Comment prévenir la radicalisation des plus jeunes ?

Ils seraient quelques 70 mineurs à être concernés, en France, par le phénomène croissant de la radicalisation djihadiste selon les estimations des autorités. Un chiffre certainement inférieur à la réalité. « Nous voulons mieux connaître et mieux repérer les jeunes en situation de risque vis à vis de la radicalisation et adapter notre prise en charge », admet Catherine Sultan, directrice de la protection judiciaire de la jeunesse, lors d’une journée nationale de formation, organisée le 14 avril à l’Ecole nationale de la protection judiciaire de la jeunesse (ENPJJ) à Roubaix.

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 Un enfant dans un reportage vidéo de Vice News sur Daech. (Photo : D.R.)

Dans la cadre du plan de lutte gouvernemental, la PJJ bénéficie d’une enveloppe de 11 millions d’euros pour recruter 170 agents supplémentaires à temps plein : 70 référents laïcité et citoyenneté, 82 nouveaux postes de psychologues qui doivent permettre selon Catherine Sultan une « meilleure appréhension du phénomène » et 18 éducateurs « en soutien dans les lieux où la problématique est la plus forte ». Ces 82 embauches sont très significatives car il y a aujourd’hui 377 psychologues en poste.

Cette administration qui compte 9.000 agents (dont 6.000 éducateurs) est donc en train de constituer un réseau de 70 référents « laïcité et citoyenneté », originaires pour moitié de la PJJ et venus pour moitié de l’extérieur. Pilotés par Delphine Bergere-Ducote, référente nationale citoyenneté et laïcité, ils ont une double tâche. Ils doivent tout d’abord lutter contre la radicalisation en faisant remonter toutes les informations au niveau de la mission nationale de veille et d’information (MNVI) rattachée directement au cabinet de la directrice de la PJJ. Et en soutenant les professionnels sur le terrain pour traiter les cas les plus complexes.

Aujourd’hui sur les 70 mineurs en France qui ont été repérés en situation de radicalisation la moitié était déjà pris en charge par la PJJ et l’autre moitié sont des primo-délinquants.« Nous avons les mêmes chiffres qu’au niveau national, c’est à dire beaucoup de convertis et nous voyons aussi une proportion croissante de filles, souligne Delphine Bergere-Ducote . Face à ce phénomène nous devons avoir un contre discours préventif et nous avons de gros besoins en formation ». La journée de formation qui s’est tenue à Roubaix s’intègre dans un plan national de sensibilisation à la lutte contre la radicalisation qui va se mettre en oeuvre sur trois ans et concerner tout les agents de la PJJ, qu’ils soient dans des structures de service public ou du secteur associatif habilité.

Conception protéiforme de la laïcité

Les 70 référents seront aussi concernés directement par un plan d’action sur la laïcité et les pratiques religieuses des mineurs. Cette question, en chantier depuis trois ans, a bien sûr pris une importance toute particulière à la suite des attentats de janvier. Dans une note publiée le 25 février, a reconnu la « conception protéiforme de la notion de neutralité » qui prévalait jusqu’à présent dans ses établissements. Certains refusaient de traiter toute question de pratique religieuse. Il y a eu, aussi,  des cas de d’incitation à la prière ou d’actions de prosélytisme qui ont d’ailleurs fait l’objet de sanctions administratives. Et entre les deux, le personnel est souvent dérouté par les différentes conceptions de la laïcité.

La direction de la protection judiciaire de la jeunesse va donc préciser ses règles sur la laïcité au travers de deux notes spécifiques. La première donnera plus de consistance au volet laïcité des règlements de fonctionnement des établissements prenant en charge des mineurs afin de baliser les pratiques religieuses de ces jeunes. L’autre va clarifier les règles de neutralité auxquelles sont tenus les agents publics et les personnels des associations privées intervenant dans les établissements.

A la croisée entre lutte contre la radicalité et laïcité, la PJJ dispose aussi d’un budget de 900.000 euros pour développer pour ses jeunes des actions dites de « citoyenneté et de laïcité ». Elle compte s’appuyer sur des partenaires extérieurs habitués notamment aux problématiques de lutte contre le racisme. En ce qui concerne la lutte contre la radicalisation, « nous pouvons nous appuyer sur des structures comme le Centre de prévention contre les dérives sectaires liées à l’islam (CPDSI). Mais leurs intervenants sont très sollicités », explique Delphine Bergere-Ducote. « Sans aborder frontalement les questions religieuses, on peut aussi aller vers le culturel et l’histoire avec l’Institut du monde arabe ou l’Institut des cultures d’islam ».

Alix de Vogüé | le 28.04.2015 à 15:00

Pour en savoir plus : http://www.fait-religieux.com/

Fait-religieux.com s’endort pour un temps indéterminé

A dhow is seen at sunset during a training session on May 22, 2015 in the waters off the island of Sir Bu Nair on the eve of the Al-Gaffal 60 foot Traditional Dhow Sailing Race, in which boats will set sail off the island near the Iranian coast, until they reach the finish line at the Burj Al-Arab in Dubai. The 25th annual dhow sailing race has a total prize money of 10 million dirhams ($272,000). AFP PHOTO / MARWAN NAAMANI

Le site que vous avez pris l’habitude de lire, Fait-religieux.com, a été lancé à l’été 2012. En trois ans, il a réussi à s’installer dans le paysage des médias en ligne. Pour ce que nous en savons, il y a parmi ses lecteurs, en France et dans la francophonie, des croyants et des non croyants, des catholiques de gauche, de droite et du centre, des laïques de toutes nuances, des musulmans, des juifs, des protestants, des orthodoxes, des bouddhistes, des sikhs, des hindous, des baha’is, des ahmadis, des mormons et d’autres cultes minoritaires, chacun venant s’informer sur l’actualité de toutes les religions.

La société éditrice, la SAS Bellefeuille Edition Presse, avait pour vocation, à terme, de gagner de l’argent. Comme dans les manuels d’économie, il lui fallait pour cela investir en capital et en travail, et s’efforcer de rencontrer un marché. L’investissement en capital a eu lieu, l’investissement en travail également, quiconque a lu les articles publiés chaque jour par nos journalistes professionnels et nos blogueurs a pu s’en rendre compte.

Ce qui ne s’est pas matérialisé, c’est le marché. Pour dire les choses simplement : trop peu de lecteurs ont été prêts à payer pour lire ce que nous leur proposions. Avec le temps leur nombre aurait sans nul doute augmenté, mais ce temps-là, nous ne l’avions plus. Faute d’avoir trouvé des investisseurs ou des repreneurs, nous avons dû nous résoudre à mettre l’entreprise en liquidation. La thématique du fait religieux, autrement dit l’approche non confessionnelle des croyances et de leurs effets, ne perd ni de son actualité, ni de sa pertinence. Nos confrères des médias généralistes en ont pris conscience et traitent beaucoup plus abondamment que par le passé les sujets liés aux religions.

Un site spécialisé comme le nôtre n’a pas vraiment d’équivalent en France ou en Europe. Aux Etats-Unis, les deux titres qui s’en rapprochent , Religion News Service et Religion Dispatches, sont financés par des fondations universitaires. Un modèle qui devrait faire réfléchir en France : si une information est utile socialement mais non viable économiquement, il serait souhaitable que des structures à but non lucratif puissent en assurer l’existence. Et la signataire de ces lignes n’a pas le moindre doute à cet égard : accroître en quantité et en qualité la couverture des questions de religion et de laïcité reste un objectif socialement utile dans le monde d’aujourd’hui, et particulièrement en France.

Comme dans les génériques de fin, il est juste de citer toutes les personnes qui ont contribué à l’histoire de Fait-religieux.com : les fondateurs, d’abord, dès 2011, Jean-Luc Pouthier, Hanène Sassi et Sophie Gherardi, rejoints très vite par Eric Azan, Litzy Briscan, Louise Gamichon, Eric Rohde, Julien Vallet, Patricia Zhou, Claire Gandanger à Strasbourg et un peu plus tard par François Desnoyers et Alexandre Lévy, notre rédacteur en chef.

Nous avons eu des collaborateurs réguliers et précieux, Yves-Marc Ajchenbaum, Lysiane Baudu, Akram Belkaïd, Anne-Charlène Bezzina, Linda Caille, Ekaterina Dvinina, Nathalie Hamou (Israël), Frédéric Hastings, Ignazio Ingrao (Vatican), Rachida Gmiz, Faker Korchane, Anne Madelin, Marie-Ange Maire Vigueur (Rome), Camille Pavy, Alix de Vogüé, Tigrane Yégavian. Des blogueurs pleins de talent : Nathalie Baravian, Marc Bayard, Simon Castéran, Eric Lebrun, Marine Quenin, Jean-Louis Schlegel.

Et les plumes qui ont fait un passage plus ou moins long : Marine Afota, Samim Akgönül, Mouloud Akkouche, Maud Amandier, Danielle André, Ange Ansour, Antoine Arjakovsky, Dominique Avon, Mohamed Bajrafil, Stephen Berkowitz, Abdennour Bidar, René Blanc, Luca Bossi, Caroline Bretones, François Burgat, Pauline Busonerat, Nicolas Cadène, Catherine Caron, Martine Cerf, Alice Chablis, Joan Charras Sancho, Arab Chih (Algérie), Claudine Fiuza, Ludovic Clerima, Brice Couturier, Jérôme Cristiani, Floriane Degan, Karima Dirèche, Anne Dory, Rachida El-Mokhtari, Carine Elkouby, Jeanne Estrapade, Philippe Gaudin, Mariachiara Giorda, Antoine Gosse, Sévrin Graveleau, Thomas Grossmann, Jean-Philippe Gunet, Adnan Ibrahim, Gabrielle Hardy-Enngelson, Aïda Kekli, Adrien Larelle, Hugo Le Picard, Marie Lopez, Fabien Leone, Anne Madelin, Pascal Maguesyan, Raphy Marciano, Félix Marquardt, Mathieu Martinière, Olivier Mongin, Claude Nataf, Solange Nuizière, Alice Papin, Louise Piguet, Tristan Pouthier, Samuel Pruvot, Anna Ravix, Patrice Rolland, Laurent Réveilhac, Patrick Sbalchiero, Jean-Philippe Schreiber, Elise Saint-Jullian, Katia Scifo, Julia Sei, Michel Serfaty, Nadia Sweeny, Ingrid Therwath, Paul Thibaud, Louis Thubert, André Vauchez, Caroline Vigent, Caspar Visser’t Hooft, Suzi Vieira, Michel Warschawski.

Et un média, ce ne sont pas que des journalistes. Combien ont été importants, chacun à sa façon, Katia Huguet, Erwin Calvez, Sasha Cohen, Yann Gibert, Roxane Lesecq, Geoffrey Marcellot, Pascal Roux, et auparavant Pierre-Marie Bernard, Martine Cohen, Christophe Cornu, Claire Giudicenti, Lola Petit, Anne Serin-Reyl.

Citons aussi des institutions de la presse : l’AFP pour sa couverture et ses magnifiques photos, nos partenaires Eglises d’Asie, Toute la culture, Toutéduc et Zaman France. Sans oublier Myeurop-info.

Si quelqu’un a été oublié, qu’il ne s’en offusque pas. L’oeuvre a été collective, les remerciements le sont aussi. Sur Internet, l’information ne meurt jamais, elle s’endort. Fait-religieux.com entre donc en sommeil, pour un temps indéterminé.

Sophie Gherardi

le 30.06.2015 à 15:09
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La fibre interreligieuse des mouvements scouts français

Scouts

Pour les Scouts musulmans de France (SMF), cela n’a été qu’un juste retour des choses. En 1991, alors qu’ils décidaient de lancer leur association,  ils avaient été aidés par les Scouts et guides de France (d’inspiration catholique). « Ils nous avaient notamment accueillis pour la formation de nos cadres », indique Abdelhak Sahli, président des SMF. Alors, lorsqu’à leur tour, les bouddhistes ont décidé en 2007 de lancer leur organisation scout, les Eclaireurs de la nature, c’est tout naturellement que les SMF les ont accompagnés dans ce processus.

Ces mouvements d’entraide n’ont rien d’anecdotique. Ils mettent en lumière une capacité des différentes entités du mouvement scout français à multiplier les échanges et les manifestations au-delà de leur appartenance confessionnelle. Un mouvement scout qui met d’ailleurs volontiers en avant cette spécificité.

Les différentes organisations travaillent par exemple à la mise en place de camps communs. Associations juive, musulmane, catholique ou encore laïque peuvent ainsi se retrouver lors d’une même manifestation. « J’ai assisté à l’un de ces moments, c’était très impressionnant, se souvient Driss Rennane, aumônier général du scoutisme musulman. Chaque mouvement organisait un temps spirituel et les autres pouvaient y assister. Les barrières de l’appartenance religieuse étaient bannies. » « Un beau moment de partage », à ses yeux.

Des camps communs au-delà des confessions

Les Eclaireurs de la nature sont des nouveaux venus au sein de la fédération du scoutisme français. Ils ont rejoint l’organisation en tant que membre associé le 19 avril dernier. Mais ils n’ont pas attendu cette reconnaissance officielle pour organiser, eux aussi, des activités communes avec d’autres mouvances scouts. « Nous aimons beaucoup mettre en place des camps communs, souligne Bastien Isabelle, président de l’association. L’idée est des plus simples : nous souhaitons nous ouvrir, aller au contact des autres. » Une initiative conjointe sera organisée en ce sens l’été prochain en Savoie avec les Scouts musulmans de France. D’autres ont eu lieu les années passées avec les Scouts et guides de France.

Le mouvement scout français encourage d’ailleurs de telles initiatives, à travers l’opération« Vis mon camp ! », « proposition de rencontre destinée à tous les membres du scoutisme français » et qui lance cette invitation aux plus de 110.000 jeunes membres des différentes organisations : « Pour l’été, tu peux contacter un camp d’une autre association qui sera à côté du tien, pour partager ensembles des moments uniques. »

Au-delà des frontières françaises, le scoutisme international travaille également aux rassemblements interculturels et interreligieux. C’est ainsi qu’en 2016 aura lieu en France le Roverway, vaste mouvement de convergence des 16-22 ans des différents mouvements, à l’échelle européenne. La commune de Jambville dans les Yvelines devrait être l’épicentre de cette manifestation. « C’est un projet porté par toutes les associations, explique Bastien Isabelle. C’est un travail collectif particulièrement intéressant : nous le préparons tous ensemble. »

Les chapelles françaises

Si les échanges entre associations scouts apparaissent réguliers en France, l’Organisation mondiale du mouvement scout (OMMS) souhaiterait que les structures hexagonales aillent plus loin. « L’OMMS n’aime pas le modèle qui a prévalu jusqu’à ce jour en France, composé de différentes chapelles, note un cadre-dirigeant. Elle préférerait une seule et unique entité englobant l’ensemble des associations. »

Pour l’heure, les chapelles sont toutefois bien en place. Mais les Français y inscrivant leurs enfants ne les perçoivent pas, aux dires de leurs dirigeants, comme des structures hermétiques. « Plus des ¾ des jeunes qui nous rejoignent n’ont pas de parents bouddhistes pratiquants, indique le président des Eclaireurs de la nature. Des familles catholiques n’ayant pas d’association des Scouts et guides de France proche de chez eux nous confient également leurs enfants. Notre message est clair sur la question confessionnelle : nous ne sommes pas là pour faire de ces enfants des petits bouddhistes. » 

Ces associations apparaissent même comme un recours pour certaines familles. Les Scouts musulmans de France l’ont constaté depuis que la question du djihadisme de jeunes européens en Syrie a pris de l’ampleur. Les attentats de Paris, en janvier, auraient, eux aussi, incité des parents à se tourner vers leur mouvement. « Nous avons beaucoup de demandes, assure leur président, Abdelhak Sahli. Suite à ces événements, des familles essaient de trouver des alternatives à la  »dérive de la jeunesse » et peuvent faire appel à nous pour mener des actions de prévention. » Elles ne sont pas les seules. Le monde politique frapperait aussi à la porte du scoutisme musulman. Un mouvement perçu aujourd’hui, presque malgré lui, comme l’un des seuls capable de porter efficacement, sur la radicalisation, un message préventif auprès de la jeunesse.

François Desnoyers
le 08.06.2015 à 12:04
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Emmanuel Todd et le catholicisme français

ClaudeDagens

Qui est Charlie ? Sociologie d’une crise religieuse, le sous-titre de ce livre est important, car Emmanuel Todd sait qu’entre les bouleversements politiques et les phénomènes religieux existent souvent des imbrications et même des interactions. Le sociologue, avec des cartes à l’appui de ses analyses, veut faire œuvre de révélation. Il cherche à démasquer ce qui se cacherait derrière la grande revendication républicaine du 11 janvier 2015. Son diagnostic est rude : les motifs nobles de défense de la laïcité et de liberté d’expression ne seraient qu’une façade, alors qu’en profondeur, les manifestants s’inspireraient d’une idéologie à base d’autoritarisme et de refus de l’égalité, qui serait dans la société française la trace tenace d’une culture catholique en état de survie. J’ai pensé d’abord qu’il fallait refuser cette vision très partielle de ce que l’on appelle le catholicisme considéré comme un système autant qu’une religion.

Mais j’ai compris que l’intention de l’auteur est beaucoup plus large. Il sait montrer les dépendances réciproques qui relient crises politiques et évolutions religieuses : la Révolution française, de 1789 à 1795, est inséparable de la crise intellectuelle et spirituelle du catholicisme, dans la seconde moitié du XVIIIe siècle, sans oublier l’influence janséniste, liée à une conception d’un Dieu désincarné, qui laisse la place libre aux rêves de transformation sociale. La dévitalisation du catholicisme provoque toujours des vides qu’Emmanuel Todd qualifie de métaphysiques.

Il n’est pas interdit d’analyser ainsi les temps actuels, marqués par des incertitudes économiques évidentes, surtout quand des logiques financières déliées du réel dictent leurs lois aux marchés, et marqués tout autant par un athéisme diffus, beaucoup plus inquiet que conquérant ou même humaniste. Emmanuel Todd a raison de penser que l’athéisme est devenu difficile, surtout si, pour faire bonne figure, il s’accompagne de transgressions aussi bien sexuelles que financières, qui donnent à ses adeptes l’impression non pas de se mettre à la place de Dieu, mais de jouer avec la vie et de défier la mort. Mais certains athées d’aujourd’hui ont le sens du tragique et de l’absurde. Ils se battent, ils luttent, ils ne rêvent pas de « réenchanter le monde », ils sont très différents des promoteurs de la première laïcité, si ardente dans ses projets d’émancipation des hommes par la raison, et encore plus des communistes du XXe siècle, qui se présentaient comme les prophètes d’un monde régénéré par la lutte des classes. Les temps actuels sont dominés par un désenchantement sournois et par une désacralisation assez générale de toutes les idoles d’antan, y compris de la République laïque, ce qui peut justifier un réveil laïciste parallèle à la résurgence de certaines formes de catholicisme intransigeant.

Reste la question lancinante, qui n’est pas le centre de la démonstration d’Emmanuel Todd, mais un de ses éléments latéraux : le catholicisme serait-il la religion du passé ?, condamné à survivre et à défendre sa place dans notre société sécularisée, en diabolisant les musulmans supposés tous dangereux et en consentant à ce nouvel antisémitisme que véhicule l’Islam international. Je crains qu’Emmanuel Todd n’ait partiellement raison, pas seulement à cause de ce positionnement plus ou moins caché d’un catholicisme traditionnel qui se servirait des autres religions pour assurer sa survie, mais en fonction d’une autre dérive : des catholiques, se sentant menacés ou concurrencés, peuvent être tentés de n’évaluer leur présence dans la société française qu’en termes d’influence politique, tout en adoptant des attitudes défensives et agressives face à l’État laïque.

D’autant plus qu’un réveil du laïcisme, inspiré par la phobie du « religieux », aussi bien musulman que catholique, cherche à combler le vide de la pensée politique, qui se contente d’observer la préparation des prochaines courses présidentielles. Face à ces durcissements réciproques, Emmanuel Todd a raison de penser et de dire qu’il faut prendre la religion au sérieux, en comprenant ce qu’elle apporte à notre société incertaine.

Nous voilà alors obligés, nous, catholiques en France, à renoncer à nos rêves d’antan, en reconnaissant que ce qui nous détermine le plus profondément, ce n’est pas notre influence politique, c’est notre expérience intérieure, spirituelle et même mystique, en exprimant par ce terme le désir de connaître et de rencontrer celui que nous appelons Dieu. Car l’intériorité et la mystique font aussi partie de la religion. Je le vérifie en exerçant ma mission d’évêque. On peut s’enfermer dans des pastorales de survie, en cherchant à faire revivre ce qui a disparu. On peut aussi – et c’est un long travail d’éducation – comprendre les temps actuels comme des temps de métamorphoses. Que les formes d’un catholicisme pensé comme un système d’ordre politique et moral subsistent, cela est certain ! Mais ce qui est passionnant, c’est de voir surgir aussi des formes nouvelles qui allient l’expérience intérieure et la pratique de la fraternité.

Avec ce qui demeure une « note » catholique : la conscience d’une responsabilité universelle, qui passe par l’Hexagone, mais qui nous interdit d’avoir des visions étroites du monde, d’autant plus que le pape François est là pour nous encourager à cet universalisme concret qui nous ouvre aux réalités de l’environnement autant qu’à l’accueil des étrangers parmi nous. Et qui nous rend aussi impatients de ce qui est au-delà de l’histoire et qui commence au-dedans de nous et de notre monde, en nous empêchant d’être esclaves des médiocrités et des ruses de l’actualité immédiate ! Je souhaite que les réflexions passionnées et quelquefois partiales d’Emmanuel Todd nous obligent à affronter, avec toutes nos ressources spirituelles, cette crise qui nous est commune et qui concerne notre avenir commun.

Le Monde.fr | 01.06.2015 à 10h53 • Mis à jour le 01.06.2015 à 10h55 Par Claude Dagens, évêque d’Angoulême de l’Académie française

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Les attentats de Paris vus par les enfants

 

Fait-Religieux-Enseignement

Vendredi 9 janvier au soir, je suis venue à l’atelier affligée. L’après-midi, tous les quarts d’heure, une nouvelle alarme s’affichait sur mon téléphone. Entre les deux frères Kouachi retranchés dans une imprimerie en Seine-et-Marne, la prise d’otage en cours dans le supermarché casher Porte de Vincennes et la place Trocadéro évacuée, impossible de sortir de ma tête l’attentat qui s’est déroulé deux jours plus tôt dans la rédaction de Charlie Hebdo. Cette tragédie, pour sûr, il était essentiel d’en parler avec les CM, des enfants de 9-10 ans, qui participent depuis novembre aux ateliers Enquête au sein d’un centre social situé à Ménilmontant (Paris XXe). Mais comment faire au mieux vu les circonstances ? Avant la séance, Marine, notre coordinatrice, me conseille de partir de leurs connaissances et de travailler à partir de questionnements. Elle me rappelle aussi que leur enseignant à l’école a normalement déjà fait le point avec eux sur ces terribles événements. Ce qui me rassure un peu : je pourrai construire un dialogue à partir d’une réflexion déjà entamée.

« C’est la guerre ! »

Une fois arrivée, Laetitia qui supervise les ateliers au centre social, m’indique qu’aucune séance n’a été effectuée avec les enfants pour revenir sur l’attentat de Charlie Hebdo. Elle-même a néanmoins répondu aux questions des jeunes qui ont exprimé des réactions vives ces derniers jours, comme cette jeune fille qui a déclaré aux autres : « C’est la guerre ! »

Abou Bakr arrive, puis c’est au tour de Rama. Pendant que je termine mes préparatifs pour cette séance dédiée à Muhammad*,  le dernier prophète de l’islam – le hasard fait parfois bien les choses, c’est le thème du jour dans le programme des ateliers -, je leur propose de débuter par une discussion sur les événements de la semaine. Abou Bakr n’attend pas une seconde pour râler : « Oh non ! Notre maitresse nous a déjà parlé de Charlie Hebdo pendant deux heures ! » Je lui réponds que si tout est clair et bien en place dans sa tête, nous continuerons la suite du programme.


« J’ai rigolé pendant la minute de silence »

Une fois qu’ils sont assis, je leur demande de m’expliquer ce qui s’est passé cette semaine. En forme, Abou Bakr se lance dans un long récit un peu confus et désordonné qui raconte l’itinéraire de ces deux frères dont l’un a été en prison et qui ont tué 12 personnes à Charlie Hebdo. « Pour moi, c’est pas des musulmans ! ». C’est à ce moment-là que Rama intervient. Pas d’accord, elle pense de son côté que ce sont des musulmans. Je les laisse se disputer un peu avant de poursuivre ; je reviendrai ensuite sur ce point de mésentente. Tous les deux s’opposent aussi quant au nombre de morts. Sur ce sujet, je leur dit que ce nombre n’est pas l’objet de notre discussion mais que ce qui compte, c’est sa dimension dramatique et que les personnes décédées sont des journalistes, des policiers et un agent d’entretien. Je relance alors Rama pour qu’elle me donne sa version.

Ce qui lui importe surtout, c’est de me raconter qu’elle a rigolé pendant la minute de silence jeudi à son école : « Mais faut m’excuser, j’ai une copine qui rigolait aussi et j’ai pas pu m’empêcher ». Elle se répète, y revient à plusieurs reprises, comme si elle avait besoin qu’on lui pardonne. « Ok, je comprends, c’est dommage, ca arrive parfois quand on est mal à l’aise, mais ne t’inquiète pas. » Je complète cependant en insistant sur le fait que ce temps de silence était important et symbolique, « symbolique, comme la notion de symbole que nous avons vu récemment, vous vous souvenez ? Ca veut dire quelque chose de commun, de partagé, et qui a le même sens pour tous. Dans ce contexte, de dire que tous ensemble, on n’est pas d’accord ». Puis je reviens avec eux sur leurs désaccords, en leur expliquant qu’il s’agit en effet de musulmans mais que ces terroristes ne représentent qu’une partie des musulmans qui vivent leur foi de manière violente et radicale.

Pas le temps de développer car Abdel Rahim, plus âgé que les deux autres, débarque dans l’atelier. Je l’accueille et lui demande de me raconter également les événements. Il me parle alors des morts et m’affirme que l’attentat s’est déroulé à Pantin où apparemment sa sœur était présente aux moments des faits. Comme Abou Bakr, il est pris par le déroulé de l’actualité, déclinaison de l’actualité en continue, comme avalé par le défilé des images. Sans analyse…. Je précise que la tuerie a eu lieu dans la rédaction de Charlie Hebdo, située près de la place de la République.

 

Des stylos en l’air

Pour être sûre de leur compréhension, je les questionne : « Savez-vous ce que c’est, Charlie Hebdo ? » Je les aide un peu ; ils finissent par me répondre qu’il s’agit d’un journal. Ils semblent avoir des difficultés à comprendre ce qu’est une rédaction, notion que je m’attache à leur clarifier. Ils ont aussi du mal à définir la spécificité du journal ; ce qui explique, peut-être, qu’aucun d’entre eux n’ait évoqué les caricatures de Muhammad. « C’est quoi une caricature selon vous ? » Yeux ouverts mais muets, ils ont du mal à répondre. Je leur propose une définition : « Ce sont des dessins qui reprennent des faits d’actualité, souvent en se moquant ».

Je leur explique que Charlie Hebdo a publié, il y a quelques années, des caricatures du prophète de l’islam. Que celles-ci ont blessé de nombreux musulmans. Et je poursuis avec la liberté de la presse, la liberté d’expression : « Pour autant, il est important dans une démocratie, dans notre pays, de laisser la possibilité à chacun de s’exprimer, notamment la presse, tout en respectant les lois ». Pour leur donner une illustration concrète, qui les aide souvent à comprendre, je leur rappelle que je suis journaliste et que personne n’a le droit de me tuer pour un article publié. Cela irait, comme pour Charlie Hebdo, à l’encontre à la fois de l’interdit du meurtre mais aussi de la liberté de l’expression qui fait partie des valeurs républicaines. Ce qui explique que de nombreuses personnes, qui sont venus rendre hommage aux journalistes et aux policiers mercredi soir, brandissaient un stylo en l’air, « Encore un symbole ! La notion revient souvent ce soir… il s’agit du symbole de la liberté de pouvoir s’exprimer, de pouvoir se moquer ». Etant moi-même place de la République le 7 janvier au soir, je leur raconte comment cet hommage, très silencieux, s’est déroulé, tout en leur montrant des photos publiées dans Le Petit Quotidien des différentes manifestations organisées dans le monde.

 « Et que signifie « Je suis Charlie » qu’on voit partout ? ». Ils ne savent pas plus. Je reparle de symbole – décidément le fil conducteur de la séance -, pour montrer que cette petite phrase est un raccourci pour dire qu’on refuse ce qui s’est passé.
Il me semble que nous pouvons passer à la deuxième partie de l’atelier dédiée à Muhammad. Après un jeu de devinette sur ce nom, je demande à ces enfants, pourtant pour la plupart musulmans, ce qu’ils connaissent de ce personnage. Hormis qu’il s’agisse d’un prophète de l’islam, tous donnent leur langue au chat. Il ne s’agit pas ici d’aborder la transmission de la foi, mais bien la transmission laïque de connaissances sur les religions et la laïcité ; le travail en leur compagnie n’est pas terminé…

*L’association Enquête a fait le choix, dans ses différents outils,  d’évoquer le prophète musulman par la transcription « Muhammad », et non pas « Mahomet ». Celui-ci  se justifie à la fois par la plus grande proximité de cette forme avec sa forme arabe et d’autre part car l’utilisation de « Mahomet », transmise depuis au moins l’époque des croisades, souvent dans des ouvrages polémiques, renvoie à une connotation péjorative.

Alice Papin

le 27.01.2015 à 10:57

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La place croissante de l’islam en banlieue

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Voilà un constat qui va déranger. Dans les tours de Clichy-sous-Bois et de Montfermeil (Seine-Saint-Denis), les deux villes emblématiques de la crise des banlieues depuis les émeutes de l’automne 2005, la République, ce principe collectif censé organiser la vie sociale, est un concept lointain. Ce qui « fait société » ? L’islam d’abord. Un islam du quotidien, familial, banal le plus souvent, qui fournit repères collectifs, morale individuelle, lien social, là où la République a multiplié les promesses sans les tenir.

La croyance religieuse plus structurante que la croyance républicaine, donc. Vingt-cinq ans après avoir publié une enquête référence sur la naissance de l’islam en France – intitulée Les Banlieues de l’islam (Seuil) -, le politologue Gilles Kepel, accompagné de cinq chercheurs, est retourné dans les cités populaires de Seine-Saint-Denis pour comprendre la crise des quartiers.

Six ans après les émeutes causées par la mort de deux adolescents, en octobre 2005, son équipe a partagé le thé dans les appartements des deux villes, accompagné les mères de famille à la sortie des écoles, rencontré les chefs d’entreprise, les enseignants, les élus, pour raconter le destin de cette « Banlieue de la République » – c’est le titre de l’enquête, complexe et passionnante, publiée par l’Institut Montaigne.

Le sentiment de mise à l’écart a favorisé une « intensification » des pratiques religieuses, constate Gilles Kepel. Les indices en sont multiples. Une fréquentation des mosquées beaucoup plus régulière – les deux villes (60 000 habitants au total) comptent une dizaine de mosquées, aux profils extrêmement variés, pouvant accueillir jusqu’à 12 000 fidèles. Une pratique du ramadan presque systématique pour les hommes. Une conception extensible du halal, enfin, qui instaure une frontière morale entre ce qui est interdit et ce qui est autorisé, ligne de fracture valable pour les choix les plus intimes jusqu’à la vie sociale.

Les chercheurs prennent l’exemple des cantines scolaires, très peu fréquentées à Clichy en particulier. Un problème de coût évidemment pour les familles les plus pauvres. Mais la raison fondamentale tient au respect du halal. Les premières générations d’immigrés y avaient inscrit leurs enfants, leur demandant simplement de ne pas manger de porc. Une partie de leurs enfants, devenus parents à leur tour, préfère éviter les cantines pour leur propre descendance parce que celles-ci ne proposent pas de halal. Un facteur d’éloignement préoccupant pour Gilles Kepel : « Apprendre à manger, ensemble, à la table de l’école est l’un des modes d’apprentissage de la convivialité future à la table de la République. »

Car le mouvement de « réislamisation culturelle » de la fin des années 1990 a été particulièrement marqué à Clichy et à Montfermeil. Sur les ruines causées par les trafics de drogue dure, dans un contexte d’effondrement du communisme municipal, face à la multiplication des incivilités et des violences, les missionnaires du Tabligh (le plus important mouvement piétiste de l’islam), en particulier, ont contribué à redonner un cadre collectif. Et participé à la lutte contre l’héroïne, dans les années 1990, là où la police avait échoué. Ce combat contre les drogues dures – remplacées en partie par les trafics de cannabis – a offert une « légitimité sociale, spirituelle et rédemptrice » à l’islam – même si la victoire contre l’héroïne est, en réalité, largement venue des politiques sanitaires.

L’islam a aussi et surtout fourni une « compensation » au sentiment d’indignité sociale, politique et économique. C’est la thèse centrale de Gilles Kepel, convaincu que cette « piété exacerbée » est un symptôme de la crise des banlieues, pas sa cause. Comme si l’islam s’était développé en l’absence de la République, plus qu’en opposition. Comme si les valeurs de l’islam avaient rempli le vide laissé par les valeurs républicaines.

Comment croire encore, en effet, en la République ? Plus qu’une recherche sur l’islam, l’étude de Gilles Kepel est une plongée dans les interstices et les failles des politiques publiques en direction des quartiers sensibles… Avec un bilan médiocre : le territoire souffre toujours d’une mise à l’écart durable, illustrée ces dernières semaines par l’épidémie de tuberculose, maladie d’un autre siècle, dans le quartier du Chêne-Pointu, à Clichy, ghetto de pauvres et d’immigrés face auquel les pouvoirs publics restent désarmés (Le Monde du 29 septembre). Illustrée depuis des années par un taux de chômage très élevé, un niveau de pauvreté sans équivalent en Ile-de-France et un échec scolaire massif.
Clichy-Montfermeil forme une société fragile, fragmentée, déstructurée. Où l’on compte des réussites individuelles parfois brillantes et des parcours de résilience exemplaires, mais où l’échec scolaire et l’orientation précoce vers l’enseignement professionnel sont la norme.

« Porteuse d’espoirs immenses,

l’école est pourtant aussi l’objet des ressentiments les plus profonds », constatent les chercheurs. Au point que « la figure la plus détestée par bon nombre de jeunes est celle de la conseillère d’orientation à la fin du collège – loin devant les policiers ».

Et pourtant, les pouvoirs publics n’ont pas ménagé leurs efforts. Des centaines de millions d’euros investis dans la rénovation urbaine pour détruire les tours les plus anciennes et reconstruire des quartiers entiers. Depuis deux ans, les grues ont poussé un peu partout et les chantiers se sont multipliés – invalidant les discours trop faciles sur l’abandon de l’Etat. Ici, une école reconstruite, là, un immeuble dégradé transformé en résidence. Un commissariat neuf, aussi, dont la construction a été plébiscitée par les habitants – parce qu’il incarnait l’espoir d’une politique de sécurité de proximité.
Le problème, montre Gilles Kepel, c’est que l’Etat bâtisseur ne suffit pas. Les tours ont été rasées pour certaines, rénovées pour d’autres, mais l’Etat social, lui, reste insuffisant. La politique de l’emploi, incohérente, ne permet pas de raccrocher les wagons de chômeurs. Les transports publics restent notoirement insuffisants et empêchent la jeunesse des deux villes de profiter de la dynamique économique du reste de la Seine-Saint-Denis. Plus délicat encore, la prise en charge des jeunes enfants n’est pas adaptée, en particulier pour les familles débarquant d’Afrique subsaharienne et élevés avec des modèles culturels très éloignés des pratiques occidentales.

Que faire alors ? Réorienter les politiques publiques vers l’éducation, la petite enfance, d’abord, pour donner à la jeunesse de quoi s’intégrer économiquement et socialement. Faire confiance, ensuite, aux élites locales de la diversité en leur permettant d’accéder aux responsabilités pour avoir, demain, des maires, des députés, des hauts fonctionnaires musulmans et républicains. Car, dans ce tableau sombre, le chercheur perçoit l’éveil d’une classe moyenne, de chefs d’entreprise, de jeunes diplômés, de militants associatifs, désireuse de peser dans la vie publique, soucieuse de concilier identité musulmane et appartenance républicaine.

Par Luc Bronner

Pour en savoir plus : http://www.fait-religieux.com

Noël dans les entreprises : boudin blanc et chèques cadeaux

NOEL

85 % des comités d’entreprise font une action pour Noël (photo Tillwe/Flickr)

 

Dans les entreprises, Noël c’est du boudin blanc aux morilles à la cantine, des cadeaux pour les enfants, des chèques pour les grands. Et malgré la crise, la tradition perdure, même si tous les salariés ne sont pas logés à la même enseigne. Ce sont les comités d’entreprises (CE), obligatoires à partir de 50 salariés, qui gèrent les petits bonus pendant cette période.Pour Noël, « 85 % des CE font une action », assure Jacques Lambert, de SalonsCE, qui met en relation élus et fournisseurs. Et le budget est « préservé » car c’est le moment l’année où le CE dit « j’existe ». Parmi les incontournables: chèques cadeaux, colis gastronomiques, jouets, spectacles… et repas festif à la cantine. « C’est toujours la même chose quasiment », observe Patrick Hamonière, responsable de Forum CE, un autre intermédiaire.
Côté agapes, les cantines mettent les petits plats dans les grands et les tables se parent de nappes blanches. Ces repas festifs avec foie gras, cailles rôties ou bûche pour le même prix que d’habitude (environ 4 euros) sont un moment « sympathique », estime René Ollier, représentant SUD-PTT au CE d’Orange. Mais tout le monde n’est pas adepte : « je n’y vais pas en général car il faut faire une heure ou une heure et demie de queue, à moins d’être prêt à aller déjeuner dès 11 heures », témoigne une salariée de Thales Alenia Space à Toulouse.Autre classique, les « arbres de Noël » à l’extérieur autour d’un spectacle. Selon Jacques Lambert, « les CE sont les plus gros contributeurs au spectacle vivant ». Les dépenses de Noël sont financées sur le budget des « activités sociales et culturelles » du CE. Le taux de contribution de l’entreprise n’est pas fixé mais ne peut être revu à la baisseChez Air France, qui distribuera comme l’an dernier 18.000 jouets et livres, ce budget équivaut à plus de 3 % de la masse salariale, l’un des plus généreux, avec EDF ou la RATP.La moyenne du budget des quelque 40.000 CE est de « 1 % de la masse salariale », mais « la part consacrée à Noël est compliquée à savoir », reconnaît Jacques Lambert de SalonsCE.
Selon un rapport du Sénat, le budget global des CE des entreprises de moins de 99 salariés n’excède pas 19.000 euros en moyenne, là où il dépasse 600.000 euros au-delà de 500 salariés.

Mais petit budget ne veut pas dire fête ratée. « Environ 50 à 60 % de notre budget passe dans les fêtes de Noël », dit Marie Rialland, élue au CE de Benchmark group, société d’environ 100 personnes spécialisée dans les contenus en ligne. Le CE n’ayant aucun permanent, il est fait appel aux bonnes volontés pour l’emballage des cadeaux ou le goûter des enfants, « un moment sympa mais assez usant en fin d’année ».

Dans les grands groupes, le bon d’achat prédomine. « Le responsable du CE n’a pas envie de se casser la tête à trouver quelque chose qui plaise à tout le monde », explique Patrick Hamonière. Avec les contraintes alimentaires liées aux allergies ou aux religions (halal, casher, végétarien, etc.), « ça devient compliqué de faire un colis », ajoute Jacques Lambert.

Sortie en famille avec un spectacle

A la SNCF, certains résistent. « On est un peu contre les chèques cadeaux car on ne sait pas si c’est l’enfant qui en profitera », fait valoir un représentant d’un des 28 CE du groupe. Il prévoit toujours une « sortie en famille avec un spectacle » fédérateur, cette année au cirque Bouglione.

Les CE, qui ont « un pouvoir d’achat que n’a pas le commun des mortels », sont hyper courtisés. Les éditeurs de chèques cadeaux « ont des commerciaux qui vont les voir » et les prestataires rivalisent de « cadeaux » pour les séduire, raconte Patrick Hamonière.

Mais quand les entreprises restructurent, la fête peut s’en ressentir. Comme en 2012 à l’usine PSA de Charleville-Mézières, où le repas avait été annulé ou chez Air France, où l’arbre de Noël a disparu, mais où le CE a maintenu la distribution des cadeaux.

Avec AFP

Pour en savoir plus : http://www.fait-religieux.com

La rédaction | le 23.12.2014 à 08:00