En 2015, près d’un quart des managers (23%) ont déclaré faire face à la question du fait religieux dans l’entreprise, contre 12 % seulement en 2014. Ceci est le résultat d’une étude menée par l’Institut Randstad et l’Observatoire du Fait Religieux en Entreprise (OFRE) en avril 2015 sur l’expression du fait religieux en entreprise.
L’occasion, pour nous, de faire un point sur ce sujet avec Hicham Benaïssa, chercheur au Groupe Sociétés, Religions, Laïcités du CNRS depuis 2010. Chargé d’études et de recherche « Diversité et fait religieux en entreprise » chez FACE de septembre 2010 à avril 2014, il a mené une recherche-action sur le thème de la gestion du fait religieux en entreprise.
« Une problématique qui commence à émerger publiquement »
Poser ses congés pour célébrer une fête religieuse, prier pendant ses pauses, porter un signe religieux devant ses collègues. Le fait religieux fait son entrée dans le monde de l’entreprise depuis quelques années. « L’entreprise est l’un des principaux lieux de socialisation dans notre société », Hicham nous explique ainsi l’intérêt d’étudier l’articulation du fait religieux en entreprise. Penser à l’entreprise comme une organisation à finalité économique est une limite. Il continue : « La fonction d’une entreprise dépasse ses fonctions premières. Améliorer les liens au sein d’une entreprise, c’est aussi améliorer les liens au sein de la société ».
Connaître, s’engager et agir
Pour ce jeune chercheur il s’avère donc fondamental entamer des recherches afin de proposer des formations et des sensibilisations dédiées aux entreprises qui souhaitent mieux s’outiller sur ce sujet. « Jusqu’à aujourd’hui j’ai dispensé une trentaine de formations et sensibilisé plus de 600 personnes. La demande ne cesse d’augmenter », souligne Hicham. L’expertise sur le sujet est le résultat de recherches qui confrontent les analyses juridiques et sociologiques existantes avec une série d’entretiens avec les acteurs directement concernés par cette problématique (salariés, managers, DRH, chefs d’entreprises…).
L’entreprise. Un lieu laïque ?
« Si nous entendons un lieu laïque par un lieu neutre, alors non. » précise Hicham Benaïssa. D’où naissent alors les problématiques liées au fait religieux en entreprise ? La réponse, d’après le chercheur, est à chercher dans l’assimilation de la laïcité à son principe de neutralité. « Nous oublions souvent qu’avant d’être une restriction, la laïcité est une liberté » continue-t-il. « Ceux à qui la loi commande la neutralité sont l’ensemble des personnes travaillant pour et au nom de l’Etat. L’entreprise n’est pas dans ce cas-là, elle reste régie par le droit privé. Par conséquent, en l’état actuel des choses, c’est le principe de liberté religieuse qui prévaut ». Néanmoins l’entreprise demeure un lieu régulé ou conditionné par des principes juridiques. Le droit du travail et la doctrine jurisprudentielle encadrent l’expression religieuse en entreprise. Ce qui explique pourquoi il est urgent d’en prendre connaissance et ne pas hésiter à interdire certains comportements dès lors que le droit le permet.
Selon une enquête rendue publique mardi 21 avril, près d’un manager sur quatre est confronté régulièrement au sujet de la religion au travail.
Demandes d’absence pour une fête, port de signes religieux, refus de s’adresser ou de serrer la main à une femme, pause dédiée à la prière: en un an, la question de la religion s’est ancrée au travail. C’est la conclusion de l’étude réalisée par l’Institut Ranstad et l’Observatoire du fait religieux (OFRE) auprès de 1 000 salariés dont la plupart exercent des fonction de cadre.
Selon une enquête de l’institut Randstad et de l’Observatoire du Fait Religieux en Entreprise (OFRE), menée pour la troisième année, 23% des managers déclarent rencontrer régulièrement, c’est-à-dire de façon quotidienne, hebdomadaire ou mensuelle, le fait religieux dans l’entreprise. Ils n’étaient que 12% dans ce cas en 2014. Selon les auteurs de l’enquête, ce résultat peut traduire une « banalisation » de ces sujets, les salariés hésitant moins à faire des demandes à leur hiérarchie en lien avec leurs croyances ou pratiques religieuses.
Un manager sur deux confronté au fait religieux
Au global, un manager sur deux a déjà été confronté au moins une fois à la question. Les sujets les plus fréquents sont les demandes d’absence pour une fête religieuse (19%), le port de signes religieux (croix, kippa, foulard, turban…) rencontré par 17% des personnes interrogées et les demandes d’aménagement d’horaire (12%). Plus rarement les prières pendant les pauses ou pendant le temps de travail, le refus de travailler avec une femme, ou le prosélytisme.
Dans l’ensemble, le contexte reste apaisé, notent les auteurs de l’étude, puisque 94% des cas rencontrés n’entraînent ni conflit ni blocage. Les raisons qui rendent certains cas plus difficiles à gérer sont d’abord les menaces d’accusation de racisme ou de discrimination et la remise en cause de la légitimité de l’entreprise et/ou du manager à contraindre la pratique religieuse.
Un sujet « compliqué à gérer »
Interrogée sur cette enquête, la numéro un du syndicat des cadres CFE-CGC, Carole Couvert, a reconnu mardi 21 avril que le sujet pouvait être compliqué à gérer pour les managers. « Oui, tout le monde n’est pas à l’aise avec le fait religieux. Tout le monde ne connaît pas l’ensemble des religions, ni les us et coutumes qui sont liés à chaque religion », a dit Mme Couvert sur Radio classique.
Elle a souligné ne pas avoir eu vent d’une hausse des « problèmes de faits religieux« , mais plutôt des difficultés des managers à « comprendre les besoins par rapport à certaines religions, par exemple le respect de certains temps de prière, de certaines périodes de l’année comme le ramadan ». « Tous les managers n’ont pas été formés à cela dans les cursus scolaires, donc ils se retrouvent démunis face à ce type de comportement ou ce type de demande et il vaut mieux en discuter (…) pour trouver ensemble un modus vivendi », a-t-elle souligné.
Elle a relevé qu’« un certain nombre de groupes n’ont pas hésité à avoir une négociation sur le sujet avec les partenaires sociaux et éditer par exemple un petit fascicule pour les managers, je pense par exemple au groupe Casino, et du coup ça démystifie complètement la problématique ». Ce type d’outils, a-t-elle insisté, « permet, y compris à un nouveau manager d’avoir un guide de survie par rapport aux différentes religions pour ne pas commettre de boulettes ». L’enquête est basée sur un questionnaire en ligne rempli entre février et mars par 1.296 salariés, exerçant pour l’essentiel (93%) des fonctions d’encadrement.
Ce que dit la loi
Dans le domaine privé le principe de laïcité ne s’applique pas. Un employeur ne peut pas interdire à un salarié d’exprimer ses convictions religieuses. Cependant, il a le droit de de poser des restrictions précises si la pratique religieuse est incompatible avec le travail exercé, la sécurité ou la bonne marche de l’entreprise. Un employeur n’est donc pas tenu d’accorder des jours d’absence pour des fêtes religieuses? Il peut également interdire certaines tenues (présence de machines dangereuses, ou représentation de l’entreprise à l’extérieur)
Dans le service public, la laïcité, c’est à dire l’obligation légale de neutralité vis-à-vis des religions, s’applique aux représentants de l’Etat ainsi qu’aux employés de structures privées ou d’associations qui agissent pour son compte.Les agents doivent respecter le principe de laicité, censé garantir leur neutralité à l’égard de tous les citoyens. Ces employés n’ont donc par le droit de porter dans le cadre de leurs fonctions des signes ostentatoires d’apprenance religieuse (kippa, voile islamique..). Il en va de même dans les collèges et lycées publics.
Dans l’espace publique, la règle diffère. Le liberté de culte permet d’arborer des signes religieux dans la rue, dans les transports en commun ainsi que sur les bancs des universités. Le voile intégral est en revanche prohibé, au motif qu’il dissimule le visage et l’identité de la personne qui le porte. Les manifestations religieuses sur la voie publique doivent faire l’objet d’une demande d’autorisation à la préfecture, sauf s’il s’agit de traditions locales répétées tous les ans ( par exemple les processions catholiques du 15 août).
Ce forum a rassemblé 80 participants : musulmans et chrétiens venus de plusieurs départements de la Région (prêtres, imams, éducateurs, conférenciers et responsables associatifs chrétiens et musulmans).
Dans la dynamique de l’Appel des 110 lancé à Lyon le 1er octobre dernier, les participants ont analysé les profonds bouleversements que traversent nos sociétés avec, en particulier, une montée de la violence.
Le Père Bruno-Marie Duffé, prêtre catholique, docteur en philosophie et professeur d’éthique sociale, a souligné qu’entre violence et Parole, une humanité cherche à se dire.
En effet, la violence est peut-être la forme « espérée » ou « désespérée » de la parole dans un monde où méfiance, frustration et non-écoute marquent bien la vie de nos contemporains. Or la diversité et le pluralisme accueillis et respectés peuvent libérer la parole.
Il faut donc œuvrer à faire tomber les peurs et à montrer combien est essentiel un « vivre ensemble » où chacun enrichit l’autre.
« Il est urgent de proposer des chemins porteurs d’utopie et d’espérance »
Pour les membres du Forum, chrétiens et musulmans doivent vivre d’un engagement de plus en plus exigeant.
Le dialogue islamo-chrétien doit être une force de proposition pour déradicaliser les extrémismes de tous bords et favoriser un « vivre ensemble » et une citoyenneté où la dimension spirituelle de l’homme pourra se déployer. Il est donc urgent de proposer avec d’autres des chemins nouveaux aux hommes et aux femmes de notre temps, chemins porteurs d’utopie et d’espérance, de justice et de spiritualité.
A l’issue du Forum, il a été décidé d’organiser quatre Forums régionaux à Marseille, à Rennes, à Saint-Étienne et dans une ville du Grand Paris, le 6 juin 2015.
1er Forum Régional Islamo-Chrétien à la Maison Saint-Antoine,
27-29 rue de la Visitation à Saint Étienne (Loire).
Le thème retenu et proposé pour ce premier Forum Régional est :
«L’Éducation et la transmission des valeurs» !
Ce thème veut nous aider à creuser les questions de la transmission des valeurs dans nos deux traditions, mais aussi de la liberté de conscience et du respect de l’autre dans un monde pluriel.
En présence du Père Joël Satre, (Délégué diocésain, St-Etienne), Abdelwaheb Bakli (Secrétaire Général Association Action-Espoir, St-Etienne), Aldo Oumouden (Porte-parole de la Mosquée Mohamed VI, St-Etienne), Bruno Marie Duffé (vicaire épiscopal de l’Eglise Catholique à Lyon) et Abdelhakim Ahonseri (Imam et sociologue à Grenoble), la pasteur Nicole Fabre, Bénédicte du Chaffaut (responsable diocésaine de Grenoble-Vienne) et Marie DAVIENNE – KANNI (membre du groupe diocésain de Grenoble-Vienne pour les relations avec les musulmans),…
L’après midi était réservée au ateliers de réflexion avec 7 groupes, 7 thèmes autour du même sujet : « Quelles difficultés rencontrons-nous dans l’éducation aujourd’hui ? Quelles solutions ou propositions ? »
Intervention de Bruno-Marie Duffé
L’éducateur est avant tout un témoin, un éclaireur : il prend appui sur son chemin, sur sa foi. Son « autorité » repose sur sa capacité à mesurer ce qui a de la valeur, ce qui a du sens, pour l’avenir de celui/ celle qu’il conduit, et pour la communauté.
On se rappelle de lui, longtemps après, parce que son chemin a de la valeur, parce qu’il nous a parlé.
Aujourd’hui, comment nous adresser aux jeunes ?
Est-ce que nous vivons ce que nous transmettons ?
Transmettre passe par le discours, mais aussi par une manière d’être, de recevoir, d’accueillir.
Les jeunes doivent consentir à ne pas savoir, à ne pas savoir tout de suite, à ne pas savoir trop vite !
Car la transmission requiert une initiation et des étapes : cela s’inscrit dans le temps.
L’autorité passe par celui qui est là, qui est fidèle, pas forcément sur celui qui crie le plus fort : c’est la douce autorité de la transmission.
Les grands défis des monothéismes sont le rapport entre les convictions et les liens communautaires, et la solidarité dans la communauté et les représentations de l’avenir.
Finalement, nous nous accompagnons mutuellement, éducateurs et éduqués, si nous décidons de prendre du temps ensemble !
Intervention de Abdelhakim Ahonseri
Chacun d’entre nous est berger et chacun sera responsable de son troupeau.
Posons-nous la question de savoir si à un moment dans notre vie, nous avons une fonction de berger.
Dieu est créateur et il nous confie sa création : l’éducation vient de plus haut que nous !
Atelier 1, auquel j’ai participé : « Essayer de définir ce qu’est l’éducation »
Redonner la fierté aux jeunes d’être croyants – Les amener à s’émerveiller de la création, des hommes, du monde : par des visites dans les musées, concert, promenades dans la nature – donner des responsabilités aux enfants et aux jeunes
La loi du 9 décembre 1905 sur la séparation des Églises et de l’État n’a jamais été aussi invoquée que depuis les dramatiques attentats du 7 janvier dernier et les tentatives d’attentat avortées qui ont suivi.
Dans le feu de l’indignation contre un acte qui prétendait punir un « blasphème », beaucoup à gauche, mais aussi à droite, proclament la nécessité de revenir aux valeurs fondamentales de la laïcité : inscrire la loi de séparation dans la constitution ( c’était au programme de Hollande), l’afficher dans toutes les écoles, faire des cours spéciaux d’éducation, voire de rééducation à la laïcité. Certains vont même jusqu’à suggérer de supprimer les fêtes chrétiennes du calendrier ou les saints de la toponymie.
Le danger de cette escalade est qu’elle provoque une réaction de rejet chez les populations que l’on vise d’abord, tels les jeunes musulmans rétifs à crier « Je suis Charlie ».
Il est aussi certain que cette surenchère laïciste affaiblisse encore le christianisme, élargissant ainsi la friche où pourra être semé l’islamisme le plus radical.
Une loi de compromis
Surtout elle méconnaît ce qu’est la réalité de la loi de 1905 et de ses suites. Loin d’être marquée du sceau de la radicalité, elle était, sinon dans son principe, du moins dans son application, une loi de compromis. Elle n’a réussi qu’à ce prix à rétablir la paix religieuse à la veille de la première guerre mondiale et à fonder un mode d’insertion durable du fait religieux dans la République.
Un compromis qui fut trouvé par tâtonnements et qui était nécessaire car la logique laïciste excluant sans réserve le fait religieux de l’espace public aurait tourné à la guerre antireligieuse telle qu’elle fut menée en Union soviétique ou au Mexique.
Le compromis se trouve à tous les niveaux : les églises deviennent propriété publique (et donc leur entretien est une charge publique) mais les cultes, principalement le culte catholique, continue de s’y pratiquer. Ce culte est régi non par les lois de la République mais par les « règles d’organisation générale propres à chaque culte » (article 4), donc le droit canon ; les processions ou autres manifestations publiques sont permises mais à titre exceptionnel pourvu qu’elles ne troublent pas l’ordre public. Il n’y a plus de religion d’Etat, mais des aumôneries subsistent dans les casernes, les hôpitaux, les lycées, les prisons. Dans l’armée, elles sont rémunérées par l’Etat. L’enseignement public est entièrement laïc mais il était interrompu un jour par semaine pour permettre le catéchisme. La loi concernait au départ tout le territoire national mais les anciennes dispositions concordataires furent préservées, non sans débat, en Alsace-Moselle et en Guyane.
Certaines dispositions dérogatoires sont une contrainte pour les églises : ainsi l’interdiction de célébrer un mariage religieux avant le mariage civil, acte cultuel que la loi devrait en théorie ignorer. De même, en interdisant l’enseignement primaire et secondaire – pas supérieur – aux ministres du culte, la République reconnaît le sacrement de l’ordre.
Les textes protocolaires font leur place aux représentants des cultes.
Depuis la dernière guerre, d’autres inflexions ont été apportées au régime de séparation stricte, la principale étant la loi Debré qui permet à l’Etat d’aider les établissements religieux sous contrat.
Il ne faut surtout pas chercher dans tout cela une logique stricte. Le compromis évoqué est forcement boiteux car fondé sur l’intersection entre deux logiques antinomiques tenant compte de manière pragmatique des réalités. Ce compromis a cependant le poids que lui donnent des années d’habitude.
Un compromis du même genre à trouver avec l’islam
Entre la logique totalitaire de l’islam et la logique de la République, il ne faut pas rechercher autre chose qu’un compromis du même genre.
Le culte musulman bénéficie déjà de certains avantages du régime actuel : ainsi les avantages de la loi Debré ont été offerts à certains établissements musulmans ; d’aumôniers musulmans sont rémunérés au sein des armées etc. On peut même penser que l’ingérence de l’Etat au travers du caractère quasi-officiel conféré Conseil français du culte musulman va beaucoup plus loin que ce qu’une interprétation même atténuée de la loi de 1905 pourrait autoriser, pour ne pas parler de certains financements occultes de mosquées par les communes.
Dès lors que le bon sens et la bonne volonté sont au rendez-vous (c’est devenu difficile en notre âge idéologique !), on peut imaginer ce que pourrait être un compromis tout aussi peu systématique entre religion musulmane et Etat laïque : l’usage du voile intégral doit être prohibé sur la place publique, celui du hidjab autorisé mais pas aux agents publics en activité. Il peut difficilement être toléré pour les élèves de l’enseignement primaire et secondaire mais, sauf à ignorer l’ambiance des Universités, on ne voit pas comment l’interdire aux étudiantes.
Les repas des cantines municipales ou scolaires doivent prévoir une option sans porc mais on ne saurait accepter que cette option soit, par facilité ou lâcheté, imposée aux non-musulmans ou que les cantines publiques entrent dans le détail de toutes les prescriptions de la loi coranique : cuisines et vaisselle spéciales. Il faut protéger de toute forme de pressions les élèves ne suivant pas les prescriptions islamiques.
La culture européenne est fondée sur la représentation ; il ne saurait donc être question d’interdire la représentation de qui que ce soit, dès lors qu’elle est respectueuse; mais sans rétablir une loi contre le blasphème, les communautés qui se sentiraient offensées par une représentation gravement injurieuse doivent pouvoir obtenir une réparation devant les juridictions civiles : il vaut mieux en effet que les affaires de ce genre relèvent des juridictions civiles et non pénales.
L’enseignement public doit être, selon les prescriptions de Jules Ferry, respectueux de toutes les croyances y compris chrétiennes, mais ce respect ne saurait conduire à faire leur place à des théories non scientifiques comme le créationnisme – ou la théorie du genre.
Le culte dans la rue peut être toléré s’il n’a pas pas de lieu de culte à proximité mais il ne saurait l’être s’il y en a un, surtout s’il est, par provocation, déserté.
Aucune théorie générale ne permettra de déterminer les contours exacts du compromis à établir mais, devant chaque problème, au cas par cas, il est aisé de déterminer la solution de bon sens qui préserve la paix civile. Ce travail d’approche pragmatique qui a été fait avec la religion catholique reste à faire pour la religion musulmane. Il nous fera davantage progresser que des proclamations aussi emphatiques que péremptoires telles qu’on les a vues fleurir ces derniers temps.
Roland Hureaux
Universitaire, diplomate, membre de plusieurs cabinets ministériels (dont celui de Philippe Séguin), élu local, et plus récemment à la Cour des comptes.
Alors que les Républicains se réunissent ce jeudi pour débattre sur l’islam, une étude montre que les Français sont les plus tolérants d’Europe à l’égard de leurs compatriotes de confession musulmane. Le réflexe qui consiste à brandir l’islamophobie s’agissant des défis de l’intégration de l’islam prouve combien l’approche collective du sujet est déficiente.
Selon une étude réalisée par le think tank américain Pew research Center, les Français ont l’opinion la plus favorable (76%) à l’égard des musulmans résidant en France. Les Britanniques (72%) et les Allemands (69%) arrivent aussi dans le trio de tête des pays partageant cet avis. Les Italiens et les Polonais sont les deux populations majoritairement défavorables aux musulmans de leur pays avec respectivement 61 et 56% d’opinion hostile. Les Espagnols, quant à eux, sont 52% à se manifester en faveur des musulmans situés en Espagne.
Atlantico : Un sondage réalisé par Pew Research Center, révèle que, parmi les Européens, c’est la population française qui a l’opinion la plus favorable des musulmans – à 76%, devant les Britanniques qui sont 72% à partager cet avis Pourtant, les Français sont aisément soupçonnés d’islamophobie, en témoigne les innombrables campagnes lancées sur le sujet et la focalisation sur le décompte des actes islamophobes. Pourquoi un tel biais ?
Rémi Brague : J’espère que l’inventeur du mot « stigmatisation » l’a fait breveter, car, si oui, il a dû faire fortune. On fait passer sous ce pavillon les marchandises les plus variées. J’aimerais que l’on mette à la place le mot de « critique ». Et pour deux raisons : d’une part, il implique que l’on distingue (c’est le sens du verbe grec qui en constitue l’étymologie) ce qui est bon de ce qui est mauvais. Et d’autre part, il suppose que l’on a des arguments à faire valoir, et pas simplement des affects. Or, parler de stigmatisation, ou de phobie, c’est suggérer que l’on est en présence de réactions purement épidermiques, et en tout cas injustifiées.
L’emploi du mot « racisme » est aussi un de ces mots qui empêchent de penser. Une religion n’est pas une race. Si la notion de race est vraiment solide (pour ma part, je la trouve molle…), elle désigne une qualité innée que l’on ne peut pas perdre : un Saint-Bernard ne devient pas un chihuahua. Or, une religion, en revanche, est quelque chose dont on peut changer. Sauf peut-être, justement, pour l’islam, qui se considère comme étant la religion « naturelle » de l’humanité. Une déclaration attribuée à Mahomet dit que tout homme naît selon le « naturel » (fitra) et que ce sont ses parents qui en font un juif ou un chrétien. Mais ils n’ont pas besoin de le faire musulman, car il est supposé l’être déjà.
Guylain Chevrier : Tout d’abord, la France ne l’oublions pas est une terre d’accueil et d’intégration, de tolérance des différences, mais sur le modèle du pacte républicain, à savoir, sous la condition de respecter ce qui nous est commun, la loi, les libertés, le politique, la démocratie, la Nation. La Haute Autorité de Lutte contre les Discriminations et pour L’égalité (HALDE) lorsqu’elle était en fonction, avait rendu une étude où parmi les critères de discrimination la religion ne représentait que 2% de l’ensemble, ce qui est encore vrai dans les récentes études du Défenseur des droits. On sait combien cet argument de l’islamophobie est avancé par certains à bon escient, avec l’exagération qu’il porte, pour parer à toute exigence critique constructive dans les rapports que l’islam entretien avec notre société, alors que les choses ici ne vont pas de soi. Dans la plupart des pays dits musulmans, l’islam est religion d’Etat contrairement à la France, dont la loi de séparation des Eglises et de l’Etat est le pilier de sa République. Il y a pour toute nouvelle religion un chemin à accomplir pour embrasser les institutions républicaines et trouver sa place, c’est là l’enjeu qui a été brouillé derrière l’entretient du fantasme d’une société rejetant massivement l’islam, bien que refusant certains excès du religieux (loi interdisant de se dissimuler le visage dans l’espace public, dite par certains, anti-burqa).
Ghaleb Bencheikh : En toute rigueur et dans l’absolu, dans les nations démocratiques, les sondages qui sollicitent l’opinion d’une frange de la nation sur une autre frange sont plus que problématiques. Toutefois, le résultat de ce sondage remet les choses à plat. Il permet d’engager des ressources afin de gagner cette bataille pour construire une nation commune, fière de son Histoire commune, le général de Gaulle a raison de dire « cette France qui vient du fond des âges ». Et tous les citoyens doivent aussi être solidaires de ce patrimoine.
En tant que citoyen de confession islamique, il est nécessaire de refonder notre pensée théologique. Nous pouvons le faire en France, et nous devons le faire en France. Les musulmans, les théologiens, doivent s’atteler à cette vaste entreprise qui ne pourra se passer de la désacralisation de la violence, de revoir le discours classique, voire rétrograde, de sortir de l’obscurantisme qui prévaut dans les banlieues ou dans certaines mosquées. Il faut également former les imams à l’esprit intelligent ; insuffler l’amour de la France dans le cœur des imams et des musulmans, prier pour la République comme le font nos compatriotes juifs. Se sentir corps dans la nation, répondre par le fameux aphorisme prophétique « aimer sa patrie d’une marque de foi ». Cela correspond à participer au récit national. Cela permettrait de passer outre une vision archaïque de la religion, et surtout entreprendre ce travail de refondation de la pensée théologique.
En quoi cette dénonciation largement exagérée de l’islamophobie a-t-elle pu parasiter l’image que l’on se fait de l’islam ?
Guylain Chevrier : L’exagération vient déjà du terme lui-même, que l’on traduit par « délit de blasphème », interdiction de la critique d’une religion. Ce qui implicitement signifie que tout ce qui touche à l’islam ne pourrait être dit que par les musulmans eux-mêmes. Le caractère de victimisation qu’il porte dans cet état d’esprit a aussi eu tendance à exaspérer, en présentant en quelque sorte l’islam comme la seule chose qui ne pourrait supporter le débat démocratique au pays des idées. Ce terme a donc une forte connotation politique qui a eu pour effet de faire écran à l’ouverture d’un véritable dialogue avec nos concitoyens de confession musulmane.
Il y a une autre responsabilité. Celle des grands médias, a avoir repris ce terme sans nuance. Mais aussi parallèlement, du fait de parler systématiquement de « communauté musulmane » lorsque sont évoqués les musulmans (France info peut dire « 4 millions de musulmans commencent aujourd’hui le ramadan » au début du jeune), donnant l’impression d’un tout homogène, où la pensée démocratique ne circule pas, figé sur des préjugés religieux. Une situation alimentée par une partie des musulmans qui se sont affirmés à travers une visibilité propre à des manifestations vestimentaires qui ont rompu avec la neutralité de notre société sécularisée. Le port du voile est ainsi perçu comme la volonté de faire passer des valeurs religieuses avant celles de la société, et comme le refus du mélange au-delà de la communauté de croyance. Tout le contraire de la mixité sociale et culturelle qui est une valeur capitale de notre république égalitaire, qui ne survivrait pas à une séparation selon les différences.
La progression des communautarismes, des inégalités sociales et territoriales, au détriment du vivre ensemble, qui a contribué au développement de tensions et du repli sur soi, constitue une situation qui a encouragé le recours à l’argument de la lutte contre l’islamophobie.
Quels sont les défis l’islam pose à la société française ? Quelles sont les failles dans nos modes de pensées traditionnels qu’il révèle ?
Guylain Chevrier : Face à une minorité agissante qui a fait un usage outrancier de la lutte contre l’islamophobie, on a cédé sur la nécessité de tenir bon sur la laïcité. Ainsi, la laïcité qui assure la liberté de conscience de tous les citoyens s’est trouvée réduite aux yeux des différentes majorités à la seule « liberté religieuse » ou au dialogue inter-religieux. Au lieu de traiter les musulmans d’abord comme des citoyens, on a créé de toute pièce un organisme qui était censé les représenter, le Conseil Français du Culte Musulman, tendant à figer les possibilités d’une intégration républicaine par l’effet d’identification communautaire ainsi créé, dont certains ont su s’emparer pour jouer de cette logique. Les élus, peu ou prou, participent trop souvent au financement public des lieux de culte, croyant acheter ainsi la paix sociale. Des pratiques qu’a entérinées le Conseil d’Etat à travers toute une série de dérogations qui aménagent le principe de laïcité pour le vider de son sens. A l’école, sous couvert de laïcité, c’est l’obsession du renforcement de l’enseignement du fait religieux auquel on fait appel, pour organiser l’intégration des élèves par leurs différences. On a cru par là voir une solution au mal être qui règne, appuyant dans le sens de ce qui sépare alors qu’il s’agirait de redonner au contraire, au principe de laïcité, toute sa portée d’intérêt général. D’autant qu’elle culmine dans la protection des différences, à porter au-dessus de toutes le bien commun, assurant ainsi qu’aucune d’entre elles ne prenne le pouvoir sur les autres.
A l’affirmation de l’islam, on a répondu par le traitement égal des religions, ce qui a été une erreur. On a ainsi donné une réponse à un tout qui est en réalité hétérogène, avec des musulmans divers qui entendent pouvoir choisir leur façon d’exercer leur religion sans que l’on encourage à ce qu’on leur impose une seule façon de voir, par voie d’assignation. D’autant que nous avons affaire à une religion en mouvement.
Ghaleb Bencheikh : Interdire toute critique de l’islam, y compris de l’islamisme ou du fondamentalisme sous prétexte de l’islamophobie n’est pas sain. En revanche, ce que j’appelle la misislamie, c’est-à-dire, la haine de l’islam assumée et l’hostilité déclarée et revendiquée à l’encontre des musulmans est totalement inacceptable. Et elle doit tomber sous le coup de la loi. Pour le reste, on ne peut pas avancer sans une critique constructive. Nous devons même en être demandeurs. Toute doctrine ou philosophie, toute théologie qui ne s’affirme pas dans le débat, et qui fuit le choc des idées finit par s’atrophier et se vulnérabiliser. Il ne reste plus que le fanatisme pour essayer de survivre quelques instants.
Notre démocratie, fût-elle évolutive et perfectible, nous permet de vivre sous un ciel plus clément à Paris qu’à Riyad ou à Khartoum ou à Alger, et il incombe à nos compatriotes de confession islamique de poser un débat académique, intellectuel, porteur et émancipateur. Je suis atterré de voir que beaucoup parmi les musulmans sont plutôt dans une logique de religiosité sauvage, comme l’aurait dit le Cardinal Danielou, une religiosité crétinisante, davantage opérée de manière comptable sur le licite ou l’illicite pour rentrer au paradis et éviter de périr par le feu de l’enfer. Ceci n’est pas bon : les idioties sur les effets alimentaires ou vestimentaires reflètent l’idée que nous n’avons pas su sortir des basses-eaux d’une religiosité archaïque.
Comment cette dimension politique de l’islam se traduit-elle concrètement ?
Rémi Brague : En principe, l’islam considère les nationalités et les origines sociales comme secondaires par rapport à l’appartenance à la « nation » (umma) islamique. Dans l’histoire, telle que les musulmans se la racontent, on attribue toute sorte de maux à l’attachement exclusif à une nation particulière. Quant à savoir comment « les » musulmans de France ressentent leur appartenance à la France, comment ils la situent par rapport à d’autres appartenances, cela varie selon les individus.
C’est aussi nous qui rabattons certaines personnes sur leur identité musulmane, alors que nous pourrions les considérer, comme ils se considèrent eux-mêmes, comme pouvant être certes musulmans en matière de religion, mais aussi comme originaires de tel pays du Maghreb, du Levant ou d’Afrique noire, comme parlant tel langage (« les Arabes », quelle insulte pour les Berbères !), comme exerçant tel métier, etc.
Cette nature politique de l’islam est-elle compatible avec la conception française de la laïcité et de la liberté de conscience qui reposent sur l’idée que la religion relève de la sphère privée ? En quoi l’islam fait-il exploser nos catégories de pensée traditionnelles ?
Rémi Brague : Notre notion de « religion » est calquée sur le christianisme. Nous distinguons ainsi des activités que nous considérons comme religieuses, par exemple la prière, le jeûne, le pèlerinage, et d’autres qui, pour nous, ne relèvent pas du religieux, comme certaines règles de vie : interdictions alimentaires, vestimentaires, rapports entre sexes, etc. Or, pour l’islam, ce sont là des parties intégrantes de la religion. Ce qu’ils appellent « religion », c’est avant tout un code de comportement, une démarche à suivre (c’est le sens du mot sharia). Il en est ainsi parce que le Dieu de l’islam n’entre pas dans l’histoire, soit par alliance (judaïsme), soit en poussant l’alliance jusqu’à l’incarnation (christianisme), mais y fait entrer la manifestation de Sa volonté, sous la forme de commandements et d’interdictions. Le message divin est soit une répétition des messages précédents (un seul Dieu, qui récompense et punit), soit une législation la plus précise possible. Le judaïsme connaît lui aussi un code de conduite très précis, mais ce code ne vaut que pour les Juifs. L’islam, lui, dit que tout homme doit s’y conformer.
Nous avons du mal à le comprendre, mais l’islam est avant tout un système de règles qui doivent avoir force de loi dans une communauté. Ces règles peuvent être appuyées par l’Etat si celui-ci est musulman, auquel cas on aura une police spéciale pour assurer, par exemple, le respect du jeûne du ramadan ou la vêture des femmes. Mais si la pression sociale (parents, grands frères, etc.) ou la force de la coutume y suffisent, tant mieux. L’islam distingue une invocation de Dieu qui peut se faire en privé, et une prière publique, avec des formules et des gestes déterminés. C’est elle qui constitue l’un des cinq « piliers » de l’islam.
La laïcité, notre vache sacrée, n’est pas elle-même une idée très claire.
C’est une cote mal taillée, produit d’un compromis entre deux instances localisées et historiquement datées : l’Etat français du XIXe siècle et l’Eglise catholique. L’appliquer telle quelle à l’islam, à la mesure duquel elle n’a pas été taillée, entraîne des mécomptes. Le christianisme a l’habitude de séparer la religion et les règles juridiques ; pour l’islam, le seul législateur légitime est Dieu.
Pourquoi est-il important aujourd’hui de sortir de la confusion entretenue autour de l’islam ? Quels sont les faux débats qui ont pu émerger ?
Guylain Chevrier : Le temps est à une clarification vitale pour pouvoir avancer. Il s’agit d’inverser le sens des choses pour mettre en valeur l’apport d’une laïcité bien comprise par tous, s’exprimant à travers l’égalité de traitement devant la loi indépendamment de la religion, de la couleur ou de l’origine, donc un humanisme qui permet l’accès de chacun aux mêmes biens, économiques et sociaux par exemple, qui ne peut se négocier dans ses principes essentiels. Il n’y a pas de religion à exclure par principe de cette convergence, de la compréhension de cette communauté de biens, mais faut-il encore lever les confusions que comprend par essence le terme islamophobie.
Dans un contexte d’’agitation autour de la lutte contre l’islamophobie, on a vu monter les revendications religieuses à caractère communautaire d’une minorité de musulmans parfois très militants : jours fériés musulmans en remplacement de jours chrétiens en réalité laïcisés, revendications de salles de prières dans les entreprises qui ne sauraient être des lieux de culte, de piscines ouvertes à des horaires spécifiques uniquement pour des femmes ce qui est discriminatoire… L’affaire Baby Loup, qui a donné lieu aux pires procès en islamophobie, a été finalement un marqueur de la période pour montrer toute l’importance que tous se retrouvent sur les mêmes valeurs, et qu’au nom d’une religion ou d’une autre, on ne puisse imposer la reconnaissance juridique des particularismes qui conduisent inévitablement à la différence des droits.
Pour autant, ce n’est pas la première fois que cette crainte de l’islamophobie est factuellement déboutée. Entre islam et nation française, comment sortir de l’émotion pour revenir à la raison ?
Guylain Chevrier : A force d’utiliser l’argument de l’islamophobie pour empêcher le débat public sur les rapports qu’entretient la République avec l’islam, ses grands enjeux ramenés à la simple question de l’accepter ou de le rejeter, non seulement de la part du CFCM ou de l’UOIF, mais des grandes formations politiques, on a nuit à une nécessaire réflexion au regard des rapports entre cette religion et notre société. On a laissé se développer l’idée que la laïcité serait un instrument ne visant qu’à la stigmatiser et à la restreindre. Il faut montrer que c’est un outil de libération et que les règles qui s’appliquent à tous de manière universelle ne sont en aucune façon hostiles aux musulmans, mais au contraire, à ne pas leur faire un sort particulier et visent à ce qu’ils prennent toute leur place dans l’espace commun citoyen. Cela ne peut aller sans pointer c’est vrai, certains problèmes, telle l’égalité hommes-femmes contestée par les textes (Coran – Sourate 4), une des clés de voûte aujourd’hui de notre société.
Cela passe aussi par une réforme indispensable plus large de l’islam, comme le rappel l’anthropologue des religions Malek Chebel1, entre autres, en ce qui concerne la séparation du politique et du religieux, qui n’est pas encore acquise et est indissociable de la modernité démocratique. Les politiques ne devraient pas s’immiscer dans l’univers religieux en croyant pouvoir y influer en faveur de l’enseignement d’une religion apaisée, mais garantir le cadre qui place la religion en situation de devoir s’adapter à un ensemble dans lequel elle peut parfaitement trouver sa place en en comprenant le sens, et ce, sans toucher à la citoyenneté, première dans l’ordre de l’identité et de la reconnaissance de chacun au regard de tous.
Qui est Charlie ? Sociologie d’une crise religieuse, le sous-titre de ce livre est important, car Emmanuel Todd sait qu’entre les bouleversements politiques et les phénomènes religieux existent souvent des imbrications et même des interactions. Le sociologue, avec des cartes à l’appui de ses analyses, veut faire œuvre de révélation. Il cherche à démasquer ce qui se cacherait derrière la grande revendication républicaine du 11 janvier 2015. Son diagnostic est rude : les motifs nobles de défense de la laïcité et de liberté d’expression ne seraient qu’une façade, alors qu’en profondeur, les manifestants s’inspireraient d’une idéologie à base d’autoritarisme et de refus de l’égalité, qui serait dans la société française la trace tenace d’une culture catholique en état de survie. J’ai pensé d’abord qu’il fallait refuser cette vision très partielle de ce que l’on appelle le catholicisme considéré comme un système autant qu’une religion.
Mais j’ai compris que l’intention de l’auteur est beaucoup plus large. Il sait montrer les dépendances réciproques qui relient crises politiques et évolutions religieuses : la Révolution française, de 1789 à 1795, est inséparable de la crise intellectuelle et spirituelle du catholicisme, dans la seconde moitié du XVIIIe siècle, sans oublier l’influence janséniste, liée à une conception d’un Dieu désincarné, qui laisse la place libre aux rêves de transformation sociale. La dévitalisation du catholicisme provoque toujours des vides qu’Emmanuel Todd qualifie de métaphysiques.
Il n’est pas interdit d’analyser ainsi les temps actuels, marqués par des incertitudes économiques évidentes, surtout quand des logiques financières déliées du réel dictent leurs lois aux marchés, et marqués tout autant par un athéisme diffus, beaucoup plus inquiet que conquérant ou même humaniste. Emmanuel Todd a raison de penser que l’athéisme est devenu difficile, surtout si, pour faire bonne figure, il s’accompagne de transgressions aussi bien sexuelles que financières, qui donnent à ses adeptes l’impression non pas de se mettre à la place de Dieu, mais de jouer avec la vie et de défier la mort. Mais certains athées d’aujourd’hui ont le sens du tragique et de l’absurde. Ils se battent, ils luttent, ils ne rêvent pas de « réenchanter le monde », ils sont très différents des promoteurs de la première laïcité, si ardente dans ses projets d’émancipation des hommes par la raison, et encore plus des communistes du XXe siècle, qui se présentaient comme les prophètes d’un monde régénéré par la lutte des classes. Les temps actuels sont dominés par un désenchantement sournois et par une désacralisation assez générale de toutes les idoles d’antan, y compris de la République laïque, ce qui peut justifier un réveil laïciste parallèle à la résurgence de certaines formes de catholicisme intransigeant.
Reste la question lancinante, qui n’est pas le centre de la démonstration d’Emmanuel Todd, mais un de ses éléments latéraux : le catholicisme serait-il la religion du passé ?, condamné à survivre et à défendre sa place dans notre société sécularisée, en diabolisant les musulmans supposés tous dangereux et en consentant à ce nouvel antisémitisme que véhicule l’Islam international. Je crains qu’Emmanuel Todd n’ait partiellement raison, pas seulement à cause de ce positionnement plus ou moins caché d’un catholicisme traditionnel qui se servirait des autres religions pour assurer sa survie, mais en fonction d’une autre dérive : des catholiques, se sentant menacés ou concurrencés, peuvent être tentés de n’évaluer leur présence dans la société française qu’en termes d’influence politique, tout en adoptant des attitudes défensives et agressives face à l’État laïque.
D’autant plus qu’un réveil du laïcisme, inspiré par la phobie du « religieux », aussi bien musulman que catholique, cherche à combler le vide de la pensée politique, qui se contente d’observer la préparation des prochaines courses présidentielles. Face à ces durcissements réciproques, Emmanuel Todd a raison de penser et de dire qu’il faut prendre la religion au sérieux, en comprenant ce qu’elle apporte à notre société incertaine.
Nous voilà alors obligés, nous, catholiques en France, à renoncer à nos rêves d’antan, en reconnaissant que ce qui nous détermine le plus profondément, ce n’est pas notre influence politique, c’est notre expérience intérieure, spirituelle et même mystique, en exprimant par ce terme le désir de connaître et de rencontrer celui que nous appelons Dieu. Car l’intériorité et la mystique font aussi partie de la religion. Je le vérifie en exerçant ma mission d’évêque. On peut s’enfermer dans des pastorales de survie, en cherchant à faire revivre ce qui a disparu. On peut aussi – et c’est un long travail d’éducation – comprendre les temps actuels comme des temps de métamorphoses. Que les formes d’un catholicisme pensé comme un système d’ordre politique et moral subsistent, cela est certain ! Mais ce qui est passionnant, c’est de voir surgir aussi des formes nouvelles qui allient l’expérience intérieure et la pratique de la fraternité.
Avec ce qui demeure une « note » catholique : la conscience d’une responsabilité universelle, qui passe par l’Hexagone, mais qui nous interdit d’avoir des visions étroites du monde, d’autant plus que le pape François est là pour nous encourager à cet universalisme concret qui nous ouvre aux réalités de l’environnement autant qu’à l’accueil des étrangers parmi nous. Et qui nous rend aussi impatients de ce qui est au-delà de l’histoire et qui commence au-dedans de nous et de notre monde, en nous empêchant d’être esclaves des médiocrités et des ruses de l’actualité immédiate ! Je souhaite que les réflexions passionnées et quelquefois partiales d’Emmanuel Todd nous obligent à affronter, avec toutes nos ressources spirituelles, cette crise qui nous est commune et qui concerne notre avenir commun.
Le Monde.fr | 01.06.2015 à 10h53 • Mis à jour le 01.06.2015 à 10h55 Par Claude Dagens, évêque d’Angoulême de l’Académie française
Devant une foule nombreuse venue l’écouter au centre Claverie, Cheikh Khaled Bentounès a commencé son intervention en rappelant ses amitiés avec feu Claverie tué par le terrorisme en disant « j’ai un lien particulier avec cette maison. ( …) L’ami enterré ici venait souvent à la zaouïa de Mostaganem où on discutait notamment de l’avenir de notre pays».Ce qui l’a amené à avancer que «la tradition musulmane incite à la rencontre de l’autre». Après un long développement, il conclura «c’est la rencontre avec l’autre qui nous permet d’accéder mieux à nous-mêmes». Il ajoutera que «Dieu a mis en chacun de nous un secret: cette capacité de comprendre l’autre». Ce qui pourrait nous faire éviter «ce labyrinthe de classification» consistant à trier les humains en noir et blanc; croyant, non croyant; musulman; non musulman; sunnite, chiite ..Une fois le cadre défini, la place « de la rencontre des autres » dans les religions, Cheikh Khaled Bentounès abordera le sujet de sa conférence portant sur son initiative pour « l’institution d’une journée du vivre-ensemble » par les Nations unies. Il s’interrogera « que faire dans un monde rentré dans les turbulences ? » Et de surprendre son assistance en tonnant « nous vivons une époque magnifique». Il se réfère aux statistiques des Nations unies pour affirmer que « la violence a baissé de l’ordre de 17% par rapport au 18 et 19ème siècle » alors que « la population mondiale s’est multipliée par sept ». Il estimera que « la communication au niveau universel se fait sur la violence et non la paix » ce qui nous donne l’impression de « vivre dans un monde violent ». Abondant dans ce sens, il réfutera que la région du Moyen-Orient, berceau de toutes les religions monothéistes, soit la région la plus violente. « C’est l’Amérique du Sud où sévit la violence », lance-t-il. Pour Cheikh Bentounès « la réalité n’est pas aussi catastrophique ».Sur son projet, présenté à l’ONU il y a quelques mois, suite au Congrès mondial sur « la Femme et la Paix » organisé à Oran, en novembre dernier, il affirme « qu’il a été bien reçu » par les instances internationales. Il ajoutera que « 6000 délégués » représentant les pays membres de l’ONU, l’ont reçu. Ceux avec qui il s’est entretenu lors de son passage à New York lui ont demandé pourquoi juste « une journée pour le vivre-ensemble », indique t-il. Façon de dire que « le vivre-ensemble » supposant l’acceptation de l’autre en dépit de ses différences, doit être l’attitude de tout un chacun l’année durant. Cheikh Bentounès réclame un million de signatures pour pouvoir imposer son projet. Dans ce sens, il dira « une signature, c’est votre empreinte que vous allez apposer à ce merveilleux édifice ». Il donnera juste un chiffre pour expliquer la nécessité et l’urgence de s’inscrire dans une démarche pour la paix. « Le coût de la violence se situe à 9,47 trillions de $ par an ». Or, le 1/10 de cette somme peut permettre à tous les enfants d’Afrique de s’épanouir et de rêver d’un monde meilleur au lieu de se lancer dans des suicides collectifs en voulant rejoindre les rivages du Nord.
Encore très peu nombreux, ces établissements ont le vent en poupe. Ils rassurent une communauté en quête d’affirmation identitaire mais aussi de bons résultats scolaires. L’Etat doit-il les prendre dans son giron pour mieux les contrôler ?
Ouvert depuis 2009, le collège-lycée Ibn-Khaldoun, à Marseille, espère passer sous contrat à la rentrée. Ici, une classe de cinquième. France Keyser/Myop pour L’Express
Le silence règne dans la vaste salle ripolinée de blanc où l’odeur de peinture est encore prégnante. Les étagères parsemées de livres aux couvertures plastifiées sont prêtes à accueillir les ouvrages que le documentaliste déballe des cartons. « Ça commence à bien se remplir », se réjouit-il à voix basse, pour ne pas déranger la jeune fille qui révise ses leçons dans un coin de la salle.
« Ce qui marche le mieux, ce sont les mangas et la science-fiction. Mais nous avons aussi des livres sur l’islam et des contes en arabe d’un niveau accessible. » A l’heure du déjeuner, dans cet établissement privé musulman des quartiers nord de Marseille, les élèves se précipitent pour emprunter ou dévorer sur place les livres mis à leur disposition.
Embauché à mi-temps en septembre, le responsable du centre de documentation et d’information (CDI) constitue petit à petit une bibliothèque où se côtoient littératures contemporaine et classique. « Je ne m’interdis rien, même si certains parents ont été un peu choqués par L’Attrape-coeurs ou L’Herbe bleue. »
Orchestrée dans l’urgence, en deux mois, pendant l’été 2014, la création du CDI a été exigée par le rectorat, dans la foulée de son inspection. Supprimer l’issue de secours de la mosquée donnant sur le réfectoire, installer un point d’eau dans le laboratoire, réunir le conseil d’établissement trois fois par an et réorganiser l’emploi du temps en plaçant les cours optionnels – éducation musulmane – en début ou fin de journée…
Mohsen Ngazou, le directeur d’Ibn-Khaldoun, a appliqué ces recommandations à la lettre. Ces jours-ci, il attend avec fébrilité le verdict du ministère. Il espère décrocher enfin le fameux contrat. Une reconnaissance du travail accompli depuis 2009 et une bouffée d’oxygène pour le compte en banque d’Ibn-Khaldoun, dont une partie des professeurs seraient, dès lors, payés par l’Etat. Les pieds dans la glaise, il arpente avec enthousiasme le chantier inachevé de l’établissement et rêve aux futurs bâtiments, qui pourraient accueillir, à terme, près de 500 élèves.
7600 institutions catholiques et 250 écoles juives
S’il obtient le contrat d’association, Ibn-Khaldoun sera le quatrième établissement musulman de France à bénéficier du soutien de l’Etat. Un score sans comparaison avec les 7600 institutions catholiques et les 250 écoles juives. Pour être placé « sous contrat », un établissement doit se prévaloir d’une ancienneté de cinq ans et être jugé conforme par le rectorat. Il existerait actuellement en France une petite quarantaine d’écoles musulmanes et une cinquantaine en projet, dont une dizaine ouvriront dans deux ou trois ans.
A l’oeuvre depuis une dizaine d’années pour sortir l’enseignement musulman de la marginalité, l’Union des organisations islamiques de France (UOIF) passe aujourd’hui à la vitesse supérieure. Création de la Fédération nationale de l’enseignement privé musulman (Fnem), lancement de formations, organisation, le 23 mai, des premières assises.
« Nous souhaitons mutualiser nos expériences et accompagner les initiateurs de projets pour faciliter leurs démarches », expose Makhlouf Mamèche, qui cumule la présidence de la Fnem avec ses responsabilités de viceprésident de l’UOIF et de directeur adjoint du lycée Averroès (Nord). Pour Amar Lasfar, président de l’UOIF, après la focalisation sur la construction des mosquées, « l’ère de l’école est venue ». Plusieurs cadres de l’UOIF se trouvent aujourd’hui à la tête d’écoles musulmanes.
La tentation du privé
Au cours des deux dernières années, de nombreuses initiatives locales ont fleuri, à Carpentras, Nanterre, Toulouse, Halluin, Argenteuil, Nice ou Toulon, encouragées par une communauté inquiète et soucieuse de donner le meilleur à ses enfants. « Longtemps, les musulmans ont préféré fréquenter l’école publique, pour être dans la République. Les imams eux-mêmes les y encourageaient, analyse Bernard Godard, spécialiste de l’islam et auteur de La Question musulmane en France (1). Aujourd’hui, les aspirations de la classe moyenne ont évolué. »
La loi du 15 mars 2004 sur le port de signes manifestant ostensiblement une appartenance religieuse, puis la défiance générale à l’égard de l’école ont gonflé les départs des enfants de la communauté musulmane vers le privé. A Marseille, dans certains établissements catholiques, ils représenteraient 50% des effectifs. La demande d’ouverture d’écoles confessionnelles se fait plus pressante. Les polémiques sur l' »ABCD de l’égalité », l’an dernier, et les surenchères récentes du FN et de Nicolas Sarkozy sur la laïcité ou les « repas de substitution » font monter la tension d’un cran.
A Nanterre, l’association Orientation, qui ouvrira à la rentrée la première école musulmane des Hauts-de-Seine, a reçu 50 demandes d’inscription pour 20 places disponibles. A Grenoble, à la Plume, l’une des premières écoles élémentaires privées de confession musulmane, apparue en France il y a quatorze ans, la directrice a refusé 60 dossiers pour la rentrée de 2015. A Averroès, le célèbre établissement lillois, classé meilleur lycée de France en 2013 avec 100% de réussite au bac, les inscriptions sont closes depuis décembre.
Dans son bureau donnant sur le parking du RER, entre deux vrombissements de train, Mahmoud Awad, président du collège-lycée Education et savoir, situé à Vitry-sur-Seine (Val-de-Marne) et créé en 2008, se confie. Lui aussi attend avec impatience, pour ces jours-ci, la réponse du rectorat à sa demande de passage sous contrat. Surtout pour soulager la situation financière ultratendue de l’association.
« Une équipe d’inspecteurs de l’Education nationale a passé deux jours chez nous l’an dernier et elle est revenue cette année. Comme demandé, nous avons loué une salle supplémentaire pour le réfectoire, afin d’y faire déjeuner nos 117 élèves », rapporte, dans un soupir, cet ingénieur, délégué régional de l’UOIF, en désignant le tableau de financement de l’établissement affiché sur le mur.
Leurs cartes maîtresses : élitisme et excellence
Visage ouvert et attitude bon enfant, les élèves de seconde de ce lycée, réquisitionnés par la direction pour répondre à nos questions, expriment leur satisfaction. Sonia (2), 17 ans, se destine aux études de médecine : « J’aurais pu aller chez les cathos. Mais ici, à 13 par classe, on apprend vraiment bien. En prime, on peut faire nos prières. » Sidi (2) fréquente Education et savoir depuis la classe de sixième et supporte une heure de trajet pour venir jusqu’à Vitry : « Plusieurs amis m’en avaient parlé. J’ai essayé et je n’ai plus voulu changer. Les profs nous encouragent beaucoup. Et ils nous apportent une aide individuelle. On peut même leur envoyer des e-mails. »
Amelle Bekri enseigne le français à Vitry depuis deux ans à raison de dix-sept heures par semaine. Cette jeune femme, qui porte le voile, suit scrupuleusement le programme de l’Education nationale. « Les enfants bénéficient d’un soutien scolaire en maths et en français, précise-t-elle. Les résultats sont excellents. Bon nombre de nos anciens élèves sont aujourd’hui dans des grandes écoles. »
Comme Ibn-Khaldoun ou Education et savoir, les établissements désireux de passer au plus vite sous contrat évitent de trop mettre en avant les salles de prière à la disposition des élèves ou les cours d’éthique musulmane. Lesquels, généralement optionnels, sont cependant la plupart du temps suivis avec assiduité. Vis-à-vis de l’Etat comme des parents, ces écoles brandissent une carte maîtresse : élitisme et excellence. Mais… la recette ne fonctionne pas si facilement.
A Décines, dans la banlieue lyonnaise, le groupe scolaire Al Kindi, devenu le plus grand établissement musulman de France, a longuement bataillé avec le rectorat, il y a quelques années, lorsque celui-ci s’est opposé à trois reprises à son ouverture, invoquant des raisons d’hygiène et de sécurité. Perçue comme une croisade anti-islam, l’opposition du recteur de l’époque, Alain Morvan, avait mobilisé la communauté musulmane. Si la médiatisation du conflit a finalement levé les obstacles, Al Kindi n’a toujours pas obtenu la possibilité de passer toutes ses classes sous contrat.
A Montigny-le-Bretonneux, dans les Yvelines, Slimane Bousanna peine, lui aussi, à décrocher le contrat d’association. « Je comprends que l’émergence de ces écoles puisse crisper. Mais, contrairement à d’autres, nous ne sommes pas l’émanation d’une mosquée. De plus, nous avons fait revenir sur les bancs de l’école des enfants scola risés à la maison ! »
A Halluin (Nord), à la même adresse que la mosquée, un projet d’école élémentaire qui prévoit d’accueillir 110 élèves suscite l’inquiétude du maire, Gustave Dassonville (UMP). Pour l’heure, l’élu refuse de délivrer une autorisation d’ouverture, signalant l’absence de cour de récréation et de signa létique pour les sanitaires. Un prétexte ? « C’est un dossier complexe qui pourrait devenir explosif si l’on n’y prend pas garde », s’alarme-t-il. Lors des journées portes ouvertes, l’école aurait recueilli près de 90 inscriptions. « Mais la plupart ne viennent pas d’Halluin et 95% des habitants sont vent debout contre ce projet », assure le premier magistrat de la ville, qui craint, sans en avoir la preuve, un entrisme de l’islam radical.
L’origine des fonds suscite la méfiance
« Il existe une forme de suspicion à l’égard des établissements musulmans, constate l’ancien recteur Bernard Toulemonde. Mais ceux qui demandent à passer sous contrat ne sont pas tenus par des salafistes ! » « L’attitude de certaines écoles nous cause du tort », reconnaît le président de la Fnem, offusqué, par exemple, qu’à l’école primaire Hanned, à Argenteuil, les petites filles portent le foulard. « A Roubaix, à l’école Arc-en-ciel, ils ont refusé de nous recevoir car nous sommes des hommes », explique-t-il encore.
Autre sujet qui suscite la méfiance : l’origine des fonds. Officiellement, ils proviennent uniquement de collectes dans les mosquées ou de dons. Mais l’opacité due à l’anonymat – justifié au nom du Coran – ne permet pas de vérifier si les écoles ne sont pas en partie financées par des pays étrangers.
En cet après-midi ensoleillé d’avril, Mme S., professeur de français au collège Ibn-Khaldoun, a tiré les rideaux pour passer des diapositives. Après avoir travaillé dans un établissement privé de confession juive, cette jeune femme en jean enseigne ici depuis deux ans. Au programme de ce lundi, pour cette classe de seconde, l’étude des figures de style. Anaphore, litote, gradation, hyperbole… chacune est illustrée par une photo projetée sur le mur. Assis côte à côte, les jeunes filles (voilées ou pas) et les garçons tentent de trouver les définitions correspondantes.
La classe est calme, les élèves chuchotent pour communiquer entre eux. L’ambiance est studieuse. Lorsque apparaît, seins nus, le personnage principal du tableau d’Eugène Delacroix La Liberté guidant le peuple, la classe ne moufte pas. Ailleurs, l’image aurait immanquablement provoqué quelques ricanements, travers d’adolescents en pleine puberté. « La rigueur et la discipline sont les marques de fabrique d’Ibn-Khaldoun, relève Abdallah Tizeggaghin, père d’un garçon en classe de seconde. En plus d’assurer la scolarité, on y forme de bons citoyens qui connaîtront leur culture d’origine. Des enfants qui ne seront pas récupérés par des manipulateurs », assure-t-il.
L’accusation de communautarisme menace
Quête de sécurité ou repli identitaire ? Selon le chercheur Samir Amghar, coordonnateur d’une étude sur l’enseignement musulman (3), l’ambition de l’UOIF relève du prosélytisme : le mouvement souhaite « mettre en oeuvre les moyens en vue de faire perdurer l’identité religieuse dans les communautés immigrées musulmanes ». D’après cette enquête, l’objectif de ces écoles est aussi de former une élite susceptible de fournir des cadres à la communauté musulmane. D’où une sélection drastique fondée sur les résultats scolaires et le comportement.
La polémique qui, en début d’année, a ébranlé le lycée Averroès, mis en accusation par un professeur de philosophie stigmatisant des dérives antisémites de certains élèves, a souligné les lignes de faille d’un modèle encore fragile. « Il faut clarifier la place du religieux dans l’établissement », exigent les inspecteurs de l’Education nationale qui n’ont pas trouvé d’autres reproches à formuler à l’issue de leur mission effectuée en février. « Nous allons réactiver le conseil pédagogique, mettre en place plusieurs instances, comme une commission ‘Vie citoyenne’ et une cellule de veille », détaille le directeur d’Averroès, Hassan Oufker.
Le travail déjà entamé a permis de faire remonter des informations utiles : « Nous avons appris que certains professeurs félicitaient les élèves en arabe sur leur copie ou acceptaient de séparer les filles et les garçons lorsque ceux-ci en faisaient la demande. Or c’est totalement étranger à nos principes », assure-t-il, reconnaissant tout de même que la mixité n’est pas pratiquée lors des cours de gymnastique.
Faut-il donc encourager l’essor des écoles musulmanes ? Le cabinet de Najat Vallaud-Belkacem s’interroge. Passer un contrat avec les établissements est clairement la meilleure façon de contrôler leur fonctionnement. Mais l’accusation de communautarisme menace et n’épargne pas une ministre souvent attaquée sur ses origines par les extrémistes. A l’heure où la République peine à panser ses plaies de l’après-Charlie, le gouvernement marche sur une ligne de crête. D’autant que, au sein du PS, le sujet fait des vagues. Alors, tandis qu’ils attendent la décision du ministère concernant leur passage ou non sous contrat, les dirigeants des écoles musulmanes n’ont d’autre solution que de multiplier les collectes auprès des mosquées et des mystérieux bienfaiteurs anonymes.
De la gauche à la droite, l’embarras
« C’est la seule communauté qui ne soit pas représentée à sa juste valeur »: Samia Ghali, sénatrice socialiste des Bouches-du-Rhône, est à fond pour le développement des écoles privées musulmanes. « Plus on frustre les gens, plus on encourage la radicalité », avance-t-elle.
Au PS, le sujet est explosif. Les divergences sont apparues lors d’un communiqué de presse du secrétaire national à la laïcité et aux institutions, publié en février et prenant position en faveur du développement d’écoles musulmanes. Plusieurs membres de cette commission se sont aussitôt désolidarisés du secrétaire national : encourager ces écoles constituerait un coup de canif au principe de laïcité.
Lors d’un bureau national, le 21 avril, la question de l’enseignement confessionnel musulman a été soigneusement évitée afin de refermer le couvercle sur les dissensions. A l’UMP, en attendant la journée de réflexion consacrée à l’islam au mois de juin, on se tient à un silence prudent. Pas question, surtout, de rappeler cette phrase récente de Nicolas Sarkozy sur TF 1 : « Si vous voulez que vos enfants aient des habitudes alimentaires confessionnelles, allez dans un établissement privé. »
(1) La Question musulmane en France, par Bernard Godard (éd. Fayard).
(2) Les prénoms ont été modifiés pour préserver l’anonymat.
(3) « L’enseignement de l’islam dans les écoles coraniques, les institutions de formation islamique et les écoles privées », IISMM-EHESS, juillet 2010.
Partie pour une semaine à Montréal au Québec, pour un séminaire universitaire « Entreprise et Religions », voici quelques réflexion à battons rompus sur ce pays multiculturel.
Arrivés avec 6 heures de décalage, il nous faut aussi faire avec le décalage culturel. Ici à Montréal, tout est grand, large, haut. Les voitures, les rues, les building, les avenues, la chambre de l’hôtel, le lit.
Comparés à nos villes, notre espace nous paraît tout petit, racrapoté.
Dans les rues, se côtoient toutes les couleurs de peau, les religions, les modes. La visite des deux musées qui racontent l’histoire de la ville vient expliquer ces cultures qui co-existent dans Montréal.
Histoire de l’immigration à Montréal
Présence des indiens (550 ethnies) depuis des milliers d’années, le pays est découvert par les français qui vont et viennent sur ces terres hostiles. Au début du XVIe siècle, les Français entreprennent la colonisation du Québec. Ils s’installent sur les berges du fleuve Saint-Laurent. Grâce aux Filles du Roy – de jeunes Françaises, pour la plupart orphelines et qui ont quitté leur mère patrie pour participer à la colonisation – la population du Québec s’accroît.
Les Français, qui croient conquérir un territoire inoccupé, font vite face à des nations autochtones déjà établies depuis des milliers d’années. Très tôt, des relations s’établissent entre eux.
Aujourd’hui, le Québec compte 56 communautés autochtones, soit 81 864 Autochtones, dont 71 840 Amérindiens et 10 024 Inuits. Les dix nations amérindiennes et la nation inuite représentent environ 1 % de la population du Québec. En 1985, le gouvernement du Québec a été le premier gouvernement du Canada à reconnaître les nations autochtones.
Vagues migratoires
Dès le XIXe siècle, le Québec connaît plusieurs vagues migratoires, principalement d’Angleterre, d’Écosse et d’Irlande. Les loyalistes, colons américains fidèles à l’Angleterre, figurent parmi les premiers immigrants; ils ont quitté les treize colonies de l’Atlantique avant l’indépendance américaine. Au tournant du XXe siècle, les immigrants proviennent essentiellement d’Europe. Le recensement de 1911 dénombre, outre les Irlandais, environ 8 000 personnes originaires d’Allemagne.
Les années 1920 voient aussi arriver des personnes originaires de pays de l’Europe de l’Est. En 1931, la communauté juive compte déjà 60 000 membres au Québec, alors que l’on dénombre près de 25 000 personnes d’origine italienne, 10 000 personnes d’origine portugaise ainsi que 1 000 personnes d’origine allemande.
La Seconde Guerre mondiale engendre un nouveau mouvement migratoire vers l’Amérique. Le portrait démographique du Québec change.
Diversification de l’immigration
Depuis 1970, l’immigration au Québec s’est grandement diversifiée. Elle est aujourd’hui constituée de plus d’une centaine de communautés culturelles. Le contact avec ces nouveaux citoyens a insufflé un nouveau dynamisme à la société québécoise. Ils lui ont apporté une richesse culturelle, sociale, économique, scientifique et technologique.
Séminaire « Entreprise et Religion »
Deux jours de conférences-débats au sein de l’Université de Sherbrooke à Montréal.
Nous avons appris ce qu’étaient la politique des « accommodements raisonnables ». Son fondement : le droit à l’égalité. Pour qu’il y ait accommodement raisonnable dans une entreprise, il faut qu’il y ait une discrimination. Cette politique est parti de la discrimination des personnes handicapées.
L’entreprise et le salarié doivent faire des efforts sincères et sérieux pour trouver un terrain d’entente adapté à leurs besoins. Cette politique oblige les entreprises et les salariés à réfléchir ensemble. Elle pousse à la responsabilité de chacun pour le « travailler-ensemble ».
Concernant la question de le neutralité de l’Etat au Québec : elle est vérifiable dans l’action du fonctionnaire, pas dans ses vêtements. Il est donc possible (comme nous l’avons vérifié de nos yeux) que des policiers portent un pantalon « coloré » sans que cela ne pose problème.
Le dialogue interreligieux en entreprise comme pratique du management interculturel : il est important de réfléchir à la problématique de la vérité. Est-ce que je possède toute la vérité ? Ma vérité est-elle absolue ?
Dans un souci de dialogue en entreprise, il faudrait reprendre le fait que la vérité m’échappe inexorablement.
Réfléchir aux perceptions et préjugés que l’on peut avoir. Prendre conscience de mes perceptions à tout instant, suspendre mon jugement et vérifier mes préjugés. Pour cela, entrer en relation avec l’autre et approfondir mes compétences interculturelles.
Saisir l’importance de l’égalité fondamentale de chaque personne : reconnaître l’Autre et croire qu’il est possible d’apprendre de l’Autre, d’apprendre de chaque culture et de chaque religion.
Travailler avec des collègues de différentes cultures et religions suppose de gérer des compromis et des consensus : vouloir les atteindre à travers le bilan des points communs et des différences, savoir distinguer les conflits, les dilemmes et les crises ethniques ainsi que leurs sources.
Par mes actions, inactions, paroles et silences, je dis le monde dans lequel je voudrais vivre.
La seconde journée été tournée sous le signe de la spiritualité, dans un soucis d’aide au bien-être de chacun, pour une entreprise plus juste, pour un monde plus juste.
Interview de l’architecte Pierre Thibault. Son idée : « Créer de la beauté là où il n’y en a pas ! »
Il vient d’une grande famille où il a apprit l’essentiel de la vie, la responsabilité, le sens du partage. « Quand on a peu de choses, on est heureux ! »
Pour lui, tout est possible, il faut s’organise pour ! Sa question : créer de la poésie avec des contraintes, voir les opportunités, être à l’écoute des autres et de soi-même, évacuer les énergies négatives.
Deuxième intervention : Marie-Josée Legris, dirigeante de l’entreprise Brisson-Legris.
Ca sert à quoi de faire de la croissance si les gens sont malheureux ?
Elle mesure la réussite de son entreprise à son chiffre d’affaire, bien sûr, mais aussi au niveau de rires dans la salle de restauration, à midi !
Selon elle, il y a 3 qualités pour un patron : le courage, l’humilité et l’amour pour son travail et pour les employés, les clients.
Question du groupe : jusqu’où une entreprise, un chef d’entreprise peut amener les salariés en dehors de ce pourquoi ils sont là ?
Sa réponse : pour travailler ensemble, faire ensemble, il faut aussi faire ensemble en dehors de l’entreprise (temps de convivialité,…).
Nous avons évoquer un livre sur les accords Toltèques que voici :
1. Que votre parole soit impeccable : Parlez avec intégrité, ne dites que ce que vous pensez. N’utilisez pas la parole contre vous ni pour médire d’autrui.
2. N’en faites jamais une affaire personnelle : Ce que les autres disent et font n’est qu’une projection de leur propre réalité. Lorsque vous êtes immunisé contre cela, vous n’êtes plus victime de souffrances inutiles.
3. Ne faites aucune supposition : Ayez le courage de poser des questions et d’exprimer vos vrais désirs. Communiquez clairement avec les autres pour éviter tristesse, malentendus et drames.
4. Faites toujours de votre mieux : Votre “mieux” change d’instant en instant. Quelles que soient les circonstances, faites simplement de votre mieux et vous éviterez de vous juger.
Nous avons réfléchit à l’individu au travail : « Je ne veux pas être saucissonné, je veux être unifié ! »
Charles Baron nous a aidé à comprendre que le développement de la conscience est nécessaire pour assurer un leadership dans l’innovation et l’épanouissement collectif. En effet, nous sentons une perte de sens troublante au travail. Le schéma proposé depuis les Lumières était celui d’une préséance de la science comme explication du monde, l’expérience et le développement humain étant réservé à la religion.
Aujourd’hui, nous nous apercevons que ce paradigme est dépassé, qu’il ne fait plus sens.
A SUIVRE TRES PROCHAINEMENT…
Marie DAVIENNE – KANNI
Publié le 18 Mai 2015 à 16 h 30 à Montréal – Québec