Temps de travail, salaires, hierarchie, faut-il tout casser ?

Capital

38% des salariés français affirment que leur motivation au travail est en baisse. Ce qui classe les Français parmi les travailleurs les plus démotivés d’Europe ! Des salaires trop bas pour certains, pas assez de temps libre, trop de pression de la hiérarchie pour d’autres, un code du travail trop contraignant… La liste des blocages à l’épanouissement est longue.

Salariés, patrons, entrepreneurs : comment trouver le juste équilibre au travail ? Qui sont ceux qui tentent de réinventer de nouveaux modèles ? À quoi ressemble le bureau du bonheur ?

Libérez mon entreprise ! C’est une petite révolution dans le monde du travail. L’entreprise de demain sera libérée ! Plus de pointeuse, plus de chefs de service… Mieux encore plus de patron. Les maîtres-mots sont confiance et autonomie. À priori, le rêve de tous les salariés. Ce nouveau mode d’organisation boosterait même les performances des entreprises. Ce concept séduit aujourd’hui de plus en plus de PME mais aussi des grands groupes comme Kiabi, Auchan ou Michelin.

L’entreprise libérée est même devenue une marque, synonyme de bien-être pour tous. Mais derrière la belle vitrine ne serait-ce pas que de la poudre aux yeux, juste un argument marketing dont l’objectif serait d’éliminer les postes clés pour réduire la masse salariale et les coûts ?

http://www.6play.fr/m6/capital/11527364-temps-de-travail-salaires-hierarchie-faut-il-tout-casser

J’étais à la CCI de Grenoble lors de la conférence d’Isaac Getz sur l’entreprise libérée, vous me verrez vous faire un clin d’oeil à la minute 20 de l’émission, ne me loupez pas !!!

Marie DAVIENNE – KANNI

Entreprise libérée : dérive symbolique et confusion des genres

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Les publications sur les entreprises libérées pullulent dans un contexte de réorganisation managériale des entreprises. Le point sur les dérives et confusions.

 

Il aura suffi d’un article de François Geuze « Entreprise libérée, entre imposture et communication » et surtout de la part de son auteur beaucoup de bon sens et le souci des Hommes pour faire passer l’entreprise libérée du statut de vague balayant nos organisations obsolètes, à un concept de « philosophie architecturale » dans un article écrit (en réponse ?) quelque temps après par Isaac Getz « L’entreprise libérée une question de philosophie ».

J’ai toujours considéré l’essai de Getz sur l’entreprise libérée comme une formidable attaque contre le taylorisme avec la particularité de parler d’Hommes et surtout de mettre en avant des PME apportant cette « performance de niveau mondial ». La symbolique est remarquable.

C’est là le grand paradoxe. Même si l’auteur additionne des réussites exemplaires de petites structures, voire de petites structures initiales devenues parfois des géants, son message s’adresse avant tout aux grands groupes. Les PME ne sont pas concernées par les descriptions d’Isaac Getz sur ces entreprises sclérosées par le tout contrôle, les empilements hiérarchiques les additions de procédures jusqu’aux réunions stériles.

Son dernier article paru en juin 2015 sur « Le Monde.fr » participe encore à cette confusion des genres. Il ne s’agit pas ici de l’analogie avec les architectes que les professionnels apprécieront, mais de ce dirigeant bureaucrate responsable de tous les maux de nos entreprises, auquel Getz oppose le dirigeant « libérateur ».

L’image peut paraître belle sauf que le dirigeant bureaucrate n’existe pas, en tout cas pas dans les PME, cible marketing privilégiée des promoteurs de l’entreprise libérée en France. Un entrepreneur bureaucrate disparaîtrait aussi vite que son entreprise serait créée. La seule bureaucratie dans les PME est celle imposée par l’Administration dont tout le monde est d’accord sur l’urgence de s’en libérer.

Par grand groupe, il ne faut pas comprendre une organisation supérieure à 250 personnes, taille à partir de laquelle, toujours suivant Isaac Getz, ne pouvant plus se rappeler du prénom de chacun, nous ne pourrions échanger oralement dans le respect et la confiance. Les contraintes du tout contrôle sont liées avant tout à la culture de ces géants et à leur mode d’organisation.
Les petites filiales des grands groupes ont les mêmes contraintes que leurs maisons mères. Ce n’est donc pas une question de taille, mais de culture. Plus que les paroles du dirigeant, ce sont ses actes vécus au quotidien qui déterminent la réalité de ce qu’est la culture de l’entreprise et de son impact sur les salariés. Peu importe la taille.

Isaac Getz n’est pas le seul à faire une confusion entre la gestion des grands groupes et celle des PME. L’immense majorité de ce que nous pouvons lire en provenance de consultants, experts et professeurs concernant le management fait référence aux modes d’organisations des Géants (si possible Anglo-saxons).

Nous sommes encore confrontés à un beau paradoxe, les salariés dans les PME en France y étant 4 fois plus nombreux, 7 fois si on ajoute les TPE. Serait-ce lié à l’adage :« qui peut le plus peut le moins ? » Encore faudrait-il que la tâche dans une PME y soit plus aisée ce qui est loin d’être prouvé. De toute façon, le débat ne se situe pas à ce niveau-là.

Hommes vs management

Les grands groupes ont abandonné les Hommes au nom du taylorisme ou plus proche de nous dans le temps du management par les process à travers les ERP (enterprise ressource planning) et les modes managériales plus ou moins bien mises en œuvre (cost killing, reegineering, lean…), tout ceci ayant conduit à l’exploit déplorable de mettre l’Homme au service d’un outil.

Ce mode de management et d’organisation, développé dans les années 1990, vendu par les consultants et les intégrateurs offrait l’avantage, quand bien géré, de générer un résultat prévisible en appliquant des standards efficaces, la prévisibilité du résultat d’une entreprise cotée en bourse étant plus importante que sa valeur absolue grâce au niveau de confiance apporté au marché.

La crise, les changements d’habitude de consommation, l’avènement du numérique font que ce mode d’organisation basé sur un budget à tenir ne fonctionne plus. Avant même d’être fini, le budget est déjà obsolète. En imposant à chacun des « meilleures façons de faire » via des procédures, en mettant le focus sur le contrôle des tâches, tuant la créativité et l’initiative, nous avons participé à la déresponsabilisation puis au désengagement des salariés.

Les Hommes dans les PME constituent un levier de performance clé ou dit autrement, les salariés sont source de valeur ajoutée potentielle. N’étant pas tenu par le tout contrôle et le reporting, cela se traduit par une capacité d’engagement plus forte. La responsabilisation, la confiance, le respect sont des atouts essentiels pour obtenir cet engagement supérieur, créer une énergie nouvelle.

Si le management de responsabilisation n’est pas nécessairement présent dans les PME, il leur est facilement et rapidement accessible, car il dépend essentiellement de la volonté du dirigeant, étant accepté par la grande majorité des salariés, surtout quand il s’accompagne de principes tels que le respect et la confiance. C’est non seulement une différenciation essentielle avec les grands groupes, mais surtout l’atout majeur dans la recherche d’agilité des PME.

Libérer les énergies sans exclure

Les fondements de l’entreprise libérée passent par la suppression du management intermédiaire et des fonctions support qui ne « servent à rien » et qui surtout empêcheraient les salariés de s’exprimer. L’autogestion de la libération est-elle le mode d’organisation apportant la meilleure valeur ajoutée des Hommes ?

Il serait intéressant de pouvoir en débattre. La responsabilisation est un acte inclusif. Partir du principe d’exclure une catégorie de salariés génère une contradiction qui au minimum créera un frein important jusqu’au risque de rejet et donc d’échec.

Si effectivement une organisation (petite ou grande) où l’Homme est responsabilisé implique une évolution du rôle du manager, pourquoi remettre en cause son existence dans l’entreprise dans la mesure où comme chaque collaborateur il apporterait sa propre valeur ajoutée, tournée vers la réussite de l’équipe ? Plutôt que de concentrer le potentiel des salariés responsabilisés à chercher comment se passer de leur manager, ne vaut-il pas mieux orienter cette énergie vers l’extérieur, apporter rapidement cette qualité et cette performance qui feront la différence sur le marché et les clients ?

Il n’est pas prouvé que l’autogestion des salariés de l’entreprise libérée offre au marché un meilleur potentiel de valeur qu’une organisation responsable avec un encadrement intermédiaire et des fonctions supports adaptés à cette logique de management. Le nombre de PME en France pratiquant ce management responsable et apportant une performance de niveau mondial est au moins aussi important que les quelques exemples d’entreprises libérées régulièrement cités.

Ce qui est par contre acté par les promoteurs de cette mode c’est qu’il faut beaucoup de temps pour faire évoluer la culture et l’organisation de l’entreprise libérée. Effectivement, la perte d’énergie est considérable. En se focalisant sur la suppression de son encadrement intermédiaire et la recherche d’un nouveau modèle, le dirigeant y concentre l’essentiel du  potentiel d’énergie libérée par l’acte de responsabilisation.

Défaire une organisation, compenser la perte de repère lié à la mise en place de l’autogestion, pour ensuite espérer trouver la solution, on peut comprendre que cela prenne plusieurs années avec des risques d’échec significatifs. Et pour quel gain ? Le lien entre l’autogestion et l’innovation vendu par les promoteurs de la libération n’étant pas démontré (lire : « Entreprises libérées et innovation » sur « Le Cercle Les Echos »), il reste dans cette affaire beaucoup de temps et d’énergies dépensés sur une opération qui risque de se résumer en définitive à un violent cost killing.

La performance des PME : une question d’énergie

Les PME n’ont rien à gagner à copier les grands groupes dans leur réduction de structure. Leur force réside dans leur capacité à libérer rapidement cette énergie nécessaire pour faire la différence.

Responsabiliser implique bien entendu des évolutions d’organisation, des remises en causes à tous les niveaux hiérarchiques de l’entreprise et en premier lieu chez le dirigeant. L’essentiel pourtant n’est pas là. Plus que la puissance de l’énergie libérée c’est sa direction qui importe et comment elle va toucher.

Où et comment diriger cette énergie afin qu’elle permette à l’entreprise de faire la différence dans un environnement devenu structurellement changeant ? Pour quel business model ? C’est à cette question que le dirigeant devra répondre. Nous connaissons déjà une partie de la réponse. Les Hommes y feront la différence.

Par Loïc Le Morlec,

spécialiste en organisation

En savoir plus sur http://www.lesechos.fr

L’entreprise
 face au fait religieux

Au-delà d’affaires ultra-médiatisées comme celle de la crèche Baby-Loup, une multitude
de démêlés liés à la religion place de plus en plus les managers dans des positions intenables.

ReligionAuTravail

Le sujet est souvent encore tabou, mais la question du fait religieux en entreprise se pose de plus en plus, exacerbée par un débat sur l’islam très sensible. Les entreprises sont démunies devant les demandes de leurs salariés. Nombreuses sont celles qui s’en tiennent à rédiger des chartes.

Consultante dans un cabinet d’audit des Big Five, Camille est à bout de nerfs. Cette manager doit faire face à un salarié qui refuse de travailler avec elle… pour des raisons religieuses. « Il ne me regarde pas, refuse de me serrer la main, sous prétexte que je suis peut-être impure… C’est devenu un enfer. » Pas encore la trentaine, l’ingénieur en question a aussi fait savoir qu’il « ne pouvait être staffé dans une banque, ni chez un assureur, car l’islam qu’il pratique l’empêche d’aller chez un client qui fait de l’argent ». Pour Camille, ces contraintes sont devenues un vrai casse-tête. Sa direction lui a demandé de ne pas faire de vague, de statuer au cas par cas. « Il n’empêche, poursuit-elle. Dès que nous en aurons l’opportunité, nous nous séparerons de lui. Jamais nous ne mentionnerons clairement le motif, sa pratique religieuse, mais ce sera bien l’unique cause. »

Les difficultés de Camille sont loin d’être isolées. « La religion sur le lieu de travail est un sujet qui agite les DRH, ils sont demandeurs de conseils », reconnaît Jean-Christophe Sciberras, le président de l’association nationale des DRH. Même constat du côté de Marie-José Forrissier. Elle dirige l’institut Sociovision et confirme : « Le problème est vraiment en train de prendre une nouvelle dimension dans les entreprises ; il est de plus en plus cité dans nos enquêtes. » Mais la façon de s’en préoccuper est sensible, selon elle, pour « 82 % des sondés, la religion soit rester une affaire privée ».

Aussi, la réponse la plus courante qu’apportent les directions est la rédaction d’un manuel afin de donner des indications aux managers. La CFDT et plusieurs fédérations professionnelles travaillent elles aussi sur l’élaboration de guides pour leurs adhérents. A l’instar de celui réalisé par l’Alliance du Commerce, réunion de la fédération des enseignes de la chaussure, de l’habillement et l’union du grand commerce de centre-ville. Sur près de 25 pages, ce texte fournit des solutions à des questions du type : peut-on refuser à un salarié de se vêtir comme il le souhaite pour des convictions religieuses ? un salarié peut-il effectuer sa prière sur son lieu de travail ? etc.

Lorsque le sujet se fait plus conflictuel, les directions ont encore très souvent tendance à le mettre sous le tapis. Et ceux qui acceptent d’en parler le font anonymement, même lorsqu’ils sont salariés protégés. « Nous avons fait remonter des difficultés dans les services de maintenance, raconte cette syndicaliste Air France. Dans les équipes au sol, les relations hommes-femmes se sont beaucoup dégradées. Par exemple, les gars qui préparent l’avion ne veulent pas serrer la main d’une femme pilote. Ils lui envoient un bonjour du bout des lèvres pour éviter de se faire virer, mais se débrouillent pour ne pas communiquer avec elle, ce qui est dangereux, car ces transmissions orales sont essentielles pour la bonne sécurité d’un vol. » Alertée, la direction n’a pas réagi. En attendant, assure cette représentante du personnel, « dans ces services, les femmes ne veulent plus aller travailler. On sait que ces équipes se radicalisent, mais personne ne bouge ».

Sans faire de publicité, des entreprises ont décidé de céder à certaines demandes, plus par pragmatisme que par idéologie. Chez les constructeurs automobiles, alors qu’il n’y a aucune obligation légale à installer des lieux de culte dans l’entreprise, des salles de prières sont apparues dès les années 1990 à proximité des lignes de montages. « Nous avions une forte population d’origine maghrébine, c’était ça ou on ne fabriquait pas de voitures le vendredi », se souvient un membre de la direction de Renault. Responsable administrative d’une PME de la banlieue lyonnaise travaillant dans la construction, Marie-Laure constate, elle aussi, une augmentation des demandes de télétravail ou des arrêts maladies au moment du ramadan ou de shabbat. Elle a pour habitude de fermer les yeux, et d’accepter ces congés. « Pour éviter les histoires », lâche-t-elle. « Pour l’heure, c’est plutôt bien admis par les autres salariés. Mais je m’attends à ce qu’un employé athée à qui je refuse un jour un congé me tombe dessus et se sente discriminé », confie la quinquagénaire.

A la tête de O2, spécialisée dans les services à la personne, Guillaume Richard note que « le jeûne est beaucoup plus suivi qu’il y a cinq ans ». Et le chef d’entreprise de regretter que le droit du travail ne soit pas plus souple en la matière, pour lui permettre notamment de mieux moduler l’organisation du travail. « Je serai favorable à ce que l’on revoit les jours fériés par exemple. Non pas pour qu’il y en ait moins, mais pour qu’ils ne soient plus adossés à des fêtes uniquement catholiques. Je trouverais bien que l’on ait des jours pour fait religieux, que chacun placerait dans l’année en fonction de sa confession. »

Certaines conventions collectives ne mériteraient-elles pas d’être revues afin de mieux prendre en compte la pluralité religieuse ? Exemple : la convention collective de la bijouterie offre aux salariés des jours pour la communion de leurs enfants. Quid de ceux qui font leur Bar Mitzvah ? Ils ont vite fait de se sentir lésés…

Chez Paprec Group, en février, la direction a pris le problème par un autre prisme, et adopté une charte de la laïcité. Histoire de mettre tout le monde au même niveau et de sortir la religion de l’entreprise, par « devoir de neutralité ». Adopté par un vote à l’unanimité des 4 000 salariés, ce texte a reçu le grand prix national de la laïcité à la Mairie de Paris en octobre. Seul hic, ce parti pris est très contestable juridiquement. Jean-Luc Petithuguenin, le PDG, en a bien conscience. « En l’absence de toute jurisprudence, le juge peut décider que l’entreprise a été un peu excessive », assurait-il au moment de son adoption. Une position risquée au regard des textes européens qui font de la liberté religieuse et de la possibilité de l’exercer un droit quasi sacré.

Par Fanny Guinochet, Journaliste

Pour en savoir plus : www.lopinion.fr