Des conflits géopolitiques sous couvert de religion

Et si les conflits du Moyen-Orient contemporain n’étaient pas de nature religieuse ? Pour l’historien et économiste libanais Georges Corm, cette approche réductrice de la géopolitique ne sert qu’à légitimer la thèse du « choc des civilisations ». Dans son livre Pour une lecture profane des conflits*, l’universitaire démontre les nombreux mécanismes qui ont permis de légitimer des guerres injustes depuis la fin de la Guerre froide. Une politique qui passe par l’instrumentalisation du religieux.

Par une lecture profane des conflits, entendez-vous vous opposer à la théorie de « choc des civilisations » ?

C’est un retour à la politologie classique, une approche des situations de guerre par une analyse multifactorielle, et non pas par une causalité unique qui serait religieuse, ethnique ou prétendument morale. La thèse du choc des civilisations est, à mon avis, une mise à jour post-moderne de la division du monde entre Sémites et Aryens, qui a provoqué l’antisémitisme effarant ayant mené au génocide des communautés juives d’Europe. Cette thèse perverse empêche de réfléchir sur les causes des conflits. Aveuglée par cette théorie du choc des civilisations, l’opinion publique peut soutenir des entreprises guerrières comme l’invasion de l’Irak, de l’Afghanistan, ou encore les interventions en Libye, en Syrie et très récemment au Yémen.

Au Moyen-Orient, le conflit sunnites-chiites est souvent mis en avant. La religion n’est-elle pas un vecteur de conflit dans cette région du monde ?

Quand le shah d’Iran était en place (1941-1979), sa politique n’était pas différente de celle du régime actuel. Pourtant, personne ne parlait d’opposition entre sunnites et chiites. Des intérêts géopolitiques se jouent aujourd’hui sous couvert de religion. Des enquêtes, publiées notamment dans The New Yorker, montrent que, suite à l’échec de l’invasion de l’Irak, les États-Unis ont décidé de provoquer des troubles entre sunnites et chiites. En créant notamment la notion de triangle chiite  Iran/Syrie/Hezbollah libanais, considéré comme l’équivalent d’un « axe du mal ». C’est très loin de la complexité des réalités de terrain, qui implique les intérêts géopolitiques des régimes turc, qatari, saoudien et israélien. La politique occidentale poursuit une ligne « sunnites contre chiites » sur le plan intérieur, et une vision « monde islamique contre monde occidental » sur un plan plus large. Il s’agit d’une approche fantaisiste : tous les gouvernements des pays musulmans sont dans l’orbite des puissances occidentales à l’exception de l’Iran, qui tente de normaliser ses relations avec les États-Unis.

Pourquoi les problèmes de religion, culture et civilisation sont si souvent invoqués pour justifier les conflits ?

Le Moyen-Orient est l’un des carrefours géopolitiques les plus importants dans le monde. C’est le principal réservoir énergétique. C’est aussi le lieu de naissance des trois monothéismes. Il est très facile d’utiliser les symboles religieux pour couvrir d’un voile les enjeux profanes purement politiques, militaires, économiques et autres désirs de puissance et d’hégémonie. Le Moyen-Orient est constitué de trois grands groupes ethniques ou nationaux : les Perses iraniens, les Turcs et les Arabes. Iraniens et Turcs ont pu hériter de structures d’empires vieilles de plusieurs siècles. En revanche, les Arabes ont été balkanisés dans diverses entités par les deux colonialismes français et anglais.

À l’heure du nationalisme arabe du président égyptien Nasser (1956-1970), la région était le théâtre d’atmosphères révolutionnaires qui menaçaient les intérêts occidentaux. L’organisation des Frères musulmans a été bien instrumentalisée afin de s’opposer à un panarabisme anti-impérialiste et tiers-mondiste qui entretenait des relations croissantes avec le bloc soviétique. Bien plus, l’instrumentalisation du religieux est devenue quasiment la politique officielle américaine pendant la Guerre froide. Zbigniew Brzezinski, conseiller du président américain Jimmy Carter de 1977 à 1981, a décidé d’organiser la mobilisation religieuse contre l’URSS. Dans l’aberrante guerre d’Afghanistan, en 1979, l’Arabie saoudite a été appuyée et financée par les États-Unis pour entraîner des milliers de jeunes Arabes, qui partaient ensuite se battre en Afghanistan. Al-Qaida est née à ce moment-là. Ces groupes de combattants ont ensuite été transportés en Bosnie, en Tchétchénie, aux Philippines, aujourd’hui dans le Xinjiang chinois… L’instrumentalisation de ces groupes mène à des organisations comme l’État islamique.

Vous parlez bien plus d’un recours au religieux que d’un « retour du religieux », expression que vous dénoncez. Pourquoi ?

Il n’y a jamais eu d’abandon du religieux dans l’Histoire du monde. Parler de retour du religieux est un ethnocentrisme européen poussé à l’extrême. Certes, la petite Europe a été relativement déchristianisée. Mais le reste du monde a conservé des liens importants avec la religion. À commencer par les États-Unis, pays fondé par des colons britanniques puritains. Le « retour du religieux » a été beaucoup invoqué pour dénoncer les dictatures marxisantes. Le philosophe allemand Léo Strauss (1899-1973) se demandait s’il ne fallait pas mieux revenir à des législations de type religieuses, après les malheurs qu’il attribuait exclusivement à la laïcité et la Révolution française, qui auraient d’après lui provoqué les deux Guerres mondiales. Accuser la Révolution française ou les philosophes des Lumières de tous les malheurs du monde est une thèse tout à fait exagérée. Pour moi, l’archétype de la guerre d’extermination, du goulag et du nazisme se trouve dans les guerres de religion.

Le raidissement des dogmes, aujourd’hui, traduit-il une nouvelle crise religieuse ?

Il ne faut pas tomber dans le piège des mouvances terroristes actuelles. Elles se réclament de trois théologiens politiques musulmans : Ibn Taymiyya (1263-1328), emprisonné par le sultan pour son extrémisme religieux ; le Pakistanais Abul a’la-Maududi (1903-1979), qui a justifié la sécession sanglante des Indiens de confession musulmane ayant donné lieu à la création de « l’État des purs » (ou Pakistan) ; et le Frère musulman égyptien Sayyid Qutb (1906-1966) qui a considéré tous les régimes politiques arabes comme « hérétiques » parce que ne respectant le principe d’une souveraineté absolue de Dieu sur les hommes. Mais la théologie musulmane, vieille de plus de treize siècles, va bien au-delà de ces trois noms et les théologiens « libéraux » sont très nombreux. Je pense qu’il y a aujourd’hui une crise des monothéismes, à cause de la manipulation du religieux. Concernant l’islam, la croyance wahhabite a été largement condamnée par la plupart des théologiens musulmans qui la considèrent beaucoup trop extrémiste. À l’origine, cette doctrine est née au XVIIIe siècle d’une simple alliance entre le prédicateur Abd al-Wahhab et la famille al Saoud aux ambitions politiques très grandes. Quand, dans la deuxième moitié du XXe siècle, l’Arabie saoudite a atteint une puissance pétrolière et financière importante, le wahhabisme s’est exporté tous azimuts.

Quel rôle joue l’instrumentalisation de la mémoire dans la gestion des conflits ?

Les musulmans restés fidèles au concept de « religion du juste milieu » sont marginalisés. Aujourd’hui, les médias et les chercheurs ne s’intéressent plus à la sociologie des sociétés arabes, turques, perses… Ils se consacrent à l’étude des réseaux islamistes. C’est un islam abstrait, une méga-identité qui ne veut rien dire mais sert à stimuler cette idéologie du conflit des civilisations. On retrouve le même type de crispation, en ce qui concerne le judaïsme. De très nombreux citoyens européens ou américains de confession juive n’approuvent pas la politique d’Israël. Des groupes de religieux, comme Neturei Karta, ne reconnaissent même pas la légitimité de l’État israélien. Mais ils sont totalement marginalisés dans les médias et la recherche académique. Une autre manipulation de la mémoire est le passage de la notion d’Occident gréco-romain à la notion d’Occident judéo-chrétien. Ce coup d’État culturel n’a pas beaucoup de sens, car le christianisme s’est construit contre le judaïsme. Cette opération est destinée à réparer le traumatisme causé par l’Holocauste.

Alors que le XXe a vu, pendant un temps, triompher une vision laïque de l’ordre international, comment la religion a-t-elle pu opérer un tel retour en force ?

Jusqu’aux années 1970, la vie internationale était laïque. Les pays non-alignés basaient leur discours sur le rapport avec les deux grandes puissances. La préoccupation était le développement économique et social, l’appropriation des sciences et les technologies. Tout a basculé avec la Guerre froide. L’extension du marxisme dans les rangs de la jeunesse arabe dans les années 1950-60 était très impressionnant. De quoi inquiéter les milieux militaires et politiques occidentaux. En cherchant à réislamiser les sociétés musulmanes, la doctrine Brzezinski entendait que leurs préoccupations ne soient plus économiques ou sociales, mais théologiques.

Pourquoi la laïcité a-t-elle échoué dans le monde arabe et musulman ?

Je n’aurais pas un jugement aussi abrupt. De très larges pans de laïcité subsistent dans des pays comme la Turquie ou la Tunisie. La Syrie et l’Irak étaient largement laïcisés eux aussi. Tout comme l’Égypte dans les années 1940-1950. Il n’y a pas non plus de recul absolu. Heureusement, il existe encore des millions de musulmans arabes sans comportement religieux ostentatoire. Mais l’échec complet de l’industrialisation est associé à une expansion démographique effarante. Devant l’incapacité de trouver un emploi, la mosquée devient attirante. Toutes les ONG islamiques ont fleuri grâce au financement des monarchies et émirats du Golfe. Elles ont distribué des aides sociales, conditionnées par l’adoption d’un mode de vie religieux.

Les médias et intellectuels occidentaux ont-ils joué un rôle dans cette « réislamisation » ?

Les politologues occidentaux ont donné une crédibilité islamique à des gens comme Ibn Taymyya ou Sayyid Qutb, ainsi que Ben Laden et le soi-disant « État islamique ». Vouloir expliquer des phénomènes comme les attentats du 11 septembre 2001 ou celui de Charlie Hebdo par la religion musulmane ne fait qu’amplifier le malaise. Les organisations terroristes doivent être considérées comme telles. Si vous mobilisez des savoirs soi-disant académiques pour justifier leurs actes par la théologie musulmane, vous jouez dans leur camp et renforcez leur crédibilité. S’est-on penché sur les textes marxistes pour expliquer les crimes d’Action directe, ou de la bande à Baader ou le goulag ? Chercherions-nous dans les Évangiles une justification des Croisades ou du génocide des Indiens d’Amérique ? Non.

Pensez-vous qu’il est possible de sortir de ce cercle vicieux ?

Je ne suis pas très optimiste. À partir du moment où les médias américains et européens appellent Daesh « l’État islamique », le terrorisme s’accroît. En luttant contre Ben Laden, longtemps allié des États-Unis, on en a fait un grand héros, avec un retentissement médiatique hors-pair. Deux pays souverains ont été envahis en déployant des moyens militaires absurdes. D’autant plus que l’Irak était considéré par Ben Laden comme un État mécréant à détruire. Et ça continue avec le drame syrien. On a décidé de diaboliser Bachar el-Assad, sous prétexte de réduire un dictateur qui n’est pas dans le sillage géopolitique de l’Occident. Tout en affirmant, à côté, que des organisations comme le Front al-Nosra, pourtant classé comme terroriste, font du bon travail en Syrie. Au Yémen, on recommence à bombarder les Houthis sous prétexte qu’ils sont soutenus par l’Iran et qu’ils appartiennent à l’une des nombreuses branches du chiisme. Ces folies coûtent des milliards de dollars aux contribuables européens et américains. Comment arrêter cette machine ? Depuis 2001, il n’y a aucune demande de comptes dans les pays occidentaux. Il est temps que les démocrates se réveillent pour demander que cela cesse.

Propos recueillis par Matthieu Stricot – publié le 22/07/2015

(*) Georges Corm, Pour une lecture profane des conflits : sur le « retour du religieux » dans les conflits contemporains du Moyen-Orient, Paris, La découverte, 2015, 11 €.

Du même auteur : Pensée et politique dans le monde arabe : contextes historiques et problématiques, XIXe-XXIe siècles, Paris, La Découverte, 2015, 23 €.

Pour en savoir plus : http://www.lemondedesreligions.fr/

L’islam est-il une religion violente ?

Croisades
L’islam n’a pas l’apanage de la violence. Les guerres de religion, les guerres coloniales et les guerres civiles ont été menées, elles aussi, au nom d’une croyance religieuse et d’une idéologie politique. Ce tableau représente l’armée de Saladin, qui, en 1187, défait les armées chrétiennes et reprend Jérusalem. Le siège du royaume de Jérusalem est installé à Saint-Jean-d’Acre en 1229.
En raison d’événements géopolitiques saillants qui, depuis des décennies, dominent l’actualité du monde musulman (Révolution iranienne de 1978, décennie noire algérienne, 11-Septembre, État islamique, etc.), mais aussi à cause de toute une série de biais et de deux poids-deux mesures dans la couverture médiatique et le discours politique sur l’islam, deux notions négatives sur cette religion et ses croyants se sont cristallisées dans les opinions publiques occidentales ainsi que dans de larges segments des pays à majorité musulmane, à commencer par leurs élites et diasporas libérales-sécularistes.Première notion : l’islam serait par essence une « religion de haine » qui favoriserait la violence, ou du moins qui l’encouragerait ou la tolérerait plus que les autres religions. Une grande partie de l’excitation théologique qui agite aujourd’hui nos politiciens et têtes islamiques pensantes autour d’une « réforme islamique » présentée comme urgente semble en fait largement déterminée par ce stéréotype, auquel certains, y compris parmi les meilleurs, semblent désormais céder.En France, grande est en effet la peur de ne pas passer pour un bon musulman bien républicain, bien « modéré » et bien « intégré » si l’on n’a pas le discours politiquement correct que l’Etat et ses pseudo-laïcs attendent de vous.Seconde idée, si implantée dans les esprits que l’on ne songe même pas à la vérifier : la majorité (et pour beaucoup, la quasi-totalité) des attaques terroristes dans le monde serait le fait de « jihadistes islamistes » agissant au nom de l’Islam ou de l’idée qu’ils s’en font (Al Qaïda, ISIS, « loups solitaires » ou cellules semi-autonomes à la Mohammed Merah, Frères Kouachi, etc.). Nous avons affaire ici à un consensus idéologique qui vire à un quasi-unanimisme à l’évidence éminemment néfaste pour tous les musulmans.Cette doxa délétère structure les perceptions et opinions publiques vis-à-vis de l’Islam et de ses pratiquants, souvent d’ailleurs aussi chez les musulmans eux-mêmes. Mais elle détermine également de plus en plus les politiques publiques dans un sens liberticide : surveillance-espionnage des mosquées, politiques de « contre-radicalisation », efforts étatiques d’ailleurs anti-laïques, pour forger un « Islam de France » afin de réguler, y compris théologiquement, une religion perçue comme dangereuse, récente loi renseignement,etc. Le tout dans l’hystérie et la paranoïa collective la plus complète, dans une atmosphère de panique morale médiatiquement et politiquement organisée autour d’une prétendue « menace islamiste » qui ressemble de plus en plus à une de ces orwelliennes politiques de la peur bien connues, fort pratiques pour le contrôle des populations, et calquée sur les précédentes : « Menace Rouge » (la « Red Scare » de la Guerre froide), « complot judéo-bolchévique » ou, plus récemment, « armes de destruction massive » (non existantes) de Saddam Hussein justifiant l’invasion de l’Irak.

Le problème ? Les notions sur lesquelles reposent ces perceptions collectives et entreprises politiques sont toutes factuellement fausses, sur le plan tant historique que contemporain.

Un mythe que chacun peut empiriquement démentir

Première observation : avec 1,6 milliard de musulmans dans le monde, 23 % de la population globale, si l’islam était cette religion de haine et de « barbarie » que ses opposants nous décrivent à longueur de journée, ce n’est pas une poignée d’« États faillis » (Irak, Syrie, Libye, Yémen, Nigéria) qui seraient à feu et à sang, mais l’ensemble de la planète.Force est de constater que si cette religion propage un message de haine, de violence et d’intolérance, alors, bizarrement, la quasi-totalité de ses fidèles ne semble curieusement pas entendre ce supposé message, puisqu’ils restent à 95 % ou plus parfaitement non violents.Sans même aller dans la recherche sur ce sujet (qui existe bel et bien, surtout dans le monde anglo-saxon), faites le test autour de vous : prenez tous vos collègues musulmans, amis, membres de la famille, amis de la famille, tous ceux et celles que vous connaissez de près ou de loin. Combien sont religieusement violents, combien sont terroristes ? On prend le pari : pas un(e) seul(e). Fait aisément observable qui s’applique d’ailleurs non seulement aux musulmans occidentaux mais à ceux dans les autres parties du monde, y compris la zone Afrique du Nord – Moyen-Orient.

Un mythe également démenti par l’Histoire

Dans une perspective plus objective et historique, il n’existe aucune preuve que l’islam et ses civilisations aient été plus violentes et « barbares » que, par exemple, l’Occident chrétien. A vrai dire, cela a, la plupart du temps, été le contraire.Il n’est que de rappeler l’histoire ultraviolente du catholicisme européen, avec son cortège ininterrompu d’atrocités à grande échelle, ses croisades, saintes inquisitions, massacres sans fin de juifs et autres chrétiens (Templiers, etc.), ses guerres de religion seiziémistes (70 000 tués, tous chrétiens massacrés par d’autres chrétiens) et ses entreprises coloniales aux quatre coins de la planète, des Amériques à l’Asie en passant par l’Afrique, avec leurs cohortes de massacres de masse, dont l’immense majorité reste à ce jour inconnus du grand public mis à part les quelques cas médiatisés comme Sétif.Le tout accompli par des États bien évidemment non islamiques, tant monarchiques que républicains, tant religieux que séculaires, mais avec à chaque fois les Églises chrétiennes présente pour stimuler et justifier ces horreurs, au nom de Dieu.Un exemple : quand les croisés européens capturèrent Jérusalem le 10 juillet 1099 (sur ordre du pape Urbain II et au nom de la chrétienté) , ils massacrèrent les populations juives et musulmanes, hommes, femmes et enfants, souvent après les voir torturés et coupés en morceaux, faisant des piles de têtes, jambes, pieds et mains, comme ils s’en vantent dans leurs propres récits, allant même jusqu’à remercier Dieu de leur avoir permis de massacrer les infidèles jusque dans leurs temples et mosquées, où, dit l’un d’eux, « nos chevaux pataugèrent dans le sang jusqu’aux genoux ».Par contraste, quand Saladin reconquiert Jérusalem le 2 octobre 1187, il ne commet, lui, aucun massacre de civils, épargne les populations juives et chrétiennes, et leur donne même une escorte militaire musulmane pour les accompagner jusqu’aux côtes de la Syrie et de la Palestine afin de les protéger contre des attaques de tribus locales, bandes de brigands ou marchands d’esclaves.

Plus tard, tout au long des XIXe et XXe siècles, les nations de l’Occident chrétien se distinguent par une compétition coloniale de nature impérialiste, dont l’ampleur planétaire, la durée et la brutalité restent sans équivalent dans le monde islamique, lui-même d’ailleurs objet de cette colonisation. Et en France, ces guerres de conquête, exemples types de pure « barbarie », sont bel et bien menées par et au nom de la République et de la chrétienté (la fameuse « mission civilisatrice » qui imprègne toujours les esprits de si nombreux laïcards anti-voile), avec, partout, la participation active des Églises catholiques et protestantes qui voient dans les populations africaines, asiatiques ou amérindiennes, toutes conçues comme « arriérées », autant d’opportunités d’évangélisation.

Et cette histoire-là, loin d’être ancienne, ne se termine qu’en 1962 avec l’indépendance algérienne.

Plus généralement, c’est tout le XXe siècle qui infirme la thèse d’un Islam « religion violente ». En effet, parmi les pires atrocités historiques qui pullulent tout au long de ce siècle de sang, et elles furent nombreuses, la quasi-totalité fut commise non pas par des populations musulmanes au nom de l’islam, mais par les États et peuples occidentaux.

Première et Seconde Guerres mondiales. Fascisme. Nazisme. Hitlérisme. Stalinisme. Maoïsme, et on en passe. Aucune de ces horreurs ne fut déclenchée et perpétrée par des musulmans au nom d’Allah. Toutes furent, au contraire, commises par des athées, des agnostiques ou des chrétiens. Rappelons-le encore et toujours : chaque fois que l’on propage ce mensonge d’un Islam-religion-plus-violente : l’Holocauste ne fut pas le fait de musulmans et n’eut pas lieu au Moyen-Orient, mais bien au cœur de l’Europe chrétienne.

Qui plus est, toutes ces tragédies furent bel et bien accomplies non seulement par des régimes et populations européennes (ou asiatiques dans le cas de Mao ou de Pol Pot et de ses khmers rouges) non musulmanes, mais elles le furent au nom d’idéologies qui n’avaient rien à voir avec l’islam : « mission civilisatrice » de la IIIe République, celle de Jules Ferry ; supériorité de la « race aryenne » et nécessité du Lebensraum (l’ « espace vital » du IIIe Reich) ; chrétienté (on oublie trop souvent que, par exemple, la Première Guerre mondiale eut une très forte dimension de guerre religieuse, de guerre sainte, chacun clamant que Dieu était de son côté) ; idéologies athées marxistes-léninistes, etc.

Le mythe actuel selon lequel l’islam a toujours été et reste une religion particulièrement toxique et violente, en tout cas beaucoup plus que les autres idéologies religieuses (ou pas), était déjà un mensonge au Moyen Âge. Il reste un mensonge tout au long du XIXe siècle colonial et du XXe siècle. Il ne saurait perdurer en plein XXIe siècle.

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Alain Gabon, professeur des universités aux États-Unis, dirige le programme de français à Virginia Wesleyan College (université affiliée à l’Église méthodiste de John Wesley), où il est maître de conférences. Il est l’auteur de nombreux articles sur la France contemporaine et la culture française.

Pour en savoir plus : http://www.saphirnews.com/

Dans le Golfe, une diplomatie française sans états d’âme

François Hollande a été à Ryad, mardi 5 mai, en tant qu’invité exceptionnel du sommet du Conseil de coopération du Golfe (CCG).

Hollande-ASaoudite

CHRISTOPHE ENA/AFP

François Hollande accueilli par l’émir du Qatar, le cheikh Tamim Ben Hamad Al Thani, à Doha, lundi 5 mai.

Lundi 4mai, le président français a assisté au Qatar à la signature d’un important contrat de vente de 24 avions de combat Rafale.

La coopération franco saoudienne ne s’est jamais aussi bien portée alors que Riyad se renforce militairement face à l’émergence de l’Iran chiite.

Les relations stratégiques entre la France et les pétromonarchies du Golfe ont toujours été bonnes, elles sont désormais excellentes. Comme en témoignent l’invitation saoudienne faite à François Hollande pour assister à la réunion du Conseil de coopération du Golfe (CCG), à Riyad et les contrats militaires successifs signés avec les monarchies du Golfe.

C’est un « tropisme français pour les pétromonarchies du Golfe qui dure depuis une dizaine d’années, explique David Rigoulet-Roze, chercheur rattaché à l’Institut français d’analyses stratégiques (IFAS) et rédacteur en chef de la revue Orients stratégiques. Ce partenariat stratégique s’accompagne d’une diplomatie économique prônée par le ministre des affaires étrangères, Laurent Fabius, qui se traduit par la signature de contrats militaires », poursuit le chercheur.

« Une nouvelle conception de la diplomatie pour la France qui essaie de s’affirmer sur le marché mondiale dans un contexte de mondialisation », analyse Beligh Nabli, directeur de recherches à l’IRIS.

Le Royaume saoudien premier importateur de matériel militaire dans le monde en 2014

Quelques chiffres suffisent à résumer cette nouvelle lune de miel : 24 avions Rafale vendus au Qatar, 24 Rafale vendus à l’Égypte mais payés par les Émirats du Golfe et l’Arabie saoudite. Et en 2014, la signature du très gros contrat franco saoudien de 3 milliards de dollars pour la livraison de matériels destinés à renforcer l’armée libanaise.

Le Royaume saoudien est le poids lourd de la région : premier importateur de matériel militaire dans le monde en 2014 avec 6,4 milliards de dollars (5,8 milliards d’euros) en hausse de 54 % et premier client de la France pour la défense et le nucléaire civil. Enfin, c’est le premier partenaire commercial français dans le Golfe et le second (derrière la Turquie) au Moyen-Orient.

Mardi 5 mai, François Hollande est l’invité exceptionnel à Riyad du sommet du Conseil de coopération du Golfe (CCG) qui réunit l’Arabie saoudite, le Bahreïn, les Émirats arabes unis, Oman, le Koweït et le Qatar.

La guerre au Yémen au cœur des discussions

À l’ordre du jour de cette réunion, la guerre au Yémen voisin où cinq des six monarchies du Golfe membres de cette instance font partie de la coalition arabe, dirigée par Riyad, pour empêcher une rébellion chiite, soutenue par l’Iran, de prendre le contrôle de l’ensemble du pays.

Une déclaration commune franco saoudienne portant sur une « feuille de route » politique, économique, stratégique et militaire devrait être signée à l’occasion de cette visite, a indiqué la présidence française.

Paris et Riyad sont sur la même position sur l’Iran comme sur la Syrie ou le Yémen et le roi Salman d’Arabie saoudite sait qu’il peut compter sur François Hollande. Car Riyad craint de se voir encercler par le croissant chiite.

Paris méfiant envers le régime iranien

Paris, lui, est méfiant envers le régime iranien, et réclame toujours plus d’exigences de son partenaire américain avant de signer un accord sur le nucléaire qui permettra à terme de lever les sanctions et de redonner du poids à Téhéran dans la région.

Paris a toujours nourri une grande méfiance vis-à-vis de l’Iran. Durant les huit ans de la guerre Iran-Irak, la France a soutenu sans failles Saddam Hussein, à qui elle a vendu des armes. La décennie 80 a également été marquée par les attentats du Drakkar (1983) à Beyrouth, qui a causé la mort de 58 soldats français, la prise en otages de Français au Liban (1985-1988) et des attentats meurtriers à Paris.

Dans les trois cas, l’Iran était impliquée par le biais du Hezbollah, mouvement chiite libanais qu’il a créé en 1982.

« François Hollande fait preuve d’opportunisme géopolitique »

Autre convergence entre Paris et Riyad, l’éviction du dictateur syrien Bachar al Assad. Riyad et les pays du Golfe ont financé activement l’opposition politique et militaire, alimentant de fait les djihadistes qui aujourd’hui menacent les capitales européennes.

Riyad n’a pas accepté la volte-face d’Obama en septembre 2013 alors que Paris demandait une intervention militaire pour faire cesser l’utilisation d’armes chimiques par Damas, et à l’inverse a apprécié la position très va-t’en guerre de François Hollande. Paris continue de soutenir de son côté, une opposition politique syrienne largement sous influence saoudienne.

Au niveau régional, Paris peut profiter de la crise de confiance qui altère les relations américano-saoudiennes. « François Hollande fait preuve d’opportunisme géopolitique, analyse David Rigoulet-Roze, pour valoriser l’image de la France et sa réputation de fiabilité. » L’Arabie saoudite a bien compris que son vieil allié américain s’intéresse désormais davantage à l’Asie qu’au Moyen-Orient d’autant qu’elle peut se passer du pétrole saoudien.

Le paradoxe français

Alors l’alliance entre Paris et Riyad paraît d’autant plus logique que la France a toujours mené une politique bienveillante vis-à-vis des monarchies du Golfe. Jacques Chirac était toujours bien accueilli à Riyad où se négociaient d’importants contrats militaires, Nicolas Sarkozy avait jeté son dévolu sur le petit émirat du Qatar et son carnet de chèque bien approvisionné pour s’en faire un allié dans sa politique étrangère.

Toutefois, Beligh Nabli, ne manque pas de noter « la contradiction française d’un pays qui d’un côté lutte contre le terrorisme et de l’autre noue des liens avec des pays, comme l’Arabie saoudite ou les émirats du Golfe, qui diffusent une idéologie wahhabite qui alimente ce terrorisme ».

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Le Conseil de coopération du Golfe

Le Conseil de coopération du Golfe arabique (CCG) a été créé en 1981. Cette organisation régionale regroupe six monarchies du Golfe persique : l’Arabie saoudite, le Koweït, Bahreïn, les Émirats arabes unis, le Qatar et Oman. L’idée émise début 2011 d’intégrer les royaumes du Maroc et de Jordanie n’a finalement pas été suivie d’effet.

Le CCG, qui réuni des pétromonarchies sunnites a avant tout pour but politique d’assurer leur sécurité face à l’Iran chiite ou aux guerres civiles voisines (Irak, Syrie). Il vise aussi une unification du système économique et financier des États membres.

Sous la houlette de l’Arabie saoudite, une coalition de neuf pays arabes regroupant l’ensemble des membres du CCG à l’exception d’Oman mène depuis cinq semaines des raids aériens pour empêcher une rébellion chiite, soutenue par l’Iran, de prendre le contrôle de l’ensemble du Yémen, pays pauvre de la péninsule arabique et frontalier de l’Arabie saoudite. Cette opération semble marquer le pas.

Agnès Rotivel

4/5/15 – 18 H 32

 

Pour en savoir plus : http://www.la-croix.com

 

Conseils, formations… Des outils de réflexion et d’action pour promouvoir la laïcité

Elus, enseignants et territoriaux sont souvent démunis face aux demandes liées à des prescriptions religieuses. L’installation d’un comité consultatif laïcité peut les aider.

LaicitéConseil

Avec les enseignants, les élus sont en première ligne face aux sollicitations fondées sur des prescriptions ou des interdits religieux. Ils sont également confrontés à la montée du radicalisme chez certains musulmans. Pour y répondre, plusieurs communes se sont dotées d’outils permettant de mieux former leurs personnels au principe de laïcité.

A l’intention des professionnels

En 2012, la Métro (communauté d’agglomération Grenoble-Alpes métropole) a mis en place un dispositif de « formation-action » à l’égalité et à la laïcité à l’intention des professionnels des communes, associations et institutions (lire ci-dessous). Le 5 février, Rennes a lancé son « comité consultatif laïcité ».

« Aujourd’hui – cela remonte de manière régulière des différentes rencontres – des entreprises, des associations, y compris cultuelles, des administrations même, dont la ville de Rennes, manquent de repères sur la portée concrète et pratique du principe de laïcité. Sa mise en œuvre se heurte au brouillage des lignes entre les sphères privées et publiques », explique Nathalie Appéré, maire de Rennes.

Le comité consultatif laïcité pourra « émettre des avis et se saisir de toute question locale, dans une perspective de conseil, de soutien et d’aiguillon à l’action municipale », et devra rédiger d’ici fin 2015 une « Charte du vivre ensemble ».

Avec la montée de la radicalisation chez certains jeunes musulmans, ces outils sont-ils suffisants ? « Je pense qu’on irrigue, on instille, et on permet que la discussion s’ouvre. Nous sommes sollicités un peu partout dans le département (de l’Isère) », assure Michel Baffert, ancien vice-président de la Métro.

De la laïcité aux valeurs

Pourtant, depuis 2012, la situation sur le terrain a changé. « Les outils du type guides de la laïcité ne permettent pas de prévenir la radicalisation de certains jeunes. Les recruteurs ont affiné leurs techniques et il ne suffit pas de ne pas être discriminant pour les contrer, prévient Dounia Bouzar, anthropologue qui a participé à la conception du dispositif de la Métro. Grenoble est pour moi un exemple de bonne gestion, or c’est aussi une ville où il y a de la radicalité. »

Pour Myriam El Khomri, secrétaire d’Etat à la Ville, « la lutte contre le terrorisme et la radicalisation, et la lutte contre le racisme, les stigmatisations et l’antisémitisme » doivent pourtant aller de pair. Pour elle, les contrats de ville, qui rassemblent tous les acteurs, collectivités, tissu associatif et habitants des quartiers sensibles, pourraient être un levier d’action. A condition toutefois que soit ajouté aux trois volets existants, la cohésion sociale, l’emploi et le cadre de vie, un quatrième sur les valeurs de la République.

Trois conseils

Former élus et administration

Un personnel mieux formé est plus à même d’apprécier les situations et de savoir comment réagir à des sollicitations fondées sur des prescriptions ou des interdits religieux. Depuis 2013, l’université Lyon 3 et l’université catholique de Lyon, en lien avec l’Institut français de civilisation musulmane et le conseil régional du culte musulman Rhône-Alpes, et avec le soutien de la préfecture du Rhône, proposent un DU (diplôme universitaire) « Religion, liberté religieuse et laïcité ». Le public ciblé comprend agents des administrations (hospitalière, pénitentiaire, éducative, territoriale…), élus, etc. Des cadres managers de la ville de Lyon ont suivi cette formation. Selon Marylise Lebranchu, ce programme devrait inspirer celui que suivront les élèves des instituts régionaux d’administration (IRA).

Organiser le dialogue entre toutes les composantes de la société

Discussion et échanges favorisent des solutions consensuelles aux problèmes que posent parfois les religions. Le 6 février, Rennes a ainsi lancé un « comité consultatif laïcité ». Objectif : « Rendre accessible, lisible, compréhensible » par tous la laïcité et « se saisir de toute question locale, dans une perspective de conseil, de soutien et d’aiguillon à l’action municipale ». « Je pense à la question de l’occupation du domaine public », précise la maire, Nathalie Appéré, qui présidera cette instance. Composé d’élus de toutes les sensibilités du conseil municipal, de représentants des cultes et des mouvements de pensée, d’experts et d’acteurs de terrain, ce comité devrait se réunir à un rythme mensuel et rédiger, d’ici la fin de l’année, une Charte du vivre ensemble qui sera soumise au vote du conseil municipal au premier semestre 2016.

Trouver aide et conseil

Pour aider les familles confrontées à la crainte du départ d’un mineur pour la Syrie, le ministère de l’Intérieur a mis en place un numéro vert, le 0800.005.696. Les élus peuvent également contacter le « référent laïcité » dont sont dotées toutes les préfectures de France. Dans la plupart des cas, il s’agit du directeur de cabinet du préfet. En liaison avec le bureau des cultes du ministère de l’Intérieur, qui dispose d’une base de données juridiques, celui-ci renseignera les élus sur ce que prévoit la loi face à des situations comme une fonctionnaire décidant de porter le voile, une famille exigeant de la viande hallal ou casher à la cantine, etc. Ce référent laïcité est également référent pour la protection des lieux de cultes.

 

Ce que dit la loi.

Jusqu’à maintenant l’obligation de réserve – et de neutralité – à laquelle les fonctionnaires sont soumis est d’origine jurisprudentielle.
Marylise Lebranchu, la ministre de la Réforme de l’Etat, de la Décentralisation et de la Fonction publique entend la fixer dans la loi. Son projet de loi « relatif à la déontologie et aux droits et obligations des fonctionnaires » consacre ainsi, « pour la première fois dans le droit de la fonction publique, les valeurs fondamentales communes aux agents publics ».
Ainsi des « obligations de neutralité et de réserve » et du « respect du principe de laïcité ». En déplacement le 26 février à Lyon pour présenter ce texte, Marylise Lebranchu a précisé que l’ensemble des élèves des instituts régionaux d’administration (IRA) seront formés à la laïcité dès la rentrée prochaine. Reconnaissant que l’application concrète de ce principe peut poser des difficultés à certains agents, notamment ceux qui sont au contact direct des usagers, la ministre a ajouté qu’elle souhaitait, avant la rédaction définitive de son texte « organiser des rencontres avec les fonctionnaires (…) pour pouvoir répondre à ces difficultés ».
Voir notre cahier « 50 questions sur la laïcité ».

 

Sur le terrain

CA Grenoble-Alpes Métropole : une « formation-action » adaptée
L’idée de proposer une « formation-action » à l’égalité et à la laïcité à l’intention des professionnels des communes, associations et institutions de l’agglomération grenobloise est née d’une demande du terrain.

« Nous avons été sollicités vers 2008 par des animateurs socioculturels. Etant en contact direct avec des populations de quartiers fragilisés, ils ont exprimé le besoin de mieux connaître le principe de laïcité et d’être formés à l’appliquer », rappelle Michel Baffert, ancien vice-président de la Métro(1), et président du GIP « Objectif réussite éducative ».

Les Grenoblois précurseurs
Cette initiative faisait suite à une précédente session de formation, organisée avec la ville de Grenoble en 2010-2011, et intitulée « Gérer le fait religieux sans discriminer ». A l’époque, « les Grenoblois ont été vraiment précurseurs. Depuis d’autres villes ont suivi », assure Dounia Bouzar, anthropologue du fait religieux à laquelle la mise en place de la démarche de la Métro a été confiée.

Concrètement, cette formation-action a pris deux formes : une trentaine de professionnels issus de diverses communes de l’agglomération ont été formés à ces questions au cours de cinq ou six journées réparties sur l’année 2012. Parallèlement, trois séminaires ont été organisés à l’automne 2012. Enfin, un guide pratique censé aider les personnels à répondre aux difficultés d’application du principe de laïcité a été rédigé, qui est toujours en ligne(2).

Directeur de l’association sociosportive grenobloise Kiap, Brahim Wazizi a suivi la formation. « C’était très bien, on a abordé beaucoup de sujets : les repas scolaires, le ramadan, la mixité dans le domaine sportif », rappelle-t-il. Depuis, la formation n’a pas été reconduite, or « beaucoup d’acteurs ont changé », souligne-t-il. Résultat : « Dans des gymnases, certains créneaux mixtes ont été donnés à des femmes ». Preuve que rien n’est jamais acquis.

Par Catherine Corroller

Pour en savoir plus : http://www.courrierdesmaires.fr/

Arabie saoudite vs Iran: pourquoi c’est le nouveau choc des religions

En intervenant au Yémen contre les rebelles chiites soutenus par l’Iran, l’Arabie saoudite, championne du sunnisme expose la région à un embrasement général.
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Des avions de l’armée aérienne de l’Arabie Saoudite, photographiés le 1 janvier 2013. (FAYEZ NURELDINE / AFP)

Remarque d’un haut gradé du Pentagone, dans le Wall Street Journal: « Je regarde la carte du Moyen-Orient ; je regarde tous ces affiliés de l’Etat Islamique ; je regarde toutes ces zones de combat. Et je me demande qui sera l’archiduc dont l’assassinat déclenchera un embrasement général ».

Une guerre totale, dans tout le Proche et le Moyen-Orient, provoquée, comme en juin 1914, par le meurtre de l’héritier – ou d’un haut dirigeant – d’un territoire non pas austro-hongrois mais sunnite ou chiite? L’hypothèse est glaçante mais désormais plausible avec l’intervention directe de l’Arabie saoudite au Yémen.

En s’attaquant à la rébellion houthiste, soutenue et armée par l’Iran, le champion de la branche majoritaire du sunnisme est entré en conflit direct avec Téhéran, chef de l’axe chiite. En bombardant les troupes houthistes, sur le point de chasser le président yéménite, leur allié, en combattant au sol ces chiites désormais aux portes d’Aden, la deuxième ville du pays après avoir conquis Sanaa, sa capitale, le royaume wahhabite saoudien a pris le risque d’affronter, par milices interposées, la République islamique iranienne, sa grande rivale dans la région.

A la tête d’une coalition de 8 pays

Certes, en laissant faire, l’Arabie saoudite aurait perdu toute crédibilité dans sa zone d’influence. Mais en prenant la tête d’une coalition de huit pays arabes (Emirats arabes unis, Qatar, Bahreïn, Koweït, Égypte, Jordanie, Maroc, Soudan) plus le Pakistan, contre l’Iran, héritier de la « vraie légitimité » (celle de la descendance de Mahomet), le royaume qui abrite les lieux saints de l’Islam (La Mecque et Médine) court le pire des dangers. Un enlisement, une guerre longue, fratricide déstabilisant toute la région.

Arrêt sur image.

Depuis décembre 2010, début du « printemps arabe » en Tunisie, jamais cette région n’a été aussi divisée, fragmentée entre allégeances, tribus, confessions et ambitions. Après la chute de Moubarak en Egypte, celle de Kadhafi en Libye, puis l’éclatement de la guerre civile en Syrie (en quatre ans plus de 200.000 morts et deux millions de réfugiés), l’irruption de la machine Daech en Irak et en Syrie, avec des « affiliés » du Yémen à la Tunisie, a provoqué une recrudescence des affrontements religieux et une pulvérisation des frontières rendant illisible la carte de la région. Que cache, par exemple, l’opposition à Bachar al Assad, le dictateur syrien ? Des réformistes (le Conseil national syrien, dominé par les sunnites) ? Des groupes armés partiellement convertis au charme vénéneux du califat d’Abou Bakr al-Bagdadi ? La « Résistance islamique », branche armée du Hezbollah, mouvement chiite libanais renforcé par des combattants iraniens de même obédience ? Même casse-tête en Irak. À Tikrit, engagées aux côtés des forces menées par les États-Unis (combattants kurdes, armée régulière irakienne) contre les djihadistes, certaines milices chiites sous les ordres du général iranien Ghassem Soleiman, menacent de « cibler » des conseillers militaires américains. Qui chercheraient à leur « voler la victoire ». « Bataille dans la bataille », qu’on retrouve au Yémen. Les « conseillers » américains s’étant retirés (tout en continuant à assister l’aviation saoudienne), les rebelles houthistes bénéficient du soutien de l’Iran, mais le pays a été longtemps – et semble rester – l’un des terrains d’action d’Al Qaida.

Un maître d’oeuvre local

S’il est souvent difficile de repérer la main de Téhéran, celle de Riyad ou de l’Etat islamique qui n’utilisent pas toujours leurs propres forces mais choisissent un « maître d’œuvre » local pour appliquer leur stratégie, impossible, en revanche, d’ignorer une évidence : cette région du monde hyper inflammable peut s’embraser totalement à tout moment. Au petit jeu de la responsabilité, chacun peut se renvoyer la balle. Les pays arabes ? Ils ont beau jeu d’accuser la colonisation et les accords Sykes-Picot de 1916, « organisant » le démantèlement de l’empire Ottoman et le découpage du monde arabe selon des frontières totalement artificielles. Les occidentaux ? Ils soulignent l’incapacité des nations arabes à bâtir de vraies démocraties capables d’endiguer le terrorisme islamiste. Le vrai problème : comment sortir du tsunami qui bouleverse la géostratégie de la région?

Après les deux guerres d’Irak et l’échec des néoconservateurs américains à imposer par la force un nouvel ordre international, Obama voulait (discours du Caire en 2009) en finir avec le mythe du « choc des civilisations », dissiper la méfiance des musulmans vis à vis de l’Amérique et, la paix rétablie, concentrer son attention sur l’Asie (doctrine du « pivotal shift » vers le Pacifique).

Mais voilà, le gendarme de la région n’a tenu aucun de ses engagements. Ni vis à vis de l’Arabie saoudite (lâchée par les USA lors de la répression de la révolte populaire de Bahreïn), ni vis à vis de l’Égypte (abandon de Hosni Moubarak en 2011, soutien mitigé au président Al-Sissi), ni vis à vis de ses alliés européens (refus de bombardements ciblés en Syrie en septembre 2013, malgré l’utilisation d’armes chimiques contre sa population par Bachar Al-Assad). Alors, se poser aujourd’hui en médiateur, éviter une confrontation entre l’Arabie saoudite -sunnite – qu’elle n’a cessé de trahir et l’Iran -chiite – avec qui elle négocie une limitation cruciale de son programme nucléaire : mission impossible.

Sans alliés sur le terrain, sans ligne directrice claire, l’Amérique jongle avec trop d’enjeux : détruire l’Etat islamique, normaliser ses rapports avec l’Iran, ménager les théocraties du Golfe, mais également Israël, farouchement opposé comme Ryad à la rentrée de l’Iran sur la scène internationale. « Leading from behind », « diriger les choses de derrière » : c’est la nouvelle « real politik » des États-Unis. Dans l’affrontement chiites-sunnites, cette recette paraît simpliste pour l’Orient compliqué.

Jean-Gabriel Fredet

Par Jean-Gabriel Fredet

Pour en savoir plus : http://www.challenges.fr

Djihadisme : l’islam n’est ni le problème ni la solution. Il faut reparler d’humanisme

Muslim pilgrims pray around the holy Kaaba at the Grand Mosque, during the annual haj pilgrimage

 

De quoi l’islam est-il aujourd’hui le nom ? Cette question agite les médias et les intellectuels des pays occidentaux. Interprétés au gré des convictions, les versets du Coran sont devenus l’argument de toutes les causes. Alors, peut-on compter sur un « bon islam » pour sortir de cette crise sociale et politique ? Non, affirme l’écrivaine Chahla Chafiq.

A la recherche du profil type des jeunes djihadistes, les experts se heurtent à des contradictions et zigzaguent au gré de l’actualité.

 

« Les loups solitaires »

Avant que les meurtres du 7 janvier ne mettent en scène les frères Kouachi et Amedy Coulibaly, le départ de jeunes français vers la Syrie avait révélé les visages surprenants de djihadistes, des Maximes devenus des Abou Abdallah al-Faransi, nés dans des familles qui ne sont ni immigrées ni musulmanes.

Ce choc aurait pu être salvateur en nous invitant à une analyse complexe des enjeux que pose l’idéologisation de toute religion dans notre monde hanté par une crise non seulement économique et sociale, mais aussi culturelle et politique. Les débats de l’époque n’incitaient pourtant qu’à remplacer d’anciens clichés stéréotypés par de nouveaux.

On a vu les regards se focaliser sur de jeunes djihadistes issus de familles « athées » qui s’ »auto-radicalisent » sur internet, le caractère virtuel du processus servant à omettre, en termes d’explication, la complexité du monde réel. Dans le même temps, l’émergence de l’image des « loups solitaires » gommait l’existence de groupes islamistes organisés, leurs stratégies et leurs moyens d’action.

L’attentat du 7 janvier nous a, hélas, replongé au cœur de cette réalité, sans pour autant amener à une prise de conscience claire quant à la dimension idéologico-politique des phénomènes auxquels nous confronte le djihadisme.

L’islam est-il coupable ou innocent ?

En se centrant sur le rôle de l’islam, les débats n’ont pas tardé à s’orienter vers les sentiers battus de la confrontation entre les défenseurs de l’islam et ses contestataires qui énumèrent, à tour de rôle et à leur guise, des versets du Coran.

En filigrane de ces controverses, se profile le duel entre ceux qui exposent l’islam comme une menace pour les valeurs démocratiques françaises et ceux qui brandissent le danger de l’ »islamophobie », de ces valeurs.

Une interrogation hante les uns et les autres : l’islam est-il coupable ou innocent ?

Cette manière d’aborder la question nous conduit fatalement à une confrontation binaire, stérile et sans issue. Ne devrait-on pas lui préférer une approche complexe, capable d’élucider le rapport entre l’islam et l’islamisme, tout en mettant fin à leur confusion ?

La question de l’islam et des femmes, largement débattue dans les médias, nous y invite. « L’islam est misogyne », disent certains, alors que d’autres inventent un « islam féministe ». Les premiers n’auront aucun mal à trouver dans le Coran des versets affirmant l’infériorisation des femmes ; et leurs opposants en trouveront d’autres pour nuancer ces affirmations.

« La polygamie est autorisée par le Coran », ajoutent les premiers ; et les seconds de leur préciser qu’elle ne peut s’appliquer qu’à une condition : l’égalité entre les épouses ; une telle égalité étant humainement impossible, d’autres ripostent déjà que cette condition, et donc le Coran, plaide pour l’abolition de la polygamie.

 

Une famille patriarcale classique

Face aux versets cautionnant la suprématie des hommes, les défenseurs d’une interprétation féministe du Coran soulignent ainsi les versets qui plaident pour la prise en compte des besoins des femmes et de leurs droits. La discussion tourne vite en rond, car, aussi paradoxal que cela puisse paraître, ces deux positions sont bel et bien présentes dans le Coran et, loin d’être contradictoires, constituent une vision cohérente de l’équité – et non de l’égalité – dans laquelle les droits différenciés des hommes et des femmes correspondent à des devoirs différenciés.

Aux femmes, le devoir de se soumettre aux hommes ; aux hommes, le devoir d’assurer les besoins des femmes et de toute la famille.

Pour les islamistes, ce schéma est d’ailleurs le comble de l’honneur et de l’amour à l’égard des femmes. La Loi islamique, la charia, donne corps à cette équité en dessinant une famille patriarcale dont les valeurs ne diffèrent guère des lois juives et chrétiennes. En effet, toute religion, dès lors qu’elle est institutionnalisée comme source de loi, au prétexte de l’intérêt supérieur de la famille, cautionne la hiérarchisation des sexes et la suprématie de l’homme (du père, du mari, du frère, du fils), au nom de l’ordre sacré.

Ce dernier se combine parfaitement à l’ordre politique autoritaire (du roi, du chef, du sage…) et s’y épanouit au nom de l’intérêt de la communauté. Or, cet intérêt est intrinsèquement en contradiction avec le projet démocratique basé sur l’égalité et la liberté des individus-citoyens.

C’est pourquoi l’imposition de la charia entre en contradiction avec toute volonté émancipatrice.

 

Une idéologie qui prône un ordre totalitaire

Les débats passionnés sur l’islam et les droits des femmes, sans cesse relancés depuis fin du 19e siècle, témoignent des tensions sociopolitiques et culturelles qui traversent le monde dit musulman où les avancées en termes de modernisation se produisent en l’absence de démocratie. Ainsi, l’accès des femmes à la scolarisation, au travail rémunéré et à l’espace public n’y va pas de pair avec la reconnaissance de leur autonomie, de leur liberté et de l’égalité des droits.

Ces droits sont refusés à la société tout entière pour préserver l’identité dite islamique de ces pays. Au nom de l’unité de l’oumma, on cautionne l’ordre autoritaire, on le renforce. Si les dictatures utilisent la religion pour se maintenir, l’islamisme va plus loin dans l’instrumentalisation de la religion : il en fait une idéologie qui prône un ordre totalitaire.

Dans l’instauration de l’ordre sacré, une voie dont il promet qu’elle sera faite de justice et d’équité, l’islamisme rejette en effet l’autonomie démocratique assimilée à une source de perversion et de corruption.

 

Instrumentalisation de l’identité religieuse

Que l’on soit dans la Tunisie post-révolutionnaire au cœur d’une bataille pour la démocratie, ou en France, au moment du vote des droits égalitaires pour les homosexuels, les islamistes, de toutes tendances, instrumentalisent l’identité religieuse en mobilisant la peur et les fantasmes quant au délitement de la famille, au désordre sexuel, au chaos moral. Ils attirent ainsi, dans leur camp, des hommes et des femmes que leur offre identitaire sécurise, tout comme le font les tenants des autres mouvements néoconservateurs fondés sur l’exacerbation des identités nationales, ethniques et religieuses (notamment chrétiennes et juives).

L’essor de l’islamisme, où qu’il ait lieu, renseigne surtout et avant tout sur l’état des rapports de force sociopolitiques autour de la démocratie et des failles qui menacent ses avancées. Une des manières de fermer les yeux sur ces failles consiste à chercher dans le « bon islam » une voie de sortie du djihadisme. Or, cette perspective du « tout religieux » croise les visées des islamistes et les nourrit.

Et si, au contraire, nous arrêtions de voir la religion à la fois comme l’unique source des problèmes et en même temps sa solution ? Et si nous cessions de jouer en faveur de tous les mouvements identitaires, extrémistes et anti-démocratiques ? Et si nous acceptions de nous confronter au vide politique creusé par le recul des repères humanistes et laïques ? Et si nous nous attaquions, vraiment, au développement multiforme des replis sexistes, racistes et antisémites ?

 

Par Chahla Chafiq

Écrivaine, sociologue

Pour en savoir plus : http://leplus.nouvelobs.com

Youssef Chiheb : La France a du mal à accepter la diversité culturelle pour cause d’égalité républicaine et de refus du communautarisme

La France est confrontée à ce que les sociologues appellent la transition identitaire.

YoussefChiheb

 

Youssef Chiheb est  professeur à l’Université Paris Nord XIII,
directeur du master ingénierie de  développement et expert en développement
territorial auprès  du Programme des Nations unies pour  le développement (PNUD). Il a publié « Le Manifeste de  l’indépendance du Maroc : Hommes,  destin, mémoire».
Il est aussi  l’auteur de «L’Atlas géopolitique du Maroc» et de «Islam, judaïsme et l’érosion du temps».
Dans son dernier livre, Youssef Chiheb raconte son parcours.
Entretien.

 

Youssef Chiheb : La France a du mal à accepter la diversité culturelle  pour cause d’égalité républicaine et de refus du communautarisme
Libé : Pourquoi ce livre en ce moment ?
Youssef Chiheb : Comme vous le savez, j’ai écrit plusieurs articles dans la presse traitant de la question de l’identité. Un sujet qui s’impose dans le débat, tant au Maroc qu’en France. Depuis quelques années, la société d’accueil est confrontée à un grand défi sociétal à travers des questions cruciales : quelle place pour les Français issus de l’immigration ? Quelle place pour la diversité culturelle ? Quelle équation pour l’islam et la laïcité ? Quelle relation au pays d’origine ? En toile de fond, quel pacte politique et social pour vivre ensemble ici ou là-bas ?
La mondialisation, le désastre du Printemps arabe, la montée du jihadisme radical au cœur de l’Europe, la banalisation de l’islamophobie… autant de bombes à retardement qui couvent sous les pieds des démocraties, sans oublier les attentats barbares perpétrés à Paris au nom d’une idéologie fasciste véhiculée par  l’islam radical, le jihad et le fanatisme dont l’épicentre se trouve en Syrie, en Irak et au Yémen. Une idéologie qui s’est transplantée au cœur des quartiers difficiles où un apartheid social, ethnique et territorial est profondément ancré. Dixit le Premier ministre Emmanuel Valls.
Pourquoi es-tu venu en France, papa ? Avez-vous trouvé une réponse convaincante pour votre fille ?
Nous sommes tous les deux, ma fille et moi, citoyens français, mais chacun s’inscrit dans un contexte particulier et est le fruit d’une trajectoire singulière. Dans mon précédent livre « Manifeste de l’indépendance du Maroc », j’ai rappelé, au sens biographique du terme, cette relation tragique que ma famille n’a cessé d’entretenir avec la France… Mes trois oncles, le premier mort en 1943 sur le champ de bataille pour libérer la France de l’Allemagne nazie, le deuxième grièvement blessé en Indochine en 1956, et le troisième abattu par la police française, en 1953 à Casablanca au Maroc, pour avoir brandi  le portrait de Sidi Mohamed Ben Youssef, suite à sa déposition et à sa déportation.
Une deuxième génération, dont je fais partie, est venue en France pour poursuivre des études universitaires et décrocher les diplômes les plus prestigieux (agrégation, doctorat d’Etat, doctorat d’Université), aujourd’hui soluble dans l’élite française et insérée socialement et visible culturellement en France. Cependant, elle a fait le choix douloureux d’y rester, car trop marquée par les années de plomb, par les brûlures de l’Histoire et par la déchirure identitaire.
Une troisième génération que représente ma fille, née française, de parents français et n’ayant que très peu de liens avec le pays de ses ancêtres. Elle est le fruit de ce long parcours dramatique qu’est l’immigration et son corolaire l’assimilation.
J’ai essayé de lui transmettre, autant que possible, un héritage, une mémoire, un patrimoine dont j’ai du mal à garder intacts et à les préserver de l’oubli et de l’extinction. C’est là tout  le défi auquel sont et seront confrontés les Marocains du monde et leurs descendances. Comment résister au rouleau compresseur de la rupture et au spectre de la pensée diasporique ? Ma fille n’aura d’armes que mes écrits et mes livres pour se protéger de la pensée unique et de la négation de l’Histoire, la sienne en l’occurrence.
Après le dernier attentat en France, est-ce que l’avenir des enfants franco-musulmans  est compromis ?
Au-delà de l’indignation, du traumatisme et de la réaction, c’est le temps de la réflexion et la nécessité de répondre aux questions de fond. Pourquoi est-on arrivé à ces extrémités ? Les enfants auxquels vous faites allusion sont des Français certes… mais sont-ils des Français à part entière ou des Français entièrement à part ? Quelle responsabilité de l’Etat, des élus de la République, des intellectuels dans ce repli identitaire, dans cette fracture sociale et dans cette islamophobie larvée qui se banalise dans le discours politique ? Quelle responsabilité des Etats du Maghreb et du Golfe dans l’instrumentalisation politique de la communauté musulmane de France ? Quelle responsabilité des parents dans la dérive de cette jeunesse victime d’un islam radical venu d’ailleurs ? Quelle est la part de responsabilité  de la communauté musulmane qui se laisse instrumentaliser par les organisations associatives salafistes, par les imams autoproclamés ou/et par un salafisme sociétal  du Moyen Age?… Autant de questions dont les réponses seront déterminantes pour l’avenir de ces enfants auxquels vous faites allusion.
Est-ce que la situation ne sera plus comme avant ?
C’est très difficile de répondre à cette question. Il est possible que l’onde de choc de cet attentat ait pu fissurer les grandes fondations de la devise républicaine «Liberté, Egalité, Fraternité».
Est-ce la liberté est d’offenser ce qui est de plus sacré ?
Est-ce la liberté est de stigmatiser la pensée de l’autre et de lui imposer la pensée unique ? Est-ce que la liberté est d’être Charlie ?
Est-ce l’égalité est de rappeler systématiquement aux Français, issus de l’immigration, qu’ils sont Français d’origine ?
Est-ce l’égalité est de confiner les déshérités, par des politiques de peuplement, dans des ghettos vétustes et peuplés entièrement par une mosaïque multiethnique ?
Est-ce l’égalité est de confiner les citoyens et les enfants de la République dans des périmètres institutionnalisés, portant officiellement des noms anxiogènes  de zones et non de territoires de la République : ZUS, ZEP, ZSP ?
Est-ce l’égalité est l’absence d’ascenseur social, frein à la mixité sociale et  maintien de l’entre soi ? Est-ce l’égalité est l’indifférence face aux formes les plus dangereuses du communautarisme ? Est-ce l’égalité est de laisser le Front national faire des étrangers le bouc émissaire d’une France  en déclin économique et sociétal depuis plus d’un quart de siècle ?
Mon livre ne prétend pas apporter la réponse à toutes ces interrogations. Il tente seulement, à travers ma trajectoire, mon enfance, ma jeunesse et ma réussite sociale, de donner à ma fille, et à d’autres, les éléments de réflexion et d’analyse sur ce que le choc des cultures et l’affrontement des idéologies peuvent provoquer comme dégâts et de déconstruction de la civilisation humaine. En définitive, chacun de nous doit sortir de la posture de victime et croire que l’Homme est capable d’orienter son destin aussi bien vers le bien que vers le pire.
Mon Livre « Pourquoi es-tu venu en France, papa ? Tu veux dire pourquoi j’ai quitté le Maroc »  résume ce destin tragique de l’immigration. «Venir en France, c’est aller vers le futur, quitter le pays d’origine, c’est tourner le dos à un passé qui nous hante ». La tragédie se trouve entre ces deux verbes : Quitter quoi et venir vers qui ? Telle est la déchirure vécue par ceux qui viennent d’ailleurs pour s’installer  ici. De ceux qu’ils croient à des valeurs et ceux qui les refusent obstinément.
Le Prophète n’a pas besoin de vengeurs. Son étendard est entaché de sang, d’abord par ceux qui prétendent le défendre. Qu’il repose en paix car il doit être triste, là où il est, de voir son œuvre de paix pervertie par les fanatiques des temps modernes de tous bords.
Si les musulmans de France et d’Europe ne se prennent pas en charge pour éradiquer ce fléau, leur avenir en Europe serait plus que sombre, et peuvent les conduire à la persécution, à la déportation, (dixit Eric Zemmour), voire à la solution finale comme ce fut le cas en Bosnie (épuration ethnique) ou comme il y a soixante dix ans aux camps d’extermination nazis.
Les principales victimes de l’islamisme radical sont en majorité des musulmans tués par d’autres musulmans. Depuis le déclenchement du maudit Printemps arabe et la multiplication des guerres confessionnelles en Afrique que mène Boko Haram, on déplore plus de 400.000 victimes et plus de quatre millions de déplacés. Qu’Allah, dans sa Miséricorde, nous vienne en aide !
Mon livre est un cri d’alarme, un testament pour les générations futures et une thérapie pour les milliers de déracinés, venus trouver refuge, fortune ou paix et lover leurs souffrances, faute d’avoir trouvé leur vocation et bonheur, là où ils sont nés.
La question de l’identité est posée ainsi que la relation à la culture du pays d’origine pour ces nouvelles générations : Est-ce que le système français, basé sur l’assimilation, tient compte de la société multiculturelle comme d’autre pays dans le monde ?
La France est confrontée à ce que les sociologues appellent la transition identitaire. Depuis le début de l’immigration durant le 19ème siècle, les migrants venaient de l’espace européen. Un espace culturellement et ethniquement « homogène ». L’inclusion des immigrés s’est, alors, effectuée en deux temps : d’abord une intégration économique, dans une France économiquement forte et en reconstruction. Est venue dans un deuxième temps une assimilation anthropologique, allant jusqu’à la négation de l’identité d’origine.
Pour l’immigration en provenance du Sud, elle a gardé, depuis son origine, les séquelles du contentieux colonial, du clivage culturel, qui sous-tend la différence spirituelle. La France  avait et aura du mal à accepter cette diversité culturelle au nom du refus du communautarisme et de l’égalité républicaine. Cela, par opposition au modèle anglo-saxon qui prévaut aux Etats-Unis et en Angleterre.
Mais en réalité, la France développe un discours ambigu vis-à-vis de la diversité culturelle. Quand la France a gagné la Coupe du monde, le « blanc, black, beur » était affiché, adulé et assumé… En revanche, quand l’islam et la culture arabo-africaine veulent exister et être visibles, la France s’enferme sur elle-même et dénonce l’intrusion des cultures et /ou religions étrangères à sa tradition judéo- chrétienne, européenne et gaullienne. Tel est le fond du problème et telle est la ligne de fracture du logiciel républicain.
Pour en savoir plus : http://www.libe.ma/

Diversité : mélange explosif ou modèle vertueux ?

Epices

Les adversaires des sociétés multiculturelles ont de quoi se réjouir. Dans de nombreuses parties du monde, au Moyen-Orient (Syrie, Irak), en Afrique (Libye, Mali, Nigeria), en Asie, des guerres civiles font rage, opposant bouddhistes et musulmans, chiites et sunnites, arabes et noirs, chrétiens et musulmans, musulmans et juifs.

La France, on le voit bien aujourd’hui, n’est pas épargnée par une violence à base ethnique et religieuse. Depuis quelques jours, lieux de culte juifs et musulmans sont sous protection policière. Les réseaux sociaux bruissent d’anathèmes entre communautés. Des personnalités telles que Thilo Sarrazin en Allemagne, David Cameron en Grande-Bretagne, sans parler de nombreux politiciens français, proclament l’échec du multiculturalisme. La seule solution pour eux: un modèle d’intégration laïc gommant toute manifestation publique de différence, et notamment de religion.

L’exemple de trois pays d’Asie du Sud-Est permet pourtant de battre cette idée en brèche. En Birmanie, en Malaisie et à Singapour, les Britanniques avaient suscité des mouvements migratoires et la constitution de sociétés « plurielles » afin de nourrir le développement économique de leur empire. Lors de leur indépendance, ces territoires s’étaient donc retrouvés peuplés par des ethnies majoritaires (Bamar au Myanmar, Bumiputra en Malaisie, Chinois à Singapour) mais également des ethnies/religions minoritaires, avec des affrontements violents, culminant dans les années 1960.

Le Myanmar va réprimer, parfois de façon sanglante, les minorités présentes sur son sol, et notamment la minorité musulmane et les ethnies Kachins et Karens, tenues pour responsables de tous les maux. La plupart des descendants d’immigrés indiens et chinois sont expulsés. Les dictateurs combattent la diversité physiquement.

La Malaisie adopte une politique plus ouverte. Les Chinois peuvent continuer à posséder des entreprises. Pour autant, se met en place, dans la foulée des émeutes du 13 mai 1969 (dans laquelle plusieurs centaines de Chinois sont tués), une constitution dans laquelle est gravée dans le marbre la « préférence ethnique » en faveur des Bumiputras, groupe majoritaire dominé du temps de la colonisation. 80% des postes de fonctionnaires leur sont réservés. Des quotas similaires existent dans l’enseignement supérieur, ce qui provoque une émigration de Chinois et d’Indiens, partant faire leurs études à l’étranger.

Singapour prend une troisième voie. Davantage encore qu’en Malaisie, des investissements massifs sont réalisés dans l’éducation, et le pays parie sur la libre entreprise. Mais plutôt que de prendre acte de la domination de l’ethnie majoritaire (les Chinois à 75%), les dirigeants singapouriens mettent en place une politique volontariste imposant la coexistence entre les différentes ethnies, quartier par quartier, immeuble par immeuble. La diversité est célébrée en tant que telle lors d’une journée dédiée, le Harmony Day. Les autres jours de congés nationaux sont ceux des différentes religions en présence (bouddhiste, musulmane, chrétienne). Les enfants sont éduqués dans le plurilinguisme.

Une très grande attention est donnée à l’intégration, avec un soutien systématique des élèves en difficulté (cours particuliers gratuits pour les jeunes enfants qui peinent à apprendre et à lire). Toutes les filières d’enseignement sont également dotées et valorisées. Une construction patiente et systématique d’une identité commune, sans laissés pour compte.

L’exemple de ces trois pays illustre la latitude dont bénéficient les gouvernements pour réprimer les différences, les contenir en les laissant subsister, ou pour en faire un avantage concurrentiel.

Singapour, qui célèbre la diversité et l’éducation, occupe la troisième place dans le classement des pays selon le pouvoir d’achat par habitant du Fonds monétaire international, la Malaisie qui l’encadre par une politique de préférence ethnique est, elle, à la 59ème place. Le Myanmar, qui a longtemps tenté de réprimer dans le sang sa propre diversité, se traîne au bas du tableau à la 161ème place.

La France ne peut plus se contenter de subir la diversité de sa population. Le choix est devant nous. Vivre dans le chaos, exclure les minorités, ou transformer cette diversité en atout.

Pour en savoir plus :  http://www.huffingtonpost.fr

« Le Prophète Mohammed demande de ne pas prendre les armes »

« Tout est pardonné ». La une de Charlie Hebdo, après l’attentat qui a décimé la rédaction du magazine le 7 janvier 2015, présente le Prophète Mohammed dans une posture de miséricorde. Cette attitude correspond-t-elle aux paroles et actes de Mohammed, que les djihadistes, comme les détracteurs de l’islam, présentent comme un prophète guerrier ? Éric Geoffroy, islamologue à l’université de Strasbourg, nous explique la véritable signification du djihad, très loin de la « guerre sainte » prônée par les fanatiques d’aujourd’hui.

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© Stephane Mahe / Reuters

Cette semaine, la une de Charlie Hebdo met en scène le Prophète Mohammed tenant une pancarte où il est inscrit « Tout est pardonné ». Cela va-t-il dans le sens des paroles et actes du Prophète ?

Beaucoup de paroles et d’agissements du Prophète vont dans le sens de la compassion, de la miséricorde et du pardon. Le Prophète lui-même disait : « Je suis une pure miséricorde offerte aux mondes. » Dans les hadiths, les paroles du Prophète, il est dit que toutes les créatures sont la famille de Dieu. On trouve cette compassion chez tous les prophètes, mais chez Mohammed en particulier. Les terroristes n’avaient pas à venger le Prophète, car il n’était pas dans la vengeance. Un hadith convient tout à fait aux évènements actuels : « Lorsqu’il y a des troubles ou une guerre civile, la personne assise sera en meilleure posture que celui qui sera debout. De même, celle qui marche sera en meilleure posture que celle qui s’empresse. Brisez donc vos arcs, arrachez-en les cordes et frappez le tranchant de vos épées contre un rocher. Et si un agresseur pénètre dans votre demeure, comportez-vous comme le meilleur des fils d’Adam (Abel). » Le Prophète demande donc de ne pas prendre les armes.
De même, la lapidation pour adultère n’est pas une loi islamique. Aux premiers temps de l’islam, la sharia n’existait pas. Les nouveaux musulmans s’inspiraient de la loi de Moïse. Quand certains individus venaient dénoncer un couple adultère au Prophète, celui-ci faisait tout pour ne pas écouter ce genre de témoignages. Il se détournait. Dans toute la vie du Prophète, il y a une insistance sur cette compassion universelle.

Pourquoi cite-t-on souvent le « verset du sabre » – « À l’expiration des mois sacrés, tuez les polythéistes où que vous les trouviez. Saisissez-vous d’eux, assiégez- les… » (s9.v5) – pour évoquer un Prophète « guerrier » ?

On ne peut pas citer les textes révélés sans préciser leur contexte. Cela vaut aussi pour la Bible ou encore la Bhagavad-Gita des hindous. On ne peut pas se saisir des textes sacrés sans la médiation de gens autorisés. En islam, l’accès aux textes sacrés était médiatisé par les oulémas, des théologiens qui connaissaient le contexte. Maintenant, avec Internet, on peut dire n’importe quoi en toute ignorance. Le verset en question sort d’un contexte particulier. Persécutés, le Prophète et ses compagnons avaient dû fuir à Médine. Les musulmans avaient signé une trêve avec les polythéistes de La Mecque. Mais ceux-ci ont trahi le pacte. Le Prophète attendait une révélation pour pouvoir se défendre militairement. Il a attendu 14 ans, depuis le début de la persécution à La Mecque. Ce verset arrive pour dire « Stop », pour demander aux musulmans de se défendre contre les agressions à répétition des Mecquois. D’ailleurs, on ne peut pas lire le verset 9.5 sans le suivant, le 9.6 : « Et si un de ces polythéistes demande ta protection, accorde-la lui afin qu’il écoute la parole de Dieu. Puis fais-le reconduire en lieu sûr. » Cela prouve qu’il ne faut jamais lire un verset hors contexte.

Remettre les choses dans leur contexte, est-ce aussi valable pour les juifs Banû Qurayza tués en 627 ?

Cette tribu juive, alliée aux musulmans de Médine contre les Mecquois, s’était retournée contre les musulmans lors de la bataille du Fossé (Khandaq). À la suite de quoi, les musulmans les ont assiégés et ont eu raison de leur forteresse. L’entrée en islam leur fut proposée, en vain. Afin que leur jugement soit le plus indulgent possible, le Prophète en chargea un grand ami de cette tribu juive, Sa’d ibn Mu’adh, un membre de la tribu arabe médinoise des Aws. Celui-ci fit exécuter les hommes de la tribu pour haute trahison. Le Prophète approuva cette décision. Le jugement de Sa‘d s’inscrivait en fait dans la droite ligne de la loi juive. Dans le cas d’une cité assiégée, il est dit en Deutéronome 20 : 12 : « Et lorsque le Seigneur ton Dieu l’aura livré entre tes mains, tu feras passer tous les mâles au fil de l’épée ; mais les femmes, les enfants, le bétail et tout ce qui se trouvera dans la ville, ainsi que tout son butin, tu le prendras pour toi. »
La trahison a toujours été punie de la peine de mort, dans toutes les lois de la guerre. Or, la clémence que pratiquait le Prophète jusqu’alors avait toujours joué en sa défaveur : la sauvegarde des prisonniers, à l’issue de la bataille de Badr notamment, avait failli être fatale aux musulmans lors des batailles suivantes. Cette fois, le message fut entendu, et une telle situation ne se présenta plus de son vivant.

D’où vient le concept de djihad ? Et plus précisément, dans quel contexte s’applique le djihad mineur, le djihad militaire ?

Le Prophète distingue « djihad majeur » et «djihad mineur ». Le « djihad majeur » consiste à lutter contre son ego, ses passions et ses illusions, en Dieu. Le terme arabe signifie « effort sur soi ». Le djihad doit répandre le bien. Le Prophète dit par exemple à ce propos : « Ôte un caillou du chemin pour ne pas que ça ne nuise pas aux autres. » Quant au djihad mineur, militaire, il n’est autorisé qu’en cas de légitime défense. Ainsi lors des Croisades. Quand les chrétiens prirent Jérusalem en 1099, ils tuèrent les juifs et musulmans qui y vivaient. Lorsque Saladin reprît la ville en 1187, il épargna tout le monde, croisés compris. Il s’est aussi appliqué pendant l’occupation coloniale. Lorsque l’Europe a pris les terres aux Algériens, selon les lois, le djihad pouvait être déclaré. Mais c’est tout. Le djihad ne peut consister à répandre l’islam par l’épée.

Dans ce contexte post-colonial, les djihadistes d’aujourd’hui peuvent-ils interpréter à leur manière le verset : « quiconque tuerait une personne non coupable d’un meurtre ou d’une corruption sur la terre, c’est comme s’il avait tué tous les hommes » (s5.v32). Considèrent-ils que les Occidentaux ont corrompu leurs terres et méritent donc la mort ?

Ces gens-là savent très bien communiquer. Quand ils ont effacé avec des bulldozers l’ancienne ligne de démarcation entre la Syrie et l’Irak, datant des accords Sykes-Picot de 1916, ils ont affirmé effacer le mal que l’Occident avait fait. Même revendication quand ils ont tué Hervé Gourdel en Algérie. Ils nous renvoient notre miroir : les croisades, le colonialisme, la Guerre d’Algérie, les Guerres du Golfe, la création d’Israël, le conflit israëlo-palestinien….. Ils sont dans le ressentiment vis-à- vis de l’Occident. Cela nourrit des rancoeurs au Proche-Orient. Mais les premières victimes des djihadistes sont les musulmans eux-mêmes, que ce soit au Yémen, en Irak, en Syrie, en Afghanistan. Il y a des milliers de morts. Notamment dans le conflit chiites-sunnites, qui a été attisé par les Américains en Irak. Daech joue clairement la carte antichiite. Et certains musulmans tombent dans le panneau.

Par quels référents les djihadistes s’autorisent-ils des pratiques aussi barbares que l’esclavage sexuel des femmes yézidies ?

En islam, il n’y a pas de magistère suprême. La source d’autorité est plurielle. Les fanatiques peuvent lancer une fatwa, en se référant à un avis juridique antérieur. Dans ce cas précis, ils peuvent affirmer qu’en cas de guerre, une femme qui s’offre aux combattants est récompensée. Mais, alors que l’islam prône l’équilibre, ces gens-là sont d’emblée dans l’extrémisme. Plusieurs autorités islamiques ont condamné ces actes, comme le fait de tuer des juifs et des chrétiens, actes totalement contraires à l’islam. Il ne faut pas entrer dans leur jeu. Ne pas développer de ressentiment antimusulman.

Si cela va à l’encontre des valeurs de l’islam, pourquoi ces djihadistes recherchent-ils la guerre à tout prix?

Cette logique jusqu’au-boutiste est animée par un nihilisme messianique. Ils ne sont pas les seuls. Beaucoup de musulmans, de juifs et chrétiens born-again américains, dont l’ex-président des États-Unis George W. Bush, y croient : il faut précipiter le chaos pour susciter la venue du Mahdi, du sauveur qui va préparer le retour de Jésus sur terre. Pour l’islam, Jésus n’est pas mort et va revenir à la fin des temps pour apporter le règne de la paix. Les djihadistes veulent précipiter le conflit en créant une guerre entre l’Occident et le monde musulman. Ils cherchent à attiser les haines, pour provoquer un choc des civilisations qui n’existe pas. C’est un choc des ignorances. Ces ignorances puisent leurs sources dans un malaise civilisationnel. Les gens qui commettent ces actes, comme les frères Kouachi, sont endoctrinés, mais n’ont pas de connaissance réelle de l’islam. Ils développent une culture du ressentiment envers l’Occident, la mondialisation, etc.. et ils cherchent une identité.

Que faut-il faire pour enrayer le phénomène des départs au djihad ?

Il faut créer des centres français de formation à l’islam. Ne pas laisser les gens partir se former en Arabie ou au Pakistan. La France n’a pas pris en compte le renouveau du religieux en général, de l’islam en particulier. Il y a une dizaine d’années, l’État français n’a fait aboutir aucune demande de création d’institut universitaire de formation à l’islam. Alors que le président Chirac y était favorable. La France doit réformer son rapport au religieux et au spirituel. Il faut prendre en compte le besoin de spiritualité. Beaucoup de gens, musulmans ou non, me confient qu’ils étouffent en France, car l’État nie le religieux et la spiritualité. Qu’elle soit islamique, chrétienne, juive ou autre, la spiritualité est à même de dépasser le champ horizontal du conflit. Elle apporte de la sagesse et du recul face aux évènements. Il faut bien sûr faire des lois antiterroristes. Mais il faut avant tout nourrir l’âme humaine, lui donner un sens.

Propos recueillis par Matthieu Stricot – publié le 16/01/2015

Pour en savoir plus : http://www.lemondedesreligions.fr

Islam is love

« Islam is love » : 8 reportages pour comprendre l’islam

 

8 vidéos pour montrer la complexité du monde musulman et de mettre en avant les aspects peu médiatisés (et pacifiques !) de l’islam.

 

[Replay 28′] La Tribune publie chaque jour des extraits issus de l’émission « 28 minutes », diffusée sur Arte. Aujourd’hui, « islam is love » !

 

Novembre 2014. Nous sommes à la rédaction de 28′, en pleine préparation d’une nouvelle émission consacrée à l’État islamique et au chaos qu’il fait régner en Irak et en Syrie. Dans notre recherche d’images pour illustrer l’émission du soir, une vidéo de propagande de Daesh fait tilt. On y voit des pelleteuses, puis des barbus détruire une mosquée. L’image des engins qui s’acharnent sur un dôme ne nous fait pas grand chose. En revanche, en voyant ces hommes pénétrer un lieu sacré et défoncer un autel à coup de pied, de bottes, les bras nous en tombent…

Attendez un peu ! Ces hommes qui prétendent vouloir instaurer un califat musulman, qui donc agissent au nom d’une religion, l’islam, sont en train de détruire une mosquée ?

Mais alors… De quoi parlent-ils ? Quel croyant détruit son lieu de culte ? On a tous déjà entendus parler des iconoclastes qui détruisaient les icônes chrétiennes au Moyen-Âge byzantin, mais l’État islamique, à nos yeux, va plus loin. Il anéantit ce qu’il défend. Et nous, médias, parlons de ces intégristes comme des représentants de l’islam. Il n’en est rien. Ctte question donc : c’est quoi l’islam ? Le vrai islam ?

Nous sommes partis rencontrer des religieux, des artistes, des chercheurs, des journalistes pour qu’ils nous parlent de leur religion (ou pas). Ils nous ont emmenés à Cordoue, en Indonésie, en Algérie, en Iran, à Médine. Ils nous ont parlés de tolérance, de paix, de spiritualité, de poésie, de sexe. Nous voulions qu’ils nous montrent le revers caché de la médaille… Et devinez ! Sur cette face, une inscription : islam is love !

 

Il était une fois Cordoue…

24 septembre 2014. L’assassinat d’Hervé Gourdel par des djihadistes dans les montagnes kabyles réveille chez les Algériens les vieux démons de la « décennie noire ».

17 septembre 2014. Une semaine avant ce meurtre, le ministre des Affaires religieuses algérien, Mohammed Aïssa, avait appelé, dans un grand entretien à « El Watan », à « retrouver une pratique modérée de l’islam ». Nommé le 5 mai 2014, il veut « dépoussiérer [leur] islam ancestral ». Car « chaque fois qu’il y a eu égarement, cela a donné lieu à l’extrémisme », constate-il.

Cet entretien devient dès lors un appel inédit qui résonne dans la société algérienne. Pourtant, Mohammed Aïssa se défend d’avoir un discours nouveau ou de rupture. Au contraire, il en appelle à un islam historique : il veut « réconcilier les Algériens avec l’islam authentique ».

« Nous avons oublié que nous appartenons à une civilisation qui a jailli de Cordoue (…). L’Algérie avait accueilli ceux qui ont été harcelés par l’inquisition en Espagne et qui sont venus avec leurs arts, leur savoir-faire, leur réflexion et leur philosophie. C’est ça l’Algérie qui a été contrainte à oublier ses jalons et ses repères. Comment faire en sorte de renouer avec l’islam de Cordoue ? » continue-t-il.

« L’islam de Cordoue ». L’expression a retenu notre attention.

La civilisation dont il parle est celle qui a émané du califat de Cordoue, en Andalousie. Fondé en 929, le califat connaît son apogée vers les années 960 avant de s’effondrer en 1031. Quelques décennies qui restent une période historique à part. Une période où, dans le sud de l’Espagne actuelle, cohabitent pacifiquement musulmans, chrétiens et juifs dans un saisissant foisonnement intellectuel, culturel et artistique. C’est l’époque du philosophe musulman Averroès et du philosophe juif Maïmonide… Cette civilisation, c’est au sein d’un califat qu’elle s’est épanouie.

C’est donc à l’islam de cette époque que Mohammed Aïssa veut que l’Algérie revienne…

Mais qu’est-ce que c’est que cet islam ? Un islam modéré et tolérant ? Une parenthèse close dans l’histoire des musulmans ? Un mythe ? Un idéal ? Une réalité ?

Pour en savoir plus, nous avons posé la question au journaliste et écrivain algérien Kamel Daoud, au calligraphe Hafid El Mehdaoui, au cheikh Bentounès et à l’artiste plasticien Rachid Koraïchi.

 

 

 

Femmes : deuxième sexe, premier islam

Il y a quelques semaines, nous avons reçu sur le plateau Mehran Tamadon, réalisateur téméraire qui s’est entretenu tout un week-end avec des mollahs iraniens. Sur la question du rapport homme-femme, leur point de vue est flippant : « l’homme est faible et la femme un virus. » Merci messieurs. Cette fois encore, nous nous sommes demandés si le revers de la médaille islamique ne pourrait pas nous apporter quelques surprises, du moins un peu de mesure… Pourquoi le monde masculin musulman a-t-il peur du deuxième sexe ?

Éléments de réponse avec Amira Yahyaoui, blogueuse tunisienne, Chahla Chafiq, sociologue iranienne, Elisabeth Inandiak, journaliste installée en Indonésie et le Cheikh Bentounès.

 

 

Le calligraphe

Hafid El Mehdaoui a quitté l’Algérie avec sa famille en 1994 alors que la « décennie noire » faisait rage. Jeune adolescent, il rejette l’islam qu’il avait connu alors : un islam violent et radical.

Parallèlement, Hafid maintient en vie les liens avec sa culture d’origine par la calligraphie. Enfant, elle ornait les murs de sa maison. Peu à peu, il s’y est intéressé, s’y est essayé. Et il y a découvert la spiritualité musulmane : un message pacifique et prônant l’amour.

Son parcours et son art nous ont intéressé.

 

L’Indonésie diverse mais unie

« Moi Jokowi, appartient à l’islam rahmatan lil alamin, l’islam porteur de paix et non de haine. »

Saviez-vous que Barack Obama avait un frère caché en Indonésie ? Air de ressemblance et air de changement qui flotte sur l’Indonésie depuis l’élection de Joko Widodo, le 22 juillet 2014.

« Je n’appartiens pas à cet islam arrogant qui dégaine son épée de ses mains et de sa bouche ».

Qu’on se le dise : l’islam n’est pas incompatible avec la démocratie ! Et c’est le plus grand pays musulman du monde qui nous le montre. Elisabeth D. Inandiak et Le cheikh Bentounès nous y emmènent.

 

 

Le monde des soufis

Une fois nos recherches lancées, un mot a vite émergé : « Soufisme ». Difficile de mêler amour et islam sans parler de soufisme.

Pas facile non plus de définir ce qu’est le soufisme. Ce serait à la fois « le coeur de l’islam », son essence, une « pratique spirituelle intérieure » et en même temps une philosophie bien plus ancienne, une lumière qui nous viendrait de la nuit des temps…

Pour résumer, un islam transmis de génération en génération depuis Mahomet jusqu’à nous, grâce à des confréries et à leurs guides, les cheikhs. Ou des cheikha d’ailleurs ! Une des plus importantes confréries soufies de Turquie (où la culture soufie est très présente) est dirigée depuis des années par une femme, la cheikha Nur.

Le soufi centre sa vie autour d’une pratique intérieure de l’islam et de la recherche de la vérité. Une vérité propre à chacun et universelle en même temps… Bref, le soufi respire.

 

 

L’islam en vers

Nous vous proposons une interlude poétique avant de retourner dans le vif du sujet.

Laissez-vous porter par la voix d’Abd Al Malik qui rappe l’amour, puis découvrez quelques vers du grand poète soufi Rumi, lu par Rachid Koraïchi. Poète d’aujourd’hui et poète historique pour des paroles intemporelles.

 

 

C’est quoi le djihad ?

Abd Al Malik et le cheikh Bentounès nous proposent leur définition du djihad… Et pas besoin d’aller en Syrie.

 

 

 

Let’s talk about sex !

Et le sexe dans tout ça ? Alors que le prêtre doit montrer son amour pour Dieu par sa chasteté, l’imam peut, quant à lui, profiter pleinement de sa vie sexuelle.

Malek Chebel, anthropologue des religions, a beaucoup travaillé sur l’érotisme dans l’islam et dans le monde arabe. « L’islam est la religion de toutes les gourmandises », nous a-t-il dit. Première nouvelle ! Forcément, on a voulu en savoir plus….

 

Pour en savoir plus : http://www.latribune.fr