôle des pouvoirs publics ainsi que les relations entre les autorités et les communautés de la différence.

Comment penser la tolérance?

Il existe plusieurs manières de penser la tolérance:

Je définis plus ou moins la tolérance comme l’absence de toute persécution; l’acceptation d’une pluralité de religions, mais pas nécessairement leur acceptation à part entière dans la société comme membres ou communautés. La tolérance peut signifier l’acceptation de la « différence » ainsi qu’un manque d’intérêt au-delà de l’instrumentalité afin de maintenir un système politique cohérent. Comme le suggère Ira Katznelson, « La tolérance répond à certaines des caractéristiques les plus difficiles et les plus persistantes des relations sociales humaines. Lorsque la haine se combine avec la hiérarchie, les individus et les groupes sont exposés au fanatisme et au danger. La tolérance est un acte de soutient et de permission. C’est le choix de ne pas agir, malgré la capacité d’agir. » [1]

La tolérance implique donc le « non agir » résultat de l’action réfléchie et stratégique qui entraine la retenue. Elle relève d’un choix, opéré par les pouvoirs publics, ainsi que par les groupes sociétaux, visant à répondre à la commande et à la modération. En ce sens, la tolérance est toujours essentielle à de nombreuses sociétés où la diversité et la différence sont la norme et au sein desquelles les groupes revendiquent fortement leur groupalité en tant qu’identités essentialisées. La tolérance demeure ainsi une valeur fondamentale des sociétés humaines, puisqu’elle nous met en garde en nous engageant à faire preuve de retenue. C’est une des façons de définir la tolérance que de se référer au concept durable des préoccupations persistantes de la vie dans les sociétés faisant face aux difficultés de la diversité.

Il existe une autre manière de penser la tolérance qui présente des similitudes dans l’absence de persécution et l’acceptation de la pluralité des religions. Mais elle va plus loin en mettant en avant des arguments sur la valeur de la pluralité des religions, articulés autour d’un cas où chaque groupe est présenté comme apportant quelque chose de différent et d’utile à la société et aux régimes politiques. En ce sens, nous dépassons la compréhension pragmatique de la tolérance dont la clé consiste à conserver l’altérité et à maintenir la paix en l’absence de toute appréciation. Il est question d’acceptation à un autre niveau, qui incite et implique le respect. Ces deux options ont existé dans des contextes impériaux et je tiens à préciser que le plus souvent les autorités publiques s’engagent dans la première forme de tolérance et qu’ensuite les forces sociales et politiques peuvent conduire à une transition vers une forme plus large et plus reconnaissante. Je vais revenir à des exemples.

Pourtant, la tolérance n’est pas la seule forme de diversité et, bien souvent, tolérance et persécution peuvent travailler main dans la main. Au sein de nombreux empires, par exemple, la tolérance a été accordée à certains groupes, tandis que d’autres ont été persécutés. Par conséquent, toute étude de la tolérance doit également tenir compte de son contraire: la persécution ou même d’autres politiques telles l’assimilation, l’exclusion, etc. Les régimes impériaux ont par exemple maintenu la loi sur la diversité religieuse et ethnique à travers une variété de politiques allant de la « tolérance » de la diversité et son incorporation, à la conversion forcée et à l’assimilation. Les différents résultats sont le fruit de la pensée religieuse, utilitaire et stratégique en matière de diversité. La stratégie pourrait conduire les élites étatiques à modifier leurs politiques. La tolérance et la persécution peuvent se produire de manière très rapprochée dans le temps et à tour de rôle. Les États peuvent tolérer certains groupes tout en en persécutant d’autres. Ces exemples indiquent que la tolérance peut être partielle et qu’elle n’est certainement pas une condition offerte à tous.

L’exemple de l’empire ottoman

Une tolérance pragmatique et étendue a simultanément émergé dans l’empire ottoman, principalement en regard de nombreux groupes non-musulmans constitués de chrétiens et de juifs. Les Ottomans, en conquérant les Balkans au début du XIVe siècle et en s’établissant dans la péninsule, se sont retrouvés nettement moins nombreux que les chrétiens. Dans ces circonstances, ils ont pratiqué une approche pragmatique face aux chrétiens, les accueillant, leur offrant des privilèges et essayant essentiellement d’obtenir leur consentement à une forme de tolérance tout en maintenant la paix et en rendant la coexistence possible. En admettant de nombreux guerriers chrétiens dans leurs rangs, ils ont également compris la nécessité d’une sorte de projet commun regroupant chrétiens et musulmans.

Au-delà de cette coopération initiale, les pratiques locales communautaires ont également travaillé à promouvoir cette coexistence. Les actions des dirigeants des derviches soufis ayant figuré parmi les meneurs de la colonisation des Balkans ont été particulièrement essentielles face à un tel événement indigène. Alors qu’ils passaient les frontières et s’installaient, les chrétiens ont lancé leurs propres mouvements hétérodoxes dans les Balkans, souligné les similitudes transfrontalières et initié une pratique locale de la tolérance entre les groupes. Au fil du temps, les nouveaux arrivants musulmans et les chrétiens ont pris pleinement connaissance les uns des autres, partagé des espaces profanes et sacrés, innové dans leurs relations et se sont sensibilisés aux traditions de chacun. Une pratique étatique favorisant l’hébergement et la coexistence sociale locale s’est constituée à travers ces premiers siècles de conquête et de contact avec la différence.

Après la conquête d’Istanbul, empressés d’acquérir une légitimité internationale, les Ottomans ont plus sûrement positionné leur pluralisme non seulement comme un choix pragmatique, mais aussi comme une politique d’intégration positive. Mehmed le Conquérant (1451-1481) a instauré la première série d’accords entre les communautés et l’État, des accords périodiquement renouvelables assurant la sécurité, l’autonomie et la protection des communautés non-musulmanes en échange d’une taxe supplémentaire, la cizye. Les sultans ont continué à être les dirigeants musulmans légitimes, l’empire a été considéré comme un empire musulman, néanmoins, il était entendu qu’il n’y avait pas lieu d’imposer leur religion aux non-musulmans vivant en paix sur leurs terres et qu’il n’était pas nécessaire de transformer la différence en similitude.

Ainsi, les sultans ne faisaient pas preuve de neutralité en ce qui concerne leur religion et la religion de l’empire, mais ils avaient choisi de protéger les autres religions. Nous trouvons des exemples de cette pensée dans les édits et les écrits des sultans. Le sultan Soliman le Magnifique (1520-1566) lorsqu’on lui a demandé, par exemple, si les Juifs devraient être exterminés de son empire, puisqu’ils en étaient les usuriers, a répondu en demandant à ses conseillers d’observer un vase de fleurs multicolores et de formes variées en les avertissant que chaque fleur, avec sa propre forme et sa propre couleur, ajoutait à la beauté de l’autre. Il a ensuite affirmé qu’ il « régnait sur beaucoup de nations différentes — Turcs, Maures, Grecs et autres. Chacune de ces nations contribuant à la richesse et à la réputation de son royaume, et afin de prolonger ce bienheureux contexte, il jugeait sage de continuer à tolérer ceux qui vivaient déjà ensemble sous son règne. » [2]

Diversité impériale et tolérance sélective

Ce qui se cache derrière le choix des politiques de tolérance des États impériaux est complexe. Il peut s’agir d’une compréhension religieuse de la diversité, d’un passé culturel baigné dans la diversité, d’une décision particulière émanant des dirigeants en regard de leur propre religiosité et de la protection d’autrui, ainsi que d’une réponse stratégique aux conditions de vie sur le terrain. Pour les Ottomans, durant la période 1300-1800, chacune de ces conditions touchait à un type de tolérance émergeant. Les Ottomans sont issus d’une tradition de conflit frontalier et de coexistence entre Seldjoukides et Byzantins, avec un passé de cohabitation ethnique et religieuse mixte dans les steppes d’Asie centrale. Ils ont apporté avec eux une compréhension de la diversité.

La religion qu’ils ont épousée, l’Islam, implique également une compréhension particulière des relations avec les non-musulmans, qui s’est instituée dans le cadre du Pacte d’Umar dans les premiers siècles de la montée de l’Islam. Le pacte d’Omar a reconnu les chrétiens et les Juifs comme peuple du Livre, et a exigé le paiement d’une taxe supplémentaire en échange de la paix et de la protection. Ces schémas historiques et culturels ont fourni le cadre de l’engagement avec l’autre. Les sultans tout en s’alignant avec leur identité islamique ont choisi de demeurer conscients de la diversité, d’en faire ouvertement l’éloge face à ceux qui s’érigeaient contre.

Pourtant, cette image resterait incomplète si l’on ignorait le fait que tous les groupes n’étaient pas tolérés. Alors que l’Empire ottoman insistait pour la tolérance des groupes non-musulmans, les groupes chiites et certaines sectes soufies étaient activement poursuivis et persécutés dans l’empire. Il nous faut donc envisager la tolérance par rapport à la persécution et à une variété d’autres politiques étatiques de la diversité. La persécution des sectes chiites a souvent été liée à leur alliance perçue avec le safavide Shah Ismail dont la rivalité avec les Ottomans était géopolitiquement envisagée comme voilée d’un discours conflictuel sectaire. Ces divisions sectaires, réelles ou perçues, ont transformé les communautés qui pratiquaient une forme de rituel chiite en ennemis de l’État, participant ensuite à l’élaboration d’un ensemble différent de relations avec les communautés non-musulmanes.

Enfin, l’autre question importante à poser est de savoir si la tolérance qui peut être accordée à un groupe peut également lui être retirée. Nous ne pouvons pas envisager la tolérance dans l’Empire ottoman, sans parler de son échec et de sa dérive génocidaire. L’équilibre de la société de la tolérance a été ébranlé au XIXe siècle par les changements de l’économie mondiale et du système moderne de pensée qui a impacté toutes les sociétés pré-modernes. Là où coexistaient dans une stabilité de la subjectivité, l’État impérial et les identités diverses, dans un équilibre précaire et hiérarchique, la modernité a imposé de nouveaux idéaux, et une tolérance fondée sur le pragmatisme, l’inclusion et le respect démantelé [3].

Pour en savoir plus : http://www.huffingtonpost.fr

Karen Barkey, Sociologue et historienne, spécialiste de l’Empire Ottoman, enseigne à l’université Columbia (New-York)

Elle interviendra mardi 25 novembre à « Mode d’emploi », dans le cadre de la conférence intitulée « Vivre dans une société plurielle ».

Découvrir l’ensemble des textes du festival Mode d’emploi déjà publiés sur le Huffington Post.

Deux semaines de rencontres et de spectacles ouverts à tous, dans toute la Région Rhône-Alpes: interroger le monde d’aujourd’hui avec des penseurs, des chercheurs, des acteurs de la vie publique et des artistes.
– Prendre le temps des questions
– Accepter la confrontation
– Imaginer des solutions
– Trouver le mode d’emploi
Mode d’emploi, un festival des idées, est organisé par la Villa Gillet en coréalisation avec les Subsistances, avec le soutien du Centre national du livre, de la Région Rhône-Alpes et du Grand Lyon.

 

[1] Ira Katznelson, « Regarding toleration and liberalism: considerations from the Anglo-Jewish experience. » 48 in Religion and the Political Imagination, eds. Ira Katznelson and Gareth Stedman Jones, Cambridge University Press, 2010.
[2] Mark Haberlein, « A 16th-Century German Traveller’s Perspective on Discrimination and Tolerance in the Ottoman Empire, » in Discrimination and tolerance in historical perspective / ed., Gudmundur Hálfdanarson (Pisa : Plus-Pisa university press, 2008).
[3] La plupart de ces arguments ont participé à l’écriture de mon ouvrage, Empire of Difference: The Ottomans in Comparative Perspective (Cambridge: Cambridge University Press, 2008).

 

 

Égyptiennes et chrétiennes, des femmes dans les révolutions

L’Égypte vit au rythme des changements de régimes depuis la révolution du 25 janvier 2011, au tout début des « printemps arabes ». Démission de Moubarak, arrivée au pouvoir des Frères musulmans, coup d’État puis élection du maréchal al-Sissi à la présidence… Depuis, l’Égypte a été le théâtre de graves violences et de tensions politiques et sociales. Comment la communauté chrétienne d’Égypte, la plus grande du monde arabe (plus de 10 millions de fidèles), a-t-elle traversé ces évènements ? Quelle est la place des femmes sous les différents régimes ? Nous avons rencontré trois chrétiennes égyptiennes.

ChrétiennesEgypte

Chaque mercredi, Martine Akad et Hélène Khoari suivent des cours de théologie à l’église Saint-Cyrille d’Héliopolis. © Matthieu Stricot

Le 25 janvier 2011, des millions de Cairotes envahissent la place Tahrir, réclamant la démission du président Hosni Moubarak.« Je n’avais jamais vu de révolution, de guerre ou de conflit en Égypte », se souvient Martine Akad, âgée de 23 ans au début de la Révolution. « C’était la première fois que je voyais des gens dans la rue pour s’opposer au pouvoir ». Après avoir étudié le droit à Paris, cette jeune catholique melkite est rentrée au Caire pour travailler comme manager de projet. Chaque mercredi, elle suit des cours de théologie à l’église Saint-Cyrille d’Héliopolis – à l’ouest de l’agglomération cairote – à l’instar d’autres femmes catholiques, toutes générations confondues. L’occasion de partager leurs opinions sur les évènements survenus depuis 2011.

Quand les premiers cocktails molotov ont explosé place Tahrir, Nadia Michelle Gaballa, 62 ans, a « fait le rapprochement avec la révolution égyptienne de 1952 ». Les manifestations antioccidentales avaient abouti au renversement de la monarchie de Farouk Ier. « La Révolution avait été kidnappée » par le coup d’État de Mouvement des officiers libres, conduit par Mohammed Naguib et Gamal Abdel Nasser. Mais l’enseignante à la retraite a vite changé son regard sur la révolution de 2011 : « Les Égyptiens victimes de la corruption ont rejoint les manifestants avec de bonnes intentions. Cependant, j’ai vite ressenti l’influence des Frères musulmans. »

Dans un premier temps, la présence de la confrérie dans les manifestations n’a pas inquiété la jeune Martine : « L’équipe de Moubarak faisait passer les Frères musulmans pour des monstres. Mais ils ont bien joué leur rôle place Tahrir. Ils n’étaient pas agressifs. Les gens ont eu pitié d’eux. » Après la démission de Moubarak, le 11 févier 2011, les Frères musulmans sont portés au pouvoir par les urnes en juin 2012. Mohamed Morsi est alors le premier président d’Égypte démocratiquement élu.

« Je ne pouvais plus conduire en débardeur »

« Une fois au pouvoir, les Frères musulmans n’avaient plus les mêmes idées, plus les mêmes objectifs, se souvient Martine. Beaucoup de traditions nous empêchent de nous habiller et de nous exprimer comme on veut. Mais quand un groupe islamiste veut imposer la sharia, sans séparer religion et politique, c’est effrayant. J’ai dû changer ma manière de vivre. Je ne pouvais plus conduire en débardeur. Une femme chrétienne a été attaquée parce qu’elle avait une croix dans sa voiture ».

Hélène Khoari, pharmacienne et enseignante de 54 ans, s’inquiétait surtout pour ses enfants : « Pour aller à l’université, ma fille devait attacher ses cheveux, ne pas porter un pantalon trop serré et mettre une veste, pour ne pas attirer l’attention. J’ai demandé à mes enfants s’ils voulaient partir étudier à l’étranger. » Aujourd’hui, l’une de ses filles étudie au Portugal, une autre en France.
Nadia, pour éviter les problèmes, s’efforçait de « penser comme les islamistes pour ne pas paraître trop féminine ». Elle admet tout de même n’avoir « pas trop souffert en tant que femme à Héliopolis. Ailleurs en Égypte, la situation était pire. Des femmes ont été kidnappées dans des villages, des magasins ont été attaqués ».

Autrefois enseignante, Nadia ne comprend pas cette division entre chrétiens et musulmans : « Dans mon école franciscaine, musulmans et chrétiens récitions ensemble le Notre Père et le Je vous salue Marie tous les matins. Mes amies, de vraies musulmanes, prient cinq fois par jour, mais elles ne mettent pas de mur entre nous. »
Hélène regrette également ce clivage : « Quand j’avais 10 ans, il n’y avait pas de division entre chrétiens et musulmans. Le phénomène est apparu à la fin des années 70. »

« Je pense d’abord comme une Égyptienne »

Face à la montée des tensions, plus de 12 millions d’Égyptiens sont descendus dans la rue pour exiger le départ de Morsi, le 30 juin 2013. « Les Frères musulmans accusent les chrétiens d’être responsables des manifestations. Mais je pense comme une Égyptienne avant de penser comme une chrétienne. Les Égyptiens musulmans manifestaient avec nous. Ils étaient tout aussi inquiets », affirme Martine.
Ce soulèvement populaire ouvre la voie au coup d’État mené par le maréchal Abdel Fattah al-Sissi contre Mohamed Morsi le 3 juillet 2013. Il jouit depuis d’une certaine popularité chez les Égyptiens. Le 8 juin dernier, il a remporté l’élection présidentielle avec 96 % des suffrages. Un vote orchestré dans un contexte de fraudes et de « violations répétées des droits de l’homme » contre des Frères musulmans, des violences dénoncées comme « l’un des plus importants massacres de manifestants de l’histoire récente » par l’ONG Human Rights Watch.

Cela n’empêche pas Nadia de qualifier al-Sissi de « sauveur ayant répondu à notre SOS ».Pourquoi cette dévotion ? L’armée est une institution profondément respectée de nombreux Égyptiens : « Elle est composée de pères, d’oncles, de frères, de nos familles. Ce ne sont pas des mercenaires. L’armée fait partie de nous. Elle est comme un père », affirme Nadia. Pour elle, le peuple égyptien « a besoin d’un grand leader. Avoir un militaire au pouvoir est une bonne chose pour notre pays. Al-Sissi est ferme et organisé. De plus, il a enlevé l’uniforme. Je suis certaine que l’on avance vers la démocratie, à l’opposé des Frères musulmans ».

La jeune Martine est plus réservée : « Je suis descendue dans la rue le 30 juin 2013. Mais je ne voulais pas revoir les militaires au pouvoir. C’est comme revenir en arrière. » Elle essaie tout de même de rester optimiste : « Jusqu’à présent, le gouvernement n’est pas parfait, mais il essaie de s’attaquer aux problèmes, contrairement à l’époque de Moubarak. À commencer par faire face à la vague d’attentats dans le Sinaï. »

Matthieu Stricot, envoyé spécial au Caire – publié le 13/11/2014

Pour en savoir plus : http://www.lemondedesreligions.fr

Abdennour Bidar sur la nécessaire réforme de l’islam : « L’autocritique est la porte de la renaissance »

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Le 13 octobre 2014, le philosophe musulman français Abdennour Bidar publiait dans l’hebdomadaire Marianne une Lettre ouverte au monde musulman (1) où il expliquait que l’indignation des musulmans face à  Daech (traduite par le mouvement «Not in my name») ne suffit plus, que le monde musulman doit cesser d’accuser l’Occident de ses maux, entamer son autocritique et réformer l’islam en profondeur – en légitimant la libre pensée. Dans un entretien accordé à « Aujourd’hui le Maroc » le 25 octobre 2014, Abdennour Bidar développe sa vision d’un islam spirituel du XXIème siècle.

Extraits :

Entre islam traditionnel et renonciation à la vie spituelle, une troisième voie est possible : celle d’un rapport libre à la religion

Abdennour Bidar : J’appelle la culture de l’Islam à se réformer parce que je crois que nous devons sortir de l’alternative où nous sommes actuellement enfermés: soit garder l’Islam de la tradition, soit renoncer à la vie spirituelle. Une troisième voie est possible qui est d’imaginer une nouvelle vie spirituelle, un nouveau rapport à l’Islam, plus libre, plus personnel, plus en phase avec notre temps. Un Islam qui reconnaît le droit à chacun d’entre nous de choisir en son âme et conscience le musulman ou la musulmane qu’il veut être – sans jugement d’autrui, sans contrôle des uns sur les autres mais dans une reconnaissance et une tolérance pour la diversité interne de nos rapports à la religion.

Je crois en cette évolution parce que c’est ce à quoi aspirent aujourd’hui les jeunes générations : elles veulent un Islam libre, compatible avec la démocratie, les droits de l’Homme, l’égalité des femmes et des hommes, le respect du pluralisme des croyances religieuses et de toutes les convictions. C’est comme cela que j’espère convaincre le monde musulman : non pas en proposant le discours abstrait du philosophe mais en m’adressant directement à l’esprit et au cœur de chaque conscience musulmane, en répondant à ce qu’elle attend elle-même, c’est-à-dire un nouveau rapport à la culture, à la tradition, aux coutumes, un rapport libéré de tous les poids du passé…

« L’Occident est ‘sorti de la religion’ par la mauvaise porte, celle de l’abandon de la vie spirituelle, et les musulmans peuvent prendre une voie différente qui serait la régénération d’une vie spirituelle pour le XXIe siècle »

A cet égard j’entends souvent des musulmans me dire merci, «vous dites tout haut ce que beaucoup pensent tout bas» et vous nous donnez confiance dans notre droit à vouloir un autre islam qui n’a rien à voir avec le wahhabisme, le salafisme, le traditionalisme, et toutes ces fausses solutions qui voudraient ressusciter un passé imaginaire. Je crois que l’Occident est «sorti de la religion» par la mauvaise porte, celle de l’abandon de la vie spirituelle, et que les musulmans peuvent prendre une voie différente qui serait la régénération d’une vie spirituelle pour le XXIe siècle.

On me dit souvent, «vous les Occidentaux ne regardez que les terroristes, mais c’est l’arbre qui cache la forêt». Alors moi je demande : «Mais dans quel état est la forêt ?». Dans quel état est l’Islam dans son ensemble ? Dans quel état moral, social, politique, spirituel ? Je vois que c’est un monde qui souffre de multiples maladies, dont les groupes terroristes ne sont que le symptôme le plus grave, le plus visible. Mais derrière, il y a le traditionalisme, le littéralisme, le dogmatisme, c’est-à-dire tout ce qui transmet une sous-culture religieuse faite de taqlid, de répétition des traditions sans aucune éducation de l’individu à la réflexion personnelle: «Le Coran a dit, point», «la Sunna a dit, point». Tout ce que je dénonce dans mes livres comme une confusion entre Islam et soumission, religion et soumission. Mais Allah ne veut pas des esclaves ! Il veut des rois! Il a demandé aux anges de se prosterner devant Adam, dans la sourate Al Baqara. Et il a élevé Adam au rang de calife, chargé d’administrer l’univers avec justice. L’être humain est «Abderrahmane», «au service de la miséricorde»: c’est lui le roi de la terre qui fait exister la miséricorde divine sur la Terre. Il a été créé avec cette souveraineté et c’est pour cela qu’il est un être spirituellement libre: c’est à chacun de nous de choisir comment il veut servir la miséricorde. «La ikraha fi Din !»

« Ne pas laisser quelqu’un d’autre choisir mon islam à ma place. Refuser les discours de haine, de violence, de guerre, d’intolérance, de soumission et de domination »  

Je suis philosophe, ce qui veut dire que pour moi c’est un combat de fond : au niveau des idées, et du «fond d’écran» de la civilisation de l’Islam. Ce fond d’écran c’est l’ensemble des fondements de notre spiritualité. Voilà ce qu’il faut revoir, il faut tout refonder, tout reprendre depuis le début que chacun relise aujourd’hui le Coran comme s’il venait de lui être révélé. Ne pas laisser quelqu’un d’autre choisir mon Islam à ma place. Refuser les discours de haine, de violence, de guerre, d’intolérance, de soumission et de domination. Entrer, comme le disait au XIIIe siècle le cheikh Al Akbar, Muhyiddin Ibn Arabi, dans une religion de l’amour.

Beaucoup de musulmans (…) sentent que le moment de l’autocritique est venu, parce que l’autocritique est la porte de la renaissance! Mais il faut que tous ces musulmans osent se mobiliser, osent agir, ne serait-ce qu’au niveau le plus modeste de l’éducation spirituelle qu’ils donnent à leurs enfants, et du modèle qu’ils donnent en société, en faisant la preuve par leur comportement de tous les jours d’une vie spirituelle à la fois riche et ouverte, profonde et tolérante, de telle sorte que, à la fois, l’image extérieure de l’Islam change, et que de l’intérieur ce soit une spiritualité de paix et d’approfondissement qui l’emporte. A cet égard, il y a beaucoup à prendre dans notre héritage soufi : un Islam discret, fait de vertus (générosité, désintéressement, tolérance) et de méditation profonde sur la beauté de l’univers, le mystère du cœur humain et de la présence qui s’y cache. L’Islam n’est pas dans les apparences – le vêtement, la barbe, etc. –, il est dans le secret d’un cœur ouvert aux autres, à la fraternité humaine avec tous nos frères humains de toutes couleurs et cultures. Il est dans la niya, l’intention de bien agir et de trouver le chemin de la sagesse. (…)

Le soufisme est le cœur spirituel de l’Islam. Il est à la fois malade et vivant. Il n’échappe pas à la dégradation spirituelle générale de l’islam du passé. Mais il contient toujours des germes de sagesse pour demain. Je prendrais volontiers une image : il y a dans le soufisme des graines de sagesse qui n’ont encore jamais été utilisées, qui sont restées inconnues pendant tous les siècles qui précèdent depuis la naissance de l’Islam. Aujourd’hui les sages ont reçu l’ordre – idhn, la permission divine – de les semer dans les cœurs et dans les sociétés, et nous allons tous être surpris des fruits et des fleurs qu’ils vont donner. Ce sera un nouveau Jardin spirituel que nous n’arrivons même pas à imaginer encore aujourd’hui. (…)

« Le Printemps arabe s’inscrit dans un processus à long terme : le monde musulman est en train, au prix de convulsions énormes, de s’arracher à son passé »

Le Printemps arabe s’inscrit dans un processus de long terme, à l’échelle de décennies et de siècles : le monde musulman est en train, lentement mais sûrement, et au prix de convulsions énormes, de régressions terribles parfois, c’est-à-dire de tragiques retours en arrière, de s’arracher tout de même à son passé, et de cheminer vers ce que mon ami le penseur Souleymane Bachir Diagne appelle l’équilibre entre la fidélité et le mouvement, l’équilibre entre le recueillement des héritages et l’invention de l’avenir. Ayons confiance, et essayons d’assumer chacun sa part de responsabilité dans cet immense processus en cours !

(1) Lettre ouverte aux musulmans, le 13 octobre 2014 : http://www.marianne.net/Lettre-ouverte-au-monde-musulman_a241765.html

Pour en savoir plus : http://www.memri.fr

Une Semaine de rencontres islamo-chrétiennes pour « convertir nos regards »

La 14e édition de la Semaine de rencontres islamo-chrétiennes (SERIC) se déroule du 13 au 23 novembre. Quelque 100 manifestations sont organisées dans toute la France et en Europe pour que chrétiens et musulmans dialoguent autour de questions religieuses, mais aussi de questions de société et d’actualité internationale. Une Semaine pour faire se rencontrer deux mondes, et concourir au mieux vivre ensemble dans un contexte toujours plus troublé.

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S’interroger ensemble sur la place des religions, dans les sujets de société mais aussi sur les questions internationales, échanger les points de vue sur les grandes questions religieuses,« vivre la dimension spirituelle des rencontres interreligieuses », le tout dans un esprit convivial et festif… C’est là tout l’esprit de la 14e Semaine de rencontres islamo-chrétiennes (SERIC), qui se déroulera du 13 au 23 novembre 2014. Une semaine pour dépasser les clichés et les préjugés, et appeler les deux communautés à sortir de leurs peurs, à travers plusieurs dizaines d’événements organisés dans toute la France mais aussi en Europe.

« Revivifier les liens »

Dans ces temps de crise et d’incertitudes économiques et sociales, de montée des extrémismes et de l’islamophobie, une telle manifestation doit « œuvrer au mieux vivre ensemble » entre chrétiens et musulmans, « en favorisant des liens de convivialité et de proximité ». L’actualité française, mais aussi internationale, rend cette semaine de rencontres « nécessaire » estime le Groupe d’amitié islamo-chrétienne (GAIC), à l’initiative de la Semaine.

Treize éditions de SERIC se sont déjà succédé, mais « par les temps qui courent, c’est particulièrement important. Notamment avec les événements d’Irak, où des chrétiens ont été forcés à se convertir, les relations entre chrétiens et musulmans doivent être revivifiées », tient à souligner Saïd Ali Koussay, vice-président du GAIC, qui participera en tant qu’intervenant à plusieurs événements du SERIC.

« La résolution du conflit en Israël-Palestine est avant tout de nature politique. Mais il y a aussi un substrat religieux indéniable », évoque Myriam Bouregba, responsable de l’Atelier Israël Palestine au sein du GAIC et ancienne coordinatrice de la SERIC pour les éditions précédentes. « L’actualité de ces derniers jours le montre d’une lumière crue avec les agissements de l’extrême droite religieuse sur l’Esplanade des Mosquées à Jérusalem. Les croyants et leurs représentants ont une responsabilité énorme pour montrer que l’horizon de la résolution du conflit ne peut se faire que dans la justice, notamment par la reconnaissance des droits nationaux du peuple palestinien dans le cadre du droit international, pour aboutir à une paix réelle et durable », poursuit Myriam Bouregba, qui animera avec Saïd ali Koussay et Jean-Claude Petit, président du réseau Chrétiens de la Méditerranée, une grande conférence sur la question de l’engagement des croyants pour la paix en Israël-Palestine.

La précédente édition de la Semaine de rencontres islamo-chrétiennes avait recensé 71 événements dans 42 villes ou arrondissements des grandes villes, dont 18 à Paris et en Île-de-France, et 43 en province. Ces manifestations, organisées autour de trois grands axes (religieux et spirituel, sujets de société, rencontres culturelles et conviviales) avaient réuni entre 6 000 et 7 000 personnes. En incluant les événements organisés en Europe, ce sont au total 115 événements qui ont été organisés l’année précédente pour « sortir de nos a priori et de nos peurs ».

Dépasser les préjugés

La SERIC veut permettre aux chrétiens et aux musulmans de se découvrir « dans le respect de leur identité culturelle et religieuse », et aussi qu’ils « apprennent à dépasser les clichés et les préjugés qui les habitent. » Nous sommes « invités à convertir nos regards », comme le formulent les organisateurs.

D’autant que « si nos deux religions sont deux religions distinctes, avec des différences, il y a aussi des points d’approche, des points de convergence, des points d’entente » précise Saïd Ali Koussay. « Il n’y a pas d’antinomie entre les chrétiens et les musulmans », insiste-t-il.

La SERIC est aussi pour lui l’occasion de « marquer aux yeux du grand public qu’il existe en France une structure qui entretient des liens intimes, fraternels entre chrétiens et musulmans » et de « montrer au grand jour que les chrétiens et les musulmans en France s’aident, fraternisent, s’aiment ».

Quelques temps forts de la semaine

Samedi 15 novembre, de 9 h 30 à 17 h à la Grande Mosquée de Paris, une journée de réflexion sur le thème « Accompagner la mort comme une étape ». La matinée, deux tables-rondes s’intéresseront à des questions généralistes : « Qu’est-ce qui se passe après la mort ? », puis « Nourri par cette espérance, comment accompagner une personne en fin de vie et son entourage ? ». L’après-midi, les sujets seront abordés de manière plus concrète à travers quatre ateliers : les rites et leur sens ; l’accompagnement des mourants et de leurs familles ; la place du deuil ; les questions éthiques.

De nombreuses manifestations autour de la vie après le mort et de l’au-delà sont prévues à Strasbourg et à Lingolsheim, en Alsace, tout au long de la semaine.

La ville de Cannes n’est pas seulement celle du festival de cinéma et de ses paillettes.

Dimanche 16 novembre, une marche interreligieuse sur la paix a lieu sur la croisette, à l’initiative de la paroisse catholique de Saint-Nicolas, la communauté évangélique de Cannes, la communauté protestante de Cannes, les communautés israélites consistoriales et loubavitch de Cannes, de la mosquée Al-Madina, de la Grande Mosquée Iqraa, de l’Eglise anglicane de Cannes, de l’institut bouddhiste Karmapa, de la confrérie soufie AISA et de l’abbaye cistercienne de Lérins.

Autre grand moment de la SERIC, la soirée consacrée à Israël-Palestine, lundi 17 novembre, à Paris. « Quelle solidarité des croyants pour la justice et la paix en Israël-Palestine ? » se demanderont les participants. Les débats seront animés par Mgr Dubost (Conférence des évêques deFrance), François Clavairoly (Fédération Protestante de France), Zuhair Mahmood (UOIF, directeur de formation des imams de l’IESH), Yeshaya Dalsace (rabbin de la communauté Massorti), pasteure Martine Millet (SABEEL France), Ghaleb Bencheikh (Religions pour la paix), Mustapha Cherif et père Michel Lelong (anciens coprésidents-fondateurs du GAIC).

Plusieurs représentations de la pièce de théâtre Pierre et Mohamed : retour en Algérie, de Francesco Agnelo, seront jouées. Présentée pour la première fois au festival d’Avignon en 2011, elle rend hommage à l’engagement de Pierre Claverie (1938-1996), évêque d’Oran, dans le dialogue interreligieux, et à son chauffeur, Mohamed Bouchikhi (1975-1996), tous deux morts dans l’explosion d’une bombe placée à l’entrée de l’évêché. Vendredi 12 novembre, à Paris ; samedi 22 novembre, à Toulon ; dimanche 23 novembre, à Nevers (projection).

Plusieurs « cafés couples » ou dîners consacrés aux couples islamo-chrétiens sont au programme. Ils permettront d’échanger sur la vie à deux et la vie de famille. Les « jeunes couples » notamment y trouveront des conseils pour commencer leur vie commune sur de bons rails. Samedi 22 novembre, à Créteil ; dimanche 23 novembre, à Paris ; dimanche 23 novembre, à Marseille.

Expositions, projections-débats, goûters de l’amitié, repas et soirées festives, conférences… Des dizaines d’autres manifestations sont prévues à travers toute la France. Voir le programme complet.

Rédigé par Christelle Gence | Mercredi 12 Novembre 2014

Pour en savoir plus : http://www.saphirnews.com

Faut-il renforcer l’enseignement du fait religieux à l’école ?

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POLÉMIQUE – C’est ce que proposent les deux sénateurs Esther Benbassa et Jean-René Lecerf.

A peine dévoilé, le rapport fait déjà couler beaucoup d’encre. La sénatrice EELV Esther Benbassa et son collègue de l’UMP Jean-René Lecerf préconisent plusieurs mesures pour renforcer la lutte contre les discriminations. Parmi elles, deux propositions sont particulièrement controversées : le renforcement de l’enseignement du fait religieux à l’école et la mise en place de statistiques ethniques. Le texte a été adoptée mercredi par la commission des lois du Sénat.

Renforcer l’enseignement du fait religieux à l’école

Le rapport préconise de renforcer l’enseignement du fait religieux à l’école. Une proposition qui a donné lieu à de rudes débats au Sénat », confie Esther Benbassa au Figaro. Aujourd’hui, l’enseignement du fait religieux est inscrit dans les programmes de sixième et de cinquième, en histoire. Les deux sénateurs proposent que le fait religieux soit enseigné dès l’école primaire. « On ne voulait pas un enseignement sur la spiritualité, mais, simplement, que dès le primaire, on apprenne ce qu’est le judaïsme, le nom des saints, ce qu’ont dit les prophètes, etc. Sinon des jeunes peuvent faire leurs propres recherches sur Internet. Moi qui fais partie d’une commission d’enquête sur le djihadisme, je préférerais que l’on traite le problème en amont… », souligne la sénatrice écologiste.

L’autorisation de statistiques ethniques

Les deux sénateurs proposent que, lors d’un recensement, « tous les cinq ans, une question sur le pays de naissance des ascendants et la nationalité antérieure » soit posée, afin de mieux mesurer l’ampleur des discriminations. « Cela permettrait, par exemple, à ces employeurs qui ont embauché 99 % de Blancs, de se rendre compte qu’il y a 15 % de Maghrébins dans leur bassin d’emploi », assure au Figaro le parlementaire Jean-René Lecerf, qui se dit même « d’accord pour aller au-delà, dès lors que cela ne débouche pas sur un fichage ethnique ».

Des carrés musulmans dans les cimetières

Enfin, les parlementaires recommandent de développer les carrés musulmans dans les cimetières. Aujourd’hui, « 80 % de nos compatriotes musulmans font en sorte que leur dépouille mortelle soit renvoyée dans leur pays d’origine, pour qu’ils soient enterrés selon les rites de leur religion », indique Jean-René Lecerf.

Par Fabienne Cosnay

Pour en savoir plus : http://www.europe1.fr

Mères voilées et sorties scolaires : mettons un terme à l’instrumentalisation de la laïcité

Depuis la prise de parole publique de Najat Vallaud-Belkacem en faveur des mères voilées aux sorties scolaires, des voix se font entendre pour dénoncer une position qui menacerait la laïcité et réclamer une nouvelle loi d’interdiction contre le voile. L’Observatoire de la laïcité tranche cette question. Ici, la mise au point du président de l’instance, Jean-Louis Bianco, et du rapporteur général, Nicolas Cadène.

MèresVoilées

Le 21 octobre dernier, la ministre de l’Éducation nationale, de l’enseignement supérieur et de la recherche, Najat Vallaud-Belkacem, a été auditionnée par l’Observatoire de la laïcité. Cette instance a été installée le 8 avril 2013 par le président de la République. Elle est composée de personnalités diverses, d’élus de droite comme de gauche, et est indépendante dans la conduite de ses travaux.

Établissant un état des lieux du respect de la laïcité dans son secteur – qui, basé sur des faits objectifs et des remontées de terrain, apparaît éloigné de la situation « dramatisante » décrite par certains –, la ministre de l’Éducation a rappelé la règle concernant les parents accompagnateurs des sorties scolaires.

Mères voilées et sorties scolaires : mettons un terme à l'instrumentalisation de la laïcité

La participation des parents d’élèves est la règle

Celle-ci est claire et ne modifie en rien la ligne déjà définie par le Conseil d’État et le droit actuel : l’acceptation de la participation des parents d’élèves est la règle ; le refus de la participation des parents accompagnateurs portant un signe religieux est l’exception.

Cette règle repose sur l’analyse du comportement des parents d’élèves accompagnateurs, et non sur leur seule apparence. Si le comportement est prosélyte (par exemple, lors d’une visite dans un musée, en commentant un tableau de façon orientée), alors il sera fermement sanctionné. S’il n’y a aucun prosélytisme et si la sortie scolaire n’est pas perturbée, alors il n’y aura pas lieu de sanctionner.

Vouloir imposer une totale neutralité « d’apparence » va bien au-delà de la neutralité dans l’expression orale ou dans le comportement – exigée légitimement – vis-à-vis d’élèves. Jusqu’où faudrait-il aller ? Des vérifications sur la taille des habits ? Trop couvert… ou insuffisamment ? Où est-ce-qu’on commence et où est ce qu’on arrête ?

Les enfants sont entourés en permanence d’incitations diverses, à la surconsommation ou à une réussite matérielle flamboyante. La publicité ne se prive pas pour encourager les jeunes filles à ressembler à des femmes qui, à force de retouches, n’existent plus. Le champ des influences sociales est immense et il n’est pas exclusivement religieux.

Tout cela nous invite à nous interroger sur le sens profond de nos obsessions vis-à-vis de la neutralité : ne s’agirait-il pas plutôt d’un désir de « normalisation » sociale, très éloigné d’un idéal de laïcité ?


La laïcité, un principe qui permet le vivre ensemble

L’Observatoire de la laïcité le constate tous les jours : la méconnaissance entourant le principe de laïcité est considérable.

Dans notre société à vif, certains semblent penser que la laïcité a le devoir de résoudre tous les maux, y compris ceux qui supposent des politiques publiques ambitieuses en matière d’intégration, de mixité sociale, urbaine, scolaire et d’accès à la culture, seules véritablement efficaces contre les dérives communautaristes.

Non, la laïcité, ce n’est pas la neutralité de tous les citoyens, c’est au contraire la garantie donnée à chacun de croire ou de ne pas croire et de l’exprimer dans les limites de l’ordre public. C’est de l’histoire de France que découle la laïcité. Une histoire traversée par des guerres de religions et des persécutions contre les protestants et les juifs qui nous rappelle combien la liberté de conscience garantie par la laïcité est un formidable acquis de la République.

La laïcité ne suppose la neutralité que des représentants de l’administration (fonctionnaires ou assimilés) pour garantir leur impartialité, en particulier dans le service rendu aux usagers des services publics, quelles que soient les convictions politiques, philosophiques ou religieuses de ces usagers.

La laïcité, ce n’est pas une conviction ou une opinion mais le cadre qui les autorise toutes. C’est un principe qui permet le vivre ensemble : que l’on soit croyant ou non, on est laïque en ce sens où on accepte que chacun croit ou ne croit pas, l’exprime ou ne l’exprime pas.


La loi du 9 décembre 1905 a déjà tranché

Cessons les pressions encourageant les « lois d’émotion » (dont la France a toujours été malheureusement experte) et rappelons que la loi du 9 décembre 1905, dont découle pour l’essentiel notre laïcité, a déjà tranché ce débat entre les partisans d’une laïcité qui combattrait les religions et interdirait le port de tout signe religieux, et ceux de la laïcité telle que défendue par Aristide Briand, qui sépare l’État des organisations religieuses tout en garantissant le vivre ensemble quelques soient les opinions ou croyances de chacun.

Maurice Allard, Charles Chabert ou Émile Combes – par ailleurs principal opposant de l’époque au droit de vote des femmes –, défenseurs de cette « laïcité de combat », avaient ainsi exigé l’interdiction du port des vêtements religieux dans la rue (à l’époque : soutane des clercs, foulard des nonnes, etc.).

Aristide Briand, « père » de la laïcité française, y avait répondu très fermement, en estimant qu’il s’agirait d’une inacceptable atteinte à la liberté de conscience et qu’une telle disposition exposerait au « ridicule » en voulant par « une loi de liberté » imposer une « obligation de modifier la coupe des vêtements ».

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Jean-Louis Bianco et Nicolas Cadène sont respectivement président et rapporteur général de l’Observatoire de la laïcité.

Caroline Fourest se range en faveur des mères voilées

Caroline Fourest
Caroline Fourest

Une nouvelle loi d’interdiction générale du voile pour les parents d’élèves, une bien mauvaise idée. Cette position est formulée par l’une des personnalités les plus impopulaires au sein de la communauté musulmane. En réaction aux derniers propos de Najat Vallaud-Belkacem, qui estime que les mères voilées ont le droit d’accompagner les enfants aux sorties scolaires, Caroline Fourest s’est rangée de son côté en prenant acte de l’avis du Conseil d’Etat à ce propos.

Dans une contribution au Huffington Post parue lundi 3 novembre, l’essayiste déclare s’opposer à l’interprétation d’organisations laïques qui perçoivent la position de la ministre de l’Education nationale comme « une démission du politique et une trahison de la laïcité ».

« Autant, la loi de mars 2004 était tout à fait nécessaire pour sortir du cas par cas et sanctuariser l’intérieur de l’école, autant il faut savoir faire preuve de souplesse quand il s’agit des parents et des sorties scolaires. (…) Elle n’est pas là pour enseigner un modèle absolu mais le droit au doute », juge-t-elle.

« Les élèves ont bien conscience que les accompagnateurs sont les parents de leurs camarades et pas des professeurs. Il n’est pas possible de régir leur mode de vie comme s’il s’agissait d’enfants, d’élèves ou de personnels représentant l’institution. Et d’ailleurs, s’il fallait étendre la contrainte aux parents, pourquoi n’interdire que le voile ? (…) Ajouter une clause qui vise uniquement et spécifiquement la tenue de certaines mères n’aura qu’un effet désastreux et contre-performant. Celui de faire haïr la laïcité », dit-elle également.*

Respecter les choix « même rétrogrades »

A-t-elle changé d’avis sur le port du voile ? Que nenni pour celle qui soutient avec vigueur la loi « émancipatrice » de 2004. « Si la République laïque doit encourager l’émancipation et le respect de l’égalité chez chaque citoyen en devenir, elle doit aussi (parce qu’elle est démocratique) respecter ces choix – même rétrogrades – une fois ce citoyen devenu adulte. Y compris le port du voile tant qu’il ne dissimule pas le visage et ne porte pas atteinte à la sécurité publique », signifie l’essayiste. Ainsi, le choix de porter le voile n’en reste pas moins « rétrograde » à ses yeux.

D’autre part, l’abrogation de la circulaire Chatel n’est pas évoquée comme solution pour mettre fin au traitement différencié des parents.

Plutôt que de légiférer contre les convictions des parents, Caroline Fourest, qui a fait appel de sacondamnation pour diffamation pour ses propos contre une victime d’islamophobie à Argenteuil (Val-d’Oise), préfère « résister à l’inflation d’écoles confessionnelles intégristes, parfois sous contrat ».

Les réactions se multiplient depuis la salutaire prise de position de Najat Vallaud-Belkacem. Les mères voilées attendent désormais d’elle l’abrogation de la circulaire.

* Mise à jour : Dans un entretien accordé à Zaman France en octobre 2013, Caroline Fourest s’est aussi exprimé sur le sujet, en déclarant son opposition à l’interdiction faite aux mères voilées d’accompagner les enfants aux sorties scolaires mais également contre l’interdiction du voile à l’université.

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Le respect de la liberté religieuse, un combat permanent face aux persécutions

LibertéReligieuse

Difficile de faire respecter la liberté religieuse dans le monde. L’organisation internationale Aide à l’Eglise en Détresse (AED) le rappelle dans un nouveau rapport. Ses constats sont alarmants.

 

L’organisation internationale Aide à l’Eglise en Détresse (AED) a présenté cette semaine son rapport bisannuel qui mesure le degré de liberté religieuse dans le monde. Le résultat est « sans appel » : depuis deux ans, le monde connaît « une nette dégradation de la liberté religieuse ».

Elaboré par un comité d’experts internationaux, le rapport couvre la période d’octobre 2012 à juin 2014. Depuis la publication du dernier rapport de l’AED, en octobre 2012, « lorsqu’il y a eu des changements en matière de liberté religieuse, ces changements ont presque toujours consisté en une détérioration », note l’organisation.

Détérioration de la liberté religieuse

Parmi les 196 pays étudiés, 55 ont vu leur situation se détériorer. Seuls six des pays figurant dans le rapport « ont été concernés par des améliorations », même si la situation reste alarmante dans quatre d’entre eux : l’Iran, les Emirats Arabes Unis, Cuba, le Qatar, le Zimbabwe et Taïwan. Au total, 81 pays (41 %) « ont leur liberté entravée », et 35 pays (18 %) « font l’objet d’inquiétudes ».Sur une échelle qui compte quatre niveaux, (faible intolérance, intolérance préoccupante, moyenne et haute intolérance), 20 pays sont regroupés dans la catégorie « haute intolérance »religieuse. Pour 14 d’entre eux (Afghanistan, République Centrafricaine, Egypte, Iran, Irak, Libye, Maldives, Nigeria, Pakistan, Arabie Saoudite, Somalie, Soudan, Syrie, Yémen), les populations « connaissent des persécutions liées à l’extrémisme musulman », tandis que pour les six autres pays classés dans cette catégorie, les persécutions sont le fait de « régimes autoritaires » qui entravent la liberté religieuse pour des raisons politiques (Birmanie, Chine, Erythrée, Corée du Nord, Azerbaïdjan, Ouzbekistan).

Les musulmans, un « niveau sérieux » de persécution

Si « les chrétiens restent la minorité religieuse la plus persécutée » en raison « de leur large dispersion géographique et de leur nombre relativement élevé », le rapport de l’AED souligne que« les musulmans subissent également un niveau sérieux de persécution et de discriminations ». Celles-ci sont « imputables soit à d’autres musulmans, soit à des régimes autoritaires ».La fondation alerte particulièrement sur la situation des Rohingyas en Birmanie, appuyant le constat que de plus en plus de membres de la minorité musulmane sont contraints à l’exil. « Le processus s’accélère, avec 10 000 exilés supplémentaires ces deux dernières semaines », a affirmé Marc Fromager, le directeur national de l’AED.Le directeur de l’AED France a aussi insisté sur la situation de l’Irak, où l’Etat islamique a entrepris un « nettoyage religieux » systématique, à l’encontre des musulmans chiites et des autres minorités. Les sunnites perçus comme modérés sont également menacés par le califat.Citons encore la situation des Ouïgours, en Chine, dont la liberté religieuse est systématiquement bafouée par le pouvoir communiste, ou les musulmans du Sri Lanka qui, comme les autres minorités, subissent la répression des autorités bouddhistes. Les juifs, quant à eux, subissent davantage de « violences et autres mauvais traitements », relève aussi l’AED, « provoquant une augmentation de l’émigration vers Israël ».

 

Le respect de la liberté religieuse, un combat permanent face aux persécutions

L’avenir de la liberté religieuse en question

En dehors des situations de forte intolérance, le respect de la différence apparaît « comme une valeur de plus en plus menacée », note Marc Fromager. « Le mono-confessionnalisme progresse au Proche-Orient, tandis qu’en Occident la diversification religieuse et culturelle s’accompagne de tensions », explique le directeur d’AED.Tous degrés de situations confondus, « la liberté religieuse ne cesse de se détériorer dans le monde », insiste-t-il, avec « des conséquences concrètes et souvent dramatiques pour un nombre toujours plus important de personnes ». La situation ne semble pas prête de s’améliorer. « Que les discriminations soient d’origine politique ou religieuse, on ne voit malheureusement que très peu de raisons aujourd’hui d’espérer des améliorations significatives à court terme », déplore Marc Fromager.A l’occasion de la sortie du rapport et pour mieux visualiser ses conclusions, AED a lancé le site de l’Observatoire de la Liberté religieuse dans le monde avec une carte détaillée de l’intolérance religieuse. Pour lutter contre ce « grave déclin » des libertés religieuses et inverser les tendances dénoncées dans le rapport, « l’AED en appelle à la responsabilité de chaque communauté religieuse ». Tous les chefs religieux doivent « proclamer haut et fort leur opposition à la violence d’inspiration religieuse » et sensibiliser les croyants à « la tolérance religieuse ».

 Rédigé par Christelle Gence | Mercredi 5 Novembre 2014

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