Religion au travail : «Une sensibilité accrue depuis les attentats de janvier»

LionelHonoré

L’enseignant-chercheur à Sciences-po Rennes estime que les attentats de janvier ont poussé les pratiquants à affirmer davantage leur religion au sein de l’entreprise.

Comment expliquer que les questions liées au fait religieux se posent davantage dans l’entreprise en l’espace d’un an ?
Lionel Honoré. L’actualité récente, l’affaire Baby Loup, les initiatives de Paprec, le débat sur le mariage pour tous et les attentats ont accru la sensibilité à la religion.

Religion : deux fois plus de revendications au travail

Après les attentats de janvier surtout, les pratiquants ont ressenti un discours de remise en cause de la religion dans la société. Plus qu’avant, ils se disent moqués et leur réaction est de se défendre en affirmant davantage ce qu’ils sont dans l’entreprise.

Certaines religions reviennent-elles plus que d’autres au centre de ces questions ?
Toutes sont concernées. Mais la plus grande majorité des cas viennent de l’islam. Sa pratique n’est pas connue des manageurs qui ont encore à apprendre de cette religion. Et son image reste liée aux attentats et à l’islam radical, ce qui nuit aux musulmans. Alors que les différentes études montrent que 95 % d’entre eux sont en phase avec le monde du travail et placent, dans leurs priorités, l’entreprise avant la religion.

Comment se manifestent les demandes ?
Il y a d’abord les demandes personnelles : une absence pour assister à une cérémonie religieuse, un aménagement du temps de travail pour faire une prière, le fait de porter un signe religieux. Les cadres doivent traiter ces questions comme n’importe quelle demande personnelle. Il y en a ensuite d’autres, plus radicales et transgressives, comme de ne pas travailler avec une femme ou le refus d’accomplir certaines tâches. Cela représente 12 % des cas rencontrés, contre 6 % il y a deux ans. C’est donc un chiffre à prendre en compte. D’autant que les demandes sont collectives avec des salariés dans des positions radicales et des manageurs débordés. L’entreprise doit alors avoir une ligne très claire et sanctionner, car le piège est de laisser ce genre de choses passer puis de se faire piéger. Ces cas, les plus conflictuels, se concentrent dans quelques entreprises : les transports, la logistique, le bâtiment, le maraîchage et dans les banlieues.

Faut-il interdire tout signe religieux dans les entreprises privées comme le souhaitent 64 % des salariés interrogés ?
Pas forcément. On peut comprendre le besoin de neutralité face au client. Mais, pour un salarié qui travaille dans un bureau toute la journée, qui serait dérangé ? Au nom de quoi on lui demanderait de ne pas porter de signe religieux ?

Lionel Honoré, président de l’Observatoire du fait religieux en entreprise

Propos recueillis par Fl.G. | 21 Avril 2015, 06h40 | MAJ : 21 Avril 2015, 06h53

Pour en savoir plus : http://www.leparisien.fr

 

Management : l’inévitable dimension culturelle

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« L’uniformisation des méthodes de management accompagne la globalisation des entreprises. Ainsi, se crée une tension entre les procédures globales et les cultures locales », selon Jean Pautrot.

Parfois, les comités exécutifs caressent la folle ambition de changer la culture de leurs salariés… L’analyse de Jean Pautrot, président du conseil Magellan de l’international.

Une longue pratique des ressources humaines internationales en entreprise et au Cercle Magellan me conduit à faire une lecture culturelle de l’inconfort managérial générateur de risques psychosociaux. L’uniformisation des méthodes de management accompagne la globalisation des entreprises. Ainsi, se crée une tension entre les procédures globales et les cultures locales. Seule, une posture de confiance permet de sortir par le haut de ces contradictions. En se globalisant, l’entreprise homogénéise ses méthodes et ses procédures malgré les résistances.

Les comités exécutifs caressent alors la folle ambition de changer la culture de leurs salariés. Philippe d’Iribarne * montre de façon convaincante que la culture française n’a pas vraiment changé depuis l’ancien régime. Le Monde compare Poutine au Tsar Nicolas Ier. Comment le président d’une société cotée pourrait-il réussir ce que les révolutions françaises et russes n’ont pas su faire ?

Une culture est une manière de comprendre le monde, d’exprimer ses émotions et d’agir caractéristique d’une communauté : les habitants d’un pays, le personnel d’une entreprise, les personnes exerçant un métier.

Une culture comporte trois couches :

· La couche externe : la partie « émergée » de l’iceberg, la réalité accessible aux touristes.

· La couche médiane : les normes (les devoirs) et les valeurs (les aspirations). Le vrai et le faux, le désirable et le non-désirable varient d’une culture à l’autre, comme le montre la résolution des dilemmes exposée ci-dessous.

· La couche profonde : l’implicite, le sanctuaire d’une culture. Elle s’incarne dans des mots difficiles à expliquer à un étranger : la laïcité en France, la cogestion en Allemagne…

Chaque individu appartient à plusieurs communautés : son pays, son métier, son entreprise. Les évolutions culturelles d’une communauté sont très lentes même sous la pression extérieure ; en revanche, l’individu placé dans une nouvelle culture évolue à travers le choc culturel. L’expatrié s’adapte à la couche médiane de sa culture d’accueil et préserve la couche profonde de sa culture d’origine.

L’individu s’intègre culturellement. En revanche, un groupe secrète des anticorps au changement culturel. Certes, la couche externe peut évoluer, mais le changement reste apparent. L’histoire fournit des exemples forts : la Bulgarie a préservé sa culture orthodoxe malgré cinq siècles d’occupation ottomane.

L’étude systématique des cultures repose sur l’analyse de dilemmes, cette obligation de choisir entre deux alternatives qui présentent chacune des inconvénients importants. Le dilemme de Stouffer et Toby illustre cette problématique  : un ami conduit une voiture dans laquelle j’ai pris place ; il heurte un piéton alors qu’il ne respectait pas la limitation de vitesse. L’avocat de mon ami me demande de témoigner qu’il respectait cette limitation. Fons Trompenaars donne les résultats d’une enquête dans un grand nombre de pays. Le pourcentage de réponses  : « mon ami ne respectait pas la limitation de vitesse » varie entre 32 % pour le Venezuela et 97% pour la Suisse. Les pays anglo-saxons sont au-dessus de 90% ; la Russie et la chine entre 40 et 50%. La France est à 73%. La position du curseur entre amitié et loi est un élément de l’« ADN » de la culture. Les chercheurs ont étudié une dizaine de dilemmes différenciant les cultures.

Dans un groupe international, la culture métier est un facteur d’unité, elle active les dilemmes techniques consensuels. A l’opposé, le management révèle les fractures culturelles à travers les dilemmes de la vie.

La détection des cadres à haut potentiel s’appuie sur des mises en situation managériales. Or, manager, c’est gérer les dilemmes de la vie. La sélection a donc une dimension culturelle. L’homogénéisation culturelle des équipes dirigeantes au niveau monde crée alors des fractures entre la base et la direction dans chaque pays. Ce n’est pas le modèle culturel dominant qui est en cause mais la recherche d’uniformité culturelle.

Examinons la procédure de whistleblowing, « devoir d’alerte » en français : la règle éthique est au-dessus des solidarités de groupe. Les réponses au dilemme de Stouffer et Toby montrent que les anglo-saxons et les suisses seront à l’aise avec cette procédure. Malgré un beau consensus (73 %), les français sont déjà moins à l’aise. Que dire des chinois, des russes et des vénézuéliens majoritairement solidaires ?

Dans la pratique, les missions d’audit ne verront rien. La couche externe de chaque culture se calera sur l’attendu. Le désajustement des normes et des valeurs créeront, dans la couche médiane, des résistances et des frustrations d’autant plus intenses que l’écart à la norme internationale est important. Les risques psycho-sociaux sont souvent le fruit de l’affrontement entre des modèles culturels en quadrature : le modèle anglo-saxon et le service public à la française chez Orange. Le grand mérite de Stéphane Richard est d’avoir redonné des repères culturels français à ses salariés.

L’affrontement culturel explique aussi l’échec financier de beaucoup de fusions dans un délai de cinq ans, mais les actionnaires initiaux ne sont plus là pour le voir ! Le vrai enjeu est de laisser chaque culture inventer les procédures qui la conduiront au résultat attendu. La sécurisation éthique ne passe pas toujours par le wistleblowing, l’atteinte de l’objectif annuel ne passe pas toujours par son découpage en objectifs mensuels pour faire plaisir aux actionnaires. Pour cela, il faudrait nommer des dirigeants qui, non seulement savent travailler dans un milieu interculturel, mais aient des qualités « d’interprètes culturels », acceptant que les différentes cultures inventent leur chemin pour atteindre des buts communs.

En physique quantique, il est impossible de mesurer simultanément la position et la quantité de mouvement d’une particule, de la même façon en management international, il est impossible de fixer simultanément le but et le chemin pour l’atteindre.

* La Logique de l’honneur – Gestion des entreprises et traditions nationales Philippe d’Iribarne 1989.

En savoir plus sur http://business.lesechos.fr

Biennale « De Nord en Sud » – Grésivaudan

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Pourquoi une Biennale de Nord en Sud ?

La Biennale veut favoriser la rencontre, le dialogue et l’échange entre le Nord et le Sud. Elle interroge également le sens et les frontières de ces deux notions.

Elle est un outil de construction collective entre les acteurs culturels et patrimoniaux du Sud Grésivaudan. Grâce aux dynamiques créées, elle favorise l’ouverture et le croisement des publics.

Elle promeut la diversité culturelle à tous les niveaux.Entre diffusion et éducation artistique et culturelle, elle cherche à associer le plus largement possible les acteurs du Sud Grésivaudan pour que chacun puisse se reconnaitre dans les projets portés.

Telles sont les ambitions de la biennale interculturelle « De Nord en Sud », qui, depuis 2008 a reçu à travers ses différentes éditions l’Algérie, le Maroc et le Sénégal.

Pour en savoir plus : http://www.biennale.sud-gresivaudan.org

La République au défi du cosmopolitisme

Dans » La possibilité du cosmopolitisme », Constantin Languille prend l’affaire de la burqa comme point de départ d’une réflexion sur les conditions du vivre ensemble et les limites du cosmopolitisme. FIGAROVOX/ GRAND ENTRETIEN

Dans La possibilité du cosmopolitisme. Burqa, droits de l’homme et vivre-ensemble (Gallimard, 2015), Constantin Languille retrace avec pédagogie les débats sur l’interdiction de la burqa votée en 2010. Il part de cette affaire pour engager une réflexion sur les limites du cosmopolitisme et la possibilité de vivre -ensemble dans des sociétés libérales. Il revient également sur les contradiction d’une république française, tiraillée entre le culte de l’universel et le cadre de la nation.

Constantin Languille est juriste et étudiant en science politique.


LE FIGAROVOX : Qu’est-ce que le cosmopolitisme, en tant que projet politique?

CONSTANTIN LANGUILLE : Avant d’être un projet politique, le cosmopolitisme est un état de fait, résultant de la mondialisation. Certains le déplorent et l’appellent «grand remplacement» d’autres le célèbrent sous le nom de «métissage». Mais c’est un fait: le monde est désormais un tout unifié, où les diverses cultures se croisent et se répondent. C’est un raccourcissement brutal de l’espace temps, voire même, avec les nouvelles technologies, une instantanéité. Lorsqu’il y a une caricature à Paris, il y a des morts au Niger.

Mais, depuis le XIXème siècle, le cosmopolitisme est aussi un projet politique, une idéologie héritée des Lumières selon laquelle le seul fondement d’une communauté politique peut être les principes universels, soit les droits de l’homme et la démocratie. Le cosmopolitisme contemporain a été théorisé par le philosophe allemand, Ulrich Beck. C’est le concept de «société inclusive», développé notamment par le rapport Tuot. Quand tout le monde verra ses droits garantis, quand tout le monde sera tolérant, quand la justice sociale sera installée, on pourra vivre heureux ensemble. Il n’y a pas besoin d’éléments culturels et religieux pour unir les hommes.

Vous prenez l’affaire de la burqa comme point de départ d’une interrogation sur les limites du cosmopolitisme. Pourquoi?

Mon livre se veut avant tout une contribution scientifique à un débat souvent saturé de postures idéologiques. La question fondamentale de la science politique est la suivante : de quoi a-t-on besoin pour vivre-ensemble ? La séquence de la burqa constitue une expérience de laboratoire pour savoir si les droits et la démocratie suffisent à assurer ce vivre-ensemble, ou si nous avons besoins de quelque chose en plus. Plus précisément, la séquence de la burqa pose trois questions: Pourquoi des femmes françaises portent-elles apparemment volontairement le voile intégral? Pourquoi la France a-t-elle décidé de l’interdire? Comment rendre la loi juridiquement constitutionnelle au regard de la liberté de conscience?

Ces débats me paraissaient révélateurs des controverses autour de la laïcité en France. Pour motiver l’interdiction, beaucoup de députés sont partis de la laïcité, et de la loi de 2004 sur l’interdiction des signes religieux à l’école. Puis on s’est rendu compte que cela ne marchait pas, car la rue n’était pas un espace de service public. On a employé ensuite l’argument de la dignité des femmes, mais personne n’arrivait vraiment à s’accorder sur une définition de la dignité. Finalement, le voile intégral a été interdit au nom du vivre-ensemble, qui impose à chacun de montrer son visage dans l’espace public. Cependant, de nombreux juristes ont estimé que la loi empiétait trop sur la liberté de conscience.

Le voile intégral est un cas limite. Il dévoile la tension fondamentale entre les droits de l’homme (et leur universalité) et ce «vivre-ensemble» (qui nécessite du «commun»).

Pourquoi cette tension?

L’universel (la démocratie, la tolérance, les droits de l’homme) est tout ce qui reste comme fondement politique à nos sociétés libérales. Nous aspirons à cet universel, mais nous sommes aussi aspirés à notre corps défendant. Car, quand nous voyons les conséquences concrètes de cet universel, à savoir plus de diversité, politique, religieuse, culturelle, nous sommes parfois gênés. Nous subissons parfois malgré nous les conséquences sociologiques de notre théorie politique. Le mouvement de l’histoire nous conduit vers une société plus cosmopolite, qui correspond à nos valeurs très anciennes. Ainsi, le droit invoqué à porter la burqa, ce n’est pas le «droit à la différence» invoqué par SOS racisme dans les années 1980, c’est fondamentalement la liberté de conscience, posée dans la déclaration de 1789 c’est à dire le libéralisme politique.

Peut-on parler, comme le fait Régis Debray, d’une «religion républicaine»?

J’écris dans mon livre que la burqa est un «blasphème» contre la religion laïque. La burqa choque à la fois pour des raisons universelles (la dissimulation du visage et le refus de l’interaction avec autrui) et qui touchent au particulier, à l’histoire française. La République, ce n’est pas seulement des droits, cela suppose une certaine mobilisation du citoyen. Le mot clé est l’émancipation. Le citoyen de la République française se doit d’être émancipé, impliqué, mobilisé, lumierisé. Tout ce qui est religieux est susceptible d’être une concurrence à cet attachement. Or la République n’a jamais pu finalement dérouler totalement son programme. Nous sommes dans une situation bancale où en fait la République, tout en «tolérant» le fait religieux, le perçoit comme une concurrence fondamentalement illégitime. Il y a une tradition républicaine qui a du mal à considérer que la manifestation extérieure de la foi relève des libertés publiques. En 1792, on a fait une loi pour interdire le port de la soutane ! C’est revenu en 1905. La laïcité est un mode d’organisation des pouvoirs qui postule la séparation de l’Etat et de la religion, pas une valeur «républicaine» dans laquelle peuvent croire les citoyens.

Quelle est la différence entre cette République et le libéralisme cosmopolite?

Ce qu’offre la modernité libérale, c’est le fait que l’Etat ne puisse pas imposer une vérité révélée. Mais cela n’interdit pas aux individus de croire en une vérité universelle. C’est l’idée libérale d’un «marché des idées»: si vous voulez que la vérité émerge, vous ne devez pas compter sur la force de l’Etat mais sur celle de vos arguments. Le libéralisme ne connait pas de civilisations, mais seulement des individus. Le républicanisme postule lui que les individus n’existent pas, qu’ils se créent (Renan: «l’homme ne s’improvise pas»), et qu’il faut les «émanciper», contre leur gré même, par l’école républicaine, etc…La République critique le libéralisme car il laisserait les individus tels qu’ils sont, prisonniers de leurs appartenances identitaires et de leurs conditions sociales, sans leur donner de perspectives d’émancipation. La République serait le lieu où l’individu aurait l’occasion de se décentrer par rapport à son héritage social, culturel ou civilisationnel, et pourra juger de lui-même que les civilisations ne se valent pas. L’Etat peut produire des individus par l’école.

Est-ce à dire que le cosmopolitisme est une chimère, impossible à réaliser?

Le cosmopolitisme intégral est impossible, il doit trouver en lui-même des limites. Cette limite, c’est la vertu de tolérance que chaque citoyen doit pratiquer, pour permettre aux autres de pratiquer leurs droits comme ils l’entendent. Or il est quasiment impossible de fabriquer des tolérants, et même pourrait on dire à l’instar de Léo Strauss, que la «tolérance est un séminaire d’intolérance». Quand tout le monde est tolérant, il n’y a plus de discussion possible sur le contenu d’une vie bonne. Ce relativisme peut conduire à la réaffirmation des identités et des subjectivités particulières. La tolérance conduit à l’exacerbation des particularismes.

De façon assez paradoxale, l’universalisme conduit au relativisme…

Tout cela pose la question de la solidité du fondement de la philosophie politique moderne. Le fondement de notre politique, c’est les droits de l’homme, c’est à dire le droit d’être ce que vous voulez, la pure indétermination. La nature humaine, c’est qu’il n’y a pas de nature humaine, chacun est libre de s’actualiser comme il le souhaite, sous des formes culturelles diverses. La seule chose qu’il faut garantir c’est que les gens puissent en changer potentiellement. D’un coté on affirme l’unité de l’humanité – quiconque dressera des barrières sera critiqué- mais ce qui unit, c’est le fait de pouvoir être différent. C’est un problème politique potentiellement insoluble.

La nation aurait-elle subi le processus de «désenchantement du monde» que décrit Marcel Gauchet ?

Oui. La nation a elle aussi été «désenchantée». Comme le souligne Pierre Manent, la République ne s’est imposée que comme nouveau régime de la nation française, et parce que les religions ont été reléguées dans l’espace privé par cette nouvelle communauté qui réunissait les citoyens français. Selon lui l’Etat républicain ne peut survivre à l’Etat nation. Or aujourd’hui, il y a une sorte d’essoufflement, de décompression de l’idée nationale, et donc, de l’idée républicaine. Les cérémonies républicaines, le drapeau, la Marseillaise, l’idée de France, sont frappés d’une perte de sens peut être irréversible. Or, si on perd la nation, on perd le cadre commun qui permet d’unir au delà des différences religieuses ou culturelles.

La disparition de la nation ouvre-t-elle la voie à la guerre de tous contre tous?

Dans la situation actuelle, deux voies sont envisageables. Option numéro un : le cosmopolitisme, qui permet à chacun de vivre comme il l’entend. Option numéro deux : il faut du particulier, une communauté qui nous rassemble et nous transcende, qui était la nation. Il est possible que les deux options soient désormais obsolètes. La nation, car elle est balayée par la mondialisation. Le cosmopolitisme, car il repose sur une contradiction fondamentale : basé sur la tolérance, peut-il tolérer l’intolérance ? La société ouverte peut-elle tolérer ses ennemis? La démocratie peut-elle inclure les ennemis de la démocratie? On voit ces contradictions à l’œuvre tous les jours dans notre société: on marche pour la liberté d’expression le dimanche, tout en condamnant Dieudonné le lundi. Un revival national aujourd’hui pourrait être dangereux, aboutir à la guerre des identités, mais la tolérance aussi y conduit.

Comment trancher ce nœud gordien?

Il me semble qu’aujourd’hui, il y a une profonde nécessité de réforme de la tradition républicaine française. Il faut que la République s’ouvre davantage à la diversité sociologique française. Il y a un effet négatif des incohérences du discours républicain. Le principe de liberté appartient à notre devise, et les Français musulmans ne comprennent pas qu’au nom de cette devise républicaine, on leur interdise certaines pratiques religieuses. Il y a toute une série d’exceptions au principe liberté : Liberté, mais pas pour Dieudonné, ni pour Renaud Camus. Liberté, mais pas pour le voile.

Où fixer la limite?

Il me semble légitime de penser que la démocratie n’est pas seulement les droits de l’homme, mais aussi une capacité à se définir collectivement par un certain nombre de valeurs et de règles. Tout n’est pas permis en France, il y a une certaine civilité minimale, ou de décence commune, qu’il faut respecter. D’un autre côté, il faut que les Républicains français comprennent qu’ils n’ont pas le monopole de la liberté, qui protège aussi les minorités politiques et religieuses, aussi dérangeantes que soient leurs pratiques. La défense de la République ne justifie pas toutes les atteintes aux libertés publiques.

Par Eugénie Bastié

Publié le 03/04/2015

Pour en savoir plus : http://www.lefigaro.fr

Un regard à changer sur le recrutement

Pour mieux recruter, arrêtons regarder seul CV

Le parcours professionnel et les compétences relationnelles devraient être des éléments déterminants dans le recrutement.

Je déjeunais récemment avec un ami qui travaille dans un grand groupe industriel français. Il m’a raconté l’anecdote suivante.

Alors qu’il était à une réunion, un responsable de la DRH dit : « Pour ce poste, je vois bien un polytechnicien de 40 ans ».

Il répond : « Tu viens de donner trois paramètres qui ne servent à rien : le sexe, le diplôme et l’âge, alors que ce qui compte c’est seulement que la personne dispose des compétences nécessaires pour ce poste ».

Cet exemple illustre la particularité française qui conduit à évaluer les gens sur leur formation initiale, comme si l’école suivie constituait un statut que l’on avait à vie et qui épargnait toute évaluation ultérieure, comme si ce que vous aviez fait à 20 ans était ce qui comptait le plus, même à 50.

Un regard à changer sur le recrutement

Pour sortir de ce travers français, il faut faire évoluer le mode de recrutement, en finir avec le clonage, la recherche d’une expertise en silo. Aujourd’hui, il importe de promouvoir la diversité, entendue comme la représentation de la France dans toutes ses composantes, avec des hommes et des femmes, des personnes de tous âges, de toute origine. C’est l’agrégation des talents dans leur altérité qui permet à une entreprise d’appréhender la vie économique dans sa complexité. Ce n’est pas la consanguinité ou l’endogamie.

À cet égard, le clonage, s’il est recherché au détriment des compétences relationnelles ou culturelles, présente un risque élevé de stérilité. Le clonage permet de faire face aux problématiques au fil de l’eau, mais pas de penser le changement. Or aujourd’hui, le changement, qu’il soit technologique, culturel ou générationnel, caractérise la plupart des contextes des entreprises.

Les compétences transverses, soit la capacité à faire travailler ensemble des personnes aux aptitudes différentes, paraît source de richesse pour l’entreprise. Ce que les Américains nomment intelligence émotionnelle, à savoir l’aptitude à engager des rapports fructueux avec les autres, et qui n’est pas une matière scolaire, devient une compétence clef.

La posture idéale d’un candidat, innovante, mais encore peu répandue

Un candidat qui veut répondre à ces nouvelles exigences de recrutement modifie sa manière de se présenter. Lorsqu’il se présente, il doit d’abord privilégier son parcours professionnel sur sa formation initiale. Ce qu’il a fait dans sa vie compte infiniment plus que l’école qu’il a suivi avant de travailler. Et si l’école l’a bien préparé à la vie active, c’est surtout sur sa capacité à faire fructifier ses expériences professionnelles.

Il doit aussi, lorsqu’il candidate à un poste de management, faire prévaloir son attitude sur ses aptitudes. C’est sa capacité à fédérer les équipes en combinant des savoir-faire différents, à entraîner les salariés en étant exemplaire, à valoriser l’entreprise et son cheminement stratégique en clarifiant les enjeux qui sont les clefs de la réussite dans son poste.

Il doit enfin s’intéresser aux faits avant de promouvoir des idées. C’est l’inverse du vieux slogan : « En France, on n’a pas de pétrole, mais on a des idées », auquel il faut casser le cou. Il est certes important d’avoir des idées, mais elles ne doivent pas être a priori. Les idées doivent naître d’une analyse de l’existant et d’une approche pragmatique. L’audace, ce n’est pas tant l’idée que sa capacité à la mettre en œuvre.

S’il adopte ces principes pour présenter son offre professionnelle, le candidat ne sera pas toujours dans le ton et ne sera pas forcément choisi. Mais il apprendra qu’être embauché résulte d’un double choix : celui d’être sélectionné certes, mais aussi celui de choisir son poste, car les deux parties prenantes à un recrutement sont également demandeuses.

Jean-Baptiste PINTON / Directeur général
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La diversité ethnique, source de performance pour l’entreprise

Les jeunes diplômés d’origine étrangère se heurtent toujours à un plafond de verre. Comment faire bouger les entreprises ?

Le point avec Jean-Paul Delevoye, président du Conseil économique, social et environnemental, et Sonia Hamoudi, personnalité associée.

Par Isabelle Hennebelle, , Benjamin Turquier

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Repas alternatifs à la cantine : l’appel des végétariens

Les repas servis à la cantine sont au coeur de la polémique depuis 15 jours.

La décision du maire de Chalon-sur Saône de supprimer les repas de substitution dans les cantines de sa ville a provoqué la polémique. Des personnalités profitent du débat pour prouver les vertus des menus sans viande.

Faut-il supprimer les menus de substitution, sans viande de porc, dans les cantines ? À l’origine du débat, le maire UMP de Chalon-sur-Saône, Gilles Platret, qui a décidé d’appliquer ce principe au nom de la laïcité. Le soutien de Nicolas Sarkozy à cette décision a divisé jusque dans son camp, illustrant la polémique née de cette décision.

Le Monde publiait jeudi une tribune signée par des personnalités en faveur du menu alternatif. Mais pas exactement celui dont Gilles Platret s’est fait le fossoyeur. Ces personnalités, dont Matthieu Ricard, prônent un repas végétarien à la cantine. «Le repas végétarien, le plus laïc de tous», c’est le titre donné à cet appel. «Le plat végétarien est une solution laïque et œcuménique aux préférences alimentaires de chacun, qui a le mérite de représenter l’alternative la plus simple […]. Le repas végétarien réunit tout le monde.»

Une autre image de la cuisine française

Allain Bougrain-Dubourg, président de la Ligue pour la protection des oiseaux est cosignataire de cette tribune. Il explique au Figaro l’idée défendue par le texte. «Nous voulons que les cantines scolaires proposent un menu végétarien aussi souvent que possible.» En plus des menus traditionnels, donc. «Pas question de dogmatisme», pour les signataires. Allain Bougrain-Dubourg l’assume, la polémique sur la laïcité a été «l’occasion de formuler des idées qui trottaient déjà dans la tête des signataires». «Nous faisons une proposition crédible et qui n’est pas idéologique», explique-t-il.

«Dans notre article, nous avons évité toute stigmatisation. Nous nous somme abstenus de parler des méthodes d’abattage cruelles qui sont utilisées pour la viande casher et halal, de la traçabilité qui est difficile, mais c’est une réelle préoccupation», affirme le président de la Ligue de protection des Oiseaux (LPO). La philosophie du texte veut ainsi pousser à la réflexion contre la souffrance animale. Allain Bougrain-Dubourg évoque comme autre exemple le «foie gras, emblème de la gastronomie française. Nous voulons donner une autre image de la cuisine de notre pays».

Prendre exemple sur McDonald’s

Concrètement, les enfants qui suivent un régime alimentaire confessionnel trouveraient donc dans leurs assiettes un repas alternatif végétarien, et ne seraient pas exclus s’il y a du porc au menu. Mais ils mangeraient également mieux.

Car le texte n’est pas non plus dénué de revendications écologistes. Allain Bougrain-Dubourg évoque l’exemple McDo. «Aujourd’hui leurs yaourts sont bios. C’est bien la preuve que des commandes en nombre et une relation sur le long terme avec les producteurs peuvent abattre l’idée reçue que si c’est bio, c’est cher.» Le modèle industriel pourrait donc être appliqué aux collectivités locales, qui s’engageraient auprès des agriculteurs bio.

Avec la conférence climat en décembre à Paris en ligne de mire, le texte rappelle que l’élevage serait responsable de 60% des émissions de méthane dans le monde, ce qui représente 14,5% de la production de gaz à effet de serre.

Le principe de ces menus végétariens est déjà appliqué dans quelques cantines françaises. C’est notamment le cas à Paris, dans les cantines du XVIIIe arrondissement, où des repas sans viande sont servis deux fois par mois. Mais aussi à Saint-Etienne, où les élèves peuvent manger végétarien tous les jours. La décision a été prise en décembre dernier, par le maire UMP de la ville.

Par Akhillé Aercke

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Projection-Débat : « Premiers jours en France », jeudi 26 mars à 18h à Grenoble

PremierJoursenFrance

Projection-Débat

Jeudi 26 Mars à 18h

Toujours dans le cadre de son cycle d’activités sur la thématique de « l’interculturalité et Vivre Ensemble » et surtout suite au succès retentissant de la première étape de ce cycle que fut la venue d’Antoine Sfeir, l’association AMAL, le Cercle Bernard Lazre et l’ATI-CDR vous invitent une nouvelle fois à venir partager un moment passionnant et enrichissant.

Le 26 mars 2015 à 18h ces associations vous proposent une Projection-Débat autour du film « Premiers jours en France » de Farid Haroud.
Film documentaire composé d’une série de témoignages de 4 minutes sur le premier jour vécu en France.

Cette série de clips fait connaître la complexité des parcours des personnes immigrées ou d’origines diverses, la diversité des motifs de leur arrivée en France durant ces trente-cinq dernières années, leur capacité à dépasser les difficultés et les traumatismes liés à l’exil et au déracinement.

Suivra un débat animé par M. Hanus Philippe, Coordinateur scientifique du pôle ‘histoire-mémoires » au CPIE-Vercors/réseau Memorha et M. Abdellatif Chaouite, Formateur à l’association ADATE et rédacteur en chef de la revue « Ecart d’identité ».

En espérant vous retrouver nombreux.

Pour en savoir plus : http://www.amal38.fr/

Pour une grande politique de la diversité

Dans une thèse menée entre 2000 et 2005, nous avons montré que le rapport à l’islam d’enfants d’immigrés est lié à leurs trajectoires d’entrée dans la vie adulte, celles-ci s’allongeant désormais jusqu’au-delà de la trentaine. Ces jeunes estiment, non sans raison, que la couleur de leur peau, le fait d’être enfants de l’immigration postcoloniale et leur quartier d’habitation sont l’objet de jugements dépréciatifs qui contrarient leur accès aux opportunités sociales, à l’école, sur le marché du travail comme aux guichets des administrations.

Certains jeunes cherchent alors dans l’islam une inscription dans une généalogie prestigieuse. Se considérer comme descendant de Mahomet et se rapprocher de ses compagnons par l’habit et la piété est une quête de requalification. Celle-ci est façonnée par les offres religieuses salafistes dans lesquelles un islam dés-historicisé est censé gouverner la vie du croyant de la naissance à la mort. Cette identification à l’islam ne donne généralement pas lieu à une radicalisation violente, certains jeunes devenant simplement pieux. Dans d’autres situations, pourtant, la filiation s’éprouve au travers d’une inscription dans une communauté musulmane mondiale qu’il s’agit de défendre par les armes contre les attaques dont elle est l’objet.

Féminité islamique

En revanche, les identifications des jeunes femmes à l’islam relèvent d’autres logiques. Certaines d’entre elles s’attachent à un islam spirituel (plutôt que culturel) pour mettre à distance la religion parentale dominée par les obligations. Porter le foulard permet aussi, lors des premières années à l’université, de montrer sa fidélité à la famille pour accéder ensuite à une plus grande autonomie.

Ces artisanes de liberté tempérée considèrent que les discours qui articulent féminisme et dénonciation des inégalités des sexes au sein des populations immigrées sont une violence faite à leurs familles. Dans certains cas, afficher les signes d’une féminité islamique dans l’espace public est une protestation contre un type de féminisme qui stigmatise les populations. Ce fait protestataire n’est pas nouveau. Dans le contexte étatsunien, les Afro Américaines ont développé des mouvements autonomes de lutte contre le racisme et le sexisme parce que le féminisme des blanches mettait à l’écart les populations noires.

Les trajectoires de ces filles d’immigrées façonnent aussi leurs sensibilités, qui sont plutôt conservatrices, sur la famille et le couple. Ces positions ne relèvent pas d’un «défaut d’assimilation», qu’il faudrait corriger, et encore moins de radicalisation ; elles sont un point de vue, parmi d’autres, dans une société pluriculturelle.

Reconnaissance de la pluralité culturelle

En France, le développement du salariat et de l’État social, la scolarisation de masse dans une école laïque, publique et gratuite ont stabilisé un contrat social fondé sur l’égalité des individus en droit, la laïcité et la neutralisation des différences dans l’espace public. Ce républicanisme est mis à l’épreuve pour trois raisons. Tout d’abord, dans les sociétés européennes contemporaines se rencontrent des populations dont les croyances, les pratiques et les représentations du monde sont diverses. Ensuite, la globalisation modifie les cadres de référence de l’individu. Les mobilités, dans le cyberespace comme entre les régions du monde, facilitent la multiplicité des appartenances et des loyautés. Ce contexte de dés-imbrication de l’État, de la nation et de la société fragilise les logiques de reproduction et l’adhésion du plus grand nombre à des valeurs partagées héritées d’hier. Enfin, l’accroissement des inégalités socio-économiques depuis 1975, après une longue période de reflux de celles-ci, déstabilise la logique de réciprocité sur laquelle reposait le contrat social.

Le républicanisme reste un type d’organisation socio-politique valable mais son articulation avec l’expression des différences doit être revisitée. En premier lieu, la reconnaissance de la pluralité culturelle de notre pays est indispensable. Les élus devraient davantage rappeler que le port du foulard ou du qamis dans la rue exprime une religiosité, garantie par la liberté de conscience, pilier fondateur de la laïcité. En deuxième lieu, le débat public sur les migrations et la diversité, aujourd’hui monopolisé par quelques acteurs, devrait refléter les différences qui traversent la société française. De nombreuses voix y sont complètement absentes car elles n’ont pas accès aux grands médias et s’expriment alors sur le net, espace de liberté sans garde-fous. Enfin, une grande politique nationale visant les discriminations liées à l’origine, réelle ou supposée, est plus que jamais nécessaire. Son absence a nourri, pendant des décennies, la représentation selon laquelle le racisme et les épreuves liées à l’origine et à la couleur de peau n’étaient pas pris au sérieux par la puissance publique, alimentant un ressentiment qui s’exprime à son paroxysme dans les quartiers les plus ségrégués.

Nathalie Kakpo est auteure de L’islam, un recours pour les jeunes (Presses de Science Po).

Nathalie KAKPO docteure en sociologie
Pour en savoir plus : http://www.liberation.fr

 

Cette jeunesse musulmane qui veut quitter la France pour Dubai

Chayma-Haddou

Difficultés à trouver un emploi, stigmatisation liée à leur religion? : de plus en plus de jeunes Français, souvent bac + 5, songent à s’installer à Dubai.

Elle donne rendez-vous au pied des tours de la Défense. Dans ses yeux miroitent celles de Dubai. Chayma Haddou, 31 ans, titulaire d’un master en langues et d’un autre en business et stratégie, a achevé il y a peu un contrat de deux ans dans une grande banque. Elle est partie dans la foulée en repérage dans le Golfe, son « rêve américain ». C’était en janvier, la semaine des attentats. « Quand j’ai vu ça, je me suis dit que ça allait être dur pour nous, les musulmans… Ça m’a donné le cafard. » Dubai est, plus que jamais, une manière de se « fondre dans la masse », mais aussi « d’accélérer sa carrière ». « Ici, on n’a pas le droit d’oser, on n’est pas valorisé. En France, on est issu de l’immigration, alors que là-bas, on a la French touch! On a une double culture avec l’école de la République et pour moi le Maroc à la maison, sur les chaînes de télévision. On est né pour s’adapter. Là-bas, on a le profil idéal.

Pour boucler son projet, Chayma s’est rendue samedi dernier à une journée d’information organisée par l’association Hégire – pour « hijra » ou « exil » en arabe – destinée aux francophones musulmans installés dans le Golfe, 1.300 membres. Le restaurant de Saint-Denis (Seine-Saint-Denis) a fait salle comble : plus de 50 participants. « Depuis quelques mois, de plus en plus de jeunes nous contactent, confirme Khaled Boudemagh, responsable de la structure. On sent un ras-le-bol sur la discrimination, la stigmatisation. A Dubai, il y a moins de pression. On ne vit pas caché, et on pratique beaucoup plus librement notre religion. »

«Ce désir d’ailleurs diffère de l’alya des Juifs qui mettent le cap vers Israël. Il illustre surtout les doutes d’une génération balançant entre deux rives»

Fuir une conjoncture économique difficile et un climat tendu, briser le plafond de verre… Ce désir d’ailleurs diffère de l’alya des Juifs qui mettent le cap vers Israël. Il illustre surtout les doutes d’une génération balançant entre deux rives. En bons enfants de la mondialisation, ces bac +5, diplômés d’écoles de commerce ou d’ingénieurs, rêvent d’en faire un pont. Les pays anglo-saxons ne les intéressent guère ; leurs regards se tournent naturellement vers les Émirats arabes unis et notamment Dubai, qui accueille 15.000 Français, ou vers le Qatar, en plein essor économique.

« Avoir deux cultures peut être un levier »

Calepin en main, Chayma ne perd pas une miette de la discussion. Sa feuille de route est millimétrée : quitter Sevran (Seine-Saint-Denis), se faire embaucher sur place par une société idéalement française, mettre de l’argent de côté et revenir pour créer son entreprise, afin de « remercier ». « La France m’a éduquée. Je veux apporter ma pierre à l’édifice, prouver que la République a fait quelque chose de ses enfants issus de l’immigration. Les petits sont très négatifs. Il faut leur donner envie de rêver, leur montrer qu’on peut être maghrébin et réussir! »

A la table d’à côté, Mohammed, 24 ans, originaire de Roubaix (Nord), fraîchement diplômé d’une école d’ingénieurs, conte les remarques entendues pendant ses stages. « Tu jeûnes? T’es un extrémiste! », « Salut couscous »… Passé l’humiliation, son envie de réussir ne s’est pas estompée. Au contraire. « Petit, je n’ai pas toujours mangé à ma faim… Dubai, c’est mon objectif. Les salaires sont doubles ou triples! » Diplômé d’une école de commerce grenobloise, embauché dans un grand cabinet de conseil, Abdelkarim confirme : « La gueule de l’emploi, ça existe. Il y a de la méfiance vis-à-vis des communautés, la vie est lourde. Je veux partir pour changer d’air. » Prochaine étape, des vacances en immersion, puis démarcher sur des salons professionnels. « J’ai une culture française et une seconde culture maghrébine, tunisienne, confie le jeune homme de 25 ans. Je pense que ça peut être un levier. »

«Comptez au moins 700 euros par mois pour une chambre en colocation et n’acceptez pas de salaires trop bas»

Chayma, Mohammed et Abdelkarim mettront néanmoins les voiles en connaissance de cause : Khaled Boudemagh ne laisse fermenter aucune illusion sur la vie chère, l’absence de sécurité de l’emploi, la concurrence internationale, le fantasme de l’eldorado. « Comptez au moins 700 euros par mois pour une chambre en colocation et n’acceptez pas de salaires trop bas », en dessous de 2.000 euros net. En creux apparaissent aussi des interrogations sur la prière, le port du voile ou la barbe en entreprise. « Vous serez déçus si vous cherchez une pratique très rigoureuse, prévient Samy, trentenaire expatrié à Dubai. Même s’il y a des mosquées partout et qu’on ne travaille pas le jour de l’Aïd. De plus, les entreprises françaises sur place adoptent la même politique que dans l’Hexagone. » Mohammed l’a compris : Dubai n’est pas un « paradis islamique ». Qu’importe, il compte n’y faire qu’un passage. « Je suis parti en Turquie sept mois. Au bout d’un moment, j’ai eu envie de rentrer chez moi, la France. C’est important, le rapport au sol. »

Camille Neveux

Le Journal du Dimanche

15 mars 2015  |  Mise à jour le 16 mars 2015

Pour en savoir plus : http://www.lejdd.fr/