Entreprise libérée : dérive symbolique et confusion des genres

Entreprise-liberee-derive-symbolique-et-confusion-des-genres

Les publications sur les entreprises libérées pullulent dans un contexte de réorganisation managériale des entreprises. Le point sur les dérives et confusions.

 

Il aura suffi d’un article de François Geuze « Entreprise libérée, entre imposture et communication » et surtout de la part de son auteur beaucoup de bon sens et le souci des Hommes pour faire passer l’entreprise libérée du statut de vague balayant nos organisations obsolètes, à un concept de « philosophie architecturale » dans un article écrit (en réponse ?) quelque temps après par Isaac Getz « L’entreprise libérée une question de philosophie ».

J’ai toujours considéré l’essai de Getz sur l’entreprise libérée comme une formidable attaque contre le taylorisme avec la particularité de parler d’Hommes et surtout de mettre en avant des PME apportant cette « performance de niveau mondial ». La symbolique est remarquable.

C’est là le grand paradoxe. Même si l’auteur additionne des réussites exemplaires de petites structures, voire de petites structures initiales devenues parfois des géants, son message s’adresse avant tout aux grands groupes. Les PME ne sont pas concernées par les descriptions d’Isaac Getz sur ces entreprises sclérosées par le tout contrôle, les empilements hiérarchiques les additions de procédures jusqu’aux réunions stériles.

Son dernier article paru en juin 2015 sur « Le Monde.fr » participe encore à cette confusion des genres. Il ne s’agit pas ici de l’analogie avec les architectes que les professionnels apprécieront, mais de ce dirigeant bureaucrate responsable de tous les maux de nos entreprises, auquel Getz oppose le dirigeant « libérateur ».

L’image peut paraître belle sauf que le dirigeant bureaucrate n’existe pas, en tout cas pas dans les PME, cible marketing privilégiée des promoteurs de l’entreprise libérée en France. Un entrepreneur bureaucrate disparaîtrait aussi vite que son entreprise serait créée. La seule bureaucratie dans les PME est celle imposée par l’Administration dont tout le monde est d’accord sur l’urgence de s’en libérer.

Par grand groupe, il ne faut pas comprendre une organisation supérieure à 250 personnes, taille à partir de laquelle, toujours suivant Isaac Getz, ne pouvant plus se rappeler du prénom de chacun, nous ne pourrions échanger oralement dans le respect et la confiance. Les contraintes du tout contrôle sont liées avant tout à la culture de ces géants et à leur mode d’organisation.
Les petites filiales des grands groupes ont les mêmes contraintes que leurs maisons mères. Ce n’est donc pas une question de taille, mais de culture. Plus que les paroles du dirigeant, ce sont ses actes vécus au quotidien qui déterminent la réalité de ce qu’est la culture de l’entreprise et de son impact sur les salariés. Peu importe la taille.

Isaac Getz n’est pas le seul à faire une confusion entre la gestion des grands groupes et celle des PME. L’immense majorité de ce que nous pouvons lire en provenance de consultants, experts et professeurs concernant le management fait référence aux modes d’organisations des Géants (si possible Anglo-saxons).

Nous sommes encore confrontés à un beau paradoxe, les salariés dans les PME en France y étant 4 fois plus nombreux, 7 fois si on ajoute les TPE. Serait-ce lié à l’adage :« qui peut le plus peut le moins ? » Encore faudrait-il que la tâche dans une PME y soit plus aisée ce qui est loin d’être prouvé. De toute façon, le débat ne se situe pas à ce niveau-là.

Hommes vs management

Les grands groupes ont abandonné les Hommes au nom du taylorisme ou plus proche de nous dans le temps du management par les process à travers les ERP (enterprise ressource planning) et les modes managériales plus ou moins bien mises en œuvre (cost killing, reegineering, lean…), tout ceci ayant conduit à l’exploit déplorable de mettre l’Homme au service d’un outil.

Ce mode de management et d’organisation, développé dans les années 1990, vendu par les consultants et les intégrateurs offrait l’avantage, quand bien géré, de générer un résultat prévisible en appliquant des standards efficaces, la prévisibilité du résultat d’une entreprise cotée en bourse étant plus importante que sa valeur absolue grâce au niveau de confiance apporté au marché.

La crise, les changements d’habitude de consommation, l’avènement du numérique font que ce mode d’organisation basé sur un budget à tenir ne fonctionne plus. Avant même d’être fini, le budget est déjà obsolète. En imposant à chacun des « meilleures façons de faire » via des procédures, en mettant le focus sur le contrôle des tâches, tuant la créativité et l’initiative, nous avons participé à la déresponsabilisation puis au désengagement des salariés.

Les Hommes dans les PME constituent un levier de performance clé ou dit autrement, les salariés sont source de valeur ajoutée potentielle. N’étant pas tenu par le tout contrôle et le reporting, cela se traduit par une capacité d’engagement plus forte. La responsabilisation, la confiance, le respect sont des atouts essentiels pour obtenir cet engagement supérieur, créer une énergie nouvelle.

Si le management de responsabilisation n’est pas nécessairement présent dans les PME, il leur est facilement et rapidement accessible, car il dépend essentiellement de la volonté du dirigeant, étant accepté par la grande majorité des salariés, surtout quand il s’accompagne de principes tels que le respect et la confiance. C’est non seulement une différenciation essentielle avec les grands groupes, mais surtout l’atout majeur dans la recherche d’agilité des PME.

Libérer les énergies sans exclure

Les fondements de l’entreprise libérée passent par la suppression du management intermédiaire et des fonctions support qui ne « servent à rien » et qui surtout empêcheraient les salariés de s’exprimer. L’autogestion de la libération est-elle le mode d’organisation apportant la meilleure valeur ajoutée des Hommes ?

Il serait intéressant de pouvoir en débattre. La responsabilisation est un acte inclusif. Partir du principe d’exclure une catégorie de salariés génère une contradiction qui au minimum créera un frein important jusqu’au risque de rejet et donc d’échec.

Si effectivement une organisation (petite ou grande) où l’Homme est responsabilisé implique une évolution du rôle du manager, pourquoi remettre en cause son existence dans l’entreprise dans la mesure où comme chaque collaborateur il apporterait sa propre valeur ajoutée, tournée vers la réussite de l’équipe ? Plutôt que de concentrer le potentiel des salariés responsabilisés à chercher comment se passer de leur manager, ne vaut-il pas mieux orienter cette énergie vers l’extérieur, apporter rapidement cette qualité et cette performance qui feront la différence sur le marché et les clients ?

Il n’est pas prouvé que l’autogestion des salariés de l’entreprise libérée offre au marché un meilleur potentiel de valeur qu’une organisation responsable avec un encadrement intermédiaire et des fonctions supports adaptés à cette logique de management. Le nombre de PME en France pratiquant ce management responsable et apportant une performance de niveau mondial est au moins aussi important que les quelques exemples d’entreprises libérées régulièrement cités.

Ce qui est par contre acté par les promoteurs de cette mode c’est qu’il faut beaucoup de temps pour faire évoluer la culture et l’organisation de l’entreprise libérée. Effectivement, la perte d’énergie est considérable. En se focalisant sur la suppression de son encadrement intermédiaire et la recherche d’un nouveau modèle, le dirigeant y concentre l’essentiel du  potentiel d’énergie libérée par l’acte de responsabilisation.

Défaire une organisation, compenser la perte de repère lié à la mise en place de l’autogestion, pour ensuite espérer trouver la solution, on peut comprendre que cela prenne plusieurs années avec des risques d’échec significatifs. Et pour quel gain ? Le lien entre l’autogestion et l’innovation vendu par les promoteurs de la libération n’étant pas démontré (lire : « Entreprises libérées et innovation » sur « Le Cercle Les Echos »), il reste dans cette affaire beaucoup de temps et d’énergies dépensés sur une opération qui risque de se résumer en définitive à un violent cost killing.

La performance des PME : une question d’énergie

Les PME n’ont rien à gagner à copier les grands groupes dans leur réduction de structure. Leur force réside dans leur capacité à libérer rapidement cette énergie nécessaire pour faire la différence.

Responsabiliser implique bien entendu des évolutions d’organisation, des remises en causes à tous les niveaux hiérarchiques de l’entreprise et en premier lieu chez le dirigeant. L’essentiel pourtant n’est pas là. Plus que la puissance de l’énergie libérée c’est sa direction qui importe et comment elle va toucher.

Où et comment diriger cette énergie afin qu’elle permette à l’entreprise de faire la différence dans un environnement devenu structurellement changeant ? Pour quel business model ? C’est à cette question que le dirigeant devra répondre. Nous connaissons déjà une partie de la réponse. Les Hommes y feront la différence.

Par Loïc Le Morlec,

spécialiste en organisation

En savoir plus sur http://www.lesechos.fr

Pour 70% des patrons chrétiens, le fait religieux en entreprise est source de richesse

EDC
Les Entrepreneurs et dirigeants chrétiens ont dévoilé, mercredi 8 avril 2015, leur deuxième baromètre de confiance dans les perspectives économiques. Si les membres sont optimistes pour 2015, ils attendent des réformes du gouvernement sur le cadre législatif et la libéralisation du temps de travail.

Les dirigeants chrétiens attendent des mesures du gouvernement pour relancer l’économie. Comme le révèle le deuxième baromètre* annuel de confiance dans les perspectives économique, réalisé par le mouvement des Entrepreneurs et dirigeants chrétiens (EDC) et dévoilé le mercredi 8 avril 2015, ils aspirent en effet majoritairement à une simplification du cadre législatif des entreprises (82%), une libéralisation du temps de travail (62%) et une sécurisation des entrepreneurs sur le plan fiscal et juridique (59%).

Des demandes qui renvoient à la vision qu’ils ont des évolutions à venir. Ils sont ainsi nombreux à penser que la situation économique ne va pas s’améliorer, qu’il s’agisse de leur secteur professionnel (66%), ou de la France (71%).

Un fort sentiment d’engagement

Pour stimuler leur développement à leur échelle, 8 dirigeants chrétiens sur 10 envisagent de concentrer leurs efforts sur la qualité du management et sur la formation professionnelle. Cette dernière est d’ailleurs considérée par 89% d’entre eux comme un point clé sur lequel les entrepreneurs doivent s’engager pour le développement économique du pays, juste derrière l’emploi des jeunes (95%), et devant celui des seniors (87%).

La quasi-totalité des répondants (99%) ont ainsi conscience de leur rôle dans le progrès de la société et 95% d’entre eux souhaiterait s’y impliquer davantage.

Confiants pour l’avenir

Toutefois, leur moral se révèle globalement au beau fixe. Trois dirigeants chrétiens sur cinq estiment que l’année 2014 a été bonne et que 2015 le sera également. L’indice de confiance grimpe de 4 points par rapport à l’année dernière et atteint 43% sur l’ensemble des répondants.

Des dirigeants favorables au fait religieux en entreprise

Interrogés sur la question du fait religieux en entreprise, les membres du mouvement EDC affirment majoritairement (73%) être rarement ou jamais confrontés au fait religieux dans leur entreprise. Seuls 8% d’entre eux considèrent ce sujet comme un problème dans leur entreprise, et 70% y voient même une source de richesse.

Maëlle Becuwe

Publié le

Pour en savoir plus : http://www.chefdentreprise.com

Ces entreprises sauvées par le multiculturalisme

 MulticulturelLeTemps.ch

La prise en considération des caractéristiques culturelles en emploi est essentielle. Elle a pour vertu de mieux comprendre les défaillances d’une organisation et de dynamiser une entité commerciale donnée.

Au paradis, les Allemands fabriquent les voitures, les Anglais font la police, les Français la cuisine, les Italiens l’amour, et les Suisses s’occupent de l’organisation. En enfer, la police est allemande, les voitures françaises, les Anglais font la cuisine, les Suisses l’amour, le tout organisé par des Italiens. Et si, derrière cette plaisanterie populaire, se cachait une forme de sagesse? Appliquée au monde de l’entreprise, elle rendrait l’environnement de travail parfait, car elle tiendrait compte des spécificités culturelles de chaque individu.

La culture nationale pourrait ainsi avoir une influence sur le management. Selon le psychologue et anthropologue hollandais Geert Hofstede, l’organisation d’une entreprise, sa structure, son rôle, son comportement et son système de valeurs sont, dans une large mesure, des produits culturels de la société au sein de laquelle elle évolue. Ce qui se passe dans une organisation est par conséquent le reflet direct de ce qui se passe dans la société qui l’entoure.

Une stratégie managériale intelligente consisterait donc à prendre en considération les caractéristiques culturelles d’une société, afin d’en faire le meilleur usage possible. L’élément culturel permettrait en outre d’expliquer, dans de nombreux cas, les défaillances d’une organisation, étant précisé que les traits culturels ne sont pas, en soi, défaillants ou performants. Au contraire, ces derniers n’apparaissent comme défaillants qu’en relation avec une activité bien spécifique.

Un exemple emblématique est celui de la compagnie Air Korea, au bord de la faillite dans les années 1980 et 1990, suite à une série de crashs aériens ayant fait plus de 700 victimes. Dans son best-seller Outliers, le journaliste Malcolm Gladwell explique le rôle joué par la culture coréenne dans cette suite de catastrophes aériennes.

A l’instar de beaucoup de pays du Sud-Est asiatique, la Corée méridionale possède des structures et des organisations très hiérarchisées. Ainsi, la langue de ce pays – fortement influencée par le confucianisme qui insiste notamment sur le respect dû aux supérieurs – possède plusieurs niveaux de politesse, rappelant en permanence le rang et le statut de chacun. Des caractéristiques culturelles qui ne feraient pas bon ménage avec le monde de l’aéronautique. En effet, selon Gladwell, rien n’est plus nuisible à la sécurité d’un avion qu’une communication «oblique», faite de sous-entendus.

L’analyse des conversations à l’intérieur des cockpits révèle que les causes des accidents étaient dans la majorité des cas connues des copilotes et auraient pu être évitées, si leur conversation avait été fluide. Dans le cas du vol KAL 801 par exemple, le copilote n’a pas osé demander au pilote, son supérieur hiérarchique, d’annuler la procédure d’atterrissage, alors que l’avion volait trop bas et trop lentement. Il ne s’est permis qu’une allusion vague au danger.

La même déférence a été observée chez l’ingénieur de vol qui, pour signaler le péril imminent, s’est contenté d’une phrase sibylline, dans un contexte régional de pluies particulièrement abondantes: «Capitaine, le radar météorologique nous a jusqu’ici beaucoup aidés.» Ce à quoi le pilote aurait répondu: «Oui, ils sont très utiles.» Gladwell explique que sans l’observation stricte des codes formels, où prédomine le respect du supérieur hiérarchique, l’alerte de l’ingénieur aurait pu ressembler à ça: «Capitaine, les conditions météorologiques ne nous permettent pas d’atterrir à vue ce soir. Le radar météorologique nous signale clairement un danger.»

Même si elle n’entraîne pas la mort de ses salariés, une trop grande distance hiérarchique au sein d’une organisation peut également lui être nuisible. Les structures pyramidales incitent en effet les collaborateurs à dissimuler certains problèmes pour s’attirer les bonnes grâces de leur hiérarchie. Et quand nul n’a le courage de pointer les défauts d’un système par peur de froisser son supérieur, les risques de dysfonctionnements s’accroissent.

Dans le cas de Korean Air, la compagnie est parvenue à améliorer son fonctionnement interne, suite à l’arrivée de David Greenberg. L’ancien dirigeant de Delta Air Lines a «gommé» les différences hiérarchiques en instaurant l’anglais comme langue obligatoire à bord. Les membres de l’équipage ont également suivi des entraînements poussés en matière de communication. Ces restructurations profondes ont fait de Korean Air, aujourd’hui, l’une des compagnies les plus respectées au monde.

Outre une distance hiérarchique trop grande, d’autres spécificités culturelles peuvent entraver la bonne marche d’une entreprise. La discrimination raciale, le respect strict d’un système de castes, la discrimination à l’encontre des femmes ou encore le fait de considérer une tâche comme avilissante, constituent quelques exemples susceptibles d’avoir un impact négatif sur une structure donnée. Ainsi, dans les cultures traditionnelles, où il incombe en premier lieu aux hommes de gagner le pain quotidien, ceux-ci regardent parfois d’un mauvais œil le fait que des femmes soient des collègues ou, pire, des cheffes. Or, refuser l’égalité des chances en matière d’emploi aux femmes et contester la légitimité de leur autorité n’est pas en adéquation avec les besoins actuels des entreprises.

S’agissant du profil des postes, certaines cultures qui rejettent les tâches ou les métiers associés «aux mains sales», ont dû faire face à une pénurie de techniciens, de plombiers et de personnel d’entretien. Le «piège culturaliste» peut cependant être déjoué grâce à une stratégie managériale adaptée, comme le démontre l’exemple de Korean Air.

Quelles sont les spécificités culturelles de la Suisse? D’après Hofstede, le style de management sur le territoire helvétique est globalement consultatif, bien que des variantes soient possibles de part et d’autre de la Sarine. En Suisse alémanique, les rapports hiérarchiques sont par exemple plus égalitaires que dans les cantons romands.

Le journaliste Fabien Dunand, auteur du Modèle suisse, relève par ailleurs qu’aucun «autre Etat au monde ne pratique en même temps la démocratie directe, le fédéralisme, la neutralité, la paix du travail et le compromis systématique». Ces spécificités culturelles ne sont sans doute pas étrangères à la réputation d’excellence – le fameux «Swiss Made» – dont sont auréolées la plupart des entreprises helvétiques.

Amanda Castillo

Pour en savoir plus : http://www.letemps.ch

La résilience, nouveau paradigme individuel et collectif de l’entreprise

diversite_big

Une entreprise résiliente, c’est une entreprise capable de penser individuellement et collectivement un choc et son issue. L’entreprise résiliente produit un modèle mental qui laisse toute sa place à l’échec, au rebond et au risque.

Nous sommes déjà dans une nouvelle ère où les entreprises passent progressivement d’un instinct de protection des savoirs à un processus de création permanente. Ce processus de coproduction ravive toute l’importance des émotions, des échanges et de la confiance dans la création de valeur. Ainsi, la résilience – individuelle ou collective – s’impose comme l’un des nouveaux paradigmes de nos modèles économiques.

D’abord phénomène physique, la résilience désigne l’énergie absorbée par un corps lors d’une déformation. Le concept gagne la sphère psychologique individuelle au tournant de la Seconde Guerre mondiale. Les médecins parlent alors d’une capacité à se régénérer après un choc ou un traumatisme. La résilience, c’est la possibilité de briser les trajectoires négatives, de pallier la vulnérabilité de l’individu face à une expérience traumatique.

Par contagion, la résilience s’entend aussi aux organisations. Elle évoque alors une communauté capable de survivre et de se développer après un choc, une organisation structurée pour s’adapter au changement et conserver sa cohésion et son ouverture au monde.

L’entreprise résiliente

Dans un contexte économique marqué par l’hyperconcurrence, l’apparition et la disparition de segments de marché, l’accélération des technologies et des usages, la résilience permet aux les entreprises de trouver un nouveau souffle. Ces changements externes se doublent d’une modification substantielle des attentes du corps social des entreprises : personnalisation, accessibilité de la direction, autonomie, dématérialisation du lieu de travail…

Ce corps social, et en particulier les plus jeunes, réagit au sentiment d’usure psychologique des collaborateurs exposés à des changements permanents au cœur d’enjeux financiers de plus en plus serrés. Parce qu’elles refusent cette usure, parce que le changement est désormais l’état normal de l’entreprise, les nouvelles générations portent en elles la notion de résilience.

Une entreprise résiliente, c’est une entreprise capable de penser individuellement et collectivement le choc et son issue. L’entreprise résiliente produit un modèle mental qui laisse toute sa place à l’échec, au rebond et au risque. L’empathie, développée par Jérémy Rifkin, y trouve toute sa place : « les consciences changent quand se produisent, conjointement, une révolution de la production d’énergie et une révolution des communications. Quand les deux se combinent, c’est bien tout notre rapport à l’espace et au temps qui change, notre modèle de civilisation. Et notre empathie qui s’élargit ».

Cette nouvelle ère est marquée par le rôle des émotions au sein même de nos organisations. Auparavant contrôlée ou mise à distance, on sait désormais que l’émotion constitue un ressort fondamental de la résilience.

Trouver les facteurs de résilience

La résilience n’est pas une qualité, c’est un résultat adaptatif qui permet à l’entreprise d’être innovante, créative et de continuer à apprendre en permanence. L’agilité constitue l’expression aboutie d’une résilience permanente. C’est un processus à la fois individuel et collectif. La capacité de résilience des entreprises passe par celle des individus, dont les marges psychologiques conscientes demeurent limitées, c’est pourquoi l’entreprise du XXIe ne peut éluder cette question : quel environnement, quel contexte organisationnel favorise le processus individuel de résilience ?

Certains éléments de réponse rencontrent déjà les attentes et la nature des nouvelles générations. La diversité des éléments qui composent le corps social de l’entreprise permet de mieux absorber les chocs. La modularité de l’organisation c’est-à-dire la division en petites cellules autonomes permet également d’éviter que la déstabilisation d’une entité n’entraîne mécaniquement toutes les autres. Enfin, la visibilité rapide de l’impact de nos actions permet à la fois une production de l’estime de soi et la réorientation rapide des stratégies qui ont échoué.

D’autres facteurs de résilience procèdent d’un processus plus long d’évolution culturelle. Face à la nécessité d’être toujours préparé au changement, c’est la qualité du lien avec les autres et avec la réalité qui est déterminante. Au sein de l’entreprise, la qualité du lien entre les individus, l’acceptation de l’autre, le métissage des cultures individuelles sont des ferments d’implication collective et de cohésion.

Plus largement, la qualité de ce lien s’étend à tout l’écosystème de l’entreprise, dans une logique de réseau agile et d’équilibre des satisfactions de tous les partenaires. Pour les chercheurs Gitten et Coll, la capacité adaptative d’une entreprise dépend avant tout de son « capital relationnel ». D’autre part, l’entreprise résiliente établit une nouvelle éthique de sa relation à la réalité. Les évolutions permanentes contraignent les individus à renforcer leur lucidité pour une détection permanente des signaux faibles.

Enfin, le rôle du leader reste déterminant dans les représentations de ses collaborateurs : reconnaissance d’une destruction, dynamique vers la reconstruction et esquisse d’une nouvelle identité. Le leader est à la fois le garant d’une prédisposition au changement et d’une vocation à la continuité et à l’héritage.

La résilience, acte de management suprême

La résilience n’est pas seulement un ensemble de modifications structurantes pour l’entreprise, c’est un changement copernicien de vision. On passe d’une vie où l’on tente de contrôler tous les risques, notamment par l’inflation juridique, à une existence où l’on accepte de reconnaître l’erreur, le risque et l’échec. Dans la première vision, l’individu et les autorités cherchent d’abord à éviter le danger. Dans la seconde, les individus et leurs écosystèmes décident de s’y préparer, d’apprendre à construire des protections et les meilleurs moyens de surmonter les épreuves.

Notre identité n’est pas figée et la résilience réanime le dialogue entre notre identité perçue et l’image véhiculée par les autres. Elle entame un processus d’acceptation et de sublimation de l’image atrophiée de soi. Elle permet de mieux accepter les phénomènes de destruction et de remise en cause permanente. Ce phénomène de sublimation du traumatisme se doit, pour déterminer l’entreprise de demain, d’intervenir à la mesure de chaque individu et de surmonter toutes les vexations et les distorsions d’image. L’acte de résilience, dans une sphère collective, c’est l’acte de management suprême.

Matthieu Fouquet / Secrétaire Général & DRH de GROUPE ONEPOINT
Pour en savoir plus :  http://www.lesechos.fr

Vivre ensemble

diversite_big

A la différence de ce que pensent certains, les débats qui agitent la société ou l’entreprise sont souvent similaires. Il est facile de renvoyer dos à dos ceux qui enjoignent avec prétention aux politiques de gérer un pays ou une collectivité comme une entreprise et les non moins orgueilleux pour qui la politique peut faire fi de quelques règles économiques de bon sens et façonner la création de richesse à leur idéologie.

Le débat sur le « vivre-ensemble » (pléonasme ?) dans notre société en est une nouvelle illustration. Il agite le débat public, même en dehors des périodes électorales, et il concerne tout autant les institutions où les personnes travaillent ensemble. Un des sujets majeurs de préoccupation aujourd’hui dans les entreprises est de chercher à améliorer la coopération entre leurs salariés, en un mot les faire mieux travailler ensemble. C’est dire qu’elles s’interrogent sur la nature même du travail – collectif – dans une institution.

Comme l’a récemment traité la revue des entrepreneurs et dirigeants chrétiens (1), la religion pose aujourd’hui sur les lieux de travail des problèmes qui ne tiennent plus seulement à la vie intérieure des dirigeants ou des salariés. Que dire du thème sempiternel des rapports entre les générations puisque les gourous du management sont aujourd’hui en voie d’imposer le cru de la Génération Z après la Y, imposant ainsi un vrai choc de créativité pour leurs successeurs dans cinq ans… Quant à tous les méfaits du travail, chacun s’accorde enfin à admettre que les méchantes organisations n’en sont pas la seule cause mais que l’état de notre société et le mal-vivre en dehors de l’entreprise pourraient aussi avoir un impact sur ce qui se vit à l’intérieur.

Si la question du vivre-ensemble se pose avec autant d’acuité dans les institutions de travail, c’est sans doute que l’on prend conscience des limites du discours du « à-moi-toute ! ». Il avait pris différentes formes complaisantes comme le salarié « acteur de sa carrière », responsable de son « personal branding », soumis à l’exigence de son développement personnel et du « c’est mon choix », etc.

Sans doute commence-t-on à revenir du vieux rêve selon lequel les structures, les règles et les lois devraient suffire à faire travailler ensemble efficacement, chacun se rendant compte enfin que ce n’est jamais le marteau qui enfonce le clou mais l’opérateur habile à s’en servir. Tout comme les lois nouvelles semblent à nos politiques le seul moyen d’agir et d’exister, la construction de systèmes sophistiqués sans aucune considération pour les personnes a souvent servi d’unique pratique managériale.

Dans un ouvrage récent sur la « Très Grande Entreprise », Olivier Basso (2) distingue très judicieusement les grandes et petites entreprises qui n’ont en commun que le nom. Il décrit ensuite les évolutions de ces dernières décennies qui ont obscurci le sens même de l’entreprise, sa« raison d’être » pour utiliser cette belle expression française qu’empruntent les auteurs anglo-saxons sans la traduire. En prenant de la distance vis-à-vis de tous les raisonnements économiques et financiers dominants, l’auteur s’interroge sur la nécessité de retrouver le sens même du projet collectif qui doit forcément fonder l’entreprise et ce qui s’y vit collectivement.

Il existe quelques lueurs dans cette quête du vivre-ensemble. Le mois dernier, le dirigeant d’une entreprise opérant dans le secteur du numérique ou du digital développait le bouleversement des modèles économiques, des nouveaux comportements de consommation et de travail, à savoir une véritable révolution par rapport au monde ancien. Après cette vision de la virtualité extrême, quelqu’un demanda au dirigeant comment il manageait ses équipes. Sa réponse fut immédiate : il avait institué des rencontres physiques obligatoires pour que les salariés, tout simplement, se rencontrent…

 

Maurice Thévenet,

professeur au Cnam et à l’Essec Business School

16/3/15

Pour en savoir plus : http://www.la-croix.com/

 

(1) Dirigeants chrétiens, mars 2015.

(2) Politique de la Très Grande Entreprise, PUF, 2015.