Aïd al-Fitr 2015 : le CFCM a tranché, la fin du Ramadan connue

Ramadan2015

L’après-midi n’est pas terminé mais le Conseil français du culte musulman (CFCM) a tranché. A l’issue d’une réunion des responsables de fédérations musulmanes à la Grande Mosquée de Paris, l’instance a annoncé, jeudi 16 juillet, que l’Aïd al-Fitr, qui acte la fin du Ramadan et le début du mois de Chawwal, est fixé au vendredi 17 juillet.

Les musulmans de France termineront ensemble ce jeudi leur jeûne, qui aura duré 29 jours. La décision du CFCM coïncide cette année avec l’annonce faite en amont par le Conseil européen de la fatwa et de la recherche (CEFR) qui actait aussi l’Aïd al-Fitr pour le 17 juillet sur la base des calculs astronomiques.

Cette méthode est adoptée de longue date en Turquie et largement suivie dans les pays des Balkans, en Allemagne ou encore en Amérique du Nord, où les fédérations musulmanes fixent en avance les dates de début et de fin des mois lunaires, au-delà du Ramadan. En France, l’Union des organisations islamiques de France (UOIF) en a fait son principe mais est restée discrète cette année à ce propos, ce qui n’a pas donné lieu à de vifs débats comme observés l’année passée.

L’annonce du CFCM est fondée principalement sur les décisions prises dans le monde musulman, à commencer par l’Arabie Saoudite qui a décrété que le mois du Ramadan se termine jeudi. L’Indonésie était le premier pays musulman à avoir pris une décision similaire.

Toute l’équipe de Saphirnews souhaite dès à présent aux musulmans de France une excellente fête de l’Aïd al-Fitr !

Rédigé par Hanan Ben Rhouma

Jeudi 16 Juillet 2015

Pour en savoir plus : http://www.saphirnews.com/

 

Et je me joins à l’équipe de Saphirnews pour présenter à tous les musulmans qui liront ces lignes une belle fête de l’Aïd al-Fitr !

Vous avez été bien courageux d’affronter la chaleur cette année ! Que la Paix soit sur vous !

Marie DAVIENNE – KANNI

 

Bac en plein ramadan : plancher ou jeûner, faut-il choisir ?

Bac-Ramadan

Des lycéens passent le baccalauréat à Strasbourg le 17 juin 2013 (c) Afp
Le début du ramadan coïncide cette année avec les épreuves écrites du bac : un défi pour les candidats musulmans qui, selon la tradition, ne peuvent trouver dans les examens un motif valable pour s’abstenir de jeûner.

Les écrits du baccalauréat général et technologique s’étalent du 17 au 24 juin. Soit sur la première semaine du ramadan, qui commence autour du 18 juin, ce qui ne s’était pas produit depuis une trentaine d’années.

Cet alignement de calendriers n’est pas anodin en France, où vit la première communauté musulmane d’Europe, et alors que le ramadan est un rite massivement suivi, avec plus de 70% voire 80% de jeûneurs, selon les études.

Durant ce mois sacré, les musulmans sont invités à s’abstenir de boire, de manger et d’avoir des relations sexuelles, des premières lueurs de l’aube – dès que l’on peut « distinguer un fil blanc d’un fil noir », prescrit le Coran – jusqu’au coucher du soleil. Soit pendant 18 heures environ (de 3h50 jusqu’à presque 22h00) la semaine des examens, qui sonnera aussi le début de l’été, avec les jours les plus longs et un risque de températures élevées.

Le jeûne, quatrième pilier de l’islam, s’impose à tout musulman pubère. Des dispenses appelant des compensations – par un jeûne différé – sont prévues pour les voyageurs, les malades, les personnes âgées, les femmes enceintes ou venant d’accoucher. Mais théoriquement ni pour les travailleurs ni pour les candidats à des examens…

« Passer un examen n’est pas considéré comme une raison valable d’abandon du jeûne », confirme à l’AFP Anouar Kbibech, prochain président du Conseil français du culte musulman (CFCM). « Il peut cependant y avoir des situations où la personne n’arrive pas à assumer le jeûne. A l’impossible nul n’est tenu », ajoute-t-il, comme en écho à un passage du Coran (« Dieu veut pour vous la facilité et non la difficulté »).

Anouar Kbibech se souvient d’avoir jeûné alors qu’il passait des oraux d’admission en écoles d’ingénieurs. « Les deux ou trois premiers jours c’est difficile, mais après le corps s’habitue. Et il peut même y avoir un moment, en début d’après-midi, où le corps se trouve dans un état d’euphorie ».

« Sur Twitter, les jeunes disent +on va morfler+ », relate Fateh Kimouche (Al-Kanz), blogueur à l’affût de ce qui se dit sur la Toile musulmane. « Ils appréhendent et c’est légitime, deux stress se cumulent », ajoute-t-il, sans exclure que des parents inquiets des performances de leurs enfants « fassent pression pour leur interdire de jeûner ».

Mais pour ce musulman orthodoxe, « le problème ce n’est pas le ramadan, c’est soi-même. C’est sûr que le jeûne est plus facile à supporter si on ne fait pas d’orgie le soir », lors du repas de l’iftar, glisse-t-il. « Beaucoup se sentent plus léger, se sentent mieux lors du ramadan », assure-t-il en vantant ses vertus d' »ascèse spirituelle » et de « thérapie corporelle ». Avec ou sans examen à passer.

Publié le 11-06-2015 à 10h23Mis à jour à 16h57

Pour en savoir plus : http://tempsreel.nouvelobs.com/

Laïcité : revenir à la loi de 1905 pour intégrer l’islam, certes, mais en connaissance de cause

 Loi1905

La loi du 9 décembre 1905 sur la séparation des Églises et de l’État n’a jamais été aussi invoquée que depuis les dramatiques attentats du 7 janvier dernier et les tentatives d’attentat avortées qui ont suivi.

Dans le feu de l’indignation contre un acte qui prétendait punir un « blasphème », beaucoup à gauche, mais aussi à droite, proclament la nécessité de revenir aux valeurs fondamentales de la laïcité : inscrire la loi de séparation dans la constitution ( c’était  au programme de Hollande), l’afficher dans toutes les écoles, faire des cours spéciaux d’éducation, voire de rééducation à la laïcité. Certains vont même jusqu’à suggérer de supprimer les fêtes chrétiennes du calendrier ou les saints de la toponymie.

Le danger de cette escalade est qu’elle provoque une réaction de rejet chez les populations que l’on vise d’abord, tels les jeunes musulmans rétifs à crier « Je suis Charlie ».

Il est aussi certain que cette surenchère laïciste affaiblisse encore le christianisme, élargissant ainsi la friche où pourra être semé l’islamisme le plus radical.

Une loi de compromis

Surtout elle méconnaît ce qu’est la réalité de la loi de 1905 et de ses suites. Loin d’être marquée  du sceau de la radicalité, elle était, sinon dans son principe, du moins dans son application, une loi de compromis. Elle n’a réussi qu’à ce prix à rétablir la paix religieuse à la veille de la première guerre mondiale et à fonder un mode d’insertion durable du fait religieux dans la République.

Un compromis qui fut trouvé par tâtonnements et qui était nécessaire car la logique laïciste excluant sans réserve le fait religieux de l’espace public aurait tourné à la guerre antireligieuse telle qu’elle fut menée en Union soviétique ou au Mexique.

Le compromis se trouve à tous les niveaux : les églises deviennent propriété publique (et donc leur entretien est une charge publique) mais les cultes, principalement le culte catholique,  continue de s’y pratiquer. Ce culte est régi non par les lois de la République mais par les  « règles d’organisation générale propres à chaque culte » (article 4), donc le droit canon ; les processions ou autres manifestations publiques sont permises mais à titre exceptionnel pourvu qu’elles ne troublent pas l’ordre public. Il n’y a plus de religion d’Etat, mais des aumôneries subsistent dans les casernes, les hôpitaux, les lycées, les prisons. Dans l’armée, elles sont rémunérées par l’Etat. L’enseignement public est entièrement laïc mais il était interrompu un jour par semaine pour permettre le catéchisme. La loi concernait au départ tout le territoire national mais les anciennes dispositions concordataires furent préservées, non sans débat, en Alsace-Moselle et en Guyane.

Certaines dispositions dérogatoires sont une contrainte pour les églises : ainsi l’interdiction de célébrer un mariage religieux avant le mariage civil, acte cultuel que la loi devrait en théorie ignorer. De même, en interdisant l’enseignement primaire et secondaire –  pas supérieur – aux ministres du culte, la République reconnaît le sacrement de l’ordre.

Les textes protocolaires font leur place aux représentants des cultes.

Depuis la dernière guerre, d’autres inflexions ont été apportées au régime de séparation stricte, la principale étant la loi Debré qui permet à l’Etat d’aider les établissements religieux sous contrat.

Il ne faut surtout pas chercher dans tout cela une logique stricte. Le compromis évoqué est forcement boiteux car fondé sur l’intersection entre deux logiques antinomiques tenant compte de manière pragmatique des réalités. Ce compromis a cependant le poids que lui donnent des années d’habitude.

Un compromis du même genre à trouver avec l’islam

Entre la logique totalitaire de l’islam et la logique de la République, il ne faut pas rechercher autre chose qu’un compromis du même genre.

Le culte musulman bénéficie déjà de certains avantages du régime actuel : ainsi les avantages de la loi Debré ont été offerts à certains établissements musulmans ; d’aumôniers musulmans sont rémunérés au sein des armées etc. On peut même penser que l’ingérence de l’Etat au travers  du  caractère quasi-officiel conféré Conseil français du culte musulman va beaucoup plus loin que  ce qu’une interprétation même atténuée de la loi de 1905 pourrait autoriser, pour ne pas parler de certains financements occultes de mosquées par les communes.

Dès lors que le bon sens et la bonne volonté sont au rendez-vous (c’est devenu difficile en notre âge idéologique !), on peut imaginer ce que pourrait être un compromis tout  aussi peu systématique entre religion musulmane et Etat laïque : l’usage du voile intégral doit être prohibé sur la place publique, celui du hidjab autorisé mais pas aux  agents publics en activité. Il peut difficilement  être toléré pour les élèves  de l’enseignement  primaire et secondaire mais, sauf à ignorer l’ambiance des Universités,  on ne voit pas comment l’interdire aux étudiantes.

Les repas des cantines municipales ou scolaires doivent prévoir une option sans porc mais on ne saurait accepter que cette option soit, par facilité ou lâcheté, imposée aux non-musulmans ou que les cantines publiques entrent dans le détail de toutes les prescriptions de la loi coranique : cuisines et vaisselle spéciales. Il faut protéger de toute forme de pressions les élèves ne suivant pas les prescriptions islamiques.

La culture européenne est fondée sur la représentation ; il ne saurait donc être question d’interdire la représentation de qui que ce soit, dès lors qu’elle est respectueuse; mais sans rétablir une loi contre le blasphème, les communautés qui se sentiraient offensées par une représentation gravement injurieuse doivent pouvoir obtenir une réparation devant les juridictions civiles : il vaut mieux en effet que les affaires de ce genre relèvent des juridictions civiles et non pénales.

L’enseignement public doit être, selon les prescriptions de Jules Ferry, respectueux de toutes les croyances y compris chrétiennes, mais ce respect ne saurait conduire à faire leur place à des théories non scientifiques comme le créationnisme – ou la  théorie du genre.

Le culte dans la rue peut être toléré s’il n’a pas pas de lieu de culte à proximité mais il ne saurait l’être s’il y en a un, surtout s’il est, par provocation, déserté.

Aucune théorie générale ne permettra de déterminer les contours exacts du compromis à établir mais, devant chaque problème, au cas par cas, il est aisé de déterminer la solution de bon sens  qui préserve la paix civile. Ce travail d’approche pragmatique qui a été fait avec la religion catholique reste à faire pour la religion musulmane. Il nous fera davantage progresser que des proclamations aussi emphatiques que péremptoires telles qu’on les a vues fleurir ces derniers temps.

Roland Hureaux

Universitaire, diplomate, membre de plusieurs cabinets ministériels (dont celui de Philippe Séguin), élu local, et plus récemment à la Cour des comptes.

Publié le
Pour en savoir plus : http://www.atlantico.fr

Pourquoi la France a un vrai problème avec l’islam (mais pourquoi les Français, eux, n’en ont pas)

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Alors que les Républicains se réunissent ce jeudi pour débattre sur l’islam, une étude montre que les Français sont les plus tolérants d’Europe à l’égard de leurs compatriotes de confession musulmane. Le réflexe qui consiste à brandir l’islamophobie s’agissant des défis de l’intégration de l’islam prouve combien l’approche collective du sujet est déficiente.

Selon une étude réalisée par le think tank américain Pew research Center, les Français ont l’opinion la plus favorable (76%) à l’égard des musulmans résidant en France. Les Britanniques (72%) et les Allemands (69%) arrivent aussi dans le trio de tête des pays partageant cet avis. Les Italiens et les Polonais sont les deux populations majoritairement défavorables aux musulmans de leur pays avec respectivement 61 et 56% d’opinion hostile. Les Espagnols, quant à eux, sont 52% à se manifester en faveur des musulmans situés en Espagne.

Atlantico : Un sondage réalisé par Pew Research Center, révèle que, parmi les Européens, c’est la population française qui a l’opinion la plus favorable des musulmans – à 76%, devant les Britanniques qui sont 72% à partager cet avis  Pourtant, les Français sont aisément soupçonnés d’islamophobie, en témoigne les innombrables campagnes lancées sur le sujet et la focalisation sur le décompte des actes islamophobes. Pourquoi un tel biais ?

Rémi Brague : J’espère que l’inventeur du mot « stigmatisation » l’a fait breveter, car, si oui, il a dû faire fortune. On fait passer sous ce pavillon les marchandises les plus variées. J’aimerais que l’on mette à la place le mot de « critique ». Et pour deux raisons : d’une part, il implique que l’on distingue (c’est le sens du verbe grec qui en constitue l’étymologie) ce qui est bon de ce qui est mauvais. Et d’autre part, il suppose que l’on a des arguments à faire valoir, et pas simplement des affects. Or, parler de stigmatisation, ou de phobie, c’est suggérer que l’on est en présence de réactions purement épidermiques, et en tout cas injustifiées.

L’emploi du mot « racisme » est aussi un de ces mots qui empêchent de penser. Une religion n’est pas une race. Si la notion de race est vraiment solide (pour ma part, je la trouve molle…), elle désigne une qualité innée que l’on ne peut pas perdre : un Saint-Bernard ne devient pas un chihuahua. Or, une religion, en revanche, est quelque chose dont on peut changer. Sauf peut-être, justement, pour l’islam, qui se considère comme étant la religion « naturelle » de l’humanité. Une déclaration attribuée à Mahomet dit que tout homme naît selon le « naturel » (fitra) et que ce sont ses parents qui en font un juif ou un chrétien. Mais ils n’ont pas besoin de le faire musulman, car il est supposé l’être déjà.

Guylain Chevrier : Tout d’abord, la France ne l’oublions pas est une terre d’accueil et d’intégration, de tolérance des différences, mais sur le modèle du pacte républicain, à savoir, sous la condition de respecter ce qui nous est commun, la loi, les libertés, le politique, la démocratie, la Nation. La Haute Autorité de Lutte contre les Discriminations et pour L’égalité (HALDE) lorsqu’elle était en fonction, avait rendu une étude où parmi les critères de discrimination la religion ne représentait que 2% de l’ensemble, ce qui est encore vrai dans les récentes études du Défenseur des droits. On sait combien cet argument de l’islamophobie est avancé par certains à bon escient, avec l’exagération qu’il porte, pour parer à toute exigence critique constructive dans les rapports que l’islam entretien avec notre société, alors que les choses ici ne vont pas de soi. Dans la plupart des pays dits musulmans, l’islam est religion d’Etat contrairement à la France, dont la loi de séparation des Eglises et de l’Etat est le pilier de sa République. Il y a pour toute nouvelle religion un chemin à accomplir pour embrasser les institutions républicaines et trouver sa place, c’est là l’enjeu qui a été brouillé derrière l’entretient du fantasme d’une société rejetant massivement l’islam, bien que refusant certains excès du religieux (loi interdisant de se dissimuler le visage dans l’espace public, dite par certains, anti-burqa).

Ghaleb Bencheikh : En toute rigueur et dans l’absolu, dans les nations démocratiques, les sondages qui sollicitent l’opinion d’une frange de la nation sur une autre frange sont plus que problématiques. Toutefois, le résultat de ce  sondage remet les choses à plat. Il permet d’engager des ressources afin de gagner cette bataille pour construire une nation commune, fière de son Histoire commune, le général de Gaulle a raison de dire « cette France qui vient du fond des âges ». Et tous les citoyens doivent aussi être solidaires de ce patrimoine.

En tant que citoyen de confession islamique, il est nécessaire de refonder notre pensée théologique. Nous pouvons le faire en France, et nous devons le faire en France. Les musulmans, les théologiens, doivent s’atteler à cette vaste entreprise qui ne pourra se passer de la désacralisation de la violence, de revoir le discours classique, voire rétrograde, de sortir de l’obscurantisme qui prévaut dans les banlieues ou dans certaines mosquées. Il faut également former les imams à l’esprit intelligent ; insuffler l’amour de la France dans le cœur des imams et des musulmans, prier pour la République comme le font nos compatriotes juifs. Se sentir corps dans la nation, répondre par le fameux aphorisme prophétique « aimer sa patrie d’une marque de foi ». Cela correspond à participer au récit national. Cela permettrait de passer outre une vision archaïque de la religion, et surtout entreprendre ce travail de refondation de la pensée théologique.

En quoi cette dénonciation largement exagérée de l’islamophobie a-t-elle pu parasiter l’image que l’on se fait de l’islam ?

Guylain Chevrier : L’exagération vient déjà du terme lui-même, que l’on traduit par « délit de blasphème », interdiction de la critique d’une religion. Ce qui implicitement signifie que tout ce qui touche à l’islam ne pourrait être dit que par les musulmans eux-mêmes. Le caractère de victimisation qu’il porte dans cet état d’esprit a aussi eu tendance à exaspérer, en présentant en quelque sorte l’islam comme la seule chose qui ne pourrait supporter le débat démocratique au pays des idées. Ce terme a donc une forte connotation politique qui a eu pour effet de faire écran à l’ouverture d’un véritable dialogue avec nos concitoyens de confession musulmane.

Il y a une autre responsabilité. Celle des grands médias, a avoir repris ce terme sans nuance. Mais aussi parallèlement, du fait de parler systématiquement de « communauté musulmane » lorsque sont évoqués les musulmans (France info peut dire « 4 millions de musulmans commencent aujourd’hui le ramadan » au début du jeune), donnant l’impression d’un tout homogène, où la pensée démocratique ne circule pas, figé sur des préjugés religieux. Une situation alimentée par une partie des musulmans qui se sont affirmés à travers une visibilité propre à des manifestations vestimentaires qui ont rompu avec la neutralité de notre société sécularisée. Le port du voile est ainsi perçu comme la volonté de faire passer des valeurs religieuses avant celles de la société, et comme le refus du mélange au-delà de la communauté de croyance. Tout le contraire de la mixité sociale et culturelle qui est une valeur capitale de notre république égalitaire, qui ne survivrait pas à une séparation selon les différences.

La progression des communautarismes, des inégalités sociales et territoriales, au détriment du vivre ensemble, qui a contribué au développement de tensions et du repli sur soi, constitue une situation qui a encouragé le recours à l’argument de la lutte contre l’islamophobie.

Quels sont les défis l’islam pose à la société française ? Quelles sont les failles dans nos modes de pensées traditionnels qu’il révèle ?

Guylain Chevrier : Face à une minorité agissante qui a fait un usage outrancier de la lutte contre l’islamophobie, on a cédé sur la nécessité de tenir bon sur la laïcité. Ainsi, la laïcité qui assure la liberté de conscience de tous les citoyens s’est trouvée réduite aux yeux des différentes majorités à la seule « liberté religieuse » ou au dialogue inter-religieux. Au lieu de traiter les musulmans d’abord comme des citoyens, on a créé de toute pièce un organisme qui était censé les représenter, le Conseil Français du Culte Musulman, tendant à figer les possibilités d’une intégration républicaine par l’effet d’identification communautaire ainsi créé, dont certains ont su s’emparer pour jouer de cette logique. Les élus, peu ou prou, participent trop souvent au financement public des lieux de culte, croyant acheter ainsi la paix sociale. Des pratiques qu’a entérinées le Conseil d’Etat à travers toute une série de dérogations qui aménagent le principe de laïcité pour le vider de son sens. A l’école, sous couvert de laïcité, c’est l’obsession du renforcement de l’enseignement du fait religieux auquel on fait appel, pour organiser l’intégration des élèves par leurs différences. On a cru par là voir une solution au mal être qui règne, appuyant dans le sens de ce qui sépare alors qu’il s’agirait de redonner au contraire, au principe de laïcité, toute sa portée d’intérêt général. D’autant qu’elle culmine dans la protection des différences, à porter au-dessus de toutes le bien commun, assurant ainsi qu’aucune d’entre elles ne prenne le pouvoir sur les autres.

A l’affirmation de l’islam, on a répondu par le traitement égal des religions, ce qui a été une erreur. On a ainsi donné une réponse à un tout qui est en réalité hétérogène, avec des musulmans divers qui entendent pouvoir choisir leur façon d’exercer leur religion sans que l’on encourage à ce qu’on leur impose une seule façon de voir, par voie d’assignation. D’autant que nous avons affaire à une religion en mouvement.

Ghaleb Bencheikh : Interdire toute critique de l’islam, y compris de l’islamisme ou du fondamentalisme sous prétexte de l’islamophobie n’est pas sain. En revanche, ce que j’appelle la misislamie, c’est-à-dire, la haine de l’islam assumée et l’hostilité déclarée et revendiquée à l’encontre des musulmans est totalement inacceptable. Et elle doit tomber sous le coup de la loi.  Pour le reste, on ne peut pas avancer sans une critique constructive. Nous devons même en être demandeurs. Toute doctrine ou philosophie, toute théologie qui ne s’affirme pas dans  le débat, et qui fuit le choc des idées finit par s’atrophier et se vulnérabiliser. Il ne reste plus que le fanatisme pour essayer de survivre quelques instants.

Notre démocratie, fût-elle évolutive et perfectible, nous permet de vivre sous un ciel plus clément à Paris qu’à Riyad ou à Khartoum ou à Alger, et il incombe à nos compatriotes de confession islamique de poser un débat académique, intellectuel, porteur et émancipateur. Je suis atterré de voir que beaucoup parmi les musulmans sont plutôt dans une logique de religiosité sauvage, comme l’aurait dit le Cardinal Danielou, une religiosité crétinisante, davantage opérée de manière comptable sur le licite ou l’illicite pour rentrer au paradis et éviter de périr par le feu de l’enfer. Ceci n’est pas bon : les idioties sur les effets alimentaires ou vestimentaires reflètent l’idée que nous n’avons pas su sortir des basses-eaux d’une religiosité archaïque.

Comment cette dimension politique de l’islam se traduit-elle concrètement ?

Rémi Brague : En principe, l’islam considère les nationalités et les origines sociales comme secondaires par rapport à l’appartenance à la « nation » (umma) islamique. Dans l’histoire, telle que les musulmans se la racontent, on attribue toute sorte de maux à l’attachement exclusif à une nation particulière. Quant à savoir comment « les » musulmans de France ressentent leur appartenance à la France, comment ils la situent par rapport à d’autres appartenances, cela varie selon les individus.

C’est aussi nous qui rabattons certaines personnes sur leur identité musulmane, alors que nous pourrions les considérer, comme ils se considèrent eux-mêmes, comme pouvant être certes musulmans en matière de religion, mais aussi comme originaires de tel pays du Maghreb, du Levant ou d’Afrique noire, comme parlant tel langage (« les Arabes », quelle insulte pour les Berbères !), comme exerçant tel métier, etc.

Cette nature politique de l’islam est-elle compatible avec la conception française de la laïcité et de la liberté de conscience qui reposent sur l’idée que la religion relève de la sphère privée ? En quoi l’islam fait-il exploser nos catégories de pensée traditionnelles ?

Rémi Brague : Notre notion de « religion » est calquée sur le christianisme. Nous distinguons ainsi des activités que nous considérons comme religieuses, par exemple la prière, le jeûne, le pèlerinage, et d’autres qui, pour nous, ne relèvent pas du religieux, comme certaines règles de vie : interdictions alimentaires, vestimentaires, rapports entre sexes, etc. Or, pour l’islam, ce sont là des parties intégrantes de la religion. Ce qu’ils appellent « religion », c’est avant tout un code de comportement, une démarche à suivre (c’est le sens du mot sharia). Il en est ainsi parce que le Dieu de l’islam n’entre pas dans l’histoire, soit par alliance (judaïsme), soit en poussant l’alliance jusqu’à l’incarnation (christianisme), mais y fait entrer la manifestation de Sa volonté, sous la forme de commandements et d’interdictions. Le message divin est soit une répétition des messages précédents (un seul Dieu, qui récompense et punit), soit une législation la plus précise possible. Le judaïsme connaît lui aussi un code de conduite très précis, mais ce code ne vaut que pour les Juifs. L’islam, lui, dit que tout homme doit s’y conformer.

Nous avons du mal à le comprendre, mais l’islam est avant tout un système de règles qui doivent avoir force de loi dans une communauté. Ces règles peuvent être appuyées par l’Etat si celui-ci est musulman, auquel cas on aura une police spéciale pour assurer, par exemple, le respect du jeûne du ramadan ou la vêture des femmes. Mais si la pression sociale (parents, grands frères, etc.) ou la force de la coutume y suffisent, tant mieux. L’islam distingue une invocation de Dieu qui peut se faire en privé, et une prière publique, avec des formules et des gestes déterminés. C’est elle qui constitue l’un des cinq « piliers » de l’islam.

La laïcité, notre vache sacrée, n’est pas elle-même une idée très claire.

C’est une cote mal taillée, produit d’un compromis entre deux instances localisées et historiquement datées : l’Etat français du XIXe siècle et l’Eglise catholique. L’appliquer telle quelle à l’islam, à la mesure duquel elle n’a pas été taillée, entraîne des mécomptes. Le christianisme a l’habitude de séparer la religion et les règles juridiques ; pour l’islam, le seul législateur légitime est Dieu.

Pourquoi est-il important aujourd’hui de sortir de la confusion entretenue autour de l’islam ? Quels sont les faux débats qui ont pu émerger ?

Guylain Chevrier : Le temps est à une clarification vitale pour pouvoir avancer. Il s’agit d’inverser le sens des choses pour mettre en valeur l’apport d’une laïcité bien comprise par tous, s’exprimant à travers l’égalité de traitement devant la loi indépendamment de la religion, de la couleur ou de l’origine, donc un humanisme qui permet l’accès de chacun aux mêmes biens, économiques et sociaux par exemple, qui ne peut se négocier dans ses principes essentiels. Il n’y a pas de religion à exclure par principe de cette convergence, de la compréhension de cette communauté de biens, mais faut-il encore lever les confusions que comprend par essence le terme islamophobie.

Dans un contexte d’’agitation autour de la lutte contre l’islamophobie, on a vu monter les revendications religieuses à caractère communautaire d’une minorité de musulmans parfois très militants : jours fériés musulmans en remplacement de jours chrétiens en réalité laïcisés, revendications de salles de prières dans les entreprises qui ne sauraient être des lieux de culte, de piscines ouvertes à des horaires spécifiques uniquement pour des femmes ce qui est discriminatoire… L’affaire Baby Loup, qui a donné lieu aux pires procès en islamophobie, a été finalement un marqueur de la période pour montrer toute l’importance que tous se retrouvent sur les mêmes valeurs, et qu’au nom d’une religion ou d’une autre, on ne puisse imposer la reconnaissance juridique des particularismes qui conduisent inévitablement à la différence des droits.

Pour autant, ce n’est pas la première fois que cette crainte de l’islamophobie est factuellement déboutée. Entre islam et nation française, comment sortir de l’émotion pour revenir à la raison ?

Guylain Chevrier : A force d’utiliser l’argument de l’islamophobie pour empêcher le débat public sur les rapports qu’entretient la République avec l’islam, ses grands enjeux ramenés à la simple question de l’accepter ou de le rejeter, non seulement de la part du CFCM ou de l’UOIF, mais des grandes formations politiques, on a nuit à une nécessaire réflexion au regard des rapports entre cette religion et notre société. On a laissé se développer l’idée que la laïcité serait un instrument ne visant qu’à la stigmatiser et à la restreindre. Il faut montrer que c’est un outil de libération et que les règles qui s’appliquent à tous de manière universelle ne sont en aucune façon hostiles aux musulmans, mais au contraire, à ne pas leur faire un sort particulier et visent à ce qu’ils prennent toute leur place dans l’espace commun citoyen. Cela ne peut aller sans pointer c’est vrai, certains problèmes, telle l’égalité hommes-femmes contestée par les textes (Coran – Sourate 4), une des clés de voûte aujourd’hui de notre société.

Cela passe aussi par une réforme indispensable plus large de l’islam, comme le rappel l’anthropologue des religions Malek Chebel1, entre autres, en ce qui concerne la séparation du politique et du religieux, qui n’est pas encore acquise et est indissociable de la modernité démocratique. Les politiques ne devraient pas s’immiscer dans l’univers religieux en croyant pouvoir y influer en faveur de l’enseignement d’une religion apaisée, mais garantir le cadre qui place la religion en situation de devoir s’adapter à un ensemble dans lequel elle peut parfaitement trouver sa place en en comprenant le sens, et ce, sans toucher à la citoyenneté, première dans l’ordre de l’identité et de la reconnaissance de chacun au regard de tous.

Pour en savoir plus :  http://www.atlantico.fr

Laïcité, la France en plein doute

Une proposition de loi visant à étendre le devoir de neutralité des fonctionnaires aux éducateurs du secteur privé relance les polémiques sur le sens de la laïcité républicaine.

 TroisReligionsMono

Guillaume BONNEFONT/IP3/Julian Kumar/GODONG/Leemage/Philippe Lissac/Godong/Leemage

Dans une société marquée à la fois par une forte sécularisation et la présence nouvelle de l’islam, la laïcité est devenue une question identitaire.

L’opération déminage lancée le 9 mars par l’Élysée a provisoirement éloigné la menace. La proposition de loi des radicaux de gauche pour instaurer la neutralité religieuse dans les structures éducatives privées subventionnées ne sera pas débattue jeudi 11 mars. Le sujet, à la veille des élections départementales, était socialement explosif et risquait d’ébranler la majorité. Le chef des députés radicaux, Roger-Gérard Schwartzenberg, a in extremis accepté de retirer le texte. Mais il dit avoir obtenu en contrepartie l’engagement qu’il sera examiné en mai et que le groupe socialiste y apportera « un vote positif ».

La bataille est repoussée, elle n’en sera pas moins violente. Car cette proposition de loi, votée au Sénat en 2012 dans le contexte de l’affaire Baby-Loup, a provoqué une tempête de protestations. Mardi 10 mars au soir, Mgr Georges Pontier, archevêque de Marseille et président de la Conférence des évêques de France, a exprimé la « très vive inquiétude »de ses pairs, qui voient dans ce texte de loi « l’inspiration manifeste d’une méfiance vis-à-vis des religions dont il faudrait protéger les mineurs ». Reçus début mars par l’Observatoire de la laïcité, les cultes protestant et juif ont également critiqué l’initiative. Le Conseil français du culte musulman (CFCM) fustige pour sa part une « politique d’intolérance ».

C’est surtout le coup de colère de Jean-Louis Bianco, président de l’Observatoire de la laïcité et proche du chef de l’État, qui révèle l’ampleur de la polémique. « Il s’agit d’un dévoiement de la laïcité dans une version intégriste, punitive et, même si ses promoteurs s’en défendent, anti-musulmane, anti-religions », assène l’ancien député socialiste, qui insiste sur la fragilité juridique de l’entreprise.

Le débat de la laïcité déporté vers les questions de l’expression religieuse

Comment expliquer qu’une fois encore se réveillent des passions françaises que l’on croyait apaisées ? Au fond, ce n’est plus vraiment la vieille question des cultes et de leurs relations avec les institutions républicaines qui nourrit le problème. Ces vingt dernières années, les choses se sont même plutôt arrangées. En 1995, arrivé à Matignon, Lionel Jospin avait instauré des rendez-vous réguliers avec les cultes, une pratique qui s’est, depuis, maintenue. Nicolas Sarkozy a installé le CFCM en 2003. Quant à la jurisprudence administrative, elle a livré ces dernières années une lecture accommodante du principe de séparation pour permettre le soutien des collectivités locales à des associations cultuelles.

Les polémiques sur la laïcité se sont en fait déportées sur un autre terrain, celui de l’expression religieuse. Un phénomène très bien analysé par le juriste Vincent Valentin (1) qui voit, derrière l’affaire Baby-Loup, la volonté de certains « d’imposer une nouvelle laïcité ».

Professeur à Sciences-Po Rennes, il observe chez nos contemporains – acteurs de terrain, élus politiques, intellectuels – « une déception face aux promesses de la modernité, qui signifiait pour eux l’effacement progressif du religieux. Son retour signe pour eux l’échec de la sécularisation. D’où la volonté d’étendre des obligations de neutralité aux personnes privées. »Mardi 10, dans son communiqué, Mgr Pontier ne faisait pas une autre analyse. Il dénonçait une entreprise visant à cacher les religions « en les faisant disparaître progressivement de tout lieu de vie sociale. » Alors que la loi de 1905 était un texte d’inspiration libérale, il s’agirait désormais de« promouvoir une société vidée de toute référence religieuse », insistait-il.

Une demande de neutralité religieuse de plus en plus extensive

Si l’ensemble des croyances peuvent se sentir concernées, il est clair que c’est l’islam qui fait l’actualité depuis vingt-cinq ans, depuis l’affaire des foulards de Creil en 1989. Le voile est devenu le symbole de la nouvelle question laïque. En 2003, rappelle Vincent Valentin, le député UMP François Baroin remettait à Jacques Chirac un rapport dans lequel « il opposait la logique de la laïcité à celle, individualiste, des droits de l’homme. La laïcité n’est alors plus seulement un principe juridique, mais une manière d’être de la société française. Elle est devenue un marqueur de l’identité française au nom duquel on peut imposer aux personnes d’être neutres ».

Certes, la loi sur les signes religieux de 2002 a été adoptée grâce à un consensus politique sur la nécessaire sanctuarisation de l’école, mais de multiples autres tentatives ont trouvé leurs limites. Fer de lance de cette « nouvelle laïcité », l’ancien Haut conseil à l’intégration avait ainsi proposé de limiter l’expression religieuse sur la voie publique !

Le Grand Orient de France a publié en décembre dernier 25 propositions, parmi lesquelles la prohibition des signes religieux dans l’enseignement supérieur. En mars 2013, le député UMP Éric Ciotti déposait une proposition de loi visant à limiter l’expression religieuse dans le monde de l’entreprise. D’autres encore veulent imposer un devoir de neutralité aux usagers des services publics…

Des familles politiques divisées sur la question

Toutes ces tentatives provoquent de fortes divisions. À droite, où des personnalités comme Alain Juppé s’y montrent très hostiles. Mais surtout à gauche, où s’opposent frontalement deux conceptions. Certains, comme Manuel Valls, donnent la priorité à la lutte contre les communautarismes dans les quartiers, le voile étant selon eux l’instrument d’un islam politique. À l’opposé, une autre partie de la gauche refuse toute stigmatisation des musulmans, quitte à nier la réalité des ratés de l’intégration.

 

Un débat qui a gagné en intensité depuis les attentats de janvier et les prétentions du Front national à se présenter, pour les élections, comme le héraut de la laïcité. « Il y a comme un vent de panique », observe Vincent Valentin. Tenter de faire retomber la tension sera certainement l’une priorité de l’Élysée après les départementales, François Hollande ayant toujours défendu une conception pragmatique de la place des religions dans une société devenue, que l’on s’en réjouisse ou non, multiculturelle.

BERNARD GORCE

(1) Auteur avec Stéphanie Hennette Vauchez de « l’affaire Baby Loup ou la nouvelle laïcité », Ed. LGDJ 2014. 115 p., 17 €
Pour en savoir plus : http://www.la-croix.com

Islam de France : pourquoi il faut prendre exemple sur le consistoire de Napoléon

Napoléon-Cazeneuve

Bernard Cazeneuve a annoncé ce mercredi la mise en place d’une «instance de dialogue» avec les communautés musulmanes. Louis Manaranche rappelle comment Napoléon avait réussi à organiser le judaïsme en France.

12 ans après la création solennelle et médiatisée du CFCM revient le serpent de mer de l’organisation par la République d’un islam français. Nombreux sont ceux qui, échaudés par le bilan mitigé du CFCM, sont d’avance convaincus que cette initiative est vouée à l’échec. La France possède pourtant une très ancienne tradition d’organisation des religions.

Une période phare vient spontanément à l’esprit : celle du Concordat de 1801, signé par Bonaparte et le pape Pie VII. L’importance de ce compromis entre le Saint-Siège et la France, après la violence des persécutions anticléricales et de la déchristianisation révolutionnaires, a néanmoins fait un peu oublier les organisations données aux deux autres religions dites concordataires : le protestantisme et le judaïsme. Ce dernier constitue un cas à part. Ce n’est qu’en 1806 que commence sa grande réforme. Napoléon Ier convoque alors une «Assemblée des notables» juifs, nommés par les préfets, à qui il soumet douze questions:

1) Est-il licite aux juifs d’épouser plusieurs femmes?

2) Le divorce est-il permis par la religion juive ? Le divorce est-il valable, sans qu’il soit prononcé par les tribunaux et en vertu de lois contradictoires à celles du code français ?

3) Une juive peut-elle se marier avec un chrétien et une chrétienne avec un juif ?

4) Aux yeux des juifs, les français sont-ils leurs frères ? Ou sont-ils des étrangers ?

5) Dans l’un et l’autre cas, quels sont les rapports que la loi leur prescrit avec les français qui ne sont pas de leur religion ?

6) Les juifs nés en France et traités par la loi comme citoyens français regardent-ils la France comme leur patrie ? Ont-ils l’obligation de la défendre ? Sont-ils obligés d’obéir aux lois et de suivre toutes les dispositions du Code civil ?

7) Qui nomme les rabbins?

8) Quelle juridiction de police exercent les rabbins parmi les juifs? Quelle police judiciaire exercent-ils parmi eux?

9) Cette forme d’élection, cette juridiction de police sont-elles voulues par leurs lois, ou seulement consacrées par l’usage?

10) Est-il des professions que la loi des juifs leur défende ?

11) La loi des juifs leur défend-elle de faire l’usure à leur frère?

12) Leur défend-elle ou leur permet-elle de faire l’usure aux étrangers ?

Derrière ces douze questions, où se mêlent d’authentiques questions sur la loi de Moïse et des préjugés alors bien établis, est posée la question unique de la compatibilité entre la pratique de la religion juive et les principes du Code civil. Il ne s’agit à aucun moment de demander de préférer la citoyenneté française à l’identité juive, ni même de cantonner la pratique religieuse au strict exercice du culte, niant la dimension sociale de toute religion. Seules le respect de la loi commune et l’amour de la patrie sont exigés. On peut ainsi considérer que l’on a ici affaire à une compréhension de ce que l’on n’appelle pas encore la «laïcité» plus respectueuse de la liberté de conscience et plus efficace que bien des caricatures contemporaines.

Une fois les réponses des notables connues et appréciées positivement par l’Empereur, celui-ci convoque une deuxième assemblée, un «grand Sanhédrin», qui se réunit entre février et mars 1807. Composé de 71 membres, dont deux tiers de rabbins, ce conseil reprend l’antique appellation du tribunal suprême qui siégeait à Jérusalem et qui dut céder une part de son pouvoir judiciaire à l’empereur romain. Par cette double convocation, l’Empereur s’assure qu’une autorité religieuse perçue comme légitime ratifie les déclarations des notables.

Voilà une deuxième leçon de bonne compréhension du fait religieux. Cette légitimation est une condition sine qua non de l’organisation de toute religion. Pour en garantir l’indépendance et l’autorité, il faut que les personnalités qui exercent un magistère traditionnel -qu’il y ait ou non un clergé à proprement parler- soient consultées et honorées. Toute apparence de vassalisation ou d’instrumentalisation est ainsi écartée. Le 9 mars 1807, le Sanhédrin confirme les réponses des notables et les fonde religieusement. En conséquence, ces principes étant établis, paraissent les règlements des 17 mars et 11 décembre 1808 qui instituent un Consistoire autour d’un grand rabbin et de trois laïcs dans chaque département où sont recensés 2000 juifs, ainsi qu’un Consistoire central. Si la méthode et la prudence des autorités impériales sont à remarquer, il convient aussi de souligner les bonnes dispositions d’une figure majeure, celle du rabbin strasbourgeois et chef du Sanhédrin David Sintzheim, dont la formule reste profondément actuelle : «Les ordonnances apprendront aux nations que nos dogmes se concilient avec les lois civiles sur lesquelles nous vivons, et ne nous séparent pas de la Société des hommes.»

Louis Manaranche est agrégé d’histoire et président du laboratoire d’idées Fonder demain. Son livre «Retrouver l’histoire» vient de paraître aux éditions du Cerf.

Pour en savoir plus : http://www.lefigaro.fr

 

L’urgence d’un islam de France structuré, apaisé, crédible

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Prière à la Grande mosquée de Strasbourg en 2013. REUTERS/Vincent Kessler

 

Sans renier l’héritage laïque, une voie de cogestion de l’islam peut être imaginée en France, garantissant l’égalité de traitement des musulmans avec les autres religions, excluant l’assimilation autant que l’insertion communautaire à l’anglaise.

Depuis près d’un demi-siècle, tous les gouvernements, de droite comme de gauche, échouent dans la gestion d’un islam divisé, soumis aux influences étrangères, rétif à toute hiérarchie cléricale ou laïque. Il est devenu urgent de relancer la question obsédante de la place de l’islam dans la République laïque, de sa capacité à s’organiser, à s’unifier, à désigner des représentants compétents et incontestés, à se mobiliser contre ses tendances radicales, à condamner et évincer ses extrémistes.

Toutes les équivoques ne sont pas levées, mais l’une des leçons des derniers événements en France est la libération de la parole, chez les musulmans, à propos de l’islam radical dans leurs rangs.

 

Sans doute a-t-on eu tort de confondre leurs silences d’hier avec de la complicité. Leur peur, leur division, leur stupeur devant la montée du terrorisme islamiste, devant l’injonction de condamnation qui pesait sur elle, venant de tous les milieux, étaient les premiers responsables de cette paralysie. Une page semble aujourd’hui se tourner. Le désaveu est plus net et certainement majoritaire.

Faut-il y voir la promesse d’avancées, enfin sérieuses, sur la question obsédante de la place de l’islam, deuxième religion de France, dans la République laïque, de sa capacité à s’organiser, à s’unifier, à désigner des représentants compétents et incontestés, à se mobiliser contre ses tendances radicales, à condamner et évincer ses intégristes?

Depuis près d’un demi-siècle, c’est-à-dire depuis la sédentarisation d’une communauté musulmane qui a quintuplé (5 millions) depuis 1960 –notamment harkis, rapatriés, migrants économiques, regroupement familial–, tous les gouvernements, de droite comme de gauche, ont échoué à faire émerger une représentation unique, structurée, respectée de l’islam de France, à l’image de ce qui existe dans les consistoires juif, protestant ou dans les institutions de l’Eglise catholique de France.

Tous les ministres de l’Intérieur (chargés des cultes), qu’ils jouent la carte de la fermeté (Charles Pasqua) ou de la concertation (Pierre Joxe, Jean-Pierre Chevènement, Nicolas Sarkozy), se sont cassés les dents. On a isolé et arrêté des réseaux extrémistes, traqué et expulsé des imams politisés, remis de l’ordre dans certaines mosquées, tari des sources suspectes de financement et de fourniture d’armements. Mais la gestion sécuritaire de l’islam de France, pour ne pas dire policière, n’a pas endigué la montée de la radicalisation.

Tableau issu de l’enquête Ined-Insee «Trajectoires et origines 2010». Il en ressort qu’il y aurait 8% de musulmans en France, soit environ 5 millions. L’enquête du Pew Research Center aboutit environ au même nombre (4,7 millions).

 

Favorisée par la droite au pouvoir, la gestion dite «consulaire» avec un partenaire privilégié –la Mosquée de Paris, «vitrine» de l’islam de France, construite en 1926 à la mémoire des soldats musulmans tués lors de la Première Guerre mondiale– n’a pas davantage abouti.

Trop dépendante de ses liens statutaires et financiers avec l’Algérie, coupée de toute base associative, de jeunes, de femmes, d’intellectuels, la Mosquée de Paris n’a jamais été capable d’assurer le leadership musulman. Les polémiques incessantes sur la fixation des dates du Ramadan, sur le marché juteux de la viande halal, sur la formation et le recrutement des imams ont largement contribué à son discrédit.

Enfin, la gestion collégiale de l’islam, qui avait la préférence de la gauche, n’a pas donné de résultats plus probants. L’instance représentative à présidence tournante (le Corif, Conseil de réflexion sur l’avenir de l’islam en France), qu’avait mise en place le ministre Pierre Joxe (PS) au début des années 1990, a vite succombé à ses divisions.

Dans la même ligne, une décennie plus tard, Nicolas Sarkozy, alors ministre de l’Intérieur, a failli réussir. Avec habileté et énergie, il avait trouvé un compromis et obtenu un accord entre les principales obédiences rivales, la Mosquée de Paris fidèle à l’Algérie, la Fédération des musulmans de France liée à la Ligue islamique et au Maroc, l’Union des organisations islamiques de France, proche des Frères musulmans.

Et en avril 2003, pour la première fois, un organisme central –le Conseil français du culte musulman (CFCM)– était élu avec un mandat clair: organiser l’islam de France, en devenir le porte-parole, gérer les affaires du culte qui suscitent tant de convoitises et aiguisent tant de querelles recuites.

Un programme qui a globalement échoué. Depuis plus de dix ans, sur fond de rivalité entre musulmans d’origines algérienne et marocaine, le CFCM s’est montré incapable de travailler de manière collégiale. Il s’est partagé les majorités et les postes, mais, manquant de moyens, de charisme et d’agenda, il est devenu inaudible, jusque dans la tempête actuelle.

La contrainte des lois laïques

Le projet fédérateur d’un islam de France représentatif, structuré, inscrit dans la réalité laïque du pays, capable de contrôler ses dérives intégristes, fait donc partie des serpents de mer de la politique française. C’est un vœu pieux qui se dérobe toujours à la réalité, se résume à une longue série d’occasions gâchées. C’est la conséquence lancinante de ces maux congénitaux que sont l’absence de hiérarchie cléricale dans l’islam sunnite, majoritaire en France, et la fragmentation d’une communauté divisée par ses origines nationales, ses sensibilités, l’ego de ses représentants, ses clivages de générations et ses filières de financement.

Il n’y a pas un islam de France, mais presque autant d’islams que de musulmans! Eclatés en une quinzaine de nationalités d’origine (Maghreb, Turquie, Afrique noire, etc) et une multitude de chapelles associatives, placés sous la coupe d’ambassades et de bailleurs de fonds étrangers, réclamant sans cesse le soutien des pouvoirs publics, mais criant à l’ingérence dès la moindre intervention de l’Etat, la responsabilité des musulmans en France dans cet échec est écrasante.

Mais cela ne doit pas disculper les responsables politiques. Au lieu de tout entreprendre pour désolidariser l’islam de ses influences étrangères, ils ont fermé les yeux, au nom d’une laïcité non interventionniste, sur les subventions des pays arabes au culte musulman français. C’est l’Arabie saoudite qui a payé la construction de la grande mosquée de Lyon et le Maroc qui a financé, en partie, celle d’Evry. C’est l’Algérie qui subventionne le fonctionnement de la Grande mosquée de Paris. Ce sont les pays du Golfe qui ont servi de bailleurs de fonds à la première «université» islamique, créée à l’initiative de l’UOIF (Union des organisations islamiques) dans la Nièvre. Ce sont l’Egypte, l’Algérie, la Turquie qui envoient encore leurs imams en France prêcher dans les mosquées, chaque année, durant le mois de ramadan.

Les questions de fond, posées par l’intégration de cette nombreuse communauté, n’ont pas été traitées, encore moins réglées. Aucune des propositions allant dans le sens d’une plus grande transparence, d’un financement public de la formation des imams et des cadres religieux, n’a été suivie d’effet.

Dès les années 1970, le grand orientaliste Jacques Berque proposait de créer des lycées mixtes franco-arabes. Plus tard, des personnalités comme Jean-Pierre Chevènement, ministre de l’Intérieur, comme les professeurs Mohamed Arkoun et Jacques Trocmé, prenaient position en faveur de l’ouverture d’une faculté islamique financée par l’Etat à Strasbourg, en pays concordataire, comme sont financées les facultés catholique et protestante de cette ville. Ministre de l’Intérieur en 2004, Dominique de Villepin proposait aussi, sans succès, la création d’une Fondation chargée de finançer les «œuvres musulmanes». Quant à la question de l’enseignement musulman sous contrat, elle est restée taboue jusqu’à la création, au début des années 2000, du lycée musulman Averroès dans la région lilloise.

Le résultat est qu’au fil des années, profitant des espaces laissés libres par l’absence de dirigeants compétents et consensuels, se sont développées des pratiques de «réislamisation» de jeunes dans les banlieues, puis de radicalisation. Ces pratiques ont favorisé le «repli» identitaire religieux, accru la distance avec les élus locaux, avec les porte-parole officiels et le tissu des associations qui, sur le terrain, luttent entre autres contre la drogue et la délinquance, en faveur du soutien scolaire et familial. Echappant à toute autorité, dans les mosquées et dans les cités, des enclaves ont commencé à se former. Une auto-organisation s’est mise en place, devenue perméable à toutes les infiltrations extrémistes.

 

Repenser l’islam dans une société laïque

Tirant la leçon des échecs passés et des événements de ces derniers jours, le débat sur la structuration d’un islam pluriel, divisé, instrumentalisé, rebondit aujourd’hui. Si la France a réussi à intégrer «des musulmans» –et les exemples de réussite sont légion–, elle n’a jamais réussi à intégrer, ni même à penser l’islam en tant que tel, longtemps perçu comme un phénomène provisoire et étranger. Elle a longtemps cru que l’islam allait disparaître avec l’assimilation de la première génération.

Mais bien avant la vague salafiste et la radicalisation islamiste, le vent avait tourné. En rupture avec la génération des «pères» assimilés, avec un modèle dominant d’intégration culturelle, des jeunes filles auparavant en minijupe avaient commencé dans les années 1980 à porter le voile, à réciter leurs cinq prières quotidiennes, à faire le ramadan. C’est allé dans certains cas jusqu’au port de la burqa, réprimée par une loi de 2010.

Dans la situation nouvelle d’aujourd’hui, quels sont les scénarios disponibles et possibles?

Le premier est un interventionnisme plus direct de l’Etat dans la religion musulmane, en vue de régler des questions qui paraissent insolubles depuis des décennies, mais sont devenues cruciale et touchent à la sécurité même de la communauté et du pays. On le sent dans les coups de menton d’un Manuel Valls: la tentation est grande pour l’Etat de se substituer à un leadership musulman défaillant. Mais peut-on aller jusqu’à créer une forme de «consistoire» musulman, comme l’empereur Napoléon avait créé un consistoire juif et un consistoire protestant, toujours en fonction et qui ont prouvé leur capacité?

Déjà pressé, dans les années 1980, de faire preuve de plus d’autorité dans les affaires de l’islam, Jean-Pierre Chevènement, ministre de l’Intérieur, avait l’habitude de répondre: «Je ne suis pas Napoléon». Il était trop fin connaisseur de l’histoire de la République et des lois laïques pour savoir qu’on ne pouvait pas organiser autoritairement l’islam en France.

Voudrait-on créer aujourd’hui un consistoire musulman qu’on ne le pourrait pas. L’islam est arrivé après 1905 sur le sol français, mais la séparation des cultes et de l’Etat ne permet plus à aucun gouvernement d’administrer directement une religion pourtant devenue, par le nombre de ses fidèles, la deuxième de France et traversée par de graves tensions.

Ministre de l’Intérieur, puis président de la République, Nicolas Sarkozy avait bien tenté de contourner l’obstacle, mais il avait profondément choqué le camp laïque. Il avait proposé d’amender –légèrement– la loi de 1905 pour aider à la construction de lieux de prière décents et pour financer la formation d’enseignants religieux parlant français et intégrés. Pour lui, la France devrait transcender son «culte de la laïcité», rompre avec l’interprétation restrictive des lois de séparation, délimiter un nouvel espace pour la religion en politique. En raison des polémiques qui ont suivi ses discours de Saint-Jean de Latran à Rome en 2007 et de Ryad en 2008, il ne s’est pas obstiné.

Faut-il alors se tourner vers le système «communautariste» qui prévaut en Grande-Bretagne, où l’islam prend en charge sa propre organisation, désigne ses représentants, possède ses écoles privées mais subventionnées, ses agences de l’emploi situées au sein même des mosquées? Cette logique de développement séparé est contraire à toute la tradition française d’intégration depuis deux siècles. Elle ne protège aucunement des montées de fièvre intégriste et crée même des sortes de ghetto.

Faut-il voir l’exemple espagnol: en 1992 à Madrid, un accord passé avec l’Etat garantit aux fidèles de confession musulmane la construction de lieux de culte, la formation de leurs imams, l’enseignement religieux à l’école publique, la reconnaissance des mariages islamiques, la pratique religieuse des militaires, etc.

 

Former des cadres religieux et des aumoniers de prison

Après la tragédie du 7 janvier et le sursaut républicain du 11, traquer les réseaux islamistes, chasser les imams politiques, réprimer le port de la burqa, sanctionner les refus de mixité, à l’école ou à l’hôpital, ne peuvent plus tenir lieu de seule politique. Sans renier l’héritage laïque, une voie de cogestion de l’islam peut être imaginée en France, garantissant l’égalité de traitement des musulmans avec les autres religions, excluant l’assimilation autant que l’insertion communautaire à l’anglaise.

D’abord, faire émerger un mode plus crédible de représentation et de direction de la communauté, dans toutes ses composantes, y compris laïque. Le modèle est celui du Conseil des institutions juives de France (Crif).

Puis il est aussi urgent de faire avancer la question cruciale de la formation des cadres religieux. Celle-ci devait être la clé de voûte d’un islam apaisé, mais les instituts Avicenne de Lille, ceux de l’UOIF près de Château-Chinon (Nièvre) ou de la Mosquée de Paris (dont les étudiants reçoivent aussi des cours de religion et de laïcité à l’Institut catholique) témoignent, hélas, d’une formation qui reste précaire, peu contrôlée, dispersée. Les pouvoirs publics, autant que les associations divisées sur les contenus théologiques, semblent dépassés par les enjeux de formation musulmane.

Enfin, si Manuel Valls et l’ensemble de la classe politique conviennent que la racine du mal se trouve largement dans la concentration de musulmans radicaux en prison, il faudra impérativement renforcer les moyens budgétaires et augmenter la charge et le nombre des aumôniers de prisons. Ceux-ci ne sont qu’environ 150. Ils touchent un maigre pécule et n’ont pas de statut qui les protège socialement. Les contrôles et les enquêtes (légitimes) des préfectures et de l’administration pénitentiaire découragent aussi des vocations.

On ne pourra cependant trouver de meilleur antidote au prosélytisme radical que dans la présence et l’écoute des aumôniers en nombre, éclairés, formés, convaincus de l’importance de leur mission pour lutter contre l’endoctrinement, l’influence de «meneurs» qui prêchent un islam de guerre et de violence. C’est à ce prix que la communauté musulmane pourra guérir de ses démons. Mais, sur ce terrain de la prison comme sur les autres, l’Etat ne pourra pas non plus se dérober à ses responsabilités.

21.01.2015 – 7 h 36 – mis à jour le 21.01.2015 à 7 h 40

Pour en savoir plus : http://www.slate.fr

 

Islam en France : ce que les musulmans veulent changer

Des dignitaires souhaitent faire évoluer l’organisation de l’islam en France. Ils demandent aussi un statut officiel pour les imams et un renforcement de la lutte contre les radicaux.

Bayonne-9Janvier2015

Bayonne (Pyrénées-Atlantiques), le 9 janvier. Plusieurs tags ont été découverts sur le portail d’entrée de la mosquée. Les auteurs de ces inscriptions faisaient référence à l’attentat contre « Charlie Hebdo ».
(Photopqr/« Sud Ouest »/Jean-Daniel Chopin.)

Pour la grande majorité des 5 millions des musulmans de France, c’est une double peine, comme ils disent. Depuis mercredi, ils se sentent salis par des terroristes qui se réclament d’un islam qui n’est pas le leur, mais ils sont aussi devenus la cible de ceux qui les tiennent collectivement pour responsables.

Tags racistes et tête de cochon sur les lieux de culte, explosion dans un kebab… Depuis six jours, plus d’une cinquantaine d’actes islamophobes ont été recensés. Du jamais-vu. La communauté musulmane refuse d’autant plus les amalgames qu’elle souligne l’urgence de réformes en son sein.

Une représentation en phase avec les fidèles.
Depuis 2003, le Conseil français du culte musulman (CFCM), créé sous l’impulsion de Nicolas Sarkozy, ministre de l’Intérieur, est l’instance représentative de l’islam deFrance, notamment auprès de l’Etat. Toutefois, les fédérations qui la composent, proches du Maroc, de l’Algérie ou de la Turquie, n’ont jamais su dépasser leurs divisions. De nombreux fidèles ne se retrouvent pas dans cette institution. Faute d’autorité morale, le CFCM n’est jamais parvenu à légiférer sur des thèmes aussi divers que le halal, le calendrier lunaire ou le statut des imams. « Le CFCM est resté une structure légère. Les fédérations n’ont pas mutualisé leurs moyens et ont vu dans cette institution un simple guichet à travers lequel elles pouvaient dialoguer avec les pouvoirs publics », décrit Mohammed Moussaoui, qui en a été le président de 2008 à 2013. « Il faudrait la présence d’imams dans le bureau exécutif du CFCM, qui est très éloigné du terrain », suggère Ahmed Miktar, président des Imams de France et imam de Villeneuve-d’Asq.

Un statut officiel.Les quelque 2 400 imams en France ont des profils différents. Certains sont salariés de l’association gérant la mosquée et rémunérés très modestement, souvent à temps partiel. « La plupart du temps, ils sont déclarés en tant qu’animateur associatif », décrit l’imam Ahmed Miktar. Environ 15 % sont payés par les Etats marocain, algérien ou turc. D’autres sont entièrement bénévoles, les associations cultuelles n’ayant pas les moyen de leur verser un petit salaire. « Il faut leur donner un statut en terme social, de carrière. « La République leur demande de lutter contre le radicalisme religieux. Du moment que la mission n’est pas d’ordre cultuelle, je ne vois pas pourquoi la société ne pourrait pas financer ce type d’activités », insiste Moussaoui.

Ouvrir les mosquées.« Les musulmans doivent plus ouvrir leurs mosquées, être le plus transparent possible pour que leur message soit clair. Ils se doivent d’être des acteurs de la pédagogie, souligne Moussaoui. Il faut aussi aller vers les autres pour mieux les connaître. Les imams ne sont pas assez formés au catholicisme, et les prêtres ne sont pas formés à l’islam. » Les dignitaires catholiques et musulmans ont multiplié les rencontres ces dernières années. Cependant, le dialogue entre imams et rabbins reste rare. Il y a urgence à construire des ponts.

Lutter contre les radicaux.Les imams sont désemparés face à la montée des extrémistes. « Ils sont eux-mêmes visés nommément par les radicaux sur Internet. Ils le sont ainsi deux fois, par les racistes et les intégristes. Certains ont demandé une protection », explique Ahmed Miktar. A défaut, certains hésitent à condamner ouvertement les extrémistes, car ils craignent des représailles. Ils se sentent aussi impuissants face aux jihadistes qui transitent par les réseaux sociaux. « Il faut une loi pour lutter contre les dérives sur Internet », insiste-t-il. Il peut arriver néanmoins qu’une mosquée serve de tribune à des imams autoproclamés qui prônent la violence. « Il y a une centaine de lieux de culte entre les mains de salafistes en France qui ne sont pas tous radicaux, mais qui tiennent un discours rigoriste et de rupture avec la société », décrit Bernard Godard, ex-spécialiste de l’islam au ministère de l’Intérieur.

Eduquer les adolescents.« Faire en sorte que nos adolescents ne soient pas attirés par les interprétations les plus radicales des piliers de l’islam est capital », répète Azzedine Gaci, recteur de la mosquée Othmane à Villeurbane (Rhône). Les mosquées reçoivent et forment les jeunes de 6 à 13 ans, puis éventuellement à l’âge étudiant. Entre les deux, rien. « A 14 ans, à l’âge où ils ont le plus besoin de nous, nous les abandonnons. C’est là qu’ils se font happer par les forces obscures. » Gaci pointe un manque de moyens humains et financiers pour contrer ce risque. Selon lui, il « faut des éducateurs correctement formés ».

Plus d’aumôniers dans les prisons.Le contact avec le radicalisme extrémiste se joue souvent en prison, où le manque d’aumôniers musulmans est criant. « Il y a dix ans, j’en avais déjà fait part au ministère », s’agace Gaci, alors aumônier à la prison de Villefranche. Seul, dans un établissement de quelque 700 détenus dont plus de 70 % d’origine musulmane : « Comment travailler correctement en n’y passant qu’un jour par semaine ? » Directeur de l’institut Al-Ghazali, qui forme imams et aumôniers à la Grande Mosquée de Paris, Djelloul Seddiki évalue la carence d’aumôniers en centres pénitentiaires à 150 environ : « L’an dernier, 20 seulement ont été recrutés. »

Pour en savoir plus : http://www.leparisien.fr/

Le 4e Forum islamo-chrétien « pour proposer des formes nouvelles de vivre-ensemble »

ForumIslamo-ChrétienLyon2013

Le 4e Forum islamo-chrétien se déroulera les 28, 29 et 30 novembre à Lyon. Dans un contexte national et international particulièrement troublé, qui guidera leurs réflexions, les participants débattront pendant trois jours du mieux vivre-ensemble entre chrétiens et musulmans, mais aussi dans la société tout entière. Ils tenteront d’élaborer des solutions, notamment en réfléchissant à de nouvelles formes d’engagement.

 

La 4e édition du Forum islamo-chrétien (FIC) de Lyon se déroulera du vendredi 28 au dimanche 30 novembre dans la ville des Lumières, une place forte du dialogue interreligieux. Mis sur pied par Azzedine Gaci, le recteur de la mosquée Othmane de Villeurbanne, et Vincent Feroldi, délégué épiscopal au diocèse de Lyon, chargé des relations avec les musulmans, le FIC accueillera comme les années précédentes une cinquantaine de participants, à parité entre chrétiens et musulmans.Côté musulman, Anouar Kbibech, vice-président du Conseil français du culte musulman (CFCM) et président du Rassemblement des musulmans de France (RMF), Amar Lasfar, président de l’Union des organisations islamiques de France (UOIF), Ahmed Jaballah, doyen de l’Institut européen des sciences humaines (IESH) de Paris, Ahmed Miktar, président des Imams de France, seront entre autres présents. Pour les catholiques, Christophe Roucou, directeur du Service des relations avec l’islam (SRI), Jean-Marc Aveline, évêque auxiliaire de Marseille et spécialiste du dialogue interreligieux, Bruno-Marie Duffé, théologien et fondateur la chaire des droits de l’homme à l’Université catholique de Lyon, ou encore des délégués des différentes régions compteront au nombre des participants. Des protestants seront aussi présents, notamment des personnes en responsabilité sur le dialogue interreligieux.

L’actualité à la base des réflexions à venir

Après une édition 2013 centrée autour de la foi des jeunes, ce 4e Forum islamo-chrétien lyonnais est organisé autour de trois axes : « Liberté de conscience, liberté religieuse et prosélytisme », « La violence et le statut de minorité dans nos sociétés », « Le respect de l’autre différent dans un monde pluriel ».« Le forum de cette année a vraiment été commandé par les événements internationaux et nationaux », explique à Saphirnews Vincent Feroldi, co-organisateur du FIC. Une matinée sera consacrée à l’analyse des événements de l’année 2014, et à « toutes les questions que cela pose ». Aussi bien à propos des « événements en Syrie et en Irak, avec l’Etat islamique, de ce qui s’est passé en Algérie au printemps à Ghardaïa, des tensions au sein même de la communauté musulmane, et des tensions entre les différentes communautés ».La question des jeunes Français qui partent combattre en Syrie ou en Irak a aussi retenu l’attention des organisateurs. « On est très marqué par ces jeunes qui partent au jihad », note Vincent Feroldi.« S’ils partent, c’est qu’ils n’ont pas trouvé en France de quoi donner sens à leur vie. Cela interroge. »

 

Azzedine Gaci avec Kamel Kabtane (à g.) et Khaled Bentounès (dr.).

Azzedine Gaci avec Kamel Kabtane (à g.) et Khaled Bentounès (dr.).

Violences de nos sociétés et liberté religieuse au cœur des débats

« La question de la violence qui monte dans nos sociétés » sera particulièrement débattue. La violence semble être devenue ces dernières années « un mode d’expression beaucoup plus prégnant », fait observer Vincent Feroldi. Chez les jeunes, mais pas seulement, elle s’impose aussi de plus en plus en lieu et place du dialogue social (bonnets rouges en Bretagne, barrage de Sivens…). Il s’agira de s’interroger sur l’origine de cette violence, de se demander pourquoi elle est utilisée par certains pour se faire entendre, et aussi de « s’interroger dans nos propres traditions religieuses », en se demandant notamment s’il y a « une violence inhérente ou pas dans les religions ».Les questions de liberté de conscience et de liberté religieuse seront un autre des grands axes de réflexion au cours de ces trois jours de forum. Avec, « en arrière-plan, la question des conversions, dans les deux sens ». Les couples mixtes, les difficultés et les incompréhensions auxquelles ils doivent faire face seront aussi au menu des discussions. Un sujet sur lesquels les responsables religieux des deux communautés ont de plus en plus de demandes, selon Vincent Feroldi, et qui doit les interpeller.

Réfléchir pour innover

Les contextes national et international particulièrement troublé, à la base des réflexions du 4e FIC, doit amener à s’interroger sur ce que « les religieux peuvent apporter comme éléments de réflexion, d’approfondissement, et surtout de propositions pour construire un monde plus serein et où la paix n’est pas une chimère. » « Il faut porter un autre regard sur le monde et sur l’évolution de la démocratie, de la manière de vivre ensemble », affirme Vincent Feroldi.« La montée de l’extrémisme – que l’on observe dans toutes les communautés, il est hors de question de prendre une communauté en bouc émissaire – montre bien qu’il y a un mal-être », estime-t-il. « Analyser ce mal-être pour pouvoir apporter des réponses pertinentes », c’est l’un des enjeux du Forum.« J’ai vraiment la conviction qu’il faut qu’on innove. Il faut trouver de nouveaux modes d’engagement », poursuit Vincent Feroldi. « On ne peut pas se contenter de dénoncer, de dire ce qui ne va pas, il faut proposer des formes nouvelles de vivre-ensemble, dans le respect mutuel », insiste-t-il. « Mais je ne peux pas encore dire lesquelles, c’est ce sur quoi il faut qu’on travaille ! ».

 

Le 4e Forum islamo-chrétien « pour proposer des formes nouvelles de vivre-ensemble »
L’Appel des 110 en arrière-fond
En plus d’avoir été commandé par l’actualité nationale et internationale, le Forum islamo-chrétien de Lyon s’inscrit cette année « dans le prolongement de l’Appel des 110 », formulé à travers le texte Nous nous engageons !, et de « l’extraordinaire dynamique qu’il a insufflé », précise Vincent Feroldi. Lu à l’occasion d’un rassemblement interreligieux tenu à Lyon le 1er octobre, le texte engage des responsables religieux, mais aussi des formateurs, des journalistes, des élus, des artistes à contribuer au mieux-vivre ensemble et à favoriser le dialogue et le respect de l’autre.« L’élément positif a été de découvrir que l’Appel des 110 est devenu aujourd’hui l’appel de 1 400 personnes », se félicite Vincent Feroldi. Surtout, les signataires sont d’« une extrême diversité », souligne-t-il. « C’est l’ensemble de la société française, des gens de toutes les conditions, de toutes les confessions, il y a même des athées » qui se sentent concernés. Autre « fruit » de l’Appel des 110, le lancement de forums régionaux islamo-chrétiens, qui doit en partie répondre à cette volonté des signataires de s’impliquer, et qui sera débattue au cours du 4e FIC.
Pour en savoir plus : http://www.saphirnews.com