Education : le long chemin de l’école musulmane

Encore très peu nombreux, ces établissements ont le vent en poupe. Ils rassurent une communauté en quête d’affirmation identitaire mais aussi de bons résultats scolaires. L’Etat doit-il les prendre dans son giron pour mieux les contrôler ?

Ecole-musulmane

Ouvert depuis 2009, le collège-lycée Ibn-Khaldoun, à Marseille, espère passer sous contrat à la rentrée. Ici, une classe de cinquième. France Keyser/Myop pour L’Express

Le silence règne dans la vaste salle ripolinée de blanc où l’odeur de peinture est encore prégnante. Les étagères parsemées de livres aux couvertures plastifiées sont prêtes à accueillir les ouvrages que le documentaliste déballe des cartons. « Ça commence à bien se remplir », se réjouit-il à voix basse, pour ne pas déranger la jeune fille qui révise ses leçons dans un coin de la salle.

« Ce qui marche le mieux, ce sont les mangas et la science-fiction. Mais nous avons aussi des livres sur l’islam et des contes en arabe d’un niveau accessible. » A l’heure du déjeuner, dans cet établissement privé musulman des quartiers nord de Marseille, les élèves se précipitent pour emprunter ou dévorer sur place les livres mis à leur disposition.

Embauché à mi-temps en septembre, le responsable du centre de documentation et d’information (CDI) constitue petit à petit une bibliothèque où se côtoient littératures contemporaine et classique. « Je ne m’interdis rien, même si certains parents ont été un peu choqués par L’Attrape-coeurs ou L’Herbe bleue. »

Orchestrée dans l’urgence, en deux mois, pendant l’été 2014, la création du CDI a été exigée par le rectorat, dans la foulée de son inspection. Supprimer l’issue de secours de la mosquée donnant sur le réfectoire, installer un point d’eau dans le laboratoire, réunir le conseil d’établissement trois fois par an et réorganiser l’emploi du temps en plaçant les cours optionnels – éducation musulmane – en début ou fin de journée…

Mohsen Ngazou, le directeur d’Ibn-Khaldoun, a appliqué ces recommandations à la lettre. Ces jours-ci, il attend avec fébrilité le verdict du ministère. Il espère décrocher enfin le fameux contrat. Une reconnaissance du travail accompli depuis 2009 et une bouffée d’oxygène pour le compte en banque d’Ibn-Khaldoun, dont une partie des professeurs seraient, dès lors, payés par l’Etat. Les pieds dans la glaise, il arpente avec enthousiasme le chantier inachevé de l’établissement et rêve aux futurs bâtiments, qui pourraient accueillir, à terme, près de 500 élèves.

7600 institutions catholiques et 250 écoles juives

S’il obtient le contrat d’association, Ibn-Khaldoun sera le quatrième établissement musulman de France à bénéficier du soutien de l’Etat. Un score sans comparaison avec les 7600 institutions catholiques et les 250 écoles juives. Pour être placé « sous contrat », un établissement doit se prévaloir d’une ancienneté de cinq ans et être jugé conforme par le rectorat. Il existerait actuellement en France une petite quarantaine d’écoles musulmanes et une cinquantaine en projet, dont une dizaine ouvriront dans deux ou trois ans.

A l’oeuvre depuis une dizaine d’années pour sortir l’enseignement musulman de la marginalité, l’Union des organisations islamiques de France (UOIF) passe aujourd’hui à la vitesse supérieure. Création de la Fédération nationale de l’enseignement privé musulman (Fnem), lancement de formations, organisation, le 23 mai, des premières assises.

Faute de moyens, l'établissement marseillais n'est pas certain de pouvoir terminer ses travaux prochainement.
Faute de moyens, l’établissement marseillais n’est pas certain de pouvoir terminer ses travaux prochainement. France Keyser/Myop pour L’Express

« Nous souhaitons mutualiser nos expériences et accompagner les initiateurs de projets pour faciliter leurs démarches », expose Makhlouf Mamèche, qui cumule la présidence de la Fnem avec ses responsabilités de viceprésident de l’UOIF et de directeur adjoint du lycée Averroès (Nord). Pour Amar Lasfar, président de l’UOIF, après la focalisation sur la construction des mosquées, « l’ère de l’école est venue ». Plusieurs cadres de l’UOIF se trouvent aujourd’hui à la tête d’écoles musulmanes.

La tentation du privé

Au cours des deux dernières années, de nombreuses initiatives locales ont fleuri, à Carpentras, Nanterre, Toulouse, Halluin, Argenteuil, Nice ou Toulon, encouragées par une communauté inquiète et soucieuse de donner le meilleur à ses enfants. « Longtemps, les musulmans ont préféré fréquenter l’école publique, pour être dans la République. Les imams eux-mêmes les y encourageaient, analyse Bernard Godard, spécialiste de l’islam et auteur de La Question musulmane en France (1). Aujourd’hui, les aspirations de la classe moyenne ont évolué. »

La loi du 15 mars 2004 sur le port de signes manifestant ostensiblement une appartenance religieuse, puis la défiance générale à l’égard de l’école ont gonflé les départs des enfants de la communauté musulmane vers le privé. A Marseille, dans certains établissements catholiques, ils représenteraient 50% des effectifs. La demande d’ouverture d’écoles confessionnelles se fait plus pressante. Les polémiques sur l' »ABCD de l’égalité », l’an dernier, et les surenchères récentes du FN et de Nicolas Sarkozy sur la laïcité ou les « repas de substitution » font monter la tension d’un cran.

A Nanterre, l’association Orientation, qui ouvrira à la rentrée la première école musulmane des Hauts-de-Seine, a reçu 50 demandes d’inscription pour 20 places disponibles. A Grenoble, à la Plume, l’une des premières écoles élémentaires privées de confession musulmane, apparue en France il y a quatorze ans, la directrice a refusé 60 dossiers pour la rentrée de 2015. A Averroès, le célèbre établissement lillois, classé meilleur lycée de France en 2013 avec 100% de réussite au bac, les inscriptions sont closes depuis décembre.

Dans son bureau donnant sur le parking du RER, entre deux vrombissements de train, Mahmoud Awad, président du collège-lycée Education et savoir, situé à Vitry-sur-Seine (Val-de-Marne) et créé en 2008, se confie. Lui aussi attend avec impatience, pour ces jours-ci, la réponse du rectorat à sa demande de passage sous contrat. Surtout pour soulager la situation financière ultratendue de l’association.

« Une équipe d’inspecteurs de l’Education nationale a passé deux jours chez nous l’an dernier et elle est revenue cette année. Comme demandé, nous avons loué une salle supplémentaire pour le réfectoire, afin d’y faire déjeuner nos 117 élèves », rapporte, dans un soupir, cet ingénieur, délégué régional de l’UOIF, en désignant le tableau de financement de l’établissement affiché sur le mur.

Leurs cartes maîtresses : élitisme et excellence

Visage ouvert et attitude bon enfant, les élèves de seconde de ce lycée, réquisitionnés par la direction pour répondre à nos questions, expriment leur satisfaction. Sonia (2), 17 ans, se destine aux études de médecine : « J’aurais pu aller chez les cathos. Mais ici, à 13 par classe, on apprend vraiment bien. En prime, on peut faire nos prières. » Sidi (2) fréquente Education et savoir depuis la classe de sixième et supporte une heure de trajet pour venir jusqu’à Vitry : « Plusieurs amis m’en avaient parlé. J’ai essayé et je n’ai plus voulu changer. Les profs nous encouragent beaucoup. Et ils nous apportent une aide individuelle. On peut même leur envoyer des e-mails. »

Amelle Bekri enseigne le français à Vitry depuis deux ans à raison de dix-sept heures par semaine. Cette jeune femme, qui porte le voile, suit scrupuleusement le programme de l’Education nationale. « Les enfants bénéficient d’un soutien scolaire en maths et en français, précise-t-elle. Les résultats sont excellents. Bon nombre de nos anciens élèves sont aujourd’hui dans des grandes écoles. »

Comme Ibn-Khaldoun ou Education et savoir, les établissements désireux de passer au plus vite sous contrat évitent de trop mettre en avant les salles de prière à la disposition des élèves ou les cours d’éthique musulmane. Lesquels, généralement optionnels, sont cependant la plupart du temps suivis avec assiduité. Vis-à-vis de l’Etat comme des parents, ces écoles brandissent une carte maîtresse : élitisme et excellence. Mais… la recette ne fonctionne pas si facilement.

A Décines, dans la banlieue lyonnaise, le groupe scolaire Al Kindi, devenu le plus grand établissement musulman de France, a longuement bataillé avec le rectorat, il y a quelques années, lorsque celui-ci s’est opposé à trois reprises à son ouverture, invoquant des raisons d’hygiène et de sécurité. Perçue comme une croisade anti-islam, l’opposition du recteur de l’époque, Alain Morvan, avait mobilisé la communauté musulmane. Si la médiatisation du conflit a finalement levé les obstacles, Al Kindi n’a toujours pas obtenu la possibilité de passer toutes ses classes sous contrat.

A Montigny-le-Bretonneux, dans les Yvelines, Slimane Bousanna peine, lui aussi, à décrocher le contrat d’association. « Je comprends que l’émergence de ces écoles puisse crisper. Mais, contrairement à d’autres, nous ne sommes pas l’émanation d’une mosquée. De plus, nous avons fait revenir sur les bancs de l’école des enfants scola risés à la maison ! »

A Halluin (Nord), à la même adresse que la mosquée, un projet d’école élémentaire qui prévoit d’accueillir 110 élèves suscite l’inquiétude du maire, Gustave Dassonville (UMP). Pour l’heure, l’élu refuse de délivrer une autorisation d’ouverture, signalant l’absence de cour de récréation et de signa létique pour les sanitaires. Un prétexte ? « C’est un dossier complexe qui pourrait devenir explosif si l’on n’y prend pas garde », s’alarme-t-il. Lors des journées portes ouvertes, l’école aurait recueilli près de 90 inscriptions. « Mais la plupart ne viennent pas d’Halluin et 95% des habitants sont vent debout contre ce projet », assure le premier magistrat de la ville, qui craint, sans en avoir la preuve, un entrisme de l’islam radical.

L’origine des fonds suscite la méfiance

« Il existe une forme de suspicion à l’égard des établissements musulmans, constate l’ancien recteur Bernard Toulemonde. Mais ceux qui demandent à passer sous contrat ne sont pas tenus par des salafistes ! » « L’attitude de certaines écoles nous cause du tort », reconnaît le président de la Fnem, offusqué, par exemple, qu’à l’école primaire Hanned, à Argenteuil, les petites filles portent le foulard. « A Roubaix, à l’école Arc-en-ciel, ils ont refusé de nous recevoir car nous sommes des hommes », explique-t-il encore.

Autre sujet qui suscite la méfiance : l’origine des fonds. Officiellement, ils proviennent uniquement de collectes dans les mosquées ou de dons. Mais l’opacité due à l’anonymat – justifié au nom du Coran – ne permet pas de vérifier si les écoles ne sont pas en partie financées par des pays étrangers.

En cet après-midi ensoleillé d’avril, Mme S., professeur de français au collège Ibn-Khaldoun, a tiré les rideaux pour passer des diapositives. Après avoir travaillé dans un établissement privé de confession juive, cette jeune femme en jean enseigne ici depuis deux ans. Au programme de ce lundi, pour cette classe de seconde, l’étude des figures de style. Anaphore, litote, gradation, hyperbole… chacune est illustrée par une photo projetée sur le mur. Assis côte à côte, les jeunes filles (voilées ou pas) et les garçons tentent de trouver les définitions correspondantes.

La classe est calme, les élèves chuchotent pour communiquer entre eux. L’ambiance est studieuse. Lorsque apparaît, seins nus, le personnage principal du tableau d’Eugène Delacroix La Liberté guidant le peuple, la classe ne moufte pas. Ailleurs, l’image aurait immanquablement provoqué quelques ricanements, travers d’adolescents en pleine puberté. « La rigueur et la discipline sont les marques de fabrique d’Ibn-Khaldoun, relève Abdallah Tizeggaghin, père d’un garçon en classe de seconde. En plus d’assurer la scolarité, on y forme de bons citoyens qui connaîtront leur culture d’origine. Des enfants qui ne seront pas récupérés par des manipulateurs », assure-t-il.

L’accusation de communautarisme menace

Quête de sécurité ou repli identitaire ? Selon le chercheur Samir Amghar, coordonnateur d’une étude sur l’enseignement musulman (3), l’ambition de l’UOIF relève du prosélytisme : le mouvement souhaite « mettre en oeuvre les moyens en vue de faire perdurer l’identité religieuse dans les communautés immigrées musulmanes ». D’après cette enquête, l’objectif de ces écoles est aussi de former une élite susceptible de fournir des cadres à la communauté musulmane. D’où une sélection drastique fondée sur les résultats scolaires et le comportement.

La polémique qui, en début d’année, a ébranlé le lycée Averroès, mis en accusation par un professeur de philosophie stigmatisant des dérives antisémites de certains élèves, a souligné les lignes de faille d’un modèle encore fragile. « Il faut clarifier la place du religieux dans l’établissement », exigent les inspecteurs de l’Education nationale qui n’ont pas trouvé d’autres reproches à formuler à l’issue de leur mission effectuée en février. « Nous allons réactiver le conseil pédagogique, mettre en place plusieurs instances, comme une commission ‘Vie citoyenne’ et une cellule de veille », détaille le directeur d’Averroès, Hassan Oufker.

Le travail déjà entamé a permis de faire remonter des informations utiles : « Nous avons appris que certains professeurs félicitaient les élèves en arabe sur leur copie ou acceptaient de séparer les filles et les garçons lorsque ceux-ci en faisaient la demande. Or c’est totalement étranger à nos principes », assure-t-il, reconnaissant tout de même que la mixité n’est pas pratiquée lors des cours de gymnastique.

Faut-il donc encourager l’essor des écoles musulmanes ? Le cabinet de Najat Vallaud-Belkacem s’interroge. Passer un contrat avec les établissements est clairement la meilleure façon de contrôler leur fonctionnement. Mais l’accusation de communautarisme menace et n’épargne pas une ministre souvent attaquée sur ses origines par les extrémistes. A l’heure où la République peine à panser ses plaies de l’après-Charlie, le gouvernement marche sur une ligne de crête. D’autant que, au sein du PS, le sujet fait des vagues. Alors, tandis qu’ils attendent la décision du ministère concernant leur passage ou non sous contrat, les dirigeants des écoles musulmanes n’ont d’autre solution que de multiplier les collectes auprès des mosquées et des mystérieux bienfaiteurs anonymes.

De la gauche à la droite, l’embarras

« C’est la seule communauté qui ne soit pas représentée à sa juste valeur »: Samia Ghali, sénatrice socialiste des Bouches-du-Rhône, est à fond pour le développement des écoles privées musulmanes. « Plus on frustre les gens, plus on encourage la radicalité », avance-t-elle.

Au PS, le sujet est explosif. Les divergences sont apparues lors d’un communiqué de presse du secrétaire national à la laïcité et aux institutions, publié en février et prenant position en faveur du développement d’écoles musulmanes. Plusieurs membres de cette commission se sont aussitôt désolidarisés du secrétaire national : encourager ces écoles constituerait un coup de canif au principe de laïcité.

Lors d’un bureau national, le 21 avril, la question de l’enseignement confessionnel musulman a été soigneusement évitée afin de refermer le couvercle sur les dissensions. A l’UMP, en attendant la journée de réflexion consacrée à l’islam au mois de juin, on se tient à un silence prudent. Pas question, surtout, de rappeler cette phrase récente de Nicolas Sarkozy sur TF 1 : « Si vous voulez que vos enfants aient des habitudes alimentaires confessionnelles, allez dans un établissement privé. »

(1) La Question musulmane en France, par Bernard Godard (éd. Fayard).

(2) Les prénoms ont été modifiés pour préserver l’anonymat.

 (3) « L’enseignement de l’islam dans les écoles coraniques, les institutions de formation islamique et les écoles privées », IISMM-EHESS, juillet 2010.

Pour en savoir plus : http://www.lexpress.fr

Le Québec ou la diversité au quotidien

Montréal

Partie pour une semaine à Montréal au Québec, pour un séminaire universitaire « Entreprise et Religions », voici quelques réflexion à battons rompus sur ce pays multiculturel.

Arrivés avec 6 heures de décalage, il nous faut aussi faire avec le décalage culturel. Ici à Montréal, tout est grand, large, haut. Les voitures, les rues, les building, les avenues, la chambre de l’hôtel, le lit.

Comparés à nos villes, notre espace nous paraît tout petit, racrapoté.
Dans les rues, se côtoient toutes les couleurs de peau, les religions, les modes. La visite des deux musées qui racontent l’histoire de la ville vient expliquer ces cultures qui co-existent dans Montréal.

Histoire de l’immigration à Montréal

Présence des indiens (550 ethnies) depuis des milliers d’années, le pays est découvert par les français qui vont et viennent sur ces terres hostiles. Au début du XVIe siècle, les Français entreprennent la colonisation du Québec. Ils s’installent sur les berges du fleuve Saint-Laurent. Grâce aux Filles du Roy – de jeunes Françaises, pour la plupart orphelines et qui ont quitté leur mère patrie pour participer à la colonisation – la population du Québec s’accroît.

Les Français, qui croient conquérir un territoire inoccupé, font vite face à des nations autochtones déjà établies depuis des milliers d’années. Très tôt, des relations s’établissent entre eux.

Aujourd’hui, le Québec compte 56 communautés autochtones, soit 81 864 Autochtones, dont 71 840 Amérindiens et 10 024 Inuits. Les dix nations amérindiennes et la nation inuite représentent environ 1 % de la population du Québec. En 1985, le gouvernement du Québec a été le premier gouvernement du Canada à reconnaître les nations autochtones.

Vagues migratoires

Dès le XIXsiècle, le Québec connaît plusieurs vagues migratoires, principalement d’Angleterre, d’Écosse et d’Irlande. Les loyalistes, colons américains fidèles à l’Angleterre, figurent parmi les premiers immigrants; ils ont quitté les treize colonies de l’Atlantique avant l’indépendance américaine. Au tournant du XXsiècle, les immigrants proviennent essentiellement d’Europe. Le recensement de 1911 dénombre, outre les Irlandais, environ 8 000 personnes originaires d’Allemagne.

Les années 1920 voient aussi arriver des personnes originaires de pays de l’Europe de l’Est. En 1931, la communauté juive compte déjà 60 000 membres au Québec, alors que l’on dénombre près de 25 000 personnes d’origine italienne, 10 000 personnes d’origine portugaise ainsi que 1 000 personnes d’origine allemande.

La Seconde Guerre mondiale engendre un nouveau mouvement migratoire vers l’Amérique. Le portrait démographique du Québec change.

Diversification de l’immigration

Depuis 1970, l’immigration au Québec s’est grandement diversifiée. Elle est aujourd’hui constituée de plus d’une centaine de communautés culturelles. Le contact avec ces nouveaux citoyens a insufflé un nouveau dynamisme à la société québécoise. Ils lui ont apporté une richesse culturelle, sociale, économique, scientifique et technologique.

Séminaire « Entreprise et Religion »

Deux jours de conférences-débats au sein de l’Université de Sherbrooke à Montréal.
Nous avons appris ce qu’étaient la politique des « accommodements raisonnables ». Son fondement : le droit à l’égalité. Pour qu’il y ait accommodement raisonnable dans une entreprise, il faut qu’il y ait une discrimination. Cette politique est parti de la discrimination des personnes handicapées.

L’entreprise et le salarié doivent faire des efforts sincères et sérieux pour trouver un terrain d’entente adapté à leurs besoins. Cette politique oblige les entreprises et les salariés à réfléchir ensemble. Elle pousse à la responsabilité de chacun pour le « travailler-ensemble ».

Concernant la question de le neutralité de l’Etat au Québec : elle est vérifiable dans l’action du fonctionnaire, pas dans ses vêtements. Il est donc possible (comme nous l’avons vérifié de nos yeux) que des policiers portent un pantalon « coloré » sans que cela ne pose problème.

Le dialogue interreligieux en entreprise comme pratique du management interculturel : il est important de réfléchir à la problématique de la vérité. Est-ce que je possède toute la vérité ? Ma vérité est-elle absolue ?

Dans un souci de dialogue en entreprise, il faudrait reprendre le fait que la vérité m’échappe inexorablement.

Réfléchir aux perceptions et préjugés que l’on peut avoir. Prendre conscience de mes perceptions à tout instant, suspendre mon jugement et vérifier mes préjugés. Pour cela, entrer en relation avec l’autre et approfondir mes compétences interculturelles.

Saisir l’importance de l’égalité fondamentale de chaque personne : reconnaître l’Autre et croire qu’il est possible d’apprendre de l’Autre, d’apprendre de chaque culture et de chaque religion.

Travailler avec des collègues de différentes cultures et religions suppose de gérer des compromis et des consensus : vouloir les atteindre à travers le bilan des points communs et des différences, savoir distinguer les conflits, les dilemmes et les crises ethniques ainsi que leurs sources.

Par mes actions, inactions, paroles et silences, je dis le monde dans lequel je voudrais vivre.

La seconde journée été tournée sous le signe de la spiritualité, dans un soucis d’aide au bien-être de chacun, pour une entreprise plus juste, pour un monde plus juste.

Interview de l’architecte Pierre Thibault. Son idée : « Créer de la beauté là où il n’y en a pas ! »

Il vient d’une grande famille où il a apprit l’essentiel de la vie, la responsabilité, le sens du partage. « Quand on a peu de choses, on est heureux ! »

Pour lui, tout est possible, il faut s’organise pour ! Sa question : créer de la poésie avec des contraintes, voir les opportunités, être à l’écoute des autres et de soi-même, évacuer les énergies négatives.

Deuxième intervention : Marie-Josée Legris, dirigeante de l’entreprise Brisson-Legris.

Ca sert à quoi de faire de la croissance si les gens sont malheureux ?

Elle mesure la réussite de son entreprise à son chiffre d’affaire, bien sûr, mais aussi au niveau de rires dans la salle de restauration, à midi !

Selon elle, il y a 3 qualités pour un patron : le courage, l’humilité et l’amour pour son travail et pour les employés, les clients.

Question du groupe : jusqu’où une entreprise, un chef d’entreprise peut amener les salariés en dehors de ce pourquoi ils sont là ?

Sa réponse : pour travailler ensemble, faire ensemble, il faut aussi faire ensemble en dehors de l’entreprise (temps de convivialité,…).

Nous avons évoquer un livre sur les accords Toltèques que voici :

1. Que votre parole soit impeccable : Parlez avec intégrité, ne dites que ce que vous pensez. N’utilisez pas la parole contre vous ni pour médire d’autrui. 

2. N’en faites jamais une affaire personnelle : Ce que les autres disent et font n’est qu’une projection de leur propre réalité. Lorsque vous êtes immunisé contre cela, vous n’êtes plus victime de souffrances inutiles. 

3. Ne faites aucune supposition : Ayez le courage de poser des questions et d’exprimer vos vrais désirs. Communiquez clairement avec les autres pour éviter tristesse, malentendus et drames.

4. Faites toujours de votre mieux : Votre “mieux” change d’instant en instant. Quelles que soient les circonstances, faites simplement de votre mieux et vous éviterez de vous juger.

Nous avons réfléchit à l’individu au travail : « Je ne veux pas être saucissonné, je veux être unifié ! »

 

Charles Baron nous a aidé à comprendre que le développement de la conscience est nécessaire pour assurer un leadership dans l’innovation et l’épanouissement collectif. En effet, nous sentons une perte de sens troublante au travail. Le schéma proposé depuis les Lumières était celui d’une préséance de la science comme explication du monde, l’expérience et le développement humain étant réservé à la religion.

Aujourd’hui, nous nous apercevons que ce paradigme est dépassé, qu’il ne fait plus sens.

 

A SUIVRE TRES PROCHAINEMENT…

Marie DAVIENNE – KANNI

Publié le 18 Mai 2015 à 16 h 30 à Montréal – Québec

Lettre ouverte à Mme Blain et aux phobiques du voile

AFFAIRE-DIANE-BLAIN

Le Québec a-t-il si peur de perdre son identité qu’il exige de ses immigrants une soumission immédiate, une allégeance rigoriste à ses valeurs? Faut-il que ses habitants manquent à ce point de confiance en leur Province pour renier les principes les plus élémentaires d’une démocratie occidentale (la tolérance, la raison et la mesure) ? La désormais célèbre affaire Diane Blain illustre ce malaise qui traverse la société québécoise depuis plusieurs années. Un malaise qu’il faut comprendre, mais aussi apaiser.

« Ton voile, il heurte mes valeurs »

Retour rapide sur les faits, tels qu’ils ont été rapportés par la principale intéressée sur la radio 98,5 dans l’émission Dutrizac. Diane Blain se rend à la clinique dentaire de Montréal pour y subir un soin. À son arrivée, elle est prise en charge par une étudiante de 3e année, comme c’est d’usage dans l’Université. Problème : ladite étudiante est voilée. « Est-ce que c’est toi qui vas me donner les soins? », lui demande alors Mme Blain. « Oui madame, mais nous serons deux », lui répond l’étudiante. Poliment, mais fermement, la patiente insiste: « Oui, mais toi, est-ce que tu vas me donner des soins? Écoute, je préfèrerais voir quelqu’un d’autre. Parce que toi, avec ton voile, je suis vraiment pas à l’aise. Ça brime mes valeurs d’égalité hommes-femmes.» Sans un mot, l’étudiante voilée tourne les talons et quitte la pièce. Deux de ses collègues la remplacent et commencent les examens. « Dont une musulmane non voilée qui était très gentille », s’empresse de préciser Mme Blain. Un Docteur débarque alors et demande des explications à la patiente quant à son attitude avec l’étudiante: « C’est contre mes valeurs, argumente-t-elle. Moi, jamais je n’affiche mes signes religieux ou politiques. Et je n’accepte pas d’être soignée par une femme qui porte ce voile symbole de soumission.» Face à sa position catégorique, l’hôpital n’aura d’autre solution que de la renvoyer chez elle sans lui prodiguer les soins demandés. À l’antenne, Mme Blain précise alors sa pensée: « Vous savez, moi je me suis battu toute ma vie pour les droits des femmes. J’ai 70 ans, mes valeurs sont profondément ancrées en moi. À 21 ans, moi j’étais mariée, j’avais un enfant et je n’avais pas le droit de signer un chèque, ou d’emprunter, ou d’avoir une auto à mon nom. Et là en 2015, on va me demander de régresser et d’accepter la soumission de la femme ? » Avant de conclure: « J’aurais du demander un accommodement raisonnable. (…) J’ai le droit d’avoir des soins par une personne que j’ai choisie. »

Soulevons le voile

Par quel bout prendre cette polémique? Attrapons d’abord ce bout de tissu qui pend et osons la question: de quoi le voile est-il le nom ? «De la soumission», répondent en chœur Mme Blain et ses soutiens. No pasaran, vade retro et tutti quanti, le refrain est connu. Sauf que faire cette réponse, c’est transformer un accessoire vestimentaire en barrière civilisationnelle.

Faire cette réponse, c’est donc indirectement donner raison aux intégristes musulmans, les laisser gagner sur le terrain du symbole. Autrement dit, faire cette réponse, c’est accepter ce choc des civilisations dans lequel les islamistes veulent nous entrainer. Or, le problème posé aux civilisations occidentales, ce n’est pas le voile, mais l’absolue liberté des femmes de le porter ou pas. Contrairement à ce que le marketing salafiste nous martèle, la femme voilée n’est pas nécessairement synonyme d’oppression masculine ou d’insultes aux valeurs occidentales. En tout cas pas plus que cette mère de famille qui fait la vaisselle et s’occupe des enfants pendant que son mari boit une bière devant la partie de hockey. Pas plus non plus que ces filles en mini-jupe, talons hauts et vêtements transparents qui ornent le bras de leurs chums à la sortie des boîtes de nuit. Pas plus enfin que ces strip-teaseuses qui paient leurs études en exhibant leurs corps aux touristes du Grand Prix. Le rôle de l’État, son devoir vis-à-vis de toutes ces femmes n’est pas de savoir si leurs accoutrements, leurs comportements ou leurs choix de vie contreviennent à une quelconque morale publique, mais de s’assurer qu’ils sont librement choisis et consentis.

Compte tenu de l’histoire du féminisme québécois, la question du voile est par définition sensible dans la Province.

La réaction épidermique et les justifications de Mme Blain sont à ce titre exemplaires. Mais faire du voile un champ de bataille, c’est se tromper de combat. Au même titre qu’une femme qui choisirait aujourd’hui de rester au foyer, de s’occuper des enfants et de faire le ménage ne serait pas nécessairement une héritière des grands-mères québécoises soumises à leur mari, une étudiante voilée n’est pas automatiquement un symptôme de la folie sanguinaire des salafistes de Daesh. Pour l’une comme pour l’autre, cela peut juste découler d’un choix personnel, d’une liberté qu’il revient à la société québécoise de garantir et de faire respecter. Mais ce choix, à partir du moment où il est fait en toute indépendance (on insiste), n’a pas à être soupçonné par principe. Le reste – les diktats sociétaux que ces femmes s’imposent à elles-mêmes, ce qu’elles renvoient comme symbole dans l’espace public, si elles se respectent ou pas – ça ne regarde personne. Une fois encore, on veut dicter aux femmes ce qu’elles doivent faire, la manière dont elles doivent s’habiller, la façon dont elles doivent se comporter. C’est ainsi qu’on les soumet, c’est ainsi qu’on régresse. En 2015, défendons les femmes de toutes nos forces, mais de grâce, laissons-les tranquilles.

Pompier pyromane

Le plus triste dans cette polémique, c’est que cette jeune fille voilée est justement un symbole d’intégration réussie. Le signe éclatant qu’on peut porter le hijab et travailler dans le domaine de la santé. Être musulmane pratiquante et soigner n’importe quel Québécois. Lorsque Mme Blain et d’autres réclament un accommodement raisonnable dans ce cas-ci, sous prétexte qu’une poignée d’obscurantistes musulmans exigent de leur côté que leur femme ne soit pas soignée par un homme, ils agissent en aveugles. Autrement dit en intégristes. Amalgamer cette étudiante voilée parfaitement intégrée avec ces extrémistes en butte avec les valeurs occidentales les plus élémentaires, c’est réduire à néant ses efforts, détruire le lent processus d’émancipation auquel elle participe. En un sens, c’est ce même amalgame larvé (femme voilée = terrorisme) qui est à l’oeuvre lorsque Mme Blain évoque cette autre étudiante «musulmane non voilée qui était très gentille». À moins que cette personne n’ait décliné sa confession de vive voix, comment Mme Blain a-t-elle deviné sa religion ? À quel signe ostentatoire l’a-t-elle identifiée ? On voit bien où se situe le problème : en rejetant une population entière au nom d’un voile porteur de tous les maux, en ostracisant de facto tout ce qui diffère de nous, en montrant aux intégrés qu’ils ne le seront jamais assez, on ne fait qu’aggraver la situation comme le ferait un pompier pyromane.

Dans cette histoire, on voit bien en filigrane que la question posée est celle des accommodements raisonnables. Pourquoi eux et pas nous? Pourquoi le musulman immigré peut-il réclamer un accommodement et pas moi le Québécois de souche? Il ne faut pas le nier: pour marginaux qu’ils soient, les rares cas de ces musulmans refusant tel ou tel praticien sous prétexte de dogmes religieux posent problème. On touche là à l’organisation même de la société, au lien social, à l’égalitarisme occidental le plus basique. Oui mais. Il faut dépasser ces cas-limites et revenir à la base: à quoi servent les accommodements raisonnables? Au-delà d’incarner le multiculturalisme canadien, au-delà du discours officiel à base de respect de toutes les communautés, ces dispositifs poursuivent en réalité le même but que toutes les politiques d’immigration: favoriser l’intégration d’une minorité à la majorité. L’idée-force cachée derrière consiste à pacifier l’espace public, à favoriser l’intégration d’une population allogène en faisant quelques concessions à la marge. Le pari en fin de compte c’est que cette relation pacifiée favorisera la transmission des valeurs de la culture d’accueil, donc conduira non pas à un renoncement, mais à une transformation progressive de la culture des arrivants. En terme religieux, on parlerait de sécularisation.

Pour le moment, si l’on s’en tient aux chiffres des pratiques religieuses, le pari paraît réussi du côté des musulmans (à peine 3% de la population québécoise, rappelons-le). De tous les groupes religieux au Québec, les musulmans immigrants semblent les moins nombreux en proportion à déclarer une forte religiosité et parmi les plus nombreux à déclarer une faible religiosité (voir graphiques ci-dessous ; indice calculé en fonction de l’assiduité dans les lieux de culte). Et même si la religion reste une part importante de leur identité (selon l’enquête d’Environics, 56% des musulmans canadiens se disent avant tout musulmans), le sentiment de fierté canadienne de cette population est dans la moyenne nationale (94%). Il n’y a qu’au Québec que ce sentiment de fierté canadienne est plus faible (89%), mais étant donné les velléités séparatistes de la province, on pourra aussi y voir un facteur supplémentaire d’intégration. Bref, on est loin des fantasmes véhiculés ici ou là. D’après la plupart des modèles prédictifs, les générations suivantes devraient même amplifier le mouvement actuellement à l’oeuvre. À moins que les attitudes ostracisantes et la vindicte médiatique ne viennent l’enrayer en créant une résurgence du sentiment identitaire.

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Source: Étude du CDPDJ sur la ferveur religieuse (chiffres de 2007)

Keep calm and discutons

Revenons donc à la question initiale: s’il existe des accommodements raisonnables pour les immigrés les plus sourcilleux, pourquoi les plus inflexibles des Québécois n’en bénéficieraient pas? Tout simplement parce que ce serait un contre-sens. L’accommodement raisonnable n’est pas une faveur, ce n’est pas un privilège, c’est un lubrifiant dans les rouages de la société, un petit sacrifice au nom d’un idéal d’intégration beaucoup plus grand. Une manière, quelque part, d’affirmer haut et fort notre foi en la solidité du modèle occidental, en la suprématie de son pacte social : oui, on est capable de faire des concessions. Parce que notre société est forte. Parce que nous sommes sûrs de nous. Tout l’enjeu ici consiste à discerner ce qui est «raisonnable» de ce qui ne l’est pas, l’aménagement nécessaire du renoncement aux valeurs. C’est un art de la nuance, un arbitrage difficile qui peut conduire à des excès. C’est arrivé par le passé, alors gardons-nous en à l’avenir. En l’espèce, en quoi une Mme Blain n’est-elle pas intégrée à la société québécoise?

En quoi appartient-elle à une minorité nouvellement arrivée et vivant un choc culturel? En quoi, donc, sa demande d’accommodement paraît-elle « raisonnable »? En rien.

Ce débat est passionnant, essentiel en ce qu’il dit de l’état d’un Canada en profonde mutation, d’une société qui se transforme sous nos yeux. Parce que ce débat est l’un des garants du lien social, du vivre ensemble, il ne doit surtout pas être contourné. Mais qu’on soit multiculturaliste à la canadienne ou plutôt interculturaliste à la québécoise, n’oublions jamais que l’échange est la pièce maîtresse du système, et qu’il requiert des interactions répétées, un brassage entre les communautés pour fonctionner. C’est le pari de la laïcité ouverte. Pour déboucher sur quelque chose de constructif, il faut donc que ce débat soit mené par des interlocuteurs apaisés. Et raisonnables. Autrement, le Québec ne parviendra jamais à trouver de consensus sociétal, ce fragile équilibre démocratique qui a toujours été l’honneur des sociétés d’Amérique du Nord.

Publication: Mis à jour:
Pour en savoir plus : http://quebec.huffingtonpost.ca

La ville au premier Rendez-vous de l’histoire du monde arabe

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L’Institut du monde arabe (IMA), présidé par Jack Lang, constitue depuis 1987 une passerelle entre la France et le monde arabe. Sa mission est de mettre en avant les différents apports de ces deux peuples à la civilisation universelle. Il est largement ouvert à tous ceux qui sont préoccupés par le destin des deux rives de notre mer commune. « Les relations entre les Français et le monde arabe sont si anciennes, si riches de leurs échanges mutuels, et parfois de leurs affrontements, et leur avenir est si évidemment lié qu’il nous est apparu nécessaire que s’ouvre à l’IMA une grande “université populaire” », souligne Jack Lang dans la lettre de présentation du projet.

En partenariat avec les Rendez-Vous de l’histoire de Blois dont il s’est inspiré, l’Institut du monde arabe organise les premiers Rendez-vous de l’histoire du monde arabe du 5 au 7 juin prochains. Pendant ces journées gratuites et ouvertes à tous, la thématique de la ville sera abordée. Conférences, débats, présentations d’ouvrages, projections de films et expositions feront de ces trois jours un temps de découverte unique. Spécialistes, universitaires, intellectuels français, européens, arabes, se retrouveront désormais chaque année pendant trois jours à l’IMA, dans un esprit d’échange, de dialogue et d’ouverture.

Se connaître pour se comprendre

Ce nouveau rendez-vous sera celui de tous ceux qui brassent la matière historique afin d’en faire découvrir toute la complexité : les historiens évidemment, mais aussi les éditeurs, écrivains, géographes, sociologues, anthropologues, cinéastes, photographes, artistes, sans oublier les responsables politiques et de l’action publique. Jack Lang et Francis Chevrier, directeur et fondateur des Rendez-vous de l’histoire de Blois, souhaitent également que les inspecteurs et enseignants participent pleinement à cette rencontre culturelle.

Le Monde des Religions est partenaire de cet événement, et organise dans ce cadre une table ronde sur « Tombouctou, la ville aux 100 000 manuscrits » qui aura lieu le samedi 6 juin, de 19h à 20h30.

Sophie Eychenne – publié le 13/05/2015

Institut du Monde Arabe
1, rue des Fossés-Saint-Bernard
75005 Paris
Programme complet : http://www.imarabe.org/

Festival des Musiques Sacrées du Monde : Fès, miroir de l’Afrique

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Fès l’Africaine est le thème de la 21e édition du Festival des Musiques Sacrées du Monde. La cité marocaine accueille, du 22 au 30 mai, une pléiade d’expressions musicales et artistiques sous le signe du dialogue des peuples et des spiritualités.

Vive et accueillante, la ville de Fès, au Maroc, ne révèle pas pour autant ses secrets aisément. Depuis le sommet de ses collines où semblent dormir les tombeaux de la nécropole mérinide (XIIIe-XIVe siècles) s’étend une mer étincelante de toits cuivrés posés sur des murs éclaboussés de lumière, renfermant derrière leur anonymat un patrimoine qui ne demande que du temps pour se révéler aux voyageurs. Fès, qui fut pendant plusieurs siècles une capitale politique et intellectuelle du Maroc, est devenue un centre de rencontres et d’échanges. On raconte que Sylvestre II (Gerbert d’Aurillac), pape de 999 à 1003, y séjourna dans sa jeunesse pour y faire des études, à la suite desquelles il introduisit les chiffres arabes en Europe.

Le Festival de Fès des Musiques Sacrées du Monde, créé en 1994, s’inscrit dans la tradition savante, artistique et spirituelle de la ville. L’ambition du Festival de Fès est de faire dialoguer les spiritualités à travers la musique, et d’aider à faire émerger une culture de paix favorisée par une mondialisation plurielle, respectueuse de valeurs éthiques et spirituelles. Le Festival de Fès a été désigné par l’Onu, en 2001, comme l’un des événements ayant contribué, d’une façon remarquable, au dialogue des civilisations.

Des nuits ouvertes à tous

Cette année le festival, dont Le Monde des Religions est partenaire, s’axera autour de la dimension culturelle africaine de la ville. Durant sept jours, le public pourra jouir d’un florilège d’expressions musicales et d’expositions artistiques où se mêleront sensations auditives et visuelles, ainsi que différentes expériences spirituelles. Au fil des concerts, expositions, activités pédagogiques, programmes dédiés aux plus jeunes ou encore projections de films.

Le festival propose ainsi une évocation à l’Afrique, avec la chanteuse Oumou Sangaré, symbole de la femme africaine libre et porteuse d’émotions, ou le reggae émancipateur de Tiken Jah Fakoly, qui défend toujours les valeurs fondamentales de ce continent. Au programme, des maîtres avérés dans la pratique de leur art avec, entre autres, le grand chanteur romantique Saber Rebaï et sa voix charmeuse et aiguisée, Eduardo Ramos, grand interprète de la musique ibérique médiévale, alliant musique traditionnelle sépharade du Portugal et notes andalouses de pièces musicales arabes, Diego El Cigala, voix majeure du flamenco, issu d’une famille d’artistes gitans ou encore Hussain Al Jassmi, l’une des plus belles voix de la péninsule arabique.

Enfin, tous les soirs auront lieu les Nuits Soufies, afin de clore chaque journée dans une ambiance spirituelle et conviviale. Ces concerts, gratuits et ouverts à tous, donnent un aperçu de la culture islamique à travers la richesse et la créativité de ses dimensions artistiques et spirituelles. Les spectateurs partageront ce moment riche et intense en plein cœur de la médina de Fès.

Sophie Eychenne

publié le 12/05/2015

Pour en savoir plus : http://www.lemondedesreligions.fr

Robert Ménard, qu’est-ce-qu’un prénom musulman au juste ?

Dis-moi ton prénom, je te dirai si tu es musulman ! Le début du mois de mai est marqué par la polémique autour des révélations du maire de Béziers sur l’existence d’un fichier d’écoliers supposés musulmans tenu par sa municipalité. Une confession déterminée de l’aveu même du maire sur l’origine des prénoms. Mais qu’est-ce-qu’un prénom musulman au juste ?

 

PrénomsMusulmans
Emilie et Michaël vivent paisiblement dans la petite commune d’Aytré, en périphérie de La Rochelle (Charente-Maritime). Heureux parents de deux fillettes prénommées Amira, 12 ans, et Selma 8 ans. Des prénoms arabes assumés pour ce couple d’athées. « Oui, mes filles ont des prénoms arabes ! Pour Amira, je sais que cela veut dire « princesse » mais j’ai été attirée aussi par la double signification en hébreu qui veut dire « le discours » », nous raconte la maman de 40 ans.La traductrice d’allemand se rappelle avec fascination de ses cours d’histoire des traductions et de son admiration pour la littérature arabe. « Cette culture est tellement riche, on lui doit tant que j’ai certainement gardé en moi ce goût pour les mots arabes », dit-elle. Pour leur deuxième fille, le couple récidive, elle s’appellera Selma. « Là encore, j’assume mon attirance pour les mots arabes ! Mais ce prénom m’a particulièrement plu car il existe aussi dans la culture germanique sous le prénom Salma », précise la germanophile. Et d’ajouter que si elle avait eu un garçon, le prénom Ibrahim faisait partie de sa short liste.« Je suis d’origine espagnole, mon père est né au Maroc donc j’ai une attirance pour le monde arabe de par mes origines. Mais je n’ai aucun lien avec la religion musulmane », raconte de son côté Michaël, moniteur éducateur de 40 ans. « Nous avons choisi ces prénoms avant tout car on les trouvait beaux et qu’ils évoquaient plein de belles choses dans notre imaginaire. On espère que nos filles seront toujours fières de les porter », poursuit le mari d’Emilie.

Ses enfants seraient musulmans à Béziers

En découvrant la polémique du fichier de noms d’écoliers supposés musulmans à la mairie de Béziers, le couple est loin de s’imaginer que, si Amira et Selma étaient scolarisées dans cette commune, elles auraient peut-être fait partie de cette liste. Dans sa commune, Emilie n’a jamais eu aucune réflexion déplacée à déplorer sur les prénoms arabes de ses filles et leurs supposés appartenance à l’islam.« Heureusement chez nous, nous sommes encore assez épargnés par ces idées racistes. Nous sommes dans une vraie ville de gauche, où les gens sont très ouverts. Mais malheureusement je crains que les langues se délient, et que les paroles racistes se libèrent de plus en plus en France », s’inquiète Michaël.

Des évidences… sauf pour le maire de Béziers

« Les prénoms disent les confessions. Dire l’inverse, c’est nier l’évidence », avait assuré Robert Ménard à l’émission « Mots croisés » de France 2, lundi 4 mai. Vraiment ? « Je suis hallucinée car, en tant qu’ancien représentant de RSF, Robert Menard a fait le tour du monde, il devrait être très ouvert ! », lance Émilie. Comme le maire, élu avec le soutien du Front National et des identitaires, beaucoup font la confusion entre Arabes et musulmans. Or, l’évidence est de répéter que tous les musulmans ne sont pas Arabes, que tous les Arabes ne sont pas musulmans. Sur les réseaux sociaux, les internautes s’en donnent à cœur joie et jouent à faire deviner leur religion en fonction de leur prénom.Aujourd’hui, des prénoms à connotation arabes comme Nadia, Sarah, Jasmine pour les amoureux d’Aladin ou Shéhérazade pour ceux des Mille et une nuits sont devenus courants dans la société française. Même l’ex-miss France 2010 a tenu à en témoigner sur Twitter. Malika Menard explique que son prénom est simplement l’héritage « des années passées au Maroc par mes grands-parents ». L’occasion de préciser que son homonymie avec le maire de Béziers n’est qu’un pur hasard.

Les parents musulmans, eux, conscients de la stigmatisation dont pourraient être victimes leurs progénitures, optent de plus en plus pour des prénoms reconnus dans plusieurs cultures et phonétiquement facile à prononcer comme Inès, Lina, Sofia pour les filles, ou Adam, Rayan, Noam pour les garçons. Une volonté de « protéger » leurs enfants mais pas seulement. Ces parents sont Français et pétris d’autres cultures, d’autres influences que celles dont sont originaires leurs parents, voir leurs grands-parents.

Robert Ménard fait aussi la grave abstraction de ces Français sans origine extra-européenne qui se sont convertis à l’islam, sans forcément choisir des prénoms arabes à leurs enfants. N’en déplaise à Monsieur le maire, la société française dans son ensemble est intrinsèquement métissée. Il est impossible, heureusement, de classifier des populations sur la simple base d’un prénom… Dire le contraire est la marque d’une ignorance honteusement affichée sous la bannière, pour le cas Ménard et consorts, de l’islamophobie.
Rédigé par Mérième Alaoui | Jeudi 7 Mai 2015
Pour en savoir plus : http://www.saphirnews.com/

Akhenaton : « Il faut des artistes qui prennent des risques et ouvrent des portes »

Directeur artistique de l’exposition « Hip Hop, du Bronx aux rues arabes » installée pour l’occasion à l’Institut du monde arabe jusqu’au 26 juillet, Akhenaton raconte à Saphirnews la genèse de ce projet et bien plus encore. Au-delà de la polémique autour de sa collaboration avec Coca-Cola, le rappeur star du groupe IAM nous confie ses envies de quitter la France.


Akhenaton, à la direction artistique de l’exposition « Hip Hop, du Bronx aux rues arabes » à l'Institut du monde arabe (IMA). (Photo : © Saphirnews)

Akhenaton, à la direction artistique de l’exposition « Hip Hop, du Bronx aux rues arabes » à l’Institut du monde arabe (IMA). (Photo : © Saphirnews)

Saphirnews : Vous êtes gâté ces derniers temps : entre l’Institut du monde arabe où vous assurez la direction artistique de « Hip Hop, du Bronx aux rues arabes », les Victoires de la musique qui vous ont remis une récompense pour votre dernier album et Coca-Cola qui vous prend comme égérie…

Akhenaton : L’Institut du monde arabe est une vraie institution. Il y a 15 ans, je n’aurais pas fait une expo de hip-hop dans un musée, mais je pense que la période actuelle en a besoin. J’ai aussi réalisé avec le temps que l’institutionnel, ce sont nos impôts et qu’il y avait quelque chose de dramatique à ce que le hip-hop soit une culture ultra répandue mais qu’elle ne soit fixée dans aucun endroit de manière historique. Pour moi, c’était une négation de son existence.Cette expo est importante pour deux raisons : le public ne nous connaît pas, j’ai toujours eu espoir qu’on arriverait à changer les choses et à se faire accepter pour ce qu’on est, c’est-à-dire des créateurs, des gens qui font des morceaux, dansent, font des spectacles, des peintures ; mais cela ne marche pas, on est toujours vu comme des délinquants repentis, des assistés sociaux qui ont eu de la chance. L’idée ici est d’ancrer cette culture dans son existence et de mettre à l’honneur des pays arabes dans leur créativité malgré les difficultés vécues dans ces pays.

 

Akhenaton à l'IMA. © Saphirnews

Akhenaton à l’IMA. © Saphirnews

Qui a pris l’initiative de monter cette exposition ?

Akhenaton : Un ami libanais qui s’appelle Mario Choueiry. Il travaillait pour Emi Arabia quand nous (le groupe IAM, ndlr) étions des artistes signés chez Delabel. On préparait l’album Ombre est lumière (sorti en 1993, ndlr), on samplait beaucoup la musique arabe à l’époque et on cherchait à faire des collaborations avec des artistes du genre. Il nous a permis de collaborer avec un chanteur libyen, Cheb Jilani. C’est lui qui m’a contacté il y a deux ans pour me proposer de faire une expo sur le hip-hop. Pas très à l’aise avec les institutions, je n’étais pas très sûr de vouloir le faire, mais j’ai finalement accepté avec quelques conditions, celles d’éviter de faire quelque chose d’historique car cela demanderait plusieurs espaces d’expositions bien plus grands que l’Institut du monde arabe. Mon idée était de l’axer sur la transmission, car c’est une tradition très arabe et africaine. La transmission orale, la transmission de la culture… Ici, c’est une transmission du Bronx aux pays arabes. Les Français, très prétentieux, croient toujours que le hip-hop est passé par chez eux avant de venir aux pays arabes, mais il est bel et bien venu directement des Etats-Unis aux pays arabes. Au Liban, il y a des rappeurs aussi anciens que ceux du rap français.

Certaines personnes pensent aussi que le hip-hop est né dans les pays arabes avec les soulèvements révolutionnaires…

Akhenaton : Il y a des rappeurs comme Dam ou Gaza Team (des groupes palestiniens, ndlr) avec qui j’ai fait des morceaux qui n’ont pas attendu ces révolutions. Même dans l’engagement, certains rappeurs connaissaient des ennuis dans leurs pays respectifs. The Narcysist (un rappeur irakien, ndlr), par exemple, a dû quitter l’Irak pour aller au Canada. Pareil pour des groupes de métal qui passent leur vie en prison. Ils dérangeaient Saddam Hussein à l’époque, dérangent le gouvernement actuel en place et dérangent Daesh… Je suis très heureux de voir de nombreux graffeurs et artistes du monde arabe venir à l’expo.

 

Affiche « Hip Hop, du Bronx aux rues arabes »

Affiche « Hip Hop, du Bronx aux rues arabes »

Comment avez-vous sélectionné les artistes présents ? Il semble y avoir plus d’artistes occidentaux qu’arabes quand même…

Akhenaton : Dans la partie historique, il y a plus d’Américains tandis que la partie française est un peu plus petite que la partie arabe. Il était important de signaler que ceux qui ont créé cette culture dans le Bronx étaient tolérants et ouverts à toutes les cultures et aux femmes. C’est pour cette raison que j’ai volontairement choisi une femme dans l’affiche de l’exposition, une œuvre du graffeur Noe Two.

Vous avez donné un concert en Egypte pour les 20 ans d’IAM en 2008. Êtes-vous allé dans des pays arabes autres que ceux du Maghreb ?

Akhenaton : On devait faire le Liban en 1990 après la guerre, mais il y avait encore des soucis de sécurité. Le concert a été programmé, annulé et reprogrammé, mais il ne s’est jamais fait. A mon grand regret, je n’y suis jamais allé alors que c’est historiquement un pays important pour moi. J’espère que cette exposition pourra voyager dans les pays arabes et qu’on aura la possibilité de faire des performances avec des groupes locaux. Ce serait faisable au Liban, mais j’ai un petit souci avec les Emirats, car les rappeurs et les graffeurs y morflent beaucoup. Mais pourquoi pas à Abu Dhabi ou à Oman qui sont plus ouverts.

Quel est votre sentiment des événements qui ont suivi le Printemps arabe ?

Akhenaton : J’ai l’impression que le peuple s’est fait voler sa révolution. Il y a des forces obnubilées par le pouvoir qui sont beaucoup plus agressives que la personne lambda qui essaie de changer les choses. On le voit en Syrie : la révolution a été lancée pour espérer plus de liberté, une réelle égalité dans la société syrienne, mais, aujourd’hui, les acteurs d’un côté et de l’autre s’envoient des missiles et des armes dans la gueule. Les gens qui ont fait les premières manifestations sont chez eux enfermés, s’ils ne sont pas arrêtés ou tués.La Libye est une guerre coloniale de l’ère moderne. C’est un braquage des sociétés pétrolières appartenant aux Italiens et aux Allemands, par les Français, les Américains et les Anglais. On a enlevé les clés à certains, on les a données à d’autres. Maintenant, ceux qui ont les clés se les disputent. Le peuple perd au final.Ceux qui s’en sortent le mieux sont les Tunisiens, parce que le niveau d’éducation est beaucoup plus élevé que dans beaucoup de pays, ce qui fait qu’on ne peut pas les baratiner trop longtemps avec de la désinformation. Ils ne se laissent pas marcher sur les pieds. Ce sont ceux qui s’en sortiront le mieux et le plus vite.

Parlons religion. Les personnes que vous rencontrez vous font-elles souvent des allusions au sujet de votre foi ?

Akhenaton : Tout le temps. On me demande souvent : « Mais pourquoi tu t’es converti ? Parce que tu t’es marié à une musulmane ? » Je dis non, c’est parce que j’ai lu des livres et des gens admirables. Dieu merci, je me suis converti en 1992 ! Si je m’étais converti dans la période actuelle, on m’aurait dit que je suis un terroriste ! Le sujet islam n’est pas compris. C’est comme l’expo : il faut de la vulgarisation.Depuis le 11-Septembre, je dis qu’il faut que les chaînes françaises diffusent un film comme Le Message (célèbre œuvre de Moustapha Akkad sorti en 1976 qui relate la vie du Prophète Muhammad, ndlr) pour montrer aux habitants de ce pays que ce n’est pas une religion qui est tombée comme une météorite sur Terre, qu’elle s’inscrit dans une continuité monothéiste lisible par un peuple chrétien et juif. Lisible. Cela permettait de comprendre des tas de choses et de rapprocher du monde en instaurant un dialogue. J’en parlais avant dans ma musique, mais je n’en parle même plus. Les gens sont dans l’émotion et, quand c’est le cas, ils refusent le débat. La peur puis la haine s’installent.

Le climat post-Charlie est-il propice à ouvrir un dialogue, selon vous ?

Akhenaton : Non. Tout est fracturé. Tout est noir ou blanc, rien entre deux. J’ai donné une interview à Europe 1 à ce sujet (en mars, ndlr). Elle a été résumée par Le Figaro par : « Akhenaton dérape sur les caricatures de Mahomet » alors que je parlais de racisme et non de religion. Le Prophète est assez grand, dans mon esprit et dans mon cœur, pour se défendre tout seul. Il a été victime de calomnie mais il a toujours dit de laisser parler les gens car c’est le propre de l’homme de parler.J’ai parlé des caricatures danoises (lors de l’interview, ndlr). La caricature avec la bombe en guise de turban (sur la tête d’un homme présenté comme le Prophète, ndlr) est aussi raciste que les caricatures des juifs pendant l’entre-deux-guerres. Je ne vois pas où est le dérapage… Deux jours après, sur les portes de ma maison, (un domicile dans lequel est installé son studio en réalité après plus de précisions, ndlr) était inscrit « Adieu la France, les Bougnoules nous l’ont mises », accompagnée d’insignes nazis.

Vous avez décidé de ne pas porter plainte. Pourquoi ?

Akhenaton : Parce que je sais que cela n’aboutira pas.

 

Akhenaton : « Il faut des artistes qui prennent des risques et ouvrent des portes »

Pourtant, c’est aussi une façon de délivrer un message important (du fait de votre position)…

Akhenaton : A l’époque, je n’ai pas voulu faire de remous. (…) Mais je ne me prends pas pour un prophète, je fais des erreurs… C’était peut-être une erreur de ma part. Le temps le dira. Je suis cette somme de bons et de mauvais choix… Quand j’ai vu les tags le matin, j’étais sidéré, je n’arrivais plus à parler. Mon premier réflexe a été de me dire : « Je vais me casser, aller en Asie ou aux Etats-Unis. J’en ai assez. »

A propos de départ, n’avez-vous jamais eu envie de vraiment quitter la France ?

Akhenaton : Si, c’est permanent. J’ai habité à New York pendant deux ans, dans les années 1980. (…) Oui, j’ai envie de partir et, en même temps, j’ai envie de lutter. C’est confus dans ma tête.

Si vous deviez partir, où iriez-vous ?

Akhenaton : Je n’irais pas aux Etats-Unis, j’irais à New York (rires). J’ai mes arrières-grands-parents qui sont enterrés là-bas. J’ai aussi une grande partie de ma famille qui y vit, c’est donc la facilité pour moi. C’est un endroit où j’ai des attaches familiales et des amis.J’ai failli partir au Maroc aussi. Je m’y sens bien, j’y vais souvent (sa femme est d’origine marocaine, ndlr), j’y suis très bien avec mon petit port tranquille où je mange du poisson grillé… Casablanca est une ville qui explose, j’ai plein d’amis qui sont partis y vivre et travailler. Il y a plein de choses qui se font dans cette ville, des opportunités pour des gens qui ont envie de travailler. C’est ouvert d’esprit. Je trouve les peuples des pays arabes beaucoup plus accueillants, beaucoup plus ouverts et prêts à recevoir le monde, alors que, nous (en France, ndlr)…, nous sommes aigris.

 

Qu’est-ce qui vous retient en France ?

Akhenaton : Ma famille, mes enfants, leurs amours de jeunesse. Ils sont adolescents…

Vous dites songer à partir, est-ce un message que vous souhaitez délivrer à la jeunesse ?

Akhenaton : Non. Je ne suis pas un exemple. Si je pense à partir, c’est parce que la France m’a usé en 30 ans. Je suis usé de répéter les mêmes trucs et de voir les mêmes choses sans aucun changement. (…) Le message à délivrer aux jeunes générations est de se battre et de prendre le relais, de montrer qu’on peut faire des choses bien.(…) Quand on fait un sondage pour demander ce qu’est un Arabe bien intégré, on nous révèle que ce sont des personnes qui mangent du jambon et qui boivent de l’alcool, et non des gens qui ont un travail, vont à l’université, ont une famille et paient leurs impôts. Les critères d’intégration : le porc et le vin. C’est quand même des critères de surface ! On n’est pas dans une profondeur de réflexion. Je suis pour la laïcité, mais pas pour qu’elle tombe dans un fondamentalisme laïque car il peut être aussi dangereux que les autres formes de fondamentalisme. Je suis contre tous les radicalismes. Beaucoup d’hommes politiques auraient dû retourner à l’école et étudier l’Histoire, cela aurait évité à Nicolas Sarkozy de prononcer le discours de Dakar (en 2007 durant lequel il a affirmé que « l’homme africain n’est pas assez entré dans l’Histoire », ndlr) s’il avait ouvert quelques livres.

Vous êtes au cœur d’une polémique, celle de votre collaboration avec Coca-Cola. On vous a reproché d’être en totale contradiction avec les valeurs que vous avez véhiculées à travers vos morceaux durant toute votre carrière.Votre réponse n’est-elle pas un peu légère ? Parce que vous êtes une personne publique qui a tenu beaucoup de propos moralisateurs, peu importe si tel fan est assis devant un PC « made in China » ou s’il boit du Coca dans sa voiture alimentée par Total, car c’est vous qui êtes un exemple et pas lui, c’est à vous qu’on reproche de ne pas être cohérent.

Akhenaton : Si un fan me reproche tout cela, c’est qu’il tient à certaines valeurs, non ? Il embrasse donc ces valeurs et se les applique. A partir du moment où tu ne les appliques pas, tu n’écris pas de lettre (allusion aux critiques pour dénoncer le choix d’Akhenaton, ndlr). Dans mon quotidien, dans tout ce que je consomme, j’ai conscience d’être en contradiction avec des choses que je peux dire, mais il y a des barrières que je ne franchirais pas comme travailler avec des laboratoires pharmaceutiques, des entreprises qui bossent dans l’énergie ou des firmes comme Monsanto (qui promeut les OGM, ndlr).(…) Si on pense que mener un combat frontal contre des multinationales peut aboutir à quelque chose, on se trompe. C’est ce qu’on a fait pendant 30 ans et cela n’a abouti à rien. Il n’y a jamais eu autant de milliardaires et de pauvres sur la planète. Le combat est perdu, il va falloir changer de stratégie. La première fois que les gens de Coca-Cola m’ont reçu, je leur ai parlé de l’aspartame. Je pense sincèrement et naïvement que c’est peut-être ainsi qu’on peut changer les choses.

Pourquoi avoir reversé à certaines associations plutôt qu’à d’autres, qui aident des enfants en Palestine par exemple ?

Akhenaton : J’ai reversé à quatre associations. Je fais depuis dix ans campagne avec la fondation Abbé Pierre, j’ai fait des morceaux, je leur ai donné des morceaux, des téléchargements gratuits. J’ai aussi fait des campagnes pour Action contre la faim, et j’estime normal de reverser à nouveau le cachet à des gens avec qui je travaille depuis des années. Et puis, il y a deux autres associations, celle de Pascal Olmeta dédiée aux enfants malades et Terre des Hommes Valais avec qui on fait des concerts depuis dix ans. Avec 1 000 et quelques euros, tu sauves la vie d’un enfant…Excusez-moi, mais pour tous ceux qui sont devant leur ordi, qui mettent leur petit déjeuner en photo sur Facebook et s’achètent un Coca pour le boire devant, je préfère avoir cela en moins sur la conscience, faire mon action dans le détail et travailler sur ce que je fais. Si je n’avais pas fait de collaboration, il n’y aurait jamais de partenaires qui financent des expos du genre hip-hop (Coca-Cola est un soutien financier de l’exposition à l’IMA, ndlr). Pour l’instant, toutes les portes sont fermées au hip-hop : il faut des artistes qui prennent des risques et ouvrent des portes.
Rédigé par Fatima Khaldi | Lundi 4 Mai 2015
Pour en savoir plus : http//www.saphirnews.com

Comme l’uranium, le vivre-ensemble doit être enrichi

À l’initiative de la Fondation Adyan, un congrès international sur l’éducation à la citoyenneté inclusive de la diversité vient de se tenir à Beyrouth.

IDENTITÉ
À l’heure des replis identitaires et de la résurgence des systèmes totalitaires sous une forme religieuse, l’élaboration d’une nouvelle éducation à la citoyenneté apparaît indispensable et la Fondation Adyan, sous la conduite de Fadi Daou et de Nayla Tabbara, a pris depuis un certain nombre d’années l’engagement d’y contribuer.

À son initiative, un symposium international vient de se tenir à Beyrouth sur le thème de « l’éducation à la citoyenneté inclusive de la diversité (religieuse et culturelle) pour un vivre-ensemble pacifique ». L’événement était placé sous le patronage du ministre de l’Éducation nationale et a bénéficié de l’appui du gouvernement britannique. Il s’est tenu en présence d’une trentaine de participants, dont le secrétaire général adjoint de la Ligue arabe, Badreddine Alali. La conférence inaugurale du congrès a été prononcée par l’ancien ministre Tarek Mitri, directeur de l’Institut des sciences politiques et affaires internationales Issam Farès de l’AUB.

Repenser l’éducation civique

Il s’agit de repenser notre éducation civique, explique en substance Nayla Tabbara (43 ans), docteur en sciences des religions de l’École pratique des hautes études (EPHE-Paris). Une éducation à la citoyenneté inclusive de la diversité, et développant une approche critique de l’extrémisme, s’impose désormais non seulement au Liban, mais partout dans le monde. La Fondation Adyan y travaille depuis des années, en coordination avec le Centre de recherche et de développement pédagogiques (CRDP) et le ministère de l’Éducation nationale. En outre, un institut vient d’être lancé par la Fondation, pour le développement de programmes de formation, Le nouvel institut se propose comme référence dans le monde arabe concernant l’éducation à la citoyenneté interculturelle, les religions et la chose publique, et enfin les relations interreligieuses et interculturelles.

 

ENQUÊTES
Pour bien cibler son approche, la Fondation Adyan a eu recours à des études de perception des professeurs et des élèves. Ces études ont été menées par l’agence Ipsos. Ces études ont déjà donné des fruits sous la forme d’une « charte nationale » pour l’éducation à la citoyenneté, et d’un nouveau manuel pour les classes de première sur le thème « Philosophie et civilisation », qui sera utilisé pour la première fois à la prochaine rentrée scolaire. Une formation adéquate est en cours pour un certain nombre de professeurs qui vont conduire cette expérience-pilote.
« Les concepts que nous développons ne seront pas seulement pour le Liban, précise Nayla Tabbara. Nous pressentons déjà que dans des pays comme l’Irak, la Palestine, la Tunisie ou Oman, ils feront la différence. »
« Même au Liban, cette approche pourrait être modulée en fonction des régions où se fait l’apprentissage. On n’apprend pas de la même façon à Beyrouth et au Akkar », nuance-t-elle.

Un monde pluriel
« Le monde entier devient un monde pluriel, explique encore Nayla Tabbara. Une citoyenneté inclusive de la diversité s’impose désormais aussi bien en Orient qu’en Occident. En Europe, l’approche est multiculturelle. Nous voulons et nous travaillons à ce qu’elle devienne interculturelle. Un dialogue ou une communication superficielle sont apparus insuffisants. Il faut aussi travailler sur les mémoires, les aspirations profondes. »
« Au Liban, notre culture est un peu comme celle de l’Europe. Il y a coexistence, mais pas véritable connaissance de l’autre. Dans certains domaines, le travail est entièrement à refaire. Nous avons grandi avec un livre d’éducation civique où la fierté que l’on peut tirer de l’identité libanaise était absente, perdue dans les programmes »
Du discours de Nayla Tabbara, on réalise que les programmes mis en circulation étaient inspirés d’une philosophie ou d’une idéologie de l’intégration nationale, du nivellement identitaire, de la suppression de la diversité, « alors même que ce qui fait le Liban, c’est la diversité. Une philosophie politique de la participation plutôt que de la tolérance ».
« En quelque sorte, conclut Nayla Tabbara, nous restituons le Liban à lui-même, avec une connaissance de sa spécificité et de sa précieuse valeur. » La Fondation Adyan réinvente le vivre-ensemble, mais enrichi, comme l’uranium.

 

Combien s’identifient comme Libanais ?

Pour reconnaître les besoins, la Fondation Adyan a eu recours à des enquêtes Ipsos. Qu’est-ce que la citoyenneté ? Quelle est la bonne citoyenneté libanaise ? Combien de Libanais se reconnaissent d’abord dans leur identité nationale ? D’où viennent nos connaissances des autres religions ? Toutes ces questions simples – aux réponses compliquées – ont été proposées à des professeurs, comme à des élèves et étudiants. Exemple : Combien, parmi les professeurs, s’identifient d’abord comme Libanais ? Réponses : 61 % parmi les chrétiens, 62 % parmi les sunnites et… 77 % parmi les chiites ! Le reste s’identifie d’abord par sa religion (21 % chez les chrétiens), ou par sa communauté religieuse spécifique (8 % chez les chrétiens). Éclairant.

Fady NOUN | OLJ

01/05/2015

Pour en savoir plus : http://www.lorientlejour.com/

Olivier Roy : «La laïcité n’est pas une réponse au terrorisme»

Spécialiste de l’Islam et fin connaisseur du djihadisme, Olivier Roy revient sur la recomposition à l’œuvre au Proche-Orient. Concernant la France, il suggère de « réintroduire de la culture » à l’école et « d’assumer le débat dans les classes ».

 

OlivierRoy

Olivier Roy, professeur à l’Institut universitaire européen de Florence. – Thierry Meneau/Les Echos

A quelques jours du déplacement du chef de l’Etat en Arabie saoudite et près de quatre mois après les attentats à Paris, le politologue et spécialiste de l’Islam Olivier Roy revient sur la recomposition à l’œuvre au Proche-Orient. En France, il convient, selon lui, de distinguer djihadistes et musulmans fondamentalistes. Face aux premiers, « il faut du bon renseignement », dit-il, réservé sur le projet de loi du gouvernement. S’agissant des seconds, il se défie d’une « lacïcité autoritaire ». «Il faut réïntroduire de la culture » à l’école et « assumer le débat dans les classes », souligne-t-il.

Son parcours

Passionné par l’Orient depuis son premier voyage en Afghanistan, en auto-stop en 1969, Olivier Roy est, à près de soixante-six ans, professeur à l’Institut universitaire européen de Florence, où il dirige le Programme méditerranéen.
Spécialiste de l’Islam et fin connaisseur du djihadisme, cet agrégé de philosophie et docteur en sciences politiques a longtemps travaillé au CNRS.
Auteur, en 1992, de « l’Echec de l’islam politique », il a publié l’an dernier « En quête de l’Orient perdu » (Le Seuil, 2014).

 

Les attentats en France, Tunisie et Kenya indiquent-ils que les djihadistes sont devenus une menace mondiale ?

Mais c’est le cas depuis longtemps ! Depuis le 11 septembre 2001, qui marque leur irruption sur la scène médiatique. Ils peuvent frapper partout depuis les années 1990. On assiste, toutefois, à un changement qualitatif avec Daech, qui tient un territoire et ­constitue une force d’attraction considérable, par opposition à Al Qaida. Ben Laden voulait frapper dans le monde entier, mais sans chercher à tenir un pays, il n’était qu’hébergé par les talibans. Daech peut, en revanche, intégrer des milliers de volontaires de nos pays.

Daech est-il en train de réussir son projet de constitution d’un Etat islamique ?

Oui et non. Il dispose, effectivement, de certaines prérogatives étatiques, un système fiscal, judiciaire et administratif, une armée, un territoire, mais on ne sait pas très bien si cela fonctionne vraiment. Certains contacts à Raqqa affirment que Daech assure la distribution de pain, d’allocations, gère des hôpitaux, mais d’autres disent que ces derniers ne sont accessibles qu’aux combattants de Daech et leur famille, que l’électricité n’est disponible que deux heures par jour. En outre, pour Daech les frontières n’ont pas de sens : c’est un projet d’expansion illimitée ou, au minimum, de reconstitution de la communauté des croyants, la oumma, du Maroc à l’Inde, comme aux premiers siècles de l’islam. S’il ne s’étend pas continuellement, il est en échec, ce qui est le cas actuellement. En Jordanie, l’exécution d’un pilote l’a privé de toute complicité et à Damas il affronte les Palestiniens. Contrairement à ce que prétendent certains, aucun djihadiste n’est d’origine palestinienne.

Bref, l’implication de Daech dans les guerres civiles locales le gêne pour mener une guerre mondiale à l’Occident, à l’inverse de son rival nomade, Al Qaida. Daech n’a pas d’alliés et ne peut qu’échouer à terme. Ce qui ne l’empêchera pas de faire encore longtemps des dégâts.

Comment voyez-vous la recomposition en cours du Proche-Orient ?

Nous assistons au début d’une guerre de Trente Ans, par analogie à celle entre catholiques et protestants, qui a ensanglanté l’Europe au début du XVIIe siècle. L’islam est au confluent de trois crises majeures ; celle née du phénomène d’immigration massive en Occident (je ne crois pas à la thèse du « grand remplacement » mais il s’agit, quand même, d’un changement tectonique), celle née de la constitution d’Etats nations artificiels suite au démantèlement de l’empire ottoman après la Première Guerre mondiale et celle de la rivalité féroce entre l’Arabie saoudite, sunnite et arabe, et l’Iran, perse et chiite.

Une des conséquences est l’expansion du salafisme, interprétation littéraliste de la révélation, très adaptée à l’acculturation suscitée par la globalisation. On ne peut pas dire que les djihadistes, en Occident ou dans le monde arabe, n’ont « rien à voir avec l’islam », ne serait-ce que parce qu’ils s’en réclament. Mais ils ne sont ni des musulmans traditionnels ni des traditionalistes : ils se réclament d’un islam bricolé, totalement acculturé, qui rompt avec quinze siècles de tolérance. La preuve, c’est que Daech détruit des églises en Syrie et Irak : c’est donc que ces églises ont été respectées depuis la prédication de Mohamed.

Les pays occidentaux devraient-ils se résoudre à s’allier à Damas ou Téhéran face à Daech ?

Bachar al Assad n’est plus une carte, puisqu’il n’est plus en capacité d’agir. Ce n’est plus le chef d’un Etat fonctionnel, mais un seigneur de guerre parmi d’autres. L’Iran, c’est autre chose : c’est, quasiment, le seul Etat nation de la région. C’est un redoutable joueur de poker menteur, qui va encore gagner du temps et faire du chantage sur le nucléaire mais il est rationnel, il a le sens du temps long et du rapport de force. On peut discuter avec lui.

L’Arabie saoudite, elle, n’a qu’un seul ennemi : le chiisme. Ce qui la pousse à être complaisante avec les djihadistes sunnites. Elle est donc plus un problème qu’une solution.

Vous annonciez dès 1992 la mort de l’Islam politique, mais 23 ans plus tard ce cadavre a l’air encore bien actif…

En 1992 je faisais allusion seulement aux Frères Musulmans, c’est-à-dire à un projet de gestion d’un Etat nation au nom de l’islam, à l’inverse du projet djihadiste. Les Frères Musulmans ont été emportés par les suites du printemps arabe : ils ont perdu le pouvoir en Tunisie et en Egypte. On assiste en revanche à l’émergence d’un néo-fondamentalisme violent qui ne recrute pas parmi des Frères Musulmans réprimés. Ce djihadisme s’implante plutôt en zones tribales en crise (Yémen, Afghanistan, Pakistan) plutôt que dans les villes.

En Occident, les djihadistes sont aux marges des populations musulmanes. Les effectifs d’apprentis terroristes sont significatifs mais faibles rapportés à la population: la preuve c’est que chaque fois que l’un d’entre eux passe à l’acte on découvre qu’il était fiché par la police.

Vous insistez sur « la quête existentielle » des terroristes français. Est-ce une manière de dire qu’il n’y a pas chez eux de projet politique ou de structuration idéologique ?

L’un n’exclut pas l’autre. Il y a une quête existentielle de jeunes en recherche d’aventure – le syndrome : je veux être un super-héros – et puis il y a un référentiel islamique. Daech combine les deux. Un exemple : sur les pages Facebook de deux Portugais de Paris qui sont partis en Syrie il y a quelques mois, il y avait, chez l’un, Ray-Ban et boîte de nuit, et chez l’autre, une sourate du Coran. Mais ils sont partis ensemble. Leur point commun est une forme de marginalisation psychologique. Ils n’ont pas nécessairement de problèmes d’argent, mais ils se situent en rupture avec la société et s’enferment : ils découvrent ou redécouvrent l’islam sur Internet ou en prison et se fabriquent leurs propres croyances et pratiques. C’est ce que permet le salafisme.

Dans leur parcours, ils croisent quand même des imams…

Ils ont des figures tutélaires, des types qui s’autoproclament imams – il n’y a pas de clergé dans l’islam sunnite – et qui forment une sorte de secte. Mais il ne faut pas se tromper : il n’y a chez eux aucun pilier de mosquée ou membre d’une organisation musulmane telle l’UOIF. Ils ne s’inscrivent pas dans une pratique collective de la religion ; ils ne sont pas fascinés par les imams qu’ils considèrent être des ploucs ou des traîtres. Les grands prêcheurs radicaux qui servaient de recruteurs, c’étaient les années 1990 et c’est fini. Certains imams disent des choses horribles sur les femmes et les homosexuels, mais ce n’est pas un appel au terrorisme. La police a fait son travail. Les djihadistes d’aujourd’hui ont une structure de croyance comparable à la radicalité des « born again » protestants ou des convertis – qui représentent 22 % de ceux qui partent en Syrie.

La laïcité telle que la France la conçoit peut-elle être une réponse ?

La laïcité n’est pas une réponse au terrorisme. Beaucoup de gens pensent que la radicalisation djihadiste est une conséquence de la radicalisation religieuse. Mais ce n’est pas parce que vous êtes ultraorthodoxe que vous êtes violent. Chez les catholiques, les trappistes sont des fondamentalistes tout en étant les hommes les plus pacifiques du monde. Et vous avez des salafistes tout à fait paisibles. Contre le terrorisme, il faut du bon renseignement : il vaut mieux augmenter les effectifs de la DGSI, c’est-à-dire avoir des policiers formés à interpréter les écoutes, que multiplier ces mêmes écoutes – c’est le défaut du projet de loi sur le renseignement.

Quant au fondamentalisme religieux, la République n’a pas à l’interdire.

Pourquoi ?

C’est comme si on avait dit que pour répondre aux attentats d’Action directe, il fallait interdire les écrits de Karl Marx ou d’Alain Badiou. En démocratie, on ne condamne pas quelqu’un pour ses opinions, mais pour le passage à l’acte. La République française, à partir de 1881, part de la liberté individuelle et pas du contrôle étatique. Elle n’est pas robespierriste, il ne faudrait pas qu’elle le devienne. On oublie que la loi de 1905 sur la séparation des églises et de l’Etat garantit la liberté de pratique religieuse dans l’espace public. Elle impose la neutralité à l’Etat, pas à la société. Le débat a eu lieu à l’époque entre Aristide Briand et Emile Combes, entre l’anticlérical et l’antireligieux. Le premier l’a emporté mais ce débat renaît régulièrement. De nos jours, il n’y a plus de culture profane du religieux, donc le religieux fait peur et on veut le chasser dans la sphère privée. Mais la laïcité garantit la liberté, ce n’est pas une idéologie.

Donc vous êtes opposé à l’interdiction du voile à l’université…

Oui. Nous ne sommes pas dans le même cas que l’école, car les étudiantes sont adultes. Si on part du principe que la liberté religieuse est une liberté individuelle, il faut un principe aussi fort pour aller à son encontre. Cela peut-être un argument sanitaire, comme le vaccin chez les témoins de Jéhovah, ou la sécurité publique pour l’interdiction du voile intégral. Mais le fait qu’une femme porte un foulard n’empiète en rien sur la liberté, la santé ou la sécurité des autres.

Faut-il, à un moment, dire stop et selon quel principe ?

Pour moi, la liberté individuelle doit prévaloir, dans la mesure du bon fonctionnement des institutions. Le port du voile ne gêne pas le bon fonctionnement des institutions et ce n’est pas non plus du prosélytisme. En revanche, il n’y a pas à suspendre les examens pendant le ramadan car l’Etat n’a pas à s’adapter à la religion. Dans les cantines, il n’y a pas à mettre de menu halal mais on n’a pas à imposer à des enfants musulmans, juifs ou végétariens de manger du porc. Comme on ne va pas les priver de repas, pourquoi se priverait-on de menus de substitution végétariens ? Il faut être empirique et faire confiance aux acteurs.

L’association nationale des DRH souhaite, par exemple, que le port ou non du voile dans une entreprise relève du contrat de travail car chaque entreprise a sa culture et ses clients. Les hôpitaux ont aussi résolu le problème de la demande d’un médecin femme par des patientes femmes : s’il y a une femme médecin de disponible, elle vient, sinon – intérêt du service –, c’est un homme qui se présentera. Il n’y a pas besoin de loi pour tout cela.

Outre le renseignement, la réponse d’une démocratie au terrorisme doit-elle être sociale, culturelle… ?

Sur le social, je suis un peu sceptique. Le fait qu’une partie de la jeunesse – notamment les convertis – bascule dans le nihilisme pose un problème de société qui dépasse l’islam. Il faut opposer des contre-modèles. C’est le défi de l’école, mais elle me semble très mal partie pour le relever. La laïcité autoritaire ne sert à rien avec des adolescents qui, précisément, sont contestataires. Il faut faire de la morale sans faire de leçons. Il faut réintroduire de la culture. C’est pourquoi l’enseignement thématique de l’histoire est aberrant ! Traiter Moïse, Dreyfus et l’Holocauste dans le même cours, cela contribue à tout mélanger alors que ces jeunes sont déjà dans la confusion.L’école doit aussi assumer le débat dans les classes, quitte à entendre des horreurs. Gérer les conflits, c’est le boulot des enseignants à condition qu’ils soient soutenus par leur administration. Or, trop souvent, le mot d’ordre dans l’Education nationale, c’est : « pas d’emmerdes ».Il faut réintroduire de la responsabilité à tous les niveaux, plutôt que de demander des lois pour tout. Il faudrait aussi que l’on ne voit pas que les salafistes dans l’espace religieux. Il faut laisser émerger des modèles de musulmans modérés, mais pas en inventant une religion modérée.

A quoi attribuez-vous l’échec du CFCM ?

A l’impensé gallican de notre République qui ne rêve que d’une chose : régenter le religieux. Le but officiel du CFCM était de faire émerger un Islam de France. Or tous les ministres de l’Intérieur ont géré cela avec le Maroc, l’Algérie ou la Turquie. Toutes les questions sur l’Islam en France sont négociées avec trois Etats étrangers. Comment voulez-vous que le CFCM soit respecté par la nouvelle génération de musulmans qui eux sont Français ?

Elsa Freyssenet
/ Chef de service adjointe, Yves Bourdillon / Journaliste et Henri Gibier / Directeur des développement éditoriaux |
En savoir plus sur http://www.lesechos.fr

Conseils, formations… Des outils de réflexion et d’action pour promouvoir la laïcité

Elus, enseignants et territoriaux sont souvent démunis face aux demandes liées à des prescriptions religieuses. L’installation d’un comité consultatif laïcité peut les aider.

LaicitéConseil

Avec les enseignants, les élus sont en première ligne face aux sollicitations fondées sur des prescriptions ou des interdits religieux. Ils sont également confrontés à la montée du radicalisme chez certains musulmans. Pour y répondre, plusieurs communes se sont dotées d’outils permettant de mieux former leurs personnels au principe de laïcité.

A l’intention des professionnels

En 2012, la Métro (communauté d’agglomération Grenoble-Alpes métropole) a mis en place un dispositif de « formation-action » à l’égalité et à la laïcité à l’intention des professionnels des communes, associations et institutions (lire ci-dessous). Le 5 février, Rennes a lancé son « comité consultatif laïcité ».

« Aujourd’hui – cela remonte de manière régulière des différentes rencontres – des entreprises, des associations, y compris cultuelles, des administrations même, dont la ville de Rennes, manquent de repères sur la portée concrète et pratique du principe de laïcité. Sa mise en œuvre se heurte au brouillage des lignes entre les sphères privées et publiques », explique Nathalie Appéré, maire de Rennes.

Le comité consultatif laïcité pourra « émettre des avis et se saisir de toute question locale, dans une perspective de conseil, de soutien et d’aiguillon à l’action municipale », et devra rédiger d’ici fin 2015 une « Charte du vivre ensemble ».

Avec la montée de la radicalisation chez certains jeunes musulmans, ces outils sont-ils suffisants ? « Je pense qu’on irrigue, on instille, et on permet que la discussion s’ouvre. Nous sommes sollicités un peu partout dans le département (de l’Isère) », assure Michel Baffert, ancien vice-président de la Métro.

De la laïcité aux valeurs

Pourtant, depuis 2012, la situation sur le terrain a changé. « Les outils du type guides de la laïcité ne permettent pas de prévenir la radicalisation de certains jeunes. Les recruteurs ont affiné leurs techniques et il ne suffit pas de ne pas être discriminant pour les contrer, prévient Dounia Bouzar, anthropologue qui a participé à la conception du dispositif de la Métro. Grenoble est pour moi un exemple de bonne gestion, or c’est aussi une ville où il y a de la radicalité. »

Pour Myriam El Khomri, secrétaire d’Etat à la Ville, « la lutte contre le terrorisme et la radicalisation, et la lutte contre le racisme, les stigmatisations et l’antisémitisme » doivent pourtant aller de pair. Pour elle, les contrats de ville, qui rassemblent tous les acteurs, collectivités, tissu associatif et habitants des quartiers sensibles, pourraient être un levier d’action. A condition toutefois que soit ajouté aux trois volets existants, la cohésion sociale, l’emploi et le cadre de vie, un quatrième sur les valeurs de la République.

Trois conseils

Former élus et administration

Un personnel mieux formé est plus à même d’apprécier les situations et de savoir comment réagir à des sollicitations fondées sur des prescriptions ou des interdits religieux. Depuis 2013, l’université Lyon 3 et l’université catholique de Lyon, en lien avec l’Institut français de civilisation musulmane et le conseil régional du culte musulman Rhône-Alpes, et avec le soutien de la préfecture du Rhône, proposent un DU (diplôme universitaire) « Religion, liberté religieuse et laïcité ». Le public ciblé comprend agents des administrations (hospitalière, pénitentiaire, éducative, territoriale…), élus, etc. Des cadres managers de la ville de Lyon ont suivi cette formation. Selon Marylise Lebranchu, ce programme devrait inspirer celui que suivront les élèves des instituts régionaux d’administration (IRA).

Organiser le dialogue entre toutes les composantes de la société

Discussion et échanges favorisent des solutions consensuelles aux problèmes que posent parfois les religions. Le 6 février, Rennes a ainsi lancé un « comité consultatif laïcité ». Objectif : « Rendre accessible, lisible, compréhensible » par tous la laïcité et « se saisir de toute question locale, dans une perspective de conseil, de soutien et d’aiguillon à l’action municipale ». « Je pense à la question de l’occupation du domaine public », précise la maire, Nathalie Appéré, qui présidera cette instance. Composé d’élus de toutes les sensibilités du conseil municipal, de représentants des cultes et des mouvements de pensée, d’experts et d’acteurs de terrain, ce comité devrait se réunir à un rythme mensuel et rédiger, d’ici la fin de l’année, une Charte du vivre ensemble qui sera soumise au vote du conseil municipal au premier semestre 2016.

Trouver aide et conseil

Pour aider les familles confrontées à la crainte du départ d’un mineur pour la Syrie, le ministère de l’Intérieur a mis en place un numéro vert, le 0800.005.696. Les élus peuvent également contacter le « référent laïcité » dont sont dotées toutes les préfectures de France. Dans la plupart des cas, il s’agit du directeur de cabinet du préfet. En liaison avec le bureau des cultes du ministère de l’Intérieur, qui dispose d’une base de données juridiques, celui-ci renseignera les élus sur ce que prévoit la loi face à des situations comme une fonctionnaire décidant de porter le voile, une famille exigeant de la viande hallal ou casher à la cantine, etc. Ce référent laïcité est également référent pour la protection des lieux de cultes.

 

Ce que dit la loi.

Jusqu’à maintenant l’obligation de réserve – et de neutralité – à laquelle les fonctionnaires sont soumis est d’origine jurisprudentielle.
Marylise Lebranchu, la ministre de la Réforme de l’Etat, de la Décentralisation et de la Fonction publique entend la fixer dans la loi. Son projet de loi « relatif à la déontologie et aux droits et obligations des fonctionnaires » consacre ainsi, « pour la première fois dans le droit de la fonction publique, les valeurs fondamentales communes aux agents publics ».
Ainsi des « obligations de neutralité et de réserve » et du « respect du principe de laïcité ». En déplacement le 26 février à Lyon pour présenter ce texte, Marylise Lebranchu a précisé que l’ensemble des élèves des instituts régionaux d’administration (IRA) seront formés à la laïcité dès la rentrée prochaine. Reconnaissant que l’application concrète de ce principe peut poser des difficultés à certains agents, notamment ceux qui sont au contact direct des usagers, la ministre a ajouté qu’elle souhaitait, avant la rédaction définitive de son texte « organiser des rencontres avec les fonctionnaires (…) pour pouvoir répondre à ces difficultés ».
Voir notre cahier « 50 questions sur la laïcité ».

 

Sur le terrain

CA Grenoble-Alpes Métropole : une « formation-action » adaptée
L’idée de proposer une « formation-action » à l’égalité et à la laïcité à l’intention des professionnels des communes, associations et institutions de l’agglomération grenobloise est née d’une demande du terrain.

« Nous avons été sollicités vers 2008 par des animateurs socioculturels. Etant en contact direct avec des populations de quartiers fragilisés, ils ont exprimé le besoin de mieux connaître le principe de laïcité et d’être formés à l’appliquer », rappelle Michel Baffert, ancien vice-président de la Métro(1), et président du GIP « Objectif réussite éducative ».

Les Grenoblois précurseurs
Cette initiative faisait suite à une précédente session de formation, organisée avec la ville de Grenoble en 2010-2011, et intitulée « Gérer le fait religieux sans discriminer ». A l’époque, « les Grenoblois ont été vraiment précurseurs. Depuis d’autres villes ont suivi », assure Dounia Bouzar, anthropologue du fait religieux à laquelle la mise en place de la démarche de la Métro a été confiée.

Concrètement, cette formation-action a pris deux formes : une trentaine de professionnels issus de diverses communes de l’agglomération ont été formés à ces questions au cours de cinq ou six journées réparties sur l’année 2012. Parallèlement, trois séminaires ont été organisés à l’automne 2012. Enfin, un guide pratique censé aider les personnels à répondre aux difficultés d’application du principe de laïcité a été rédigé, qui est toujours en ligne(2).

Directeur de l’association sociosportive grenobloise Kiap, Brahim Wazizi a suivi la formation. « C’était très bien, on a abordé beaucoup de sujets : les repas scolaires, le ramadan, la mixité dans le domaine sportif », rappelle-t-il. Depuis, la formation n’a pas été reconduite, or « beaucoup d’acteurs ont changé », souligne-t-il. Résultat : « Dans des gymnases, certains créneaux mixtes ont été donnés à des femmes ». Preuve que rien n’est jamais acquis.

Par Catherine Corroller

Pour en savoir plus : http://www.courrierdesmaires.fr/