Pour combattre le radicalisme, pas moins d’islam mais plus d’histoire

Les origines kharidjites de l’organisation de l’État islamique

Pour combattre le radicalisme, les pays de l’Union européenne devraient changer d’approche. Il est nécessaire qu’ils cessent de croire que l’on est en voie de radicalisation dès lors qu’on s’intéresse aux origines et à la nature de l’islam. De leur côté, les États où la religion musulmane est majoritaire devraient encourager la jeunesse à mieux connaître et analyser sa religion, afin de rejeter systématiquement l’islamisme radical. 

L’organisation de l’État islamique (OEI) représente-t-elle l’islam ou en est-elle une caricature maléfique  ? Cette question continue de diviser. Elle oppose ceux des Occidentaux qui soupçonnent l’islam par principe aux musulmans indignés par l’OEI. Le débat fait également rage sur le front de la politique intérieure, en Europe et aux États-Unis.

Si nous devions suivre un raisonnement linéaire, nous en conclurions, comme ceux qui s’en méfient, que l’OEI représente l’islam et défend ses valeurs. Après tout, selon cette analyse, l’OEI est composée uniquement de musulmans, prétend parler au nom de l’islam, s’est proclamée «  califat  » et cite abondamment des versets et des dogmes coraniques tout en massacrant des musulmans et des religieux, en décapitant des Occidentaux, en démolissant des lieux de culte et des monuments historiques et en forçant des femmes et des jeunes filles à la prostitution et à l’esclavage. En outre, la doctrine et le militantisme violents du califat auto-proclamé du XXIe siècle ne sont-ils pas sans précédent historique  ? Ne raniment-ils pas des pans entiers du passé islamique  ?

Ce genre de raisonnement oublie un fait très simple : il ne suffit pas qu’une chose appartienne au passé pour devenir «  vraie  » ou «  authentique  ». Le passé ressuscité par l’OEI n’est pas «  l’islam véritable  », inaltéré par la réforme moderne. C’est seulement un épisode du passé islamique, qui était déjà très loin du système de croyances et de pratiques de l’islam normatif.

«  Vrais  » croyants, kafirs et idolâtres

En fait, l’OEI est la copie conforme du mouvement des kharidjites du VIIe siècle1, en particulier de leur branche radicale, les azraqites, disciples de Nafi Al-Azraq. Les azraqites furent les premiers dans l’histoire musulmane à terroriser les masses par des actes violents et abominables. Ils furent les premiers à séparer les «  vrais  » musulmans de ceux qui, selon eux, ne l’étaient que de nom. Cette distinction entraîne la violence, et ce n’est pas une coïncidence si les azraqites ont été les premiers terroristes de l’islam. Il va sans dire qu’ils se considéraient comme les seuls vrais croyants, et leur camp comme le centre de l’islam. En dehors d’eux, il n’y avait que des musulmans de nom, qui mettaient en danger la pureté de la religion. Pour faire cette distinction, les kharidjites employaient la dichotomie coranique de mou’min (croyant) opposé à kafir, (infidèle). Mais pour eux un kafir était un hérétique, pas simplement un non-croyant comme ce qu’indique le Coran.

Les azraqites sont allés encore plus loin en déclarant que les musulmans non kharidjites étaient moushrik —, coupables du péché impardonnable d’idolâtrie. Les azraqites décrétèrent par ailleurs qu’un seul péché suffisait à excommunier un musulman, ce qui va à l’encontre de la doctrine coranique sur les péchés. Il était légal pour eux de tuer tout homme désigné comme mécréant, de détruire ses biens et de massacrer ou d’asservir ses femmes et ses enfants. Les azraqites ont dénoncé les prophètes du passé comme hérétiques et leur propre contemporain, le calife Ali, cousin du prophète Mohammed, comme pécheur, avant de l’assassiner. Un certain nombre d’azraqites ont aussi pratiqué l’istirad : obliger quelqu’un, à la point du sabre, à adhérer à la doctrine défendue par le mouvement. Le choix était simple : la soumission à la conception azraqite de l’islam ou la mort. Ils ont ainsi jeté les bases de l’islam radical, qui va du wahhabisme du XVIIIe siècle jusqu’au terrorisme islamiste radical d’aujourd’hui. Il faut noter au passage que la religion servait plutôt de couverture à une entreprise politique : il s’agissait de prendre le pouvoir en se présentant comme les dirigeants légitimes de l’oumma — la communauté des musulmans.

Difficile de ne pas voir les similitudes entre l’OEI et les azraqites. En proclamant le califat, elle envoie bien plus qu’un message politique. Elle s’est autodésignée comme le foyer de l’islam, composé uniquement d’authentiques croyants. Quiconque demeure en dehors du califat est un kafir dans le sens défini par les azraqites. Tout comme les fanatiques du VIIe siècle, l’OEI estime licite de tuer tous ceux qu’elle considère comme infidèles : musulmans, non-musulmans, religieux sunnites, femmes, enfants. Il est également licite, pour l’OEI, de les asservir, de détruire leurs biens et de brûler leurs lieux de culte.

Pour les premiers théologiens islamiques, d’Ibn Hazm à Taftazani et Al-Ghazali, le terme kafir ne signifiait rien d’autre que «  non-croyant  », et il suffisait de se déclarer croyant pour être considéré comme tel. De nombreuses écoles de la pensée islamique professent que la foi est une conviction intime et que son siège est le cœur. Dieu seul peut connaître le cœur d’une personne. Même les prophètes ne peuvent ni ne doivent séparer les vrais musulmans des musulmans de nom. Ceci est dit clairement dans un hadith. Pour répondre à un homme qui en accusait d’autres de professer ce qui n’était pas dans leur cœur, le prophète Mohammed a dit : «  Je vous assure que je n’ai pas été envoyé afin de disséquer le cœur des hommes.  » Vis-à-vis des non-croyants, la doctrine islamique est sans équivoque : elle interdit formellement d’attenter à leur vie, sauf en cas de légitime défense. En outre, il n’y a pas de foi sans liberté de choix2. Croire doit être un acte volontaire.

Déradicaliser qui  ?

L’OEI viole tous ces préceptes, qui attribuent à Dieu une autorité absolue et dotent ainsi l’individu d’autonomie morale et de la liberté de choix. Reconnaître que l’OEI n’incarne pas l’islam mais sa perversion n’est pas seulement un exercice intellectuel destiné à défendre l’islam. C’est aussi une démarche très pratique, qui a des conséquences sur les programmes de déradicalisation.

Au début des années 2000, les pays de l’Union européenne se sont d’abord concentrés sur la répression et la protection de la population contre les attentats terroristes. Devant le défi posé par la montée de la radicalisation, on a ensuite mis en place la «  déradicalisation  ». Il s’agit d’agir en amont, en empêchant le recrutement de jeunes musulmans pour la cause terroriste. Cela va dans le bon sens, mais il y a toutefois un problème majeur. Les pays de l’Union européenne ont tendance à associer radicalisme et islam. N’importe quel musulman pratiquant ou pieux, jeune homme ou jeune femme, devient un-e terroriste en puissance. Selon cette vision fausse, pour déradicaliser la jeunesse musulmane, il faudrait la «  dé-islamiser  ».

Prenons le cas de la France, pays qui a la plus forte population musulmane d’Europe. Il y a quelques mois, l’académie de Poitiers a élaboré un document listant les indicateurs individuels d’une radicalisation musulmane3. Parmi ces signes : la perte de poids due au jeûne du ramadan, le refus du tatouage, le port d’une barbe longue et l’adoption d’une tenue musulmane. De simples éléments de la pratique religieuse sont décrits comme des signes de radicalisation. Cette approche porte atteinte aux libertés individuelles, à la liberté de pensée et au pluralisme religieux. Elle viole les principes de la laïcité en conférant à l’État le droit de dire jusqu’à quel point on peut être religieux.

Autre signe de radicalisation possible, selon ce même document : le sujet s’intéresse à l’histoire de l’islam, à ses origines et à sa nature. Une affirmation encore plus dangereuse que les précédentes. Essayer de mieux comprendre le message de l’islam, ce n’est pas une cause de radicalisation. Au contraire, c’est précisément le déclin de la réflexion personnelle et de la pensée critique vis-à-vis de la religion dans les sociétés musulmanes qui a fait le lit du radicalisme.

Pour combattre le radicalisme, il nous faut renouveler la réflexion personnelle sur l’islam. On ne peut se satisfaire d’un savoir transmis d’en haut, que ce soit par l’État ou par des communautés autoritaires. Paradoxalement, la montée de l’OEI a eu un effet très constructif : elle a finalement suscité chez les musulmans une prise de conscience individuelle et collective de la nécessité de mieux connaître leur religion, ce qui leur permet de rejeter systématiquement l’islamisme radical. Il est crucial de soutenir cet intérêt et de le canaliser dans la bonne direction pour que la jeunesse musulmane s’approprie une véritable connaissance de l’islam. Cet intérêt croissant donne au monde une excellente occasion de tuer dans l’œuf le radicalisme, et à l’Europe de s’attaquer à la question de la déradicalisation sans enfreindre ses propres principes démocratiques. À moins bien sûr que des politiques motivées par l’islamophobie ne lui coupent l’herbe sous le pied.

Neslihan Çevik

Chercheure post-doctorante associée à l’Institut des hautes études de la culture, université de Virginie.
Membre du corps professoral au Centre de recherche des études post-coloniales, université Üsküdar d’Istanbul.

1NDLR. «  Ceux qui sortent  », l’une des premières dissidences dans l’islam.

2«  Critical spirit of Islam against the mass insanity of ISIS  », Daily Sabah, 23 octobre 2014.

3Hanan Ben Rhouma, «  Lutte contre la “radicalisation” : quand l’Éducation nationale construit le problème musulman  », SaphirNews, 24 novembre 2014.

 

Pour en savoir plus : http://orientxxi.info

Une « laïcité française »? Non, un jeu des sept familles, selon un Jean Baubérot

 Baubérot

Le chercheur Jean Baubérot, fondateur de la sociologie de la laïcité, le 13 février 2012 à Paris (c) Afp
 

La laïcité a suscité et connu bien des crispations depuis les attentats parisiens: dernière en date, l’affaire de l’affiche annonçant un concert des Prêtres au profit des chrétiens d’Orient, mention religieuse refusée par la RATP dans un premier temps.

C’est le signe d’une certaine confusion que Jean Baubérot, grand défenseur de l’esprit de la loi de 1905 portant séparation des Eglises et de l’Etat, décrit dans un livre qui vient de paraître, « Les 7 laïcités » (éditions de la Maison des sciences de l’homme). « Certaines personnes ne connaissent pas beaucoup la juridiction laïque et fantasment sur la laïcité, qu’ils utilisent selon leur fantaisie », estime ce sociologue dans un entretien à l’AFP.

« De Michel Onfray à l’Institut de droit local alsacien-mosellan, des gens invoquent la laïcité en y mettant des choses très différentes », note-t-il. Leurs laïcités peuvent être…

Antireligieuse

Elle est présente à gauche, mais les personnalités qui s’en réclament sont « très minoritaires », selon l’auteur. Le philosophe Michel Onfray l’incarne en « franc-tireur » pour qui « l’engagement athée et la laïcité sont un tout ». « C’est également la ligne que défend, en gros, Charlie Hebdo. »

Gallicane

Jean Baubérot intitule ce modèle de laïcité ainsi car il la place dans la continuité du « gallicanisme politique », « constante lourde de l’histoire française ». En l’occurrence il s’agit, pour les acteurs publics, de « contrôler les religions », selon le sociologue. C’est la position, estime-t-il, du Parti radical de gauche (PRG) quand il porte une proposition de loi très contestée sur la neutralité religieuse dans les crèches privées, qui sera débattue mi-mai à l’Assemblée.

Séparatiste(s)

Le pluriel s’impose, car il y a là deux modèles qui ont en commun de « considérer que la séparation est le fer de lance de la laïcité ». L’un est « séparatiste strict »: c’est la tendance de la fédération de la Libre pensée, opposée au financement public du traitement des enseignants du privé sous contrat mais qui pousse le séparatisme jusqu’à dénier à l’Etat la légitimité de légiférer sur le port du voile dans les crèches privés ou les universités. Moins militante, la Ligue de l’enseignement représente une tendance « plus inclusive et plus souple » de cette laïcité séparatiste, relève le sociologue.

Ouverte

C’est la conception de la majorité des responsables des cultes en France, chrétiens, musulmans ou juifs. « Cette vision a tendance à réduire la laïcité à la liberté religieuse. J’y vois un peu une confusion inverse par rapport aux tenants de la laïcité antireligieuse », confie Jean Baubérot.

Identitaire

Cette laïcité tend à être dominante politiquement, constate l’auteur, qui note un « décalage avec la majorité de l’opinion publique, plus libérale sur ce sujet ». Elle est portée notamment à droite, et s’accommode d’un discours sur les « racines chrétiennes » ou « judéo-chrétiennes » de la France, au risque de stigmatiser l’islam. Le président de l’UMP Nicolas Sarkozy s’y inscrit quand il se dit défavorable aux menus de substitution à la cantine ou au voile à la fac, fait valoir l’expert.

Concordataire

C’est le régime en vigueur en Alsace et Moselle, où ne s’applique pas la loi de 1905, votée lorsque ce territoire était allemand. Ici, les ministres des cultes chrétiens et juifs sont payés par les pouvoirs publics, comme les prêtres catholiques en Guyane.

« Cela montre bien que la France, sans le dire, fait du cas par cas », glisse Jean Baubérot, estimant que « l’image d’une laïcité française parfois vue à l’étranger comme une arme de guerre contre les religions ne correspond pas à la réalité ».

Publié 14-04-2015 à 16h52
Mis à jour le 15-04-2015 à 11h48
Pour en savoir plus : http://tempsreel.nouvelobs.com

La République au défi du cosmopolitisme

Dans » La possibilité du cosmopolitisme », Constantin Languille prend l’affaire de la burqa comme point de départ d’une réflexion sur les conditions du vivre ensemble et les limites du cosmopolitisme. FIGAROVOX/ GRAND ENTRETIEN

Dans La possibilité du cosmopolitisme. Burqa, droits de l’homme et vivre-ensemble (Gallimard, 2015), Constantin Languille retrace avec pédagogie les débats sur l’interdiction de la burqa votée en 2010. Il part de cette affaire pour engager une réflexion sur les limites du cosmopolitisme et la possibilité de vivre -ensemble dans des sociétés libérales. Il revient également sur les contradiction d’une république française, tiraillée entre le culte de l’universel et le cadre de la nation.

Constantin Languille est juriste et étudiant en science politique.


LE FIGAROVOX : Qu’est-ce que le cosmopolitisme, en tant que projet politique?

CONSTANTIN LANGUILLE : Avant d’être un projet politique, le cosmopolitisme est un état de fait, résultant de la mondialisation. Certains le déplorent et l’appellent «grand remplacement» d’autres le célèbrent sous le nom de «métissage». Mais c’est un fait: le monde est désormais un tout unifié, où les diverses cultures se croisent et se répondent. C’est un raccourcissement brutal de l’espace temps, voire même, avec les nouvelles technologies, une instantanéité. Lorsqu’il y a une caricature à Paris, il y a des morts au Niger.

Mais, depuis le XIXème siècle, le cosmopolitisme est aussi un projet politique, une idéologie héritée des Lumières selon laquelle le seul fondement d’une communauté politique peut être les principes universels, soit les droits de l’homme et la démocratie. Le cosmopolitisme contemporain a été théorisé par le philosophe allemand, Ulrich Beck. C’est le concept de «société inclusive», développé notamment par le rapport Tuot. Quand tout le monde verra ses droits garantis, quand tout le monde sera tolérant, quand la justice sociale sera installée, on pourra vivre heureux ensemble. Il n’y a pas besoin d’éléments culturels et religieux pour unir les hommes.

Vous prenez l’affaire de la burqa comme point de départ d’une interrogation sur les limites du cosmopolitisme. Pourquoi?

Mon livre se veut avant tout une contribution scientifique à un débat souvent saturé de postures idéologiques. La question fondamentale de la science politique est la suivante : de quoi a-t-on besoin pour vivre-ensemble ? La séquence de la burqa constitue une expérience de laboratoire pour savoir si les droits et la démocratie suffisent à assurer ce vivre-ensemble, ou si nous avons besoins de quelque chose en plus. Plus précisément, la séquence de la burqa pose trois questions: Pourquoi des femmes françaises portent-elles apparemment volontairement le voile intégral? Pourquoi la France a-t-elle décidé de l’interdire? Comment rendre la loi juridiquement constitutionnelle au regard de la liberté de conscience?

Ces débats me paraissaient révélateurs des controverses autour de la laïcité en France. Pour motiver l’interdiction, beaucoup de députés sont partis de la laïcité, et de la loi de 2004 sur l’interdiction des signes religieux à l’école. Puis on s’est rendu compte que cela ne marchait pas, car la rue n’était pas un espace de service public. On a employé ensuite l’argument de la dignité des femmes, mais personne n’arrivait vraiment à s’accorder sur une définition de la dignité. Finalement, le voile intégral a été interdit au nom du vivre-ensemble, qui impose à chacun de montrer son visage dans l’espace public. Cependant, de nombreux juristes ont estimé que la loi empiétait trop sur la liberté de conscience.

Le voile intégral est un cas limite. Il dévoile la tension fondamentale entre les droits de l’homme (et leur universalité) et ce «vivre-ensemble» (qui nécessite du «commun»).

Pourquoi cette tension?

L’universel (la démocratie, la tolérance, les droits de l’homme) est tout ce qui reste comme fondement politique à nos sociétés libérales. Nous aspirons à cet universel, mais nous sommes aussi aspirés à notre corps défendant. Car, quand nous voyons les conséquences concrètes de cet universel, à savoir plus de diversité, politique, religieuse, culturelle, nous sommes parfois gênés. Nous subissons parfois malgré nous les conséquences sociologiques de notre théorie politique. Le mouvement de l’histoire nous conduit vers une société plus cosmopolite, qui correspond à nos valeurs très anciennes. Ainsi, le droit invoqué à porter la burqa, ce n’est pas le «droit à la différence» invoqué par SOS racisme dans les années 1980, c’est fondamentalement la liberté de conscience, posée dans la déclaration de 1789 c’est à dire le libéralisme politique.

Peut-on parler, comme le fait Régis Debray, d’une «religion républicaine»?

J’écris dans mon livre que la burqa est un «blasphème» contre la religion laïque. La burqa choque à la fois pour des raisons universelles (la dissimulation du visage et le refus de l’interaction avec autrui) et qui touchent au particulier, à l’histoire française. La République, ce n’est pas seulement des droits, cela suppose une certaine mobilisation du citoyen. Le mot clé est l’émancipation. Le citoyen de la République française se doit d’être émancipé, impliqué, mobilisé, lumierisé. Tout ce qui est religieux est susceptible d’être une concurrence à cet attachement. Or la République n’a jamais pu finalement dérouler totalement son programme. Nous sommes dans une situation bancale où en fait la République, tout en «tolérant» le fait religieux, le perçoit comme une concurrence fondamentalement illégitime. Il y a une tradition républicaine qui a du mal à considérer que la manifestation extérieure de la foi relève des libertés publiques. En 1792, on a fait une loi pour interdire le port de la soutane ! C’est revenu en 1905. La laïcité est un mode d’organisation des pouvoirs qui postule la séparation de l’Etat et de la religion, pas une valeur «républicaine» dans laquelle peuvent croire les citoyens.

Quelle est la différence entre cette République et le libéralisme cosmopolite?

Ce qu’offre la modernité libérale, c’est le fait que l’Etat ne puisse pas imposer une vérité révélée. Mais cela n’interdit pas aux individus de croire en une vérité universelle. C’est l’idée libérale d’un «marché des idées»: si vous voulez que la vérité émerge, vous ne devez pas compter sur la force de l’Etat mais sur celle de vos arguments. Le libéralisme ne connait pas de civilisations, mais seulement des individus. Le républicanisme postule lui que les individus n’existent pas, qu’ils se créent (Renan: «l’homme ne s’improvise pas»), et qu’il faut les «émanciper», contre leur gré même, par l’école républicaine, etc…La République critique le libéralisme car il laisserait les individus tels qu’ils sont, prisonniers de leurs appartenances identitaires et de leurs conditions sociales, sans leur donner de perspectives d’émancipation. La République serait le lieu où l’individu aurait l’occasion de se décentrer par rapport à son héritage social, culturel ou civilisationnel, et pourra juger de lui-même que les civilisations ne se valent pas. L’Etat peut produire des individus par l’école.

Est-ce à dire que le cosmopolitisme est une chimère, impossible à réaliser?

Le cosmopolitisme intégral est impossible, il doit trouver en lui-même des limites. Cette limite, c’est la vertu de tolérance que chaque citoyen doit pratiquer, pour permettre aux autres de pratiquer leurs droits comme ils l’entendent. Or il est quasiment impossible de fabriquer des tolérants, et même pourrait on dire à l’instar de Léo Strauss, que la «tolérance est un séminaire d’intolérance». Quand tout le monde est tolérant, il n’y a plus de discussion possible sur le contenu d’une vie bonne. Ce relativisme peut conduire à la réaffirmation des identités et des subjectivités particulières. La tolérance conduit à l’exacerbation des particularismes.

De façon assez paradoxale, l’universalisme conduit au relativisme…

Tout cela pose la question de la solidité du fondement de la philosophie politique moderne. Le fondement de notre politique, c’est les droits de l’homme, c’est à dire le droit d’être ce que vous voulez, la pure indétermination. La nature humaine, c’est qu’il n’y a pas de nature humaine, chacun est libre de s’actualiser comme il le souhaite, sous des formes culturelles diverses. La seule chose qu’il faut garantir c’est que les gens puissent en changer potentiellement. D’un coté on affirme l’unité de l’humanité – quiconque dressera des barrières sera critiqué- mais ce qui unit, c’est le fait de pouvoir être différent. C’est un problème politique potentiellement insoluble.

La nation aurait-elle subi le processus de «désenchantement du monde» que décrit Marcel Gauchet ?

Oui. La nation a elle aussi été «désenchantée». Comme le souligne Pierre Manent, la République ne s’est imposée que comme nouveau régime de la nation française, et parce que les religions ont été reléguées dans l’espace privé par cette nouvelle communauté qui réunissait les citoyens français. Selon lui l’Etat républicain ne peut survivre à l’Etat nation. Or aujourd’hui, il y a une sorte d’essoufflement, de décompression de l’idée nationale, et donc, de l’idée républicaine. Les cérémonies républicaines, le drapeau, la Marseillaise, l’idée de France, sont frappés d’une perte de sens peut être irréversible. Or, si on perd la nation, on perd le cadre commun qui permet d’unir au delà des différences religieuses ou culturelles.

La disparition de la nation ouvre-t-elle la voie à la guerre de tous contre tous?

Dans la situation actuelle, deux voies sont envisageables. Option numéro un : le cosmopolitisme, qui permet à chacun de vivre comme il l’entend. Option numéro deux : il faut du particulier, une communauté qui nous rassemble et nous transcende, qui était la nation. Il est possible que les deux options soient désormais obsolètes. La nation, car elle est balayée par la mondialisation. Le cosmopolitisme, car il repose sur une contradiction fondamentale : basé sur la tolérance, peut-il tolérer l’intolérance ? La société ouverte peut-elle tolérer ses ennemis? La démocratie peut-elle inclure les ennemis de la démocratie? On voit ces contradictions à l’œuvre tous les jours dans notre société: on marche pour la liberté d’expression le dimanche, tout en condamnant Dieudonné le lundi. Un revival national aujourd’hui pourrait être dangereux, aboutir à la guerre des identités, mais la tolérance aussi y conduit.

Comment trancher ce nœud gordien?

Il me semble qu’aujourd’hui, il y a une profonde nécessité de réforme de la tradition républicaine française. Il faut que la République s’ouvre davantage à la diversité sociologique française. Il y a un effet négatif des incohérences du discours républicain. Le principe de liberté appartient à notre devise, et les Français musulmans ne comprennent pas qu’au nom de cette devise républicaine, on leur interdise certaines pratiques religieuses. Il y a toute une série d’exceptions au principe liberté : Liberté, mais pas pour Dieudonné, ni pour Renaud Camus. Liberté, mais pas pour le voile.

Où fixer la limite?

Il me semble légitime de penser que la démocratie n’est pas seulement les droits de l’homme, mais aussi une capacité à se définir collectivement par un certain nombre de valeurs et de règles. Tout n’est pas permis en France, il y a une certaine civilité minimale, ou de décence commune, qu’il faut respecter. D’un autre côté, il faut que les Républicains français comprennent qu’ils n’ont pas le monopole de la liberté, qui protège aussi les minorités politiques et religieuses, aussi dérangeantes que soient leurs pratiques. La défense de la République ne justifie pas toutes les atteintes aux libertés publiques.

Par Eugénie Bastié

Publié le 03/04/2015

Pour en savoir plus : http://www.lefigaro.fr

La laïcité, notion biaisée par les politiques

On la voit dans les côtelettes de porc servies à la cantine. On va la chercher dans les cheveux des puéricultrices de crèches et des étudiantes de fac. «La laïcité est récemment devenue la quatrième valeur de la devise républicaine française», note Valentine Zuber, historienne. Problème : alors que, depuis les attentats de janvier, les dirigeants politiques, à droite bien sûr mais aussi à gauche, ont convoqué la laïcité pour sceller l’union nationale, personne ne s’entend en réalité sur ce qu’elle signifie. Ce mot devenu parapluie, mécompris, distordu, et parfois instrumentalisé, abrite désormais des versions opposées. Laïcité libérale ou extensive ? Pour les partisans de la première, l’Etat doit être neutre et se borner à organiser la coexistence des convictions de chacun. Pour les seconds, les citoyens doivent aussi accepter de devenir un peu plus neutres dans l’espace public. Les premiers mettent au-dessus la libre expression individuelle et donc des croyances ; les seconds privilégient une cohésion nationale qui nécessiterait de lisser les différences culturelles ou cultuelles.

Qu’en disent les universitaires qui travaillent, précisément, sur la laïcité ? Que nous apprennent-ils sur ce mot polyphonique ? Premier constat : dans le milieu universitaire, l’obsession du voile et des menus à la cantine, brandie par Nicolas Sarkozy pendant la campagne des départementales, et plus largement le besoin de refonder la laïcité dans un sens plus restrictif, font bondir une majorité de chercheurs. Ceux-là dénoncent un dangereux dévoiement du concept par la classe politique. «Ces discriminations légales [envers les femmes voilées, ndlr] sont en train de construire un régime juridique d’exception, qui bafoue le droit à l’éducation et le droit au travail», écrivaient ainsi Marielle Debos, Abdellali Hajjat, Stéphanie Hennette Vauchez dans Libération (édition du 11 mars).

«Demande sociale». Dans les années 70, à l’université, la laïcité n’est même pas un sujet de débat ou de recherche. Ou alors historique. «A la fac de droit, on nous enseignait bien quelques arrêts anciens, mais pour tous, les choses étaient claires, simples, tranchées», raconte Patrice Rolland, juriste. C’est un fait divers qui va rendre le mot explosif. En septembre 1989, trois gamines d’un collège de Creil (Oise) veulent garder leur voile en cours. Le proviseur s’y oppose. L’histoire de Fatima, Leïla et Samira devient affaire d’Etat. Le ministre de l’Education, Lionel Jospin, estime que la scolarité des jeunes filles doit primer, que l’école ne peut les exclure. En novembre, Elisabeth Badinter, Régis Debray, Alain Finkielkraut, Elisabeth de Fontenay et Catherine Kintzler lui répondent vertement dans le Nouvel Obs : «Monsieur le ministre, l’avenir dira si l’année du Bicentenaire aura vu le Munich de l’école républicaine.» La recherche universitaire se saisit alors de la laïcité. Son approche en est entièrement renouvelée.

«Avec Creil, l’Etat s’est rendu compte que la religion devenait plus visible dans l’espace public. Il existait une demande sociale et il fallait l’étudier avec recul», témoigne Valentine Zuber (1). Une chaire d’histoire et de sociologie de la laïcité est fondée en 1991 à l’Ecole pratique des hautes études. Puis un laboratoire, le «Groupe sociétés, religions, laïcités», cofinancé par le CNRS et l’EPHE. A leur tête, alors, Jean Baubérot, figure tutélaire de la sociologie de la laïcité. Protestant, ce dernier est, avec le catholique Emile Poulat, décédé en novembre, le père fondateur d’une lecture souple de la loi de 1905. Une pensée que résume Philippe Portier, le remplaçant de Baubérot à la tête du labo : «La laïcité est une forme de reconnaissance du religieux. Elle garantit la liberté de chacun d’exprimer sa foi tant qu’il ne bouleverse pas l’ordre public.» Aujourd’hui, une cinquantaine de sociologues, historiens, juristes ou philosophes travaillent dans le labo, qu’ils soient athées pur jus ou marqués par une culture religieuse. «Ces problématiques ont vite connu un très grand succès», raconte Valentine Zuber, elle-même chercheuse au sein du GSRL.

Sphère privée. A côté de la libérale «école Baubérot», un courant de chercheurs retraçant une analyse postcoloniale de la société s’oppose, à partir des années 2000, lui aussi radicalement à une laïcité restrictive et militante. Ceux-là dénoncent l’islamophobie sous couvert de la loi, la domination de la majorité sur certains groupes ethnoraciaux. «Depuis plus de dix ans, le voile est une question qui n’a fait qu’instrumentaliser à moindres frais les droits des femmes au profit de politiques racistes aux relents paternalistes et colonialistes», écrivaient ainsi des enseignants-chercheurs (dont Nacira Guénif-Souilamas, Marwan Mohammed et Eric Fassin) dans une autre pétition publiée dans Libération le 8 mars, signée depuis par 1 800 universitaires.

Si aujourd’hui la majorité de chercheurs est favorable à cette laïcité «ouverte», le relatif consensus ne doit pas faire oublier l’existence de voix divergentes, d’autres regards. Des philosophes, surtout, cherchent à refonder le concept de laïcité. Comme Catherine Kintzler (2) ou Henri Pena-Ruiz. «Il faut ranimer cette laïcité qui a été offerte en cadeau au Front national, estime la philosophe. La république distingue des espaces privés et publics, organise des respirations, c’est en cela qu’elle est le contraire de l’intégrisme. L’élève aussi a droit à une double vie, hors du regard de ses parents. L’école n’a pas à refléter la société.» Dans cette optique, les particularismes doivent être relégués dans la sphère privée, au nom d’un principe supérieur : le vivre ensemble. Portée par des essayistes et des intellectuels médiatiques, soutenue par «la forteresse enseignante», selon Philippe Portier, la voix de cette laïcité de combat porte davantage dans le débat public.

Catherine Kintzler est philosophe. Ancienne professeure de lycée, aussi. Lors de l’affaire du voile de Creil, c’est elle qui avait cosigné la tribune du «Münich scolaire». Le mois dernier, elle a failli s’étrangler en écoutant François Hollande qui, après les attentats de Charlie Hebdo et de l’Hyper Cacher, tentait de fixer un cap à sa laïcité. «Contrairement à ce que dit le président Hollande, qui cite la loi de 1905 à l’envers, la république ne reconnaît pas tous les cultes, elle n’en reconnaît aucun !» reprend-elle. La laïcité est ici un idéal républicain. C’est aussi ce qu’affirmait l’éditorial de Charlie Hebdo des «survivants». En une, le prophète pardonnait tout. A l’intérieur, l’éditorial disait «pas la laïcité positive, pas la laïcité inclusive, pas la laïcité je ne sais quoi, la laïcité point final». «L’article prônait « une laïcité sans qualificatif », commente l’historienne Florence Rochefort (3). Je comprends le mot d’ordre. Mais les chercheurs ne peuvent pas souscrire à cette approche. Il y a sans doute une envie de laïcité dans la société civile aujourd’hui. Mais elle ne peut pas être un catéchisme. Ce que les sciences sociales révèlent, c’est que la laïcité est toujours le résultat d’un rapport de force.» «Le risque, renchérit Philippe Portier, c’est que les pratiques concrètes ne soient analysées que comme des écarts à ce modèle idéal.»

«Livre de tout le monde». Depuis les années 2000, dans les travaux de recherche, la laïcité est croisée avec d’autres thématiques, comme le féminisme, les migrants, les nouveaux courants religieux, la médecine ou la mort… Au sein du GSRL, Florence Rochefort interroge la laïcisation par le prisme du genre. Elle a notamment montré que les militants laïcs de la IIIe République ont finalement trouvé un terrain d’entente avec l’Eglise en sacrifiant les femmes et leur droit de vote. La laïcité n’a pas toujours été le combat féministe que prétendent les pourfendeurs du voile d’aujourd’hui. «Depuis 1900, le pacte laïc s’est chaque fois construit sur des exclusions : les femmes, les homosexuels… Il faudrait éviter que le pacte de réconciliation nationale qu’on voit poindre aujourd’hui se fasse contre les jeunes femmes musulmanes», prévient l’historienne.

Les sciences sociales ont désacralisé la laïcité. Les comparaisons internationales l’ont sortie de son splendide isolement français. «Il existe des laïcités multiples, qui renvoient chacune à différentes manières d’accommoder les relations entre la religion et la politique», précise Philippe Portier. A tel point que des chercheurs étudient aujourd’hui la «laïcité états-unienne». Laïc, ce pays qui fait prêter serment à ses présidents la main sur la bible ? «La République française a fondé son identité sur l’absence de dieu, explique Valentine Zuber. Le contrat politique anglo-saxon se fonde, lui, sur une transcendance : les députés américains jurent sur un livre fermé, le Livre de tout le monde. Un député américain musulman a ainsi prêté serment sur le Coran.» Pour cet Etat beaucoup plus religieux que l’Etat français, le pilier de la laïcité n’est pas la neutralité, mais la séparation entre l’Etat et les cultes – là-bas bien plus étanche qu’ici.

«Pas comprise». Le jour où nous avons interviewé Florence Rochefort, elle allait être auditionnée par les sénateurs. «Je dois dire qu’il est difficile pour nous, chercheurs, de parvenir à faire entendre les nuances que peut revêtir le voile pour une jeune fille, quand les hommes politiques et une partie des féministes ont décidé que le foulard ne pouvait avoir qu’une seule signification : l’oppression», confiait-elle. Puis nous avons échangé avec une de ses collègues, qui venait d’être entendue par les mêmes sénateurs : «J’ai dû mal m’exprimer, ils ne m’ont pas comprise.»

Les chercheurs se plaignent de n’être pas entendus. «Le 11 septembre 2001, puis l’arrivée du FN au deuxième tour de la présidentielle de 2002 ont marqué un basculement : le discours des sciences sociales a été disqualifié», note le politologue Abdellali Hajjat, qui travaille sur ce qu’il nomme «la construction du problème musulman» en France. «Experts, essayistes ou politiques nous ont dit : « Vous n’avez pas réussi à repenser la société. Vous êtes des idéalistes, vous ne faites pas face à la réalité. »»Les élus locaux disent ne pas retrouver dans les travaux universitaires ce qu’ils voient aujourd’hui dans leur circonscription. «Il y a tout de même une montée de la religiosité. Mais ça, qui en parle parmi ces universitaires de gauche ?» s’agace un intellectuel, ancien membre de la commission Stasi. Réuni en 2003, ce groupe de réflexion devait plancher sur l’opportunité d’une loi interdisant le voile à l’école (qui sera votée un an plus tard). La commission s’étonnait déjà du manque d’études scientifiques quantifiant la présence réelle de voiles à l’école.

Des signes épars laissent pourtant espérer un dialogue plus fructueux entre élus et chercheurs. La revue socialiste vient de consacrer son numéro de mars à la laïcité – les partisans d’une option libérale et ouverte y sont largement représentés. L’Observatoire de la laïcité, relancé par François Hollande pour pacifier les débats sur l’expression religieuse dans l’espace publique, a donné aux chercheurs l’impression d’être enfin entendus. Leur message est simple, à l’image de celui de Florence Rochefort : «La laïcité n’a pas réponse à tout.»

Sonya FAURE

Pour en savoir plus : http://www.liberation.fr

(1) «Le Culte des droits de l’homme: une religion républicaine française», éd. Gallimard.

(2) «Penser la laïcité», de Catherine Kintzler, éd. Minerve.

(3) «Normes religieuses et genre: mutation, résistance et reconfiguration XIX-XXI», éd. Armand Collin.

A lire également «La Possibilité du cosmopolitisme», de Constantin Languille, éd. Gallimard.

Repas alternatifs à la cantine : l’appel des végétariens

Les repas servis à la cantine sont au coeur de la polémique depuis 15 jours.

La décision du maire de Chalon-sur Saône de supprimer les repas de substitution dans les cantines de sa ville a provoqué la polémique. Des personnalités profitent du débat pour prouver les vertus des menus sans viande.

Faut-il supprimer les menus de substitution, sans viande de porc, dans les cantines ? À l’origine du débat, le maire UMP de Chalon-sur-Saône, Gilles Platret, qui a décidé d’appliquer ce principe au nom de la laïcité. Le soutien de Nicolas Sarkozy à cette décision a divisé jusque dans son camp, illustrant la polémique née de cette décision.

Le Monde publiait jeudi une tribune signée par des personnalités en faveur du menu alternatif. Mais pas exactement celui dont Gilles Platret s’est fait le fossoyeur. Ces personnalités, dont Matthieu Ricard, prônent un repas végétarien à la cantine. «Le repas végétarien, le plus laïc de tous», c’est le titre donné à cet appel. «Le plat végétarien est une solution laïque et œcuménique aux préférences alimentaires de chacun, qui a le mérite de représenter l’alternative la plus simple […]. Le repas végétarien réunit tout le monde.»

Une autre image de la cuisine française

Allain Bougrain-Dubourg, président de la Ligue pour la protection des oiseaux est cosignataire de cette tribune. Il explique au Figaro l’idée défendue par le texte. «Nous voulons que les cantines scolaires proposent un menu végétarien aussi souvent que possible.» En plus des menus traditionnels, donc. «Pas question de dogmatisme», pour les signataires. Allain Bougrain-Dubourg l’assume, la polémique sur la laïcité a été «l’occasion de formuler des idées qui trottaient déjà dans la tête des signataires». «Nous faisons une proposition crédible et qui n’est pas idéologique», explique-t-il.

«Dans notre article, nous avons évité toute stigmatisation. Nous nous somme abstenus de parler des méthodes d’abattage cruelles qui sont utilisées pour la viande casher et halal, de la traçabilité qui est difficile, mais c’est une réelle préoccupation», affirme le président de la Ligue de protection des Oiseaux (LPO). La philosophie du texte veut ainsi pousser à la réflexion contre la souffrance animale. Allain Bougrain-Dubourg évoque comme autre exemple le «foie gras, emblème de la gastronomie française. Nous voulons donner une autre image de la cuisine de notre pays».

Prendre exemple sur McDonald’s

Concrètement, les enfants qui suivent un régime alimentaire confessionnel trouveraient donc dans leurs assiettes un repas alternatif végétarien, et ne seraient pas exclus s’il y a du porc au menu. Mais ils mangeraient également mieux.

Car le texte n’est pas non plus dénué de revendications écologistes. Allain Bougrain-Dubourg évoque l’exemple McDo. «Aujourd’hui leurs yaourts sont bios. C’est bien la preuve que des commandes en nombre et une relation sur le long terme avec les producteurs peuvent abattre l’idée reçue que si c’est bio, c’est cher.» Le modèle industriel pourrait donc être appliqué aux collectivités locales, qui s’engageraient auprès des agriculteurs bio.

Avec la conférence climat en décembre à Paris en ligne de mire, le texte rappelle que l’élevage serait responsable de 60% des émissions de méthane dans le monde, ce qui représente 14,5% de la production de gaz à effet de serre.

Le principe de ces menus végétariens est déjà appliqué dans quelques cantines françaises. C’est notamment le cas à Paris, dans les cantines du XVIIIe arrondissement, où des repas sans viande sont servis deux fois par mois. Mais aussi à Saint-Etienne, où les élèves peuvent manger végétarien tous les jours. La décision a été prise en décembre dernier, par le maire UMP de la ville.

Par Akhillé Aercke

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Pour une grande politique de la diversité

Dans une thèse menée entre 2000 et 2005, nous avons montré que le rapport à l’islam d’enfants d’immigrés est lié à leurs trajectoires d’entrée dans la vie adulte, celles-ci s’allongeant désormais jusqu’au-delà de la trentaine. Ces jeunes estiment, non sans raison, que la couleur de leur peau, le fait d’être enfants de l’immigration postcoloniale et leur quartier d’habitation sont l’objet de jugements dépréciatifs qui contrarient leur accès aux opportunités sociales, à l’école, sur le marché du travail comme aux guichets des administrations.

Certains jeunes cherchent alors dans l’islam une inscription dans une généalogie prestigieuse. Se considérer comme descendant de Mahomet et se rapprocher de ses compagnons par l’habit et la piété est une quête de requalification. Celle-ci est façonnée par les offres religieuses salafistes dans lesquelles un islam dés-historicisé est censé gouverner la vie du croyant de la naissance à la mort. Cette identification à l’islam ne donne généralement pas lieu à une radicalisation violente, certains jeunes devenant simplement pieux. Dans d’autres situations, pourtant, la filiation s’éprouve au travers d’une inscription dans une communauté musulmane mondiale qu’il s’agit de défendre par les armes contre les attaques dont elle est l’objet.

Féminité islamique

En revanche, les identifications des jeunes femmes à l’islam relèvent d’autres logiques. Certaines d’entre elles s’attachent à un islam spirituel (plutôt que culturel) pour mettre à distance la religion parentale dominée par les obligations. Porter le foulard permet aussi, lors des premières années à l’université, de montrer sa fidélité à la famille pour accéder ensuite à une plus grande autonomie.

Ces artisanes de liberté tempérée considèrent que les discours qui articulent féminisme et dénonciation des inégalités des sexes au sein des populations immigrées sont une violence faite à leurs familles. Dans certains cas, afficher les signes d’une féminité islamique dans l’espace public est une protestation contre un type de féminisme qui stigmatise les populations. Ce fait protestataire n’est pas nouveau. Dans le contexte étatsunien, les Afro Américaines ont développé des mouvements autonomes de lutte contre le racisme et le sexisme parce que le féminisme des blanches mettait à l’écart les populations noires.

Les trajectoires de ces filles d’immigrées façonnent aussi leurs sensibilités, qui sont plutôt conservatrices, sur la famille et le couple. Ces positions ne relèvent pas d’un «défaut d’assimilation», qu’il faudrait corriger, et encore moins de radicalisation ; elles sont un point de vue, parmi d’autres, dans une société pluriculturelle.

Reconnaissance de la pluralité culturelle

En France, le développement du salariat et de l’État social, la scolarisation de masse dans une école laïque, publique et gratuite ont stabilisé un contrat social fondé sur l’égalité des individus en droit, la laïcité et la neutralisation des différences dans l’espace public. Ce républicanisme est mis à l’épreuve pour trois raisons. Tout d’abord, dans les sociétés européennes contemporaines se rencontrent des populations dont les croyances, les pratiques et les représentations du monde sont diverses. Ensuite, la globalisation modifie les cadres de référence de l’individu. Les mobilités, dans le cyberespace comme entre les régions du monde, facilitent la multiplicité des appartenances et des loyautés. Ce contexte de dés-imbrication de l’État, de la nation et de la société fragilise les logiques de reproduction et l’adhésion du plus grand nombre à des valeurs partagées héritées d’hier. Enfin, l’accroissement des inégalités socio-économiques depuis 1975, après une longue période de reflux de celles-ci, déstabilise la logique de réciprocité sur laquelle reposait le contrat social.

Le républicanisme reste un type d’organisation socio-politique valable mais son articulation avec l’expression des différences doit être revisitée. En premier lieu, la reconnaissance de la pluralité culturelle de notre pays est indispensable. Les élus devraient davantage rappeler que le port du foulard ou du qamis dans la rue exprime une religiosité, garantie par la liberté de conscience, pilier fondateur de la laïcité. En deuxième lieu, le débat public sur les migrations et la diversité, aujourd’hui monopolisé par quelques acteurs, devrait refléter les différences qui traversent la société française. De nombreuses voix y sont complètement absentes car elles n’ont pas accès aux grands médias et s’expriment alors sur le net, espace de liberté sans garde-fous. Enfin, une grande politique nationale visant les discriminations liées à l’origine, réelle ou supposée, est plus que jamais nécessaire. Son absence a nourri, pendant des décennies, la représentation selon laquelle le racisme et les épreuves liées à l’origine et à la couleur de peau n’étaient pas pris au sérieux par la puissance publique, alimentant un ressentiment qui s’exprime à son paroxysme dans les quartiers les plus ségrégués.

Nathalie Kakpo est auteure de L’islam, un recours pour les jeunes (Presses de Science Po).

Nathalie KAKPO docteure en sociologie
Pour en savoir plus : http://www.liberation.fr

 

Laïcité, la France en plein doute

Une proposition de loi visant à étendre le devoir de neutralité des fonctionnaires aux éducateurs du secteur privé relance les polémiques sur le sens de la laïcité républicaine.

 TroisReligionsMono

Guillaume BONNEFONT/IP3/Julian Kumar/GODONG/Leemage/Philippe Lissac/Godong/Leemage

Dans une société marquée à la fois par une forte sécularisation et la présence nouvelle de l’islam, la laïcité est devenue une question identitaire.

L’opération déminage lancée le 9 mars par l’Élysée a provisoirement éloigné la menace. La proposition de loi des radicaux de gauche pour instaurer la neutralité religieuse dans les structures éducatives privées subventionnées ne sera pas débattue jeudi 11 mars. Le sujet, à la veille des élections départementales, était socialement explosif et risquait d’ébranler la majorité. Le chef des députés radicaux, Roger-Gérard Schwartzenberg, a in extremis accepté de retirer le texte. Mais il dit avoir obtenu en contrepartie l’engagement qu’il sera examiné en mai et que le groupe socialiste y apportera « un vote positif ».

La bataille est repoussée, elle n’en sera pas moins violente. Car cette proposition de loi, votée au Sénat en 2012 dans le contexte de l’affaire Baby-Loup, a provoqué une tempête de protestations. Mardi 10 mars au soir, Mgr Georges Pontier, archevêque de Marseille et président de la Conférence des évêques de France, a exprimé la « très vive inquiétude »de ses pairs, qui voient dans ce texte de loi « l’inspiration manifeste d’une méfiance vis-à-vis des religions dont il faudrait protéger les mineurs ». Reçus début mars par l’Observatoire de la laïcité, les cultes protestant et juif ont également critiqué l’initiative. Le Conseil français du culte musulman (CFCM) fustige pour sa part une « politique d’intolérance ».

C’est surtout le coup de colère de Jean-Louis Bianco, président de l’Observatoire de la laïcité et proche du chef de l’État, qui révèle l’ampleur de la polémique. « Il s’agit d’un dévoiement de la laïcité dans une version intégriste, punitive et, même si ses promoteurs s’en défendent, anti-musulmane, anti-religions », assène l’ancien député socialiste, qui insiste sur la fragilité juridique de l’entreprise.

Le débat de la laïcité déporté vers les questions de l’expression religieuse

Comment expliquer qu’une fois encore se réveillent des passions françaises que l’on croyait apaisées ? Au fond, ce n’est plus vraiment la vieille question des cultes et de leurs relations avec les institutions républicaines qui nourrit le problème. Ces vingt dernières années, les choses se sont même plutôt arrangées. En 1995, arrivé à Matignon, Lionel Jospin avait instauré des rendez-vous réguliers avec les cultes, une pratique qui s’est, depuis, maintenue. Nicolas Sarkozy a installé le CFCM en 2003. Quant à la jurisprudence administrative, elle a livré ces dernières années une lecture accommodante du principe de séparation pour permettre le soutien des collectivités locales à des associations cultuelles.

Les polémiques sur la laïcité se sont en fait déportées sur un autre terrain, celui de l’expression religieuse. Un phénomène très bien analysé par le juriste Vincent Valentin (1) qui voit, derrière l’affaire Baby-Loup, la volonté de certains « d’imposer une nouvelle laïcité ».

Professeur à Sciences-Po Rennes, il observe chez nos contemporains – acteurs de terrain, élus politiques, intellectuels – « une déception face aux promesses de la modernité, qui signifiait pour eux l’effacement progressif du religieux. Son retour signe pour eux l’échec de la sécularisation. D’où la volonté d’étendre des obligations de neutralité aux personnes privées. »Mardi 10, dans son communiqué, Mgr Pontier ne faisait pas une autre analyse. Il dénonçait une entreprise visant à cacher les religions « en les faisant disparaître progressivement de tout lieu de vie sociale. » Alors que la loi de 1905 était un texte d’inspiration libérale, il s’agirait désormais de« promouvoir une société vidée de toute référence religieuse », insistait-il.

Une demande de neutralité religieuse de plus en plus extensive

Si l’ensemble des croyances peuvent se sentir concernées, il est clair que c’est l’islam qui fait l’actualité depuis vingt-cinq ans, depuis l’affaire des foulards de Creil en 1989. Le voile est devenu le symbole de la nouvelle question laïque. En 2003, rappelle Vincent Valentin, le député UMP François Baroin remettait à Jacques Chirac un rapport dans lequel « il opposait la logique de la laïcité à celle, individualiste, des droits de l’homme. La laïcité n’est alors plus seulement un principe juridique, mais une manière d’être de la société française. Elle est devenue un marqueur de l’identité française au nom duquel on peut imposer aux personnes d’être neutres ».

Certes, la loi sur les signes religieux de 2002 a été adoptée grâce à un consensus politique sur la nécessaire sanctuarisation de l’école, mais de multiples autres tentatives ont trouvé leurs limites. Fer de lance de cette « nouvelle laïcité », l’ancien Haut conseil à l’intégration avait ainsi proposé de limiter l’expression religieuse sur la voie publique !

Le Grand Orient de France a publié en décembre dernier 25 propositions, parmi lesquelles la prohibition des signes religieux dans l’enseignement supérieur. En mars 2013, le député UMP Éric Ciotti déposait une proposition de loi visant à limiter l’expression religieuse dans le monde de l’entreprise. D’autres encore veulent imposer un devoir de neutralité aux usagers des services publics…

Des familles politiques divisées sur la question

Toutes ces tentatives provoquent de fortes divisions. À droite, où des personnalités comme Alain Juppé s’y montrent très hostiles. Mais surtout à gauche, où s’opposent frontalement deux conceptions. Certains, comme Manuel Valls, donnent la priorité à la lutte contre les communautarismes dans les quartiers, le voile étant selon eux l’instrument d’un islam politique. À l’opposé, une autre partie de la gauche refuse toute stigmatisation des musulmans, quitte à nier la réalité des ratés de l’intégration.

 

Un débat qui a gagné en intensité depuis les attentats de janvier et les prétentions du Front national à se présenter, pour les élections, comme le héraut de la laïcité. « Il y a comme un vent de panique », observe Vincent Valentin. Tenter de faire retomber la tension sera certainement l’une priorité de l’Élysée après les départementales, François Hollande ayant toujours défendu une conception pragmatique de la place des religions dans une société devenue, que l’on s’en réjouisse ou non, multiculturelle.

BERNARD GORCE

(1) Auteur avec Stéphanie Hennette Vauchez de « l’affaire Baby Loup ou la nouvelle laïcité », Ed. LGDJ 2014. 115 p., 17 €
Pour en savoir plus : http://www.la-croix.com

La commission des lois de l’Assemblée adopte la proposition de loi sur la laïcité dans les structures privées

 MèresVoilées

Trois ans : c’est le délai qu’il aura fallu à la proposition de loi « visant à étendre l’obligation de neutralité à certaines personnes ou structures privées accueillant des mineurs et à assurer le respect du principe de laïcité » – adoptée en première lecture par le Sénat le 17 janvier 2012 – pour arriver devant l’Assemblée nationale (voir nos articles ci-contre du 30 novembre 2011 et du 18 janvier 2012). En dépit de cette lenteur, le texte vient toutefois de franchir une étape importante avec son adoption, le 4 mars 2015, par la commission des lois de l’Assemblée.

Un texte déposé dans le contexte de l’affaire Baby Loup

La proposition de loi a été déposée le 25 octobre 2011 par Françoise Laborde – sénatrice de la Haute-Garonne – et l’ensemble du groupe RDSE, composé principalement des Radicaux de gauche. Le dépôt de ce texte est très lié au contexte de l’époque, avec la polémique autour de l’affaire du licenciement d’une salariée voilée par la crèche privée Baby Loup (voir nos articles ci-contre).
Le texte prévoit principalement que « lorsqu’ils bénéficient d’une aide financière publique, les établissements et services accueillant des enfants de moins de six ans sont soumis à une obligation de neutralité en matière religieuse ». Les établissements qui ne bénéficient pas d’une telle aide peuvent néanmoins « apporter certaines restrictions à la liberté d’expression religieuse de leurs salariés au contact d’enfants » (dans les limites définies par l’article L.1121-1 du Code du travail). Des dispositions similaires sont prévues pour les établissements accueillant des mineurs hors du domicile parental. En revanche, ces dispositions « ne sont pas applicables aux personnes morales de droit privé se prévalant d’un caractère propre porté à la connaissance du public intéressé » (autrement dit les structures confessionnelles), sous réserve – dès lors qu’elles bénéficient de financements publics – qu’elles accueillent tous les mineurs sans distinction et que leurs activités « assurent le respect de la liberté de conscience des mineurs ».
Enfin, le texte initial de la proposition de loi prévoit qu' »à défaut de stipulation contraire inscrite dans le contrat qui le lie au particulier employeur, l’assistant maternel est soumis à une obligation de neutralité en matière religieuse dans le cours de son activité d’accueil d’enfants ».

Pas d’obligation pour les assistantes maternelles

La commission des lois de l’Assemblée a adopté, dans sa séance du 4 mars, une quinzaine d’amendements émanant quasiment tous du rapporteur du texte, Alain Tourret, député (RDSE) du Calvados. La plupart sont des amendements de cohérence ne modifiant pas le fond du texte.
Seuls deux amendement identiques présentés par un député PS et par deux députés EELV (Europe Ecologie – Les Verts) – et adoptés par la commission – introduisent une modification de taille en supprimant l’article relatif aux assistantes maternelles. Les auteurs estiment en effet qu' »étendre ainsi l’obligation de neutralité religieuse, dans le silence du contrat, semble introduire un risque constitutionnel et conventionnel. Cette disposition apparaît en effet comme outrepassant le caractère justifié et proportionnel des restrictions à la liberté d’expression religieuse, garantie à l’article 10 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, et à l’article 9 de la Convention européenne des droits de l’homme ».
La commission a en revanche écarté un autre amendement présenté par les deux députés EELV, qui visait à abroger les dispositions relatives aux enfants accueillis hors du domicile parental (article 2 du texte). Un amendement du rapporteur a toutefois restreint le champ d’application de cet article 2 en le limitant au cas des structures d’accueil collectif à caractère éducatif, excluant ainsi les établissements du champ médicosocial, « que le Sénat n’avait pas entendu viser, mais que les dispositions adoptées par celui-ci avaient pourtant pour effet d’inclure dans le champ du texte ».
Après son passage en commission des lois, la proposition doit être examinée en séance publique le 12 mars 2015.

Références : proposition de loi visant à étendre l’obligation de neutralité à certaines personnes ou structures privées accueillant des mineurs et à assurer le respect du principe de laïcité (adoptée en première lecture par le Sénat le 17 janvier 2012, examinée en séance publique par l’Assemblée nationale le 12 mars 2015).

Jean-Noël Escudié / PCA

Publié le vendredi 6 mars 2015

Pour en savoir plus : http://www.localtis.info

Halal, par-delà les fantasmes de la laïcité

LotfiBelHadj

« La question de la laïcité ne veut pas dire que tout le monde doit manger la même chose, mais qu’il faut respecter les orientations des uns et des autres. » C’est ainsi que Roland Ries, maire de Strasbourg, conçoit ce qui est propre à la laïcité sur la question des pratiques alimentaires. Après les événements tragiques du 7 au 9 janvier et les polémiques surmédiatisées sur l’islam, il est essentiel de faire un point sur cette prescription religieuse devenue un vrai phénomène de société et passée, en quelques années, de simple niche marketing à la caverne d’Ali Baba: le halal.

Le principe de la laïcité, avant de devenir cet outil politique alimentant de nombreuses polémiques, est un concept et une base juridique fondamentale dans notre République, qui implique l’impartialité et la neutralité de l’État à l’égard des confessions religieuses. Je persiste à dire que le halal, comme le casher, est compatible avec la laïcité. C’est une réalité que je m’attache à défendre en tant que républicain convaincu. L’idée est simple: il est possible de pratiquer sa religion sans nier ou biaiser son identité française et -plus important, même si cela m’attriste de constater que nous avons besoin de le mentionner- sans être en infraction avec les lois de notre pays.

Le halal, avant d’être « problématisé », voire même compris dans la perspective d’un enjeu sociétal, est sur le banc des accusés. Le sujet n’est pas maîtrisé. Preuve en est lors d’auditions sur le sujet au Sénat, où les élus confondent halal et casher et posent des questions qui attestent de leur méconnaissance totale du sujet. Mais peu importe, il demeure un instrument politique parfait. Connoté, sorti de son contexte, il suffit de l’agiter pour faire remonter les plus bas instincts et ainsi en jouer et faire valoir des intérêts qui dépassent ceux du simple citoyen.

Et pourtant, légitimer le halal, c’est en faire un allié de la laïcité. Sauf pour celles et ceux qui tentent d’emmener notre pays vers « une laïcité négative » au lieu de tendre vers « une laïcité d’intelligence » que Régis Debray appelle de ses vœux. Jean Baubérot, spécialiste de la sociologie des religions et fondateur de la sociologie de la laïcité, affirme qu’avec sa loi sur le port du voile, la France est « à la limite de ce qui est possible dans une société démocratique ». Légiférer sur le droit de manger ou non halal serait un dépassement de cette limite. « La laïcité, c’est, certes, la neutralité, mais c’est aussi la liberté », ajoute Thierry Rambaud, professeur agrégé de droit public à l’Université de Strasbourg et à Sciences Po Paris.

Accepter et légitimer le halal, aussi bien dans le discours que dans les actes, permettrait de sortir l’islam « des caves » pour qu’il se nourrisse et se pratique au grand jour, c’est-à-dire de manière transparente et sous un contrôle direct de la société civile (et non de celui du ministère de l’Intérieur, alimentant des craintes et remettant en question le pacte de confiance entre les Français de toute origine). Bâtir des lieux de culte appropriés, c’est donner un espace identifiable et identifié comme celui qui éduque les fidèles au grand jour. Contre l’islamisme radical, il faut une société qui puisse observer, juger, même s’indigner, mais dans le respect des règles démocratiques. Une mosquée financée avec les deniers du secteur d’activité lié au halal, c’est une mosquée dont le financement est tracé par l’Etat, et dont toutes les activités se pratiqueraient sans fantasmes quant à son opacité présumée.

Le halal doit devenir, au même titre que le casher, un des symboles de ce droit à l’indifférence que revendiquent nos compatriotes musulmans dans leur vie quotidienne comme dans l’exercice de leur culte. À ce titre, la normalisation du halal dans la société française témoignera d’une République apaisée, confiante en son avenir, en ses valeurs qui unissent tous nos compatriotes, et leur permettra de cultiver cet art français si singulier du vivre-ensemble. Et si, faute de halal, l’islam devait rester à la merci des discours islamophobes, comment pourrions-nous construire cette communauté de destins contre ce communautarisme qui bat son plein, de Neuilly-sur-Seine jusque dans le VIIe arrondissement? Oui, car c’est de là que part le communautarisme et non pas, comme on voudrait le faire croire, de ces « fameuses banlieues ».

Aussi, nous voyons beaucoup d’interrogations de la part de personnalités publiques comme de simples citoyens sur cette question: le halal financerait-il les djihadistes? Comme je l’écris dans mon dernier livre, La Bible du Halal (Editions du moment): « en réalité, les plus gros bénéficiaires de l’abattage rituel sont les industriels. (…) Des multinationales, de grandes sociétés ou simplement des PME, dont les profits sont traçables, généralement destinés à des actionnaires qui n’ont pas vraiment des têtes de djihadistes. Mieux, les sociétés, qui font leur beurre sur le halal, ont bien souvent pignon sur rue dans les marchés de l’agroalimentaire (Nestlé, Doux ou Labeyrie) et de la cosmétique (L’Oréal). Si l’argent du halal était destiné à la guerre sainte, les djihadistes d’aujourd’hui s’appelleraient Paul Bulcke, Liliane Bettencourt, Xavier Govare ou Charles Doux. »

Le secteur économique lié au halal est évalué au niveau mondial à 687 milliards de dollars, il connaît une croissance annuelle à deux chiffres et atteindra, selon les estimations, un montant de 2 000 milliards en 2023. La France, cinquième puissance économique mondiale, mais qui risque de se voir détrôner, empêtrée dans un chômage de masse et une croissance faible, devrait se saisir de ce secteur et y déployer toute son énergie, son ambition et ses compétences. Notre pays a une place à prendre et tout à gagner. Et le temps presse.

Le halal est une opportunité pour la France: générateur d’emplois et de clients à l’export. Un halal « made in France » implique des secteurs économiques déjà maîtrisés par les industriels de notre pays: agroalimentaire, cosmétique, tourisme et pharmaceutique pour ne citer que les principaux. Pour que notre pays puisse profiter davantage de cette opportunité, il ne faut pas l’opposer à la laïcité. On ne doit pas, comme le craignait déjà Jules Ferry, faire de cette dernière « une religion laïque ».

Publié par Lotfi Bel Hadj, essayiste, économiste de formation et entrepreneur

Pour en savoir plus : http://www.huffingtonpost.fr

La grande crispation religieuse

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Depuis la mise en cause de l’islam radical qui a suivi l’attentat contre Charlie Hebdo et la prise d’otages à l’Hyper Cacher de la porte de Vincennes, une réflexion très critique se développe en France sur le «retour» du religieux et une montée des intégrismes qui n’épargne aucune confession ni communauté.

Qu’a dit exactement André Malraux sur le retour du religieux au XXIe siècle? Dès l’année 1955, il avait déclaré, dans une interview restée célèbre: «Le problème capital de la fin de siècle sera le problème religieux.» Plus tard, invité à préciser son propos, il a ajouté:

«On m’a fait dire que le XXIe siècle sera religieux. Je n’ai jamais dit cela bien entendu, car je n’en sais rien. Ce que je dis est plus incertain, mais je n’exclus pas la possibilité d’un événement spirituel à l’échelle planétaire.»

André Malraux n’avait pas tort. En trente ans, une formidable mutation de la scène religieuse est survenue en France et dans le monde. Dans les années 1960-1970, les prophètes d’un monde sans Dieu avaient pignon sur rue. Depuis Marx, Nietzsche, Freud, les«maîtres du soupçon», Dieu était mort et enterré. Sans fleurs, ni couronnes. Ces nouveaux philosophes et politologues affirmaient que le monde était entré dans une ère post-religieuse. Ils croyaient dur comme fer au «désenchantement» de la société moderne (Marcel Gauchet), à la mort de la religion, à la laïcisation des mœurs, des idées, de la politique. Ils écrivaient que le progrès de la raison scientifique et technique conduisait inéluctablement à une «sortie» de la religion.

Et comment aurait-on pu, à l’époque, leur donner tort ? Tout convergeait : l’urbanisation et la fin de la «civilisation paroissiale» symbolisée par le clocher de village; le déclin des Eglises historiques; l’assimilation d’un judaïsme en diaspora; la domination, dans les pays musulmans, d’un nationalisme laïque, arabe ou turc; l’envahissement, dans les pays riches, de modèles de consommation matérielle; la transformation du statut de la femme ; l’émergence d’une civilisation de loisirs; l’omniprésence de médias qui façonnent les esprits! Le monde n’avait plus besoin de religion.

La revanche de Dieu

Mais les mêmes qui avaient observé cette montée massive de l’individualisme, de la sécularisation, de l’indifférence religieuse, confessaient, quelques décennies plus tard, qu’une «revanche de Dieu» était à l’œuvre. Que Dieu avait été simplement «refoulé» et ne demandait qu’à ressusciter. En 1968, le sociologue américain Harvey Cox écrivait un maître-ouvrage intitulé La Cité séculière, qui exprimait cette fatalité de la disparition de la religion. Trente ans après, le même chercheur publiait un autre livre intitulé Le retour de Dieu, analysant le succès des groupes évangéliques et pentecôtistes aux Etats-Unis, dans les mégapoles d’Amérique latine, d’Asie et d’Afrique.

De même, en 1992, l’islamologue Gilles Kepel, dans La revanche de Dieu, démontrait, avec brio, l’extraordinaire concomitance, à partir de la fin des années 1970, des phénomènes religieux identitaires: dans le judaïsme, avec l’ascension de courants orthodoxes et de partis religieux en Israël; dans l’islam, avec le succès de la révolution iranienne en 1979 et la percée de groupes islamistes en Egypte ou en Algérie; dans le christianisme, avec l’affirmation de courants évangéliques protestants et la «nouvelle évangélisation» militante prônée par un pape comme Jean-Paul II.

Tout ce qui s’est passé depuis, sur la scène française (pour s’en tenir à elle), confirme cette intuition. La communauté juive d’abord, qui fut longtemps à majorité ashkénaze, très assimilée, jouit d’un renouveau et d’une forte visibilité. Elle compte environ 150 synagogues, contre une trentaine dans les années soixante; près de deux cents écoles juives sous contrat contre 45 il y a quarante ans. Les radios communautaires connaissent une audience croissante et on ne compte plus les «retours» à la cacherout, au shabbat, à l’étude juive dans les cours de Talmud-Torah. Ou les «montées» en Israël (aliyah), pour des raisons de sécurité comme on l’a écrit, mais aussi pour des raisons religieuses. Cette néo-orthodoxie juive est dûe au retour et à la prépondérance des juifs séfarades d’Afrique du Nord, dont la foi est plus démonstrative, mais aussi aux menaces qui pèsent sur Israël et à la remontée des actes antisémites

En trente ans aussi, les Eglises chrétiennes ont changé. Elles se montrent plus visibles sur la scène publique, interviennent dans les débats sociaux ou éthiques (pas seulement contre le «mariage pour tous»). Minoritaires et décomplexés, les chrétiens affirment davantage leur foi. Chez les protestants, la branche évangélique, plus militante et démonstrative, est devenue majoritaire. Elle a dépassé –en chiffres et en influence– ce vieux protestantisme luthérien et réformé qui fut longtemps le noyau dur du protestantisme français, mais qui est aujourd’hui en perte de vitesse (comme en Allemagne, dans les pays scandinaves ou ceux de l’Est).

Un islam sédentarisé

Mais c’est surtout dans la population musulmane que la mutation a été la plus radicale. Dans les années 1970, on donnait le chiffre d’un million de musulmans en France. Aujourd’hui, ils seraient 5 millions, mais personne n’en sait rien. Comment définir qui est «musulman»? L’islam des premières générations d’immigrés était vécu comme un «islam d’exilés», venus travailler en France mais ne rêvant que de rentrer au pays pour y retrouver la terre et la religion de leurs «pères». Un jour, un vieux fidèle musulman m‘a dit: «Pour moi, l’islam, c’est comme le bateau qui me conduit de Marseille à Tanger»!

Le grand tournant, c’est la sédentarisation de la population musulmane à partir des années 1970 et des mesures de regroupement familial. On a alors pris conscience que les travailleurs temporaires, qui venaient du Maroc ou d’Algérie, non seulement resteraient en France, mais y feraient des enfants. Si la génération des pères «exilés» n’avait plus qu’un rapport lointain avec la religion, les enfants nés en France veulent retrouver la religion, devenue un facteur identitaire pour une génération culturellement déchirée. Déçus par les tentatives de récupération politique (les «marches de beurs»), ils vont même surinvestir dans la religion : voile, prières, ramadan et même pèlerinage à la Mecque. Une attitude qui s’est aussi imposée comme une compensation aux échecs de l’intégration (scolarisation, chomage, insécurité).

Aujourd’hui en France, c’en est donc fini de l’islam vécu comme un déchirement et un exil. L’islam sédentarisé se vit, s’exprime, se transmet sur tout le territoire. Des besoins religieux et communautaires se font plus pressants. Plus ou moins adroitement, les gouvernements, de droite comme de gauche, se sont vus dans l’obligation, malgré le contexte laïque, de traiter de questions délicates comme la construction de lieux de culte, le voile à l’école, la burqa, la formation des imams. Les polémiques sont fréquentes, liées en grande partie à l’incapacité de cette communauté à dégager une élite capable de prendre en charge et guider cette réaffirmation islamique.

Un religieux pathologique ?

Toutes ces formes de renouveau religieux ont en commun d’être en réaction face à la «modernité», à l’affaissement des systèmes de transmission (école), à l’urbanisation massive, à la désaffection du politique, au déficit de repères moraux. Mais certaines sont pathologiques, offensives, agressives. Elles favorisent le repli sur des communautés fermées, provoquent des dérives sectaires et violentes qui suscitent les réactions de peur et de rejet auxquelles nous assistons aujourd’hui.

Dans l’islam, c’est la montée du salafisme qui est le phénomène le plus spectaculaire. Le salafisme s’inscrit dans la lignée des théologiens rigoristes de l’islam wahhabite, dogme officiel en Arabie saoudite. Il se prétend l’islam véritable, celui des origines. Le terme salaf désigne les «pieux prédécesseurs», compagnons de Mahomet, sur lesquels les adeptes doivent calquer leur conduite. Leurs habitudes vestimentaires –les femmes en burqa et gants noirs (comme les épouses du prophète), les hommes en kamis (longue chemise qui tombe sur des pantalons courts)– renvoient l’image anachronique d’une époque idéalisée. Pour eux, la séparation des sexes est obsessionnelle et ils refusent toute mixité.

Issus de l’imigration ou convertis à l’islam, les salafistes sont des jeunes exclus et déclassés. Ce qui les attire, c’est le discours de rupture avec la société occidentale. Porter la burqa –interdite dans l’espace public depuis une loi de 2011– est une manière de rejeter une autorité familiale jugée trop intégrée ou permissive. Sans doute sont-ils très minoritaires (autour de 15.000 selon le ministère de l’Intérieur), mais les salafistes recrutent dans les quartiers populaires. Matrice des dérives djihadistes, ils fonctionnent comme une secte: rupture avec l’environnement, manipulation mentale, conception d’un monde malfaisant et corrompu.

Le protestantisme aussi est traversé par des mouvements qui frôlent l’intégrisme. Les évangéliques (à distinguer des évangélistes, qui sont les rédacteurs des Evangiles) ne doivent bien sûr pas être comparés aux salafistes, mais ils ont en commun une volonté de retour radical aux origines de leur religion et un désir de renaître –on les appelle born again,nés de nouveau, convertis– dans un monde plus pur.

En France, on compte un million de protestants et on estime à 400.000 le nombre des évangéliques, pour qui la «conversion» est l’acte majeur de leur vie et la lecture de la Bible l’un de leurs gestes les plus quotidiens. Ils sont regroupés dans des Eglises reconnues, mais aussi dans des réseaux indépendants nés de courants d’immigration d’Afrique ou d’Asie. Les évangéliques chinois sont aujourd’hui plus nombreux à Paris que les protestants traditionnels! Leur succès tient à l’accueil offert à ces déracinés dans les réunions de prière, d’évangélisation, de formation biblique, au charisme du «pasteur» autoproclamé, à la fois animateur, prédicateur, exorciste, thérapeute, et à des liturgies chaleureuses, sans commune mesure avec l’austérité des célébrations catholiques ou protestantes traditionnelles.

La lecture de la Bible chez les évangéliques est fondamentaliste et leur vision de la société fondée sur des valeurs familiales et sexuelles rigoristes. Binaire, cette vision comprend, d’un côté, les purs ou les forces du Bien et, de l’autre, les corrompus ou les forces du Mal.  En matière de mœurs, les évangéliques rejoignent souvent les positions du magistère catholique sur les questions de société: rejet du mariage homosexuel, de l’avortement, de l’euthanasie, de la sexualité hors mariage, de l’homoparentalité.

Les catholiques «identitaires» aussi sont de plus en plus visibles. Ils sont descendus dans la rue pour la défense du mariage traditionnel, sont très inquiets de la «dégradation» des valeurs familiales, de l’intrusion supposée de la «théorie du genre» à l’école, de l’ouverture du droit à la PMA et à la GPA, de la prochaine loi sur la fin de vie, de la «banalisation» de l’avortement. Ils se disent en outre victimes d’une sorte de « christianophobie » sur les scènes de théâtre (l’affaire Golgotha Picnic), de profanations d’églises, de restrictions à la laïcité (le retrait des crèches de Noël).

Quant aux «intégristes» catholiques purs et durs, ils rêvent d’un retour à un ordre ancien, rompu selon eux par le concile Vatican II des années 1960 et les papes qui l’ont suivi. Ils n’ont jamais accepté les nouvelles règles de l’Eglise: la liberté religieuse, c’est-à-dire le droit pour chaque homme de croire à la religion de son choix; l’œcuménisme avec les non-catholiques (protestants, orthodoxes, anglicans, etc); le dialogue avec les juifs, les musulmans ou les bouddhistes. Nostalgiques d’un ordre social, politique et religieux révolu, ils militent encore pour la restauration de l’Eglise d’autrefois, qui régentait les mœurs et les consciences. Avant sa démission, le pape Benoît XVI avait tenté de les réintégrer, mais, malgré d’importantes concessions (levée des excommunications, nouvelles facilités pour la messe en latin), il a échoué devant leur entêtement.

Des patrimoines de valeurs

Il ne faut pas confondre toutes ces formes de radicalisme religieux. Il n’y a pas grand chose de commun – sauf parfois la violence verbale – entre les salafistes qui défendent la burqa, la charia et la guerre sainte, et les intégristes catholiques amateurs de soutane et de messes en latin. Il faut donc se garder de tout mélanger.

Mais les religions sont devenues des facteurs de réaffirmation des identités, menacées par la modernité et la mondialisation, et elles subissent aujourd’hui, en raison de dérives sectaires et violentes qu’elles ne contrôlent plus, un véritable rejet de l’opinion, qui culmine en France après les attentats contre Charlie Hebdo et le magasin Hyper Cacher de la porte de Vincennes.

Faut-il tomber dans ce religieux-bashing ? On ne peut oublier que ces religions, y compris l’islam, sont des réservoirs d’expérience et des patrimoines considérables de valeurs, de cultures, de racines et de traditions. Elles répondent au besoin de tout homme de s’inscrire dans des lignées. Elles sont des instances de sens et de normes et, à ce titre, elles sont légitimes pour faire des propositions sur l’éducation, la bioéthique, la famille, la fin de vie. Elles sont présentes sur les terrains de la solidarité avec les exclus, les Roms, les sans-papiers et les prisonniers. Présentes aussi dans les quartiers difficiles pour favoriser une «paix sociale» à laquelle aspirent les élus qui suscitent des groupes de dialogue religieux à Lyon ou à Marseille. Mais les religions ne pourront retrouver le respect et rejouer leur rôle qu’en évacuant leurs intégrismes, en respectant les règles de la laïcité et en favorisant toutes les formes de dialogue avec la société.