Quelques jours après la fusillade dans laquelle neuf Noirs ont été abattus par un jeune suprématiste blanc en Caroline du Sud, Barack Obama a évoqué sans mâcher ses mots l’ombre de la ségrégation qui pèse toujours sur la société américaine, n’hésitant pas à utiliser le mot tabou, «Nigger» (nègre).
«Nous ne sommes pas guéris du racisme»: quelques jours après la fusillade dans laquelle neuf paroissiens noirs et leur pasteur ont été abattus par un jeune suprématiste blanc à Charleston (Caroline du Sud), Barack Obama a choisil’émission de radio «WTF with Marc Maron» , lundi matin, pour évoquer «l’ombre» de la ségrégation qui pèse sur la société américaine. Et le président américain n’a pas mâché ses mots, expliquant que l’absence d’un langage raciste ne signifie pas qu’il n’y a plus de racisme, utilisant à dessein le mot «Nigger» (nègre) pour marquer les esprits : «Ce n’est pas seulement la question de ne pas dire ‘nègre’ en public parce que c’est impoli, ce n’est pas à cela que l’on mesure si le racisme existe toujours ou pas», a expliqué le premier président noir des États-Unis.
«Les sociétés n’effacent pas complètement, du jour au lendemain, ce qui s’est passé deux ou trois cents ans plus tôt», a poursuivi Obama. «L’héritage de l’esclavage, des (lois de ségrégation raciale instaurées en 1876) Jim Crow, de la discrimination dans presque tous les compartiments de nos vies, cela a un impact durable et cela fait toujours partie de notre ADN», a-t-il ajouté, estimant toutefois que les relations raciales «se sont sensiblement améliorées»: «Je dis toujours, aux jeunes en particulier, ne dîtes pas que rien n’a changé sur les races aux Etats-Unis, à moins que vous ayez vécu en tant qu’homm noir dans les années 1950 ou 1960 ou 1970. Il est indéniable que les relations raciales se sont améliorées de manière significative au cours de ma vie et la vôtre.»
Déclaration «audacieuse» pour les uns, «indigne» de son statut de président pour les autres… L’utilisation du terme «Nigger» a très vite fait les gros titres des sites d’informations et des émissions de télévision, la plupart se refusant à écrire le mot tant controversé en toutes lettres, lui préférant l’expression «N-word»… voire le remplaçant par un bip,comme la chaîne conservatrice Fox News.
Voyons les chiffres. Le Liban et ses 6 millions d’habitants accueillent aujourd’hui plus d’un million deux cent mille réfugiés, essentiellement syriens. La Jordanie, 8 millions d’habitants, en accueille plus de 600 000. La Turquie, 77 millions d’habitants, en a déjà plus d’un million huit cent mille sur son territoire.
L’Union européenne compte, elle, 500 millions d’habitants et se considère en état de siège et menacée des pires maux car 100 000 réfugiés ont atteint ses côtes, dix-huit fois moins qu’en Turquie.
Alors que dire ?
Force est, d’abord, de constater que des pays de tradition chrétienne semblent avoir totalement oublié ce que sont la charité et la compassion, alors que des pays musulmans, et infiniment moins riches, font preuve de ces vertus. C’est là qu’il y a de quoi s’inquiéter sur notre identité car ces visages d’enfants hagards et de parents désespérés ont beau s’afficher en première page de nos journaux, le pape a beau s’époumoner à rappeler l’Europe – non pas l’Union européenne mais chacun de nous, les Européens – au devoir d’humanité, nous détournons nos regards, bouchons nos oreilles et fermons nos cœurs.
Oui, dira-t-on, mais la compassion ne peut pas commander la politique, exercice de réalisme qui a ses exigences propres, si dures soient-elles. Oui, c’est vrai, mais alors, parlons politique.
La France se rend-elle compte que son capital international, l’atout maître qui fait d’elle une nation singulière aux yeux du monde et lui procure, puisqu’il faut être réaliste, tant d’avantages économiques, est d’être la patrie des droits de l’homme, de la liberté, de l’égalité, de la fraternité ? Si tant des plus éduqués de ces réfugiés fuyant égorgeurs et dictateurs rêvent de la France, c’est parce qu’elle a cette image, cet atout essentiel que nous sommes en train de gaspiller et bientôt perdre en ayant été les premiers à refuser la répartition des réfugiés entre les 28 que la Commission européenne avait tant raison de proposer.
Oui, oui dira-t-on, mais plus de générosité ferait le jeu du Front national en France et, partout ailleurs en Europe, des formations de ce type. Ah, oui ?
Eh bien non, au contraire, car c’est en adoptant l’attitude de ces partis et collant à eux qu’on laisse croire que ces réfugiés constitueraient un danger contre lequel il faudrait se prémunir et qu’on donne ainsi raison aux nouvelles extrêmes-droites.
Et puis enfin, soyons réalistes – soyons ne serait-ce qu’un peu politiques – qui sont ces réfugiés si ce n’est nos alliés ? Que dénonce leur fuite si ce n’est la barbarie de ces jihadistes que nous avons raison de craindre et de combattre ?
Ils sont nos alliés, et nous les rejetons. Nous les rejetons et permettons par-là aux jihadistes de moquer les démocrates arabes et leurs prétendus amis des démocraties européennes. Nous nous tirons, autrement dit, dans le pied parce que nous avons peur de malheureux dont toute l’ambition est d’échapper à la mort. Vous, je ne sais pas mais, moi, tant de stupidité me fait honte.
Le fondateur de ce groupe de réflexion estime que pour faire avancer l’égalité professionnelle, il est indispensable d’impliquer les hommes.
« Présentéisme », vie de famille, loisirs, performance, égalité hommes/femmes. Autant de thèmes qui sont explorés par les « Happy Men », un réseau d’hommes, qui s’implique en priorité dans l’égalité professionnelle, mais aussi dans le changement des pratiques au sein des entreprises.
Le chef d’enterprise Antoine Gabrielli a fondé ce groupe de réflexion en partant du principe qu' »un système qui pénalise les femmes ne rend pas les hommes heureux pour autant ». Aujourd’hui, des entreprises comme Orange, EDF, la Caisse des Dépôts ou BNP Paribas onr rejoint l’initiative, lancée il y a deux ans.
En ce mercredi de juin à l’heure du déjeuner, une douzaine de cadres de BNP Paribas, trentenaires, quadra et quinquagénaires, se sont réunis dans un immeuble parisien du groupe bancaire, comme tous les deux mois. Ils viennent de diverses branches (banque d’investissement, salles de marchés, ressources humaines…), plusieurs ont des épouses ayant également des postes à responsabilités.
L’un des membres fondateurs du cercle, François, qui a « 5 sœurs et 4 filles », fait pour les nouveaux une brève introduction, évoquant les chiffres « confondants » de l’égalité professionnelle. Il incite les participants à « essaimer » pour créer de nouveaux cercles de discussions.
Sur son compte Twitter personnel (@POTUS), Barack Obama se présente « d’abord comme +père, mari+, et seulement après +44e président des Etats-Unis+ », souligne-t-il avant de lancer la discussion.
Pendant une bonne heure, les participants vont se livrer, parler d’égalité hommes/femmes, du poids des stéréotypes, et surtout de leur souci de mieux concilier leurs vies professionnelle et personnelle.
Arnaud, qui a trois enfants dont « un bébé avec des soucis de santé », est intéressé par « tout se qui peut être mis en place pour garder sa performance au travail, que l’on soit homme ou femme, tout en vivant la parentalité. Et la parentalité ça n’est pas seulement les jeunes enfants, c’est aussi les ados, les parents plus âgés… »
Jean-Charles est rentré en janvier d’un congé sabbatique d’un an, passé en Asie avec sa famille. « Je me suis rapproché de ma femme, de ma fille de 11 ans que je n’avais pas vu grandir. » Il assure que ni lui ni son épouse n’ont eu de problème à leur retour au travail. « On a su valoriser notre expérience ».
Thierry a rejoint le cercle il y a six mois. Ses trois enfants ont de 18 à 24 ans, mais quand ils étaient petits, « ce n’était pas évident d’arriver le matin à 9H30 après les avoir amenés à l’école ». Aujourd’hui, les mentalités commencent à changer, mais « on en est aux prémices ».
Baptiste, jeune « corso-sicilien », avait une mère au foyer et se dit bien conscient des contraintes et frustrations de son épouse, qui travaille. « Un jour sur deux, c’est moi qui amène notre fille à la crèche, le lendemain je vais la chercher ».
Plusieurs soulignent qu’une évolution des pratiques bénéficierait également à celles et ceux qui n’ont pas d’enfants, dans leur vie personnelle, associative, culturelle… « J’ai aussi envie de faire du sport après le boulot, voire des expos, des amis », souligne l’un.
« Nous pouvons travailler sur les préjugés, lutter contre le présentéisme. En partant tôt, nous montrons l’exemple », estime François. Il ne s’agit pas de travailler moins, mais différemment: « Je dis à mes équipes qui sont encore là à 21H00: +Vous avez mal bossé aujourd’hui+ ».
Dans le prolongement de ces réunions, les membres doivent prendre des engagements personnels ou concrets (parler avec une collègue de ses conditions de travail, limiter les réunions de travail le soir…).
Antoine de Gabrielli, 54 ans, fondateur de l’association Mercredi-c-Papa, souhaite attirer dans le réseau Happy Men, qui compte aujourd’hui 250 hommes et en prévoit « le double l’an prochain », « tous ceux qui ont un levier de pouvoir sur le changement ».
Ce membre de la commission égalité professionnelle du Medef est persuadé que « si on veut que ça bouge plus vite, il faut associer les hommes ».
Selon une enquête rendue publique mardi 21 avril, près d’un manager sur quatre est confronté régulièrement au sujet de la religion au travail.
Demandes d’absence pour une fête, port de signes religieux, refus de s’adresser ou de serrer la main à une femme, pause dédiée à la prière: en un an, la question de la religion s’est ancrée au travail. C’est la conclusion de l’étude réalisée par l’Institut Ranstad et l’Observatoire du fait religieux (OFRE) auprès de 1 000 salariés dont la plupart exercent des fonction de cadre.
Selon une enquête de l’institut Randstad et de l’Observatoire du Fait Religieux en Entreprise (OFRE), menée pour la troisième année, 23% des managers déclarent rencontrer régulièrement, c’est-à-dire de façon quotidienne, hebdomadaire ou mensuelle, le fait religieux dans l’entreprise. Ils n’étaient que 12% dans ce cas en 2014. Selon les auteurs de l’enquête, ce résultat peut traduire une « banalisation » de ces sujets, les salariés hésitant moins à faire des demandes à leur hiérarchie en lien avec leurs croyances ou pratiques religieuses.
Un manager sur deux confronté au fait religieux
Au global, un manager sur deux a déjà été confronté au moins une fois à la question. Les sujets les plus fréquents sont les demandes d’absence pour une fête religieuse (19%), le port de signes religieux (croix, kippa, foulard, turban…) rencontré par 17% des personnes interrogées et les demandes d’aménagement d’horaire (12%). Plus rarement les prières pendant les pauses ou pendant le temps de travail, le refus de travailler avec une femme, ou le prosélytisme.
Dans l’ensemble, le contexte reste apaisé, notent les auteurs de l’étude, puisque 94% des cas rencontrés n’entraînent ni conflit ni blocage. Les raisons qui rendent certains cas plus difficiles à gérer sont d’abord les menaces d’accusation de racisme ou de discrimination et la remise en cause de la légitimité de l’entreprise et/ou du manager à contraindre la pratique religieuse.
Un sujet « compliqué à gérer »
Interrogée sur cette enquête, la numéro un du syndicat des cadres CFE-CGC, Carole Couvert, a reconnu mardi 21 avril que le sujet pouvait être compliqué à gérer pour les managers. « Oui, tout le monde n’est pas à l’aise avec le fait religieux. Tout le monde ne connaît pas l’ensemble des religions, ni les us et coutumes qui sont liés à chaque religion », a dit Mme Couvert sur Radio classique.
Elle a souligné ne pas avoir eu vent d’une hausse des « problèmes de faits religieux« , mais plutôt des difficultés des managers à « comprendre les besoins par rapport à certaines religions, par exemple le respect de certains temps de prière, de certaines périodes de l’année comme le ramadan ». « Tous les managers n’ont pas été formés à cela dans les cursus scolaires, donc ils se retrouvent démunis face à ce type de comportement ou ce type de demande et il vaut mieux en discuter (…) pour trouver ensemble un modus vivendi », a-t-elle souligné.
Elle a relevé qu’« un certain nombre de groupes n’ont pas hésité à avoir une négociation sur le sujet avec les partenaires sociaux et éditer par exemple un petit fascicule pour les managers, je pense par exemple au groupe Casino, et du coup ça démystifie complètement la problématique ». Ce type d’outils, a-t-elle insisté, « permet, y compris à un nouveau manager d’avoir un guide de survie par rapport aux différentes religions pour ne pas commettre de boulettes ». L’enquête est basée sur un questionnaire en ligne rempli entre février et mars par 1.296 salariés, exerçant pour l’essentiel (93%) des fonctions d’encadrement.
Ce que dit la loi
Dans le domaine privé le principe de laïcité ne s’applique pas. Un employeur ne peut pas interdire à un salarié d’exprimer ses convictions religieuses. Cependant, il a le droit de de poser des restrictions précises si la pratique religieuse est incompatible avec le travail exercé, la sécurité ou la bonne marche de l’entreprise. Un employeur n’est donc pas tenu d’accorder des jours d’absence pour des fêtes religieuses? Il peut également interdire certaines tenues (présence de machines dangereuses, ou représentation de l’entreprise à l’extérieur)
Dans le service public, la laïcité, c’est à dire l’obligation légale de neutralité vis-à-vis des religions, s’applique aux représentants de l’Etat ainsi qu’aux employés de structures privées ou d’associations qui agissent pour son compte.Les agents doivent respecter le principe de laicité, censé garantir leur neutralité à l’égard de tous les citoyens. Ces employés n’ont donc par le droit de porter dans le cadre de leurs fonctions des signes ostentatoires d’apprenance religieuse (kippa, voile islamique..). Il en va de même dans les collèges et lycées publics.
Dans l’espace publique, la règle diffère. Le liberté de culte permet d’arborer des signes religieux dans la rue, dans les transports en commun ainsi que sur les bancs des universités. Le voile intégral est en revanche prohibé, au motif qu’il dissimule le visage et l’identité de la personne qui le porte. Les manifestations religieuses sur la voie publique doivent faire l’objet d’une demande d’autorisation à la préfecture, sauf s’il s’agit de traditions locales répétées tous les ans ( par exemple les processions catholiques du 15 août).
Encore très peu nombreux, ces établissements ont le vent en poupe. Ils rassurent une communauté en quête d’affirmation identitaire mais aussi de bons résultats scolaires. L’Etat doit-il les prendre dans son giron pour mieux les contrôler ?
Ouvert depuis 2009, le collège-lycée Ibn-Khaldoun, à Marseille, espère passer sous contrat à la rentrée. Ici, une classe de cinquième. France Keyser/Myop pour L’Express
Le silence règne dans la vaste salle ripolinée de blanc où l’odeur de peinture est encore prégnante. Les étagères parsemées de livres aux couvertures plastifiées sont prêtes à accueillir les ouvrages que le documentaliste déballe des cartons. « Ça commence à bien se remplir », se réjouit-il à voix basse, pour ne pas déranger la jeune fille qui révise ses leçons dans un coin de la salle.
« Ce qui marche le mieux, ce sont les mangas et la science-fiction. Mais nous avons aussi des livres sur l’islam et des contes en arabe d’un niveau accessible. » A l’heure du déjeuner, dans cet établissement privé musulman des quartiers nord de Marseille, les élèves se précipitent pour emprunter ou dévorer sur place les livres mis à leur disposition.
Embauché à mi-temps en septembre, le responsable du centre de documentation et d’information (CDI) constitue petit à petit une bibliothèque où se côtoient littératures contemporaine et classique. « Je ne m’interdis rien, même si certains parents ont été un peu choqués par L’Attrape-coeurs ou L’Herbe bleue. »
Orchestrée dans l’urgence, en deux mois, pendant l’été 2014, la création du CDI a été exigée par le rectorat, dans la foulée de son inspection. Supprimer l’issue de secours de la mosquée donnant sur le réfectoire, installer un point d’eau dans le laboratoire, réunir le conseil d’établissement trois fois par an et réorganiser l’emploi du temps en plaçant les cours optionnels – éducation musulmane – en début ou fin de journée…
Mohsen Ngazou, le directeur d’Ibn-Khaldoun, a appliqué ces recommandations à la lettre. Ces jours-ci, il attend avec fébrilité le verdict du ministère. Il espère décrocher enfin le fameux contrat. Une reconnaissance du travail accompli depuis 2009 et une bouffée d’oxygène pour le compte en banque d’Ibn-Khaldoun, dont une partie des professeurs seraient, dès lors, payés par l’Etat. Les pieds dans la glaise, il arpente avec enthousiasme le chantier inachevé de l’établissement et rêve aux futurs bâtiments, qui pourraient accueillir, à terme, près de 500 élèves.
7600 institutions catholiques et 250 écoles juives
S’il obtient le contrat d’association, Ibn-Khaldoun sera le quatrième établissement musulman de France à bénéficier du soutien de l’Etat. Un score sans comparaison avec les 7600 institutions catholiques et les 250 écoles juives. Pour être placé « sous contrat », un établissement doit se prévaloir d’une ancienneté de cinq ans et être jugé conforme par le rectorat. Il existerait actuellement en France une petite quarantaine d’écoles musulmanes et une cinquantaine en projet, dont une dizaine ouvriront dans deux ou trois ans.
A l’oeuvre depuis une dizaine d’années pour sortir l’enseignement musulman de la marginalité, l’Union des organisations islamiques de France (UOIF) passe aujourd’hui à la vitesse supérieure. Création de la Fédération nationale de l’enseignement privé musulman (Fnem), lancement de formations, organisation, le 23 mai, des premières assises.
« Nous souhaitons mutualiser nos expériences et accompagner les initiateurs de projets pour faciliter leurs démarches », expose Makhlouf Mamèche, qui cumule la présidence de la Fnem avec ses responsabilités de viceprésident de l’UOIF et de directeur adjoint du lycée Averroès (Nord). Pour Amar Lasfar, président de l’UOIF, après la focalisation sur la construction des mosquées, « l’ère de l’école est venue ». Plusieurs cadres de l’UOIF se trouvent aujourd’hui à la tête d’écoles musulmanes.
La tentation du privé
Au cours des deux dernières années, de nombreuses initiatives locales ont fleuri, à Carpentras, Nanterre, Toulouse, Halluin, Argenteuil, Nice ou Toulon, encouragées par une communauté inquiète et soucieuse de donner le meilleur à ses enfants. « Longtemps, les musulmans ont préféré fréquenter l’école publique, pour être dans la République. Les imams eux-mêmes les y encourageaient, analyse Bernard Godard, spécialiste de l’islam et auteur de La Question musulmane en France (1). Aujourd’hui, les aspirations de la classe moyenne ont évolué. »
La loi du 15 mars 2004 sur le port de signes manifestant ostensiblement une appartenance religieuse, puis la défiance générale à l’égard de l’école ont gonflé les départs des enfants de la communauté musulmane vers le privé. A Marseille, dans certains établissements catholiques, ils représenteraient 50% des effectifs. La demande d’ouverture d’écoles confessionnelles se fait plus pressante. Les polémiques sur l' »ABCD de l’égalité », l’an dernier, et les surenchères récentes du FN et de Nicolas Sarkozy sur la laïcité ou les « repas de substitution » font monter la tension d’un cran.
A Nanterre, l’association Orientation, qui ouvrira à la rentrée la première école musulmane des Hauts-de-Seine, a reçu 50 demandes d’inscription pour 20 places disponibles. A Grenoble, à la Plume, l’une des premières écoles élémentaires privées de confession musulmane, apparue en France il y a quatorze ans, la directrice a refusé 60 dossiers pour la rentrée de 2015. A Averroès, le célèbre établissement lillois, classé meilleur lycée de France en 2013 avec 100% de réussite au bac, les inscriptions sont closes depuis décembre.
Dans son bureau donnant sur le parking du RER, entre deux vrombissements de train, Mahmoud Awad, président du collège-lycée Education et savoir, situé à Vitry-sur-Seine (Val-de-Marne) et créé en 2008, se confie. Lui aussi attend avec impatience, pour ces jours-ci, la réponse du rectorat à sa demande de passage sous contrat. Surtout pour soulager la situation financière ultratendue de l’association.
« Une équipe d’inspecteurs de l’Education nationale a passé deux jours chez nous l’an dernier et elle est revenue cette année. Comme demandé, nous avons loué une salle supplémentaire pour le réfectoire, afin d’y faire déjeuner nos 117 élèves », rapporte, dans un soupir, cet ingénieur, délégué régional de l’UOIF, en désignant le tableau de financement de l’établissement affiché sur le mur.
Leurs cartes maîtresses : élitisme et excellence
Visage ouvert et attitude bon enfant, les élèves de seconde de ce lycée, réquisitionnés par la direction pour répondre à nos questions, expriment leur satisfaction. Sonia (2), 17 ans, se destine aux études de médecine : « J’aurais pu aller chez les cathos. Mais ici, à 13 par classe, on apprend vraiment bien. En prime, on peut faire nos prières. » Sidi (2) fréquente Education et savoir depuis la classe de sixième et supporte une heure de trajet pour venir jusqu’à Vitry : « Plusieurs amis m’en avaient parlé. J’ai essayé et je n’ai plus voulu changer. Les profs nous encouragent beaucoup. Et ils nous apportent une aide individuelle. On peut même leur envoyer des e-mails. »
Amelle Bekri enseigne le français à Vitry depuis deux ans à raison de dix-sept heures par semaine. Cette jeune femme, qui porte le voile, suit scrupuleusement le programme de l’Education nationale. « Les enfants bénéficient d’un soutien scolaire en maths et en français, précise-t-elle. Les résultats sont excellents. Bon nombre de nos anciens élèves sont aujourd’hui dans des grandes écoles. »
Comme Ibn-Khaldoun ou Education et savoir, les établissements désireux de passer au plus vite sous contrat évitent de trop mettre en avant les salles de prière à la disposition des élèves ou les cours d’éthique musulmane. Lesquels, généralement optionnels, sont cependant la plupart du temps suivis avec assiduité. Vis-à-vis de l’Etat comme des parents, ces écoles brandissent une carte maîtresse : élitisme et excellence. Mais… la recette ne fonctionne pas si facilement.
A Décines, dans la banlieue lyonnaise, le groupe scolaire Al Kindi, devenu le plus grand établissement musulman de France, a longuement bataillé avec le rectorat, il y a quelques années, lorsque celui-ci s’est opposé à trois reprises à son ouverture, invoquant des raisons d’hygiène et de sécurité. Perçue comme une croisade anti-islam, l’opposition du recteur de l’époque, Alain Morvan, avait mobilisé la communauté musulmane. Si la médiatisation du conflit a finalement levé les obstacles, Al Kindi n’a toujours pas obtenu la possibilité de passer toutes ses classes sous contrat.
A Montigny-le-Bretonneux, dans les Yvelines, Slimane Bousanna peine, lui aussi, à décrocher le contrat d’association. « Je comprends que l’émergence de ces écoles puisse crisper. Mais, contrairement à d’autres, nous ne sommes pas l’émanation d’une mosquée. De plus, nous avons fait revenir sur les bancs de l’école des enfants scola risés à la maison ! »
A Halluin (Nord), à la même adresse que la mosquée, un projet d’école élémentaire qui prévoit d’accueillir 110 élèves suscite l’inquiétude du maire, Gustave Dassonville (UMP). Pour l’heure, l’élu refuse de délivrer une autorisation d’ouverture, signalant l’absence de cour de récréation et de signa létique pour les sanitaires. Un prétexte ? « C’est un dossier complexe qui pourrait devenir explosif si l’on n’y prend pas garde », s’alarme-t-il. Lors des journées portes ouvertes, l’école aurait recueilli près de 90 inscriptions. « Mais la plupart ne viennent pas d’Halluin et 95% des habitants sont vent debout contre ce projet », assure le premier magistrat de la ville, qui craint, sans en avoir la preuve, un entrisme de l’islam radical.
L’origine des fonds suscite la méfiance
« Il existe une forme de suspicion à l’égard des établissements musulmans, constate l’ancien recteur Bernard Toulemonde. Mais ceux qui demandent à passer sous contrat ne sont pas tenus par des salafistes ! » « L’attitude de certaines écoles nous cause du tort », reconnaît le président de la Fnem, offusqué, par exemple, qu’à l’école primaire Hanned, à Argenteuil, les petites filles portent le foulard. « A Roubaix, à l’école Arc-en-ciel, ils ont refusé de nous recevoir car nous sommes des hommes », explique-t-il encore.
Autre sujet qui suscite la méfiance : l’origine des fonds. Officiellement, ils proviennent uniquement de collectes dans les mosquées ou de dons. Mais l’opacité due à l’anonymat – justifié au nom du Coran – ne permet pas de vérifier si les écoles ne sont pas en partie financées par des pays étrangers.
En cet après-midi ensoleillé d’avril, Mme S., professeur de français au collège Ibn-Khaldoun, a tiré les rideaux pour passer des diapositives. Après avoir travaillé dans un établissement privé de confession juive, cette jeune femme en jean enseigne ici depuis deux ans. Au programme de ce lundi, pour cette classe de seconde, l’étude des figures de style. Anaphore, litote, gradation, hyperbole… chacune est illustrée par une photo projetée sur le mur. Assis côte à côte, les jeunes filles (voilées ou pas) et les garçons tentent de trouver les définitions correspondantes.
La classe est calme, les élèves chuchotent pour communiquer entre eux. L’ambiance est studieuse. Lorsque apparaît, seins nus, le personnage principal du tableau d’Eugène Delacroix La Liberté guidant le peuple, la classe ne moufte pas. Ailleurs, l’image aurait immanquablement provoqué quelques ricanements, travers d’adolescents en pleine puberté. « La rigueur et la discipline sont les marques de fabrique d’Ibn-Khaldoun, relève Abdallah Tizeggaghin, père d’un garçon en classe de seconde. En plus d’assurer la scolarité, on y forme de bons citoyens qui connaîtront leur culture d’origine. Des enfants qui ne seront pas récupérés par des manipulateurs », assure-t-il.
L’accusation de communautarisme menace
Quête de sécurité ou repli identitaire ? Selon le chercheur Samir Amghar, coordonnateur d’une étude sur l’enseignement musulman (3), l’ambition de l’UOIF relève du prosélytisme : le mouvement souhaite « mettre en oeuvre les moyens en vue de faire perdurer l’identité religieuse dans les communautés immigrées musulmanes ». D’après cette enquête, l’objectif de ces écoles est aussi de former une élite susceptible de fournir des cadres à la communauté musulmane. D’où une sélection drastique fondée sur les résultats scolaires et le comportement.
La polémique qui, en début d’année, a ébranlé le lycée Averroès, mis en accusation par un professeur de philosophie stigmatisant des dérives antisémites de certains élèves, a souligné les lignes de faille d’un modèle encore fragile. « Il faut clarifier la place du religieux dans l’établissement », exigent les inspecteurs de l’Education nationale qui n’ont pas trouvé d’autres reproches à formuler à l’issue de leur mission effectuée en février. « Nous allons réactiver le conseil pédagogique, mettre en place plusieurs instances, comme une commission ‘Vie citoyenne’ et une cellule de veille », détaille le directeur d’Averroès, Hassan Oufker.
Le travail déjà entamé a permis de faire remonter des informations utiles : « Nous avons appris que certains professeurs félicitaient les élèves en arabe sur leur copie ou acceptaient de séparer les filles et les garçons lorsque ceux-ci en faisaient la demande. Or c’est totalement étranger à nos principes », assure-t-il, reconnaissant tout de même que la mixité n’est pas pratiquée lors des cours de gymnastique.
Faut-il donc encourager l’essor des écoles musulmanes ? Le cabinet de Najat Vallaud-Belkacem s’interroge. Passer un contrat avec les établissements est clairement la meilleure façon de contrôler leur fonctionnement. Mais l’accusation de communautarisme menace et n’épargne pas une ministre souvent attaquée sur ses origines par les extrémistes. A l’heure où la République peine à panser ses plaies de l’après-Charlie, le gouvernement marche sur une ligne de crête. D’autant que, au sein du PS, le sujet fait des vagues. Alors, tandis qu’ils attendent la décision du ministère concernant leur passage ou non sous contrat, les dirigeants des écoles musulmanes n’ont d’autre solution que de multiplier les collectes auprès des mosquées et des mystérieux bienfaiteurs anonymes.
De la gauche à la droite, l’embarras
« C’est la seule communauté qui ne soit pas représentée à sa juste valeur »: Samia Ghali, sénatrice socialiste des Bouches-du-Rhône, est à fond pour le développement des écoles privées musulmanes. « Plus on frustre les gens, plus on encourage la radicalité », avance-t-elle.
Au PS, le sujet est explosif. Les divergences sont apparues lors d’un communiqué de presse du secrétaire national à la laïcité et aux institutions, publié en février et prenant position en faveur du développement d’écoles musulmanes. Plusieurs membres de cette commission se sont aussitôt désolidarisés du secrétaire national : encourager ces écoles constituerait un coup de canif au principe de laïcité.
Lors d’un bureau national, le 21 avril, la question de l’enseignement confessionnel musulman a été soigneusement évitée afin de refermer le couvercle sur les dissensions. A l’UMP, en attendant la journée de réflexion consacrée à l’islam au mois de juin, on se tient à un silence prudent. Pas question, surtout, de rappeler cette phrase récente de Nicolas Sarkozy sur TF 1 : « Si vous voulez que vos enfants aient des habitudes alimentaires confessionnelles, allez dans un établissement privé. »
(1) La Question musulmane en France, par Bernard Godard (éd. Fayard).
(2) Les prénoms ont été modifiés pour préserver l’anonymat.
(3) « L’enseignement de l’islam dans les écoles coraniques, les institutions de formation islamique et les écoles privées », IISMM-EHESS, juillet 2010.
Le Québec a-t-il si peur de perdre son identité qu’il exige de ses immigrants une soumission immédiate, une allégeance rigoriste à ses valeurs? Faut-il que ses habitants manquent à ce point de confiance en leur Province pour renier les principes les plus élémentaires d’une démocratie occidentale (la tolérance, la raison et la mesure) ? La désormais célèbre affaire Diane Blain illustre ce malaise qui traverse la société québécoise depuis plusieurs années. Un malaise qu’il faut comprendre, mais aussi apaiser.
« Ton voile, il heurte mes valeurs »
Retour rapide sur les faits, tels qu’ils ont été rapportés par la principale intéressée sur la radio 98,5 dans l’émission Dutrizac. Diane Blain se rend à la clinique dentaire de Montréal pour y subir un soin. À son arrivée, elle est prise en charge par une étudiante de 3e année, comme c’est d’usage dans l’Université. Problème : ladite étudiante est voilée. « Est-ce que c’est toi qui vas me donner les soins? », lui demande alors Mme Blain. « Oui madame, mais nous serons deux », lui répond l’étudiante. Poliment, mais fermement, la patiente insiste: « Oui, mais toi, est-ce que tu vas me donner des soins? Écoute, je préfèrerais voir quelqu’un d’autre. Parce que toi, avec ton voile, je suis vraiment pas à l’aise. Ça brime mes valeurs d’égalité hommes-femmes.» Sans un mot, l’étudiante voilée tourne les talons et quitte la pièce. Deux de ses collègues la remplacent et commencent les examens. « Dont une musulmane non voilée qui était très gentille », s’empresse de préciser Mme Blain. Un Docteur débarque alors et demande des explications à la patiente quant à son attitude avec l’étudiante: « C’est contre mes valeurs, argumente-t-elle. Moi, jamais je n’affiche mes signes religieux ou politiques. Et je n’accepte pas d’être soignée par une femme qui porte ce voile symbole de soumission.» Face à sa position catégorique, l’hôpital n’aura d’autre solution que de la renvoyer chez elle sans lui prodiguer les soins demandés. À l’antenne, Mme Blain précise alors sa pensée: « Vous savez, moi je me suis battu toute ma vie pour les droits des femmes. J’ai 70 ans, mes valeurs sont profondément ancrées en moi. À 21 ans, moi j’étais mariée, j’avais un enfant et je n’avais pas le droit de signer un chèque, ou d’emprunter, ou d’avoir une auto à mon nom. Et là en 2015, on va me demander de régresser et d’accepter la soumission de la femme ? » Avant de conclure: « J’aurais du demander un accommodement raisonnable. (…) J’ai le droit d’avoir des soins par une personne que j’ai choisie. »
Soulevons le voile
Par quel bout prendre cette polémique? Attrapons d’abord ce bout de tissu qui pend et osons la question: de quoi le voile est-il le nom ? «De la soumission», répondent en chœur Mme Blain et ses soutiens. No pasaran, vade retro et tutti quanti, le refrain est connu. Sauf que faire cette réponse, c’est transformer un accessoire vestimentaire en barrière civilisationnelle.
Faire cette réponse, c’est donc indirectement donner raison aux intégristes musulmans, les laisser gagner sur le terrain du symbole. Autrement dit, faire cette réponse, c’est accepter ce choc des civilisations dans lequel les islamistes veulent nous entrainer. Or, le problème posé aux civilisations occidentales, ce n’est pas le voile, mais l’absolue liberté des femmes de le porter ou pas. Contrairement à ce que le marketing salafiste nous martèle, la femme voilée n’est pas nécessairement synonyme d’oppression masculine ou d’insultes aux valeurs occidentales. En tout cas pas plus que cette mère de famille qui fait la vaisselle et s’occupe des enfants pendant que son mari boit une bière devant la partie de hockey. Pas plus non plus que ces filles en mini-jupe, talons hauts et vêtements transparents qui ornent le bras de leurs chums à la sortie des boîtes de nuit. Pas plus enfin que ces strip-teaseuses qui paient leurs études en exhibant leurs corps aux touristes du Grand Prix. Le rôle de l’État, son devoir vis-à-vis de toutes ces femmes n’est pas de savoir si leurs accoutrements, leurs comportements ou leurs choix de vie contreviennent à une quelconque morale publique, mais de s’assurer qu’ils sont librement choisis et consentis.
Compte tenu de l’histoire du féminisme québécois, la question du voile est par définition sensible dans la Province.
La réaction épidermique et les justifications de Mme Blain sont à ce titre exemplaires. Mais faire du voile un champ de bataille, c’est se tromper de combat. Au même titre qu’une femme qui choisirait aujourd’hui de rester au foyer, de s’occuper des enfants et de faire le ménage ne serait pas nécessairement une héritière des grands-mères québécoises soumises à leur mari, une étudiante voilée n’est pas automatiquement un symptôme de la folie sanguinaire des salafistes de Daesh. Pour l’une comme pour l’autre, cela peut juste découler d’un choix personnel, d’une liberté qu’il revient à la société québécoise de garantir et de faire respecter. Mais ce choix, à partir du moment où il est fait en toute indépendance (on insiste), n’a pas à être soupçonné par principe. Le reste – les diktats sociétaux que ces femmes s’imposent à elles-mêmes, ce qu’elles renvoient comme symbole dans l’espace public, si elles se respectent ou pas – ça ne regarde personne. Une fois encore, on veut dicter aux femmes ce qu’elles doivent faire, la manière dont elles doivent s’habiller, la façon dont elles doivent se comporter. C’est ainsi qu’on les soumet, c’est ainsi qu’on régresse. En 2015, défendons les femmes de toutes nos forces, mais de grâce, laissons-les tranquilles.
Pompier pyromane
Le plus triste dans cette polémique, c’est que cette jeune fille voilée est justement un symbole d’intégration réussie. Le signe éclatant qu’on peut porter le hijab et travailler dans le domaine de la santé. Être musulmane pratiquante et soigner n’importe quel Québécois. Lorsque Mme Blain et d’autres réclament un accommodement raisonnable dans ce cas-ci, sous prétexte qu’une poignée d’obscurantistes musulmans exigent de leur côté que leur femme ne soit pas soignée par un homme, ils agissent en aveugles. Autrement dit en intégristes. Amalgamer cette étudiante voilée parfaitement intégrée avec ces extrémistes en butte avec les valeurs occidentales les plus élémentaires, c’est réduire à néant ses efforts, détruire le lent processus d’émancipation auquel elle participe. En un sens, c’est ce même amalgame larvé (femme voilée = terrorisme) qui est à l’oeuvre lorsque Mme Blain évoque cette autre étudiante «musulmane non voilée qui était très gentille». À moins que cette personne n’ait décliné sa confession de vive voix, comment Mme Blain a-t-elle deviné sa religion ? À quel signe ostentatoire l’a-t-elle identifiée ? On voit bien où se situe le problème : en rejetant une population entière au nom d’un voile porteur de tous les maux, en ostracisant de facto tout ce qui diffère de nous, en montrant aux intégrés qu’ils ne le seront jamais assez, on ne fait qu’aggraver la situation comme le ferait un pompier pyromane.
Dans cette histoire, on voit bien en filigrane que la question posée est celle des accommodements raisonnables. Pourquoi eux et pas nous? Pourquoi le musulman immigré peut-il réclamer un accommodement et pas moi le Québécois de souche? Il ne faut pas le nier: pour marginaux qu’ils soient, les rares cas de ces musulmans refusant tel ou tel praticien sous prétexte de dogmes religieux posent problème. On touche là à l’organisation même de la société, au lien social, à l’égalitarisme occidental le plus basique. Oui mais. Il faut dépasser ces cas-limites et revenir à la base: à quoi servent les accommodements raisonnables? Au-delà d’incarner le multiculturalisme canadien, au-delà du discours officiel à base de respect de toutes les communautés, ces dispositifs poursuivent en réalité le même but que toutes les politiques d’immigration: favoriser l’intégration d’une minorité à la majorité. L’idée-force cachée derrière consiste à pacifier l’espace public, à favoriser l’intégration d’une population allogène en faisant quelques concessions à la marge. Le pari en fin de compte c’est que cette relation pacifiée favorisera la transmission des valeurs de la culture d’accueil, donc conduira non pas à un renoncement, mais à une transformation progressive de la culture des arrivants. En terme religieux, on parlerait de sécularisation.
Pour le moment, si l’on s’en tient aux chiffres des pratiques religieuses, le pari paraît réussi du côté des musulmans (à peine 3% de la population québécoise, rappelons-le). De tous les groupes religieux au Québec, les musulmans immigrants semblent les moins nombreux en proportion à déclarer une forte religiosité et parmi les plus nombreux à déclarer une faible religiosité (voir graphiques ci-dessous ; indice calculé en fonction de l’assiduité dans les lieux de culte). Et même si la religion reste une part importante de leur identité (selon l’enquête d’Environics, 56% des musulmans canadiens se disent avant tout musulmans), le sentiment de fierté canadienne de cette population est dans la moyenne nationale (94%). Il n’y a qu’au Québec que ce sentiment de fierté canadienne est plus faible (89%), mais étant donné les velléités séparatistes de la province, on pourra aussi y voir un facteur supplémentaire d’intégration. Bref, on est loin des fantasmes véhiculés ici ou là. D’après la plupart des modèles prédictifs, les générations suivantes devraient même amplifier le mouvement actuellement à l’oeuvre. À moins que les attitudes ostracisantes et la vindicte médiatique ne viennent l’enrayer en créant une résurgence du sentiment identitaire.
Source: Étude du CDPDJ sur la ferveur religieuse (chiffres de 2007)
Keep calm and discutons
Revenons donc à la question initiale: s’il existe des accommodements raisonnables pour les immigrés les plus sourcilleux, pourquoi les plus inflexibles des Québécois n’en bénéficieraient pas? Tout simplement parce que ce serait un contre-sens. L’accommodement raisonnable n’est pas une faveur, ce n’est pas un privilège, c’est un lubrifiant dans les rouages de la société, un petit sacrifice au nom d’un idéal d’intégration beaucoup plus grand. Une manière, quelque part, d’affirmer haut et fort notre foi en la solidité du modèle occidental, en la suprématie de son pacte social : oui, on est capable de faire des concessions. Parce que notre société est forte. Parce que nous sommes sûrs de nous. Tout l’enjeu ici consiste à discerner ce qui est «raisonnable» de ce qui ne l’est pas, l’aménagement nécessaire du renoncement aux valeurs. C’est un art de la nuance, un arbitrage difficile qui peut conduire à des excès. C’est arrivé par le passé, alors gardons-nous en à l’avenir. En l’espèce, en quoi une Mme Blain n’est-elle pas intégrée à la société québécoise?
En quoi appartient-elle à une minorité nouvellement arrivée et vivant un choc culturel? En quoi, donc, sa demande d’accommodement paraît-elle « raisonnable »? En rien.
Ce débat est passionnant, essentiel en ce qu’il dit de l’état d’un Canada en profonde mutation, d’une société qui se transforme sous nos yeux. Parce que ce débat est l’un des garants du lien social, du vivre ensemble, il ne doit surtout pas être contourné. Mais qu’on soit multiculturaliste à la canadienne ou plutôt interculturaliste à la québécoise, n’oublions jamais que l’échange est la pièce maîtresse du système, et qu’il requiert des interactions répétées, un brassage entre les communautés pour fonctionner. C’est le pari de la laïcité ouverte. Pour déboucher sur quelque chose de constructif, il faut donc que ce débat soit mené par des interlocuteurs apaisés. Et raisonnables. Autrement, le Québec ne parviendra jamais à trouver de consensus sociétal, ce fragile équilibre démocratique qui a toujours été l’honneur des sociétés d’Amérique du Nord.
Dis-moi ton prénom, je te dirai si tu es musulman ! Le début du mois de mai est marqué par la polémique autour des révélations du maire de Béziers sur l’existence d’un fichier d’écoliers supposés musulmans tenu par sa municipalité. Une confession déterminée de l’aveu même du maire sur l’origine des prénoms. Mais qu’est-ce-qu’un prénom musulman au juste ?
Emilie et Michaël vivent paisiblement dans la petite commune d’Aytré, en périphérie de La Rochelle (Charente-Maritime). Heureux parents de deux fillettes prénommées Amira, 12 ans, et Selma 8 ans. Des prénoms arabes assumés pour ce couple d’athées. « Oui, mes filles ont des prénoms arabes ! Pour Amira, je sais que cela veut dire « princesse » mais j’ai été attirée aussi par la double signification en hébreu qui veut dire « le discours » », nous raconte la maman de 40 ans.La traductrice d’allemand se rappelle avec fascination de ses cours d’histoire des traductions et de son admiration pour la littérature arabe. « Cette culture est tellement riche, on lui doit tant que j’ai certainement gardé en moi ce goût pour les mots arabes », dit-elle. Pour leur deuxième fille, le couple récidive, elle s’appellera Selma. « Là encore, j’assume mon attirance pour les mots arabes ! Mais ce prénom m’a particulièrement plu car il existe aussi dans la culture germanique sous le prénom Salma », précise la germanophile. Et d’ajouter que si elle avait eu un garçon, le prénom Ibrahim faisait partie de sa short liste.« Je suis d’origine espagnole, mon père est né au Maroc donc j’ai une attirance pour le monde arabe de par mes origines. Mais je n’ai aucun lien avec la religion musulmane », raconte de son côté Michaël, moniteur éducateur de 40 ans. « Nous avons choisi ces prénoms avant tout car on les trouvait beaux et qu’ils évoquaient plein de belles choses dans notre imaginaire. On espère que nos filles seront toujours fières de les porter », poursuit le mari d’Emilie.
Ses enfants seraient musulmans à Béziers
En découvrant la polémique du fichier de noms d’écoliers supposés musulmans à la mairie de Béziers, le couple est loin de s’imaginer que, si Amira et Selma étaient scolarisées dans cette commune, elles auraient peut-être fait partie de cette liste. Dans sa commune, Emilie n’a jamais eu aucune réflexion déplacée à déplorer sur les prénoms arabes de ses filles et leurs supposés appartenance à l’islam.« Heureusement chez nous, nous sommes encore assez épargnés par ces idées racistes. Nous sommes dans une vraie ville de gauche, où les gens sont très ouverts. Mais malheureusement je crains que les langues se délient, et que les paroles racistes se libèrent de plus en plus en France », s’inquiète Michaël.
Des évidences… sauf pour le maire de Béziers
« Les prénoms disent les confessions. Dire l’inverse, c’est nier l’évidence », avait assuré Robert Ménard à l’émission « Mots croisés » de France 2, lundi 4 mai. Vraiment ? « Je suis hallucinée car, en tant qu’ancien représentant de RSF, Robert Menard a fait le tour du monde, il devrait être très ouvert ! », lance Émilie. Comme le maire, élu avec le soutien du Front National et des identitaires, beaucoup font la confusion entre Arabes et musulmans. Or, l’évidence est de répéter que tous les musulmans ne sont pas Arabes, que tous les Arabes ne sont pas musulmans. Sur les réseaux sociaux, les internautes s’en donnent à cœur joie et jouent à faire deviner leur religion en fonction de leur prénom.Aujourd’hui, des prénoms à connotation arabes comme Nadia, Sarah, Jasmine pour les amoureux d’Aladin ou Shéhérazade pour ceux des Mille et une nuits sont devenus courants dans la société française. Même l’ex-miss France 2010 a tenu à en témoigner sur Twitter. Malika Menard explique que son prénom est simplement l’héritage « des années passées au Maroc par mes grands-parents ». L’occasion de préciser que son homonymie avec le maire de Béziers n’est qu’un pur hasard.
Les parents musulmans, eux, conscients de la stigmatisation dont pourraient être victimes leurs progénitures, optent de plus en plus pour des prénoms reconnus dans plusieurs cultures et phonétiquement facile à prononcer comme Inès, Lina, Sofia pour les filles, ou Adam, Rayan, Noam pour les garçons. Une volonté de « protéger » leurs enfants mais pas seulement. Ces parents sont Français et pétris d’autres cultures, d’autres influences que celles dont sont originaires leurs parents, voir leurs grands-parents.
Robert Ménard fait aussi la grave abstraction de ces Français sans origine extra-européenne qui se sont convertis à l’islam, sans forcément choisir des prénoms arabes à leurs enfants. N’en déplaise à Monsieur le maire, la société française dans son ensemble est intrinsèquement métissée. Il est impossible, heureusement, de classifier des populations sur la simple base d’un prénom… Dire le contraire est la marque d’une ignorance honteusement affichée sous la bannière, pour le cas Ménard et consorts, de l’islamophobie.
Khalid Lahraoui, directeur du capital humain, diversités et engagements citoyens d’Accenture France Benelux – Shutterstock
Depuis plus de dix ans, la direction générale et le comité exécutif d’Accenture s’engagent en matière de diversité, portant véritablement la démarche et la mise en place de dispositifs concrets.
C’est une ligne directrice, portée par le top management et diffusée auprès des 6.000 collaborateurs en France. « Chez Accenture, la diversité ne constitue pas une démarche conceptuelle ni démagogique : nous sommes convaincus qu’il s’agit d’un levier de performance, de croissance, de créativité et d’innovation », indique Khalid Lahraoui, directeur du capital humain, diversités et engagements citoyens d’Accenture France Benelux.
Depuis plus de dix ans, Accenture s’engage en faveur de la diversité, en s’appuyant sur le soutien, total et pro-actif, du président (Christian Nibourel, président d’Accenture France et Bénélux) et du comité exécutif, en y associant la gouvernance et en relayant le message et les actions auprès de toutes les populations de l’entreprise. « Nous sommes convaincus qu’une entreprise ne peut bien se porter que si son écosystème économique, environnemental et social se porte bien lui aussi », souligne Khalid Lahraoui.
Soucieuse d’être le reflet de notre société et de ses clients, Accenture mise donc sur la diversité des parcours académiques, des expériences, des genres, de l’orientation sexuelle ou religieuse… « On ne peut pas innover, créer, trouver des solutions nouvelles, en faisant du clonage, dit-il. Nous devons diversifier nos talents et aller les chercher partout où ils se trouvent. C’est pour cela que la diversité est aussi ancrée dans l’ensemble de nos processus RH ».
Pour ce faire, Accenture a mis en place des dispositifs concrets, fruit des réflexions menées par un comité qui se réunit une fois par mois et qui est composé d’un représentant de chaque entité de l’organisation. « Une fois que nous avons donné l’impulsion au niveau de l’exécutif, il faut généraliser la démarche à tous les échelons de l’entreprise », remarque Khalid Lahraoui.
Premier exemple d’action, en faveur de la diversité sociale : depuis deux ans, la Fondation Accenture accompagne des sociétés dans le cadre du mécénat de compétences. Ainsi, le cabinet de recrutement et de conseil en ressources humaines Mozaïc RH a-t-il bénéficié de 200 jours/homme. « D’une part, nos consultants interviennent chez eux pour du conseil en organisation. D’autre part, Mozaïk RH nous accompagne dans nos démarches de recrutement en nous présentant des profils issus des quartiers. Nous sommes actuellement en discussion avec une quinzaine de candidats proposés par ce cabinet », explique Khalid Lahraoui.
Autre axe d’action : le handicap. Accenture, qui signait, en 2014, un accord handicap avec les partenaires sociaux, vient de procéder au recrutement d’une dizaine de personnes en situation de handicap, dans le cadre d’un partenariat avec différentes écoles pour le développement d’un programme de formation en ingénierie-système d’information.
Troisième sujet sur lequel s’investit Accenture : l’orientation sexuelle. « Les personnes LGBT (ndlr : lesbiennes, gays, bisexuels et transgenres) représenteraient 6 % de la population française : nous pensons être aussi représentatifs de la société au sein des équipes d’Accenture », estime Khalid Lahraoui. Pour sensibiliser l’ensemble des collaborateurs, un guide pratique, destiné aux managers, est en cours de conception avec le concours de L’Autre Cercle. « L’objectif n’est pas de forcer quiconque à faire son coming out. Mais de faire tomber les stéréotypes et de faire en sorte que les talents se révèlent tels qu’ils sont », pointe Khalid Lahraoui.
Quatrième sujet sur la diversité abordé par Accenture (parmi les 9 segments diversité sur lesquels Accenture porte son attention) : la parité. « A compétences, expérience et parcours académique équivalents, il ne doit pas y avoir de différence de traitement, en matière de rémunération ou de promotion, entre un homme et une femme », rappelle Khalid Lahraoui. Là aussi, Accenture a mis en place divers dispositifs (formation, coaching, programme de vigilance…) pour changer la donne.
« Sur tous ces sujets, nous n’en ferons jamais assez trop, insiste Khalid Lahraoui. La diversité, c’est avant tout une question d’acquisition et de développement des talents. Pour la performance, la croissance et la profitabilité de l’entreprise ».
À l’occasion d’une conférence de presse le mercredi 8 avril à Paris, les Entrepreneurs et Dirigeants Chrétiens ont publié les résultats de leur baromètre de confiance 2015. Pour la deuxième année consécutive, plus de 700 membres du mouvement ont répondu à une enquête d’opinion, réalisée par le cabinet Pragma, entre le 10 février et le 2 mars 2015.
Les objectifs : mesurer leur indice de confiance dans les perspectives économiques 2015 et recueillir leur opinion sur le fait religieux en entreprise et les priorités d’engagement des dirigeants dans la sphère économique et sociale. Les résultats :
– Une progression de l’indice de confiance par rapport à 2014, tiré par la perception de la situation économique de la France
– Des dirigeants très impliqués dans la sphère professionnelle…
Ils déclarent en moyenne 2,7 engagements socio-professionnels dont leur adhésion aux EDC (associations, syndicats professionnels, mandats patronaux, électoraux).
– …en priorité pour l’emploi des jeunes et la formation professionnelle
– Le fait religieux ? Un thème nouveau perçu comme une richesse pour l’entreprise
Trois questions à Laurent Bataille, président des EDC
L’indice de confiance des EDC est en progression en 2015. Pourtant, cette confiance, les chefs d’entreprise ne cessent de la réclamer au gouvernement. Les EDC sont-ils une exception ?
C’est un fait, nous avons plus confiance que l’année dernière. Il semblerait que les récents chiffres annonçant un rebond de l’économie française nous confortent dans cette vision. Mais porter un regard positif et confiant ne veut pas dire que tout va mieux.
Nos entreprises, à l’instar de toutes les autres, souffrent de difficultés économiques fortes et souhaitent rapidement des mesures pour favoriser leur développement et donc l’emploi. Pour nous dirigeants, il est prioritaire de consacrer du temps à nos clients et à nos collaborateurs plutôt qu’aux règles administratives et fiscales. Dès lors, simplifier le cadre réglementaire entourant la vie de nos entreprises et réformer le code du travail répondent, de notre point de vue, à ces urgences.
Si nous avons une vision plus confiante c’est sans nul doute, parce que nous appliquons au quotidien dans nos entreprises, un principe de management ancré dans la pensée sociale chrétienne : la subsidiarité.
Ce principe repose sur la confiance donnée aux hommes et aux équipes qui font vivre l’entreprise. Il place l’homme au centre pour lui permettre d’exprimer ses compétences et acquérir de l’autonomie; sans que tout soit décidé au seul niveau du dirigeant. Et ça fonctionne très bien ! Nous appelons le gouvernement à faire de même, notamment dans le cadre du projet de loi sur le dialogue social, pour redonner cette confiance à toutes les entreprises.
Au regard de l’actualité, le fait religieux ne s’avère pas un sujet de préoccupation pour vos membres. Comment l’expliquez-vous ?
L’entreprise est un lieu privé, une communauté humaine régit par un règlement intérieur qui s’applique à tous les salariés. Ce règlement se conforme à la loi générale et au principe immuable que la France est une république indivisible, laïque, démocratique et sociale.
Ceci étant dit, nous sommes très attachés au respect de la dignité de l’homme, autre grand principe de la pensée sociale chrétienne. Or, la religion de nos salariés contribue à ce qu’ils sont. Elle façonne leurs attentes, leur vision du travail et des autres. Pourquoi cette diversité ne serait pas, elle aussi, une source de richesse pour l’entreprise ? Ce qui est certain, c’est que la religion ne peut pas être un motif d’exclusion, sauf à ce que des collaborateurs se placent par leurs comportements, eux-mêmes, dans ce cas.
Nous avons une vision positive et humaine, tout en restant vigilants à toute instrumentalisation du fait religieux.
Quelles sont les priorités d’actions et de réflexions du mouvement en 2015 ?
L’emploi, et particulièrement celui des jeunes, est notre priorité.
Nous poursuivons le développement de notre manifeste pour la première embauche, signé par plus de 400 chefs d’entreprise membres ou non des EDC (www.manifestepourpremiereembauche.com). À travers notre Fondation pour une économie au service de l’homme (Fondation ESH), nous soutenons financièrement des projets d’insertion de jeunes en difficultés. Depuis 2011, 250 000 euros ont été attribués à plus de dix projets issus d’entreprises et institutions ((notamment les écoles de production de la FNEP, Métal Insertion, Cap’Jeunes de France Active, le programme d’accompagnement de l’ESSEC en faveur des jeunes sans diplôme…).
Nous lançons également notre « Réseau première chance » pour accompagner chaque jeune en formation supérieure ou professionnelle et en recherche d’emploi, grâce à l’intervention professionnelle de membres EDC ou non (coachs, tuteurs) ou via une aide financière de la Fondation ESH.
Par ailleurs, nous publierons l’été prochain un nouveau cahier des EDC sur la subsidiarité, fruit du travail de réflexion de chefs d’entreprise et d’expériences partagées.
A CV équivalent, un Français d’origine extra-communautaire a entre deux et trois fois moins de chances d’être convoqué à un entretien d’embauche lorsqu’il est perçu comme musulman plutôt que chrétien. Quels sont les ressorts de cette discrimination ? Comment la combattre, alors que la diversité apparaît bénéfique pour l’entreprise ? Par Marie-Anne Valfort, membre associé à PSE-Ecole d’économie de Paris et maître de conférences à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne.
Spécialiste des questions sociales, Marie-Anne Valfort analyse la réalité des discriminations dans l’entreprise, dont sont victimes les musulmans, et leur impact, y compris sur la bonne marche des entreprises.
Quelle est l’origine de vos recherches sur l’intégration des immigrés musulmans dans les sociétés occidentales et notamment en France ?
En 2008, un testing sur CV mené en interne par le groupe Casino a montré que les Français d’origine extra-communautaire (asiatique, africaine, maghrébine) sont systématiquement discriminés par rapport aux Français d’origine française . Cependant, l’intensité de la discrimination qu’ils subissent semble très dépendante de la région dont ils sont issus. Ainsi, des trois origines précitées, c’est l’origine maghrébine qui est la plus discriminée. Ce statut particulier des candidats d’origine maghrébine suggère que ce n’est pas seulement l’origine extra-communautaire qui est source de discrimination de la part des recruteurs. L’appartenance probable à la religion musulmane du Français d’origine maghrébine (le Maghreb étant à forte majorité musulmane) semble constituer un handicap de plus pour lui.
C’est cette hypothèse que j’ai voulu tester avec deux collègues américains, Claire Adida (Université de San Diego) et David Laitin (Université Stanford). Nous avons ainsi lancé en 2009 un programme de recherche financé par la National Science Foundation dont l’objectif était de répondre aux deux questions suivantes: 1 les individus sont-ils plus discriminés lorsqu’ils sont perçus comme musulmans plutôt que chrétiens? 2 si oui, quels sont les ressorts de cette discrimination?
Les musulmans sont-ils discriminés simplement parce qu’ils sont musulmans ?
La réponse est « oui », malheureusement. En 2009, nous avons mené un testing sur CV qui était le premier à tester l’existence d’une discrimination en raison de la religion. Plus précisément, afin de pouvoir attribuer d’éventuelles différences de taux de réponse entre les candidats fictifs de notre testing à leurs seules différences d’affiliation religieuse, nous avons assigné à ces candidats le même pays d’origine (le Sénégal). Notre testing sur CV nous a permis de conclure que l’appartenance supposée à la religion musulmane plutôt qu’à la religion chrétienne est un facteur important de discrimination sur le marché du travail français. Ainsi, à CV équivalent, un Français d’origine extra-communautaire (sénégalaise en l’occurrence) a entre 2 et 3 fois moins de chances d’être convoqué à un entretien d’embauche lorsqu’il est perçu comme musulman plutôt que chrétien.
Quels sont les ressorts de cette discrimination ?
Afin d’identifier ces ressorts, nous avons conduit une enquête auprès de 500 ménages d’origine sénégalaise vivant en France, dotés des mêmes caractéristiques de départ à leur arrivée en France, à l’exception de leur religion (une partie de ces ménages est chrétienne, l’autre est musulmane). Nous avons également organisé des « jeux expérimentaux » durant lesquels des Français sans passé migratoire récent ont interagi avec des immigrés d’origine sénégalaise chrétiens et musulmans. La combinaison de ces données met en lumière un cercle vicieux qui peut se décrire comme suit :
Les musulmans diffèrent par rapport à leurs homologues chrétiens (et a fortiori par rapport aux Français sans passé migratoire récent) en fonction de leurs normes religieuses et de leurs normes de genre : ils attachent plus d’importance à la religion et ont une vision plus traditionnelle des rôles qui incombent aux hommes et aux femmes ;
Ces différences culturelles constituent une source de discrimination de la part des employeurs qui craignent, en recrutant un candidat musulman, d’être confrontés à plus de revendications à caractère religieux mais aussi à plus de conflits entre salariés de sexe différent. Mais ces différences culturelles alimentent également une discrimination moins rationnelle de la part des Français sans passé migratoire récent dans leur ensemble. Ces derniers font en effet l’amalgame entre « attachement plus fort à la religion » et « rejet de la laïcité » et entre « vision plus traditionnelle des rôles qui incombent aux hommes et aux femmes » et « oppression des femmes ». En d’autres termes, ils perçoivent la présence des musulmans comme une menace culturelle susceptible de remettre en cause au moins deux grands principes auxquels ils sont particulièrement attachés : l’indépendance du politique par rapport au religieux et l’égalité hommes-femmes. Cet amalgame amène les Français sans passé migratoire récent à se montrer moins coopératifs à l’égard des personnes qu’ils perçoivent comme musulmanes, y compris lorsqu’ils ne s’attendent à aucune hostilité particulière de la part de ces personnes au moment où ils interagissent avec elles ;
Les musulmans perçoivent plus d’hostilité de la part des Français sans passé migratoire récent que ne le perçoivent leurs homologues chrétiens. Cette perception ne les incite pas à gommer les différences culturelles qui les séparent de leur société d’accueil, et les pousse au contraire à souligner ces différence s: ces différences se creusent d’une génération d’immigrants à l’autre plus qu’elles ne s’estompent ;
Cette tendance au repli des musulmans exacerbe à son tour la discrimination qu’ils subissent en France.
Comment lutter contre les discriminations à l’égard des musulmans sur le marché du travail ?
Il est essentiel que les entreprises forment leur personnel à la non-discrimination. L’objectif de ces formations est double. Elles consistent à expliquer aux participants les biais décisionnels (goût pour l’entre-soi, recours aux stéréotypes…) qui engendrent la discrimination, et à les convaincre de la nécessité de résister à ces biais. Car la lutte contre les discriminations, notamment ethno-religieuses, est bénéfique pour la performance de l’entreprise.
D’abord parce qu’elle permet de réduire son risque juridique. La discrimination à raison de l’origine et de la religion est en effet illégale et sanctionnée, si elle est prouvée, d’amendes élevées. Pour que cette menace de la sanction soit crédible et donc amène les entreprises à limiter leurs comportements discriminatoires, il faudrait instaurer un contrôle accru de leurs pratiques de recrutement. Ainsi, on pourrait imaginer qu’une institution publique telle que le Défenseur des droits se lance dans des opérations de testing à la fois plus fréquentes et plus systématiques. Le discours de Manuel Valls du 6 mars 2015 sur « La République en actes » va d’ailleurs dans ce sens.
La lutte contre les discriminations, bénéfique pour l’entreprise
Par ailleurs, l’engagement dans la lutte contre les discriminations ethno-religieuses permet à l’entreprise de s’afficher comme socialement responsable, un « plus » pour attirer les investisseurs. Mais encore faut-il que l’entreprise puisse mesurer sa diversité ethno-religieuse afin de se fixer des objectifs visant à l’améliorer. Si des progrès ont pu être réalisés au cours des dernières années en termes d’égalité hommes-femmes ou d’intégration des personnes handicapées dans l’entreprise, c’est précisément parce que la proportion de femmes et de personnes handicapées a été mesurée et considérée par certaines entreprises comme un indicateur de performance à part entière.
Il est donc essentiel que l’entreprise puisse collecter, avec le soutien de la Cnil , des données objectives au moins sur la nationalité et le lieu de naissance des salariés et de leurs parents. Ce n’est qu’à cette condition que l’entreprise pourra communiquer sur la représentativité de la composition ethno-religieuse de ses salariés par rapport à la zone d’emploi dans laquelle elle est située (l’information sur l’origine nationale des habitants de la zone d’emploi et de leurs parents est disponible via l’enquête Emploi (INSEE) depuis 2005)… Et qu’elle sera donc incitée à s’engager de manière active dans des politiques visant à améliorer cette représentativité.
La diversité, un levier de performance
Enfin, il est important de rappeler aux entreprises que les rares études qui ont réussi à estimer l’impact de la diversité ethno-religieuse des équipes sur leur productivité ont pour l’instant montré que cet impact est positif. La diversité ethno-religieuse est un levier de performance pour l’entreprise car elle permet la mise en commun d’un ensemble de compétences et d’expériences plus riches. Encore faut-il que l’ensemble des salariés et managers de l’entreprise réservent un bon accueil aux nouvelles recrues issues de la « diversité ». On peut douter que le simple fait de suivre des formations à la non-discrimination suffise à atteindre cet objectif. Pour être efficaces, ces formations devraient être accompagnées de la démonstration, par le top management, de son engagement dans les politiques de promotion de la diversité ethno-religieuse. A ce titre, on ne peut qu’encourager les grandes entreprises à montrer l’exemple en se dotant de comités exécutifs et conseils d’administration plus représentatifs de la diversité ethno-religieuse de notre pays.