Journée d’étude : le fondamentalisme islamique

FondamentalismeMusCathoLyon

20 mars 2015

Voici une partie des notes que j’ai prise à cette journée d’étude sur le fondamentalisme islamique.

Le reste va suivre rapidement !

Elles pourront apparaître comme approximative sur certains sujets. L’idée est de vous donner envie d’en savoir plus !

 

La compréhension du fondamentalisme passe par son décryptage historique, sociologique, anthropologique et psychologique, elle s’appuiera sur le mécanisme littéraliste et rigoriste.

L’objectif de la journée est de comprendre aujourd’hui la place qu’occupe ce phénomène dans le contexte musulman francophone actuel.

Pour cela, il s’attachera à étudier des penseurs musulmans soit parce qu’ils contribuent  à ce phénomène, soit parce qu’ils cherchent à le contrecarrer. En instaurant le débat, il s’agit de voir comment est considéré le rapport à l’origine, comment sont désamorcés les versets violents, quelle condamnation de la violence ?

 

Le fondamentalisme et ses modes opératoires

 

Le salafisme comme expression du fondamentalisme à dimension politique

SamirAmghar

Samir Amghar

 

Le salafisme est un mouvement ultra-orthodoxe de l’islam qui développe une lecture littéraliste du Coran et de la tradition prophétique. Il est le produit du retour des étudiants en Sciences des Religions d’Arabie Saoudite en France et de la venue de l’aile salafiste du Front du Salut Algérien.

Il existe trois tendances salafistes :

– le salafisme quiétiste et non-violent qui condamne les attentats du 11 septembre. Il est apolitique.

– le salafisme politique : pour ce courant,  il est nécessaire de s’engager en politique au nom de l’islam. Il y a des liens avec l’idéologie des Frères Musulmans.

– le salafisme révolutionnaire, jihadiste : il faut combattre par les armes ceux qui ne respectent pas les musulmans.

Pourquoi est-ce que les jeunes sont attirés par le salafisme jihadiste ?

– l’idéologie est attirante, même si certains ne sont pas formés idéologiquement,

– la politique : certains jeunes sont le produit d’une frustration politique. En effet, les musulmans ont le sentiment qu’ils ne peuvent pas exprimer leurs idées sans se faire arrêter. L’Etat criminalise l’outil de contestation que sont les manifestations par un verrouillage sécuritaire.

– la sur-criminalisation des acteurs jihadistes : la prison a sur eux un effet accélérateur de leurs activités politico-religieuse.

– la radicalisation : ils n’ont plus rien à perdre (altruisme familial).

Il est cependant important de ne pas enfermer le salafisme dans une catégorie.

 

Le salafisme, le cas de l’Égypte et des Frères musulmansHaouesSemiguer

Haouès Seniguer

L’approche salafiste peut être critique, apologétique ou violente.

En Egypte, les responsables néo-salafistes ne veulent pas s’aliéner les coptes : ils prônent donc un retour aux valeurs conservatrices qui plaisent également aux coptes.

 

Le Maroc, État fondamentaliste ?

Ali Mostfa

Les salafistes au Maroc sont pour la purification de l’islam et contre l’innovation (bidaa). Ils n’ont pas de prétentions politiques.

La définition du fondamentalisme en arabe peut se traduire par celle d’authenticité, d’autorité par rapport au corpus du Coran et de la tradition prophétique.

Dans le contexte marocain, on peut identifier trois périodes différentes sur ce sujet :

– le 18è siècle avec Moulay Slimane qui a eu des liens (courriers) avec Abdel-Wahhab. Le wahhabisme est introduit au Maroc : c’est le retour au salaf des 2è et 3è génération après le prophète. Les pratiques populaires (pélérinage autour de mausolés,…) sont interdites. On interdit aussi de fêter l’anniversaire (mouloud) du prophète.

Il n’y a pas de place pour une pensée autre, pas de nuances.

– Années 30-40 : naissance du nationalisme qui aboutira à la négociation de l’indépendance, avec Allal Al-Fassi qui s’érige comme figure du nationalisme au Maroc. Il prône un nouveau salafisme fait de thèses nationalistes, de salafisme, de fiqu et de références françaises.

Pour lui, ce nouveau salafisme est un message fédérateur, contrairement à la dichotomie du message de Abdel-Wahhab et à l’opposé des soufis. Al Fassi a été un des négociateurs de l’indépendance du Maroc en 1956 sur la base d’un discours politico-religieux.

– Arrivée de Hassan II au pouvoir (1960) jusqu’à 1999. Hassan II islamise la société marocaine. Au moment de la révolution iranienne en 1979, Hassan II définit le Maroc comme un pays fondamentaliste (maîtrise des sciences islamique et du fiqh) par opposition à l’intégrisme.

C’est le début du processus de dé-divinisation de l’espace publique et la fin du discours religieux dans cet espace. La synthèse du politique et du religieux au Maroc, c’est le roi.

Les marocains font allégeance au roi chaque année au moment de la fête du trône.

 

Le fondamentalisme : analyse et mise en rapportBertrandSouchard

Bertrand Souchard

Qu’est-ce que le fondamentalisme ?

– C’est une identité religieuse,

– Absolue et sans médiation (on relativise tout le reste), sans la médiation d’une culture,

– Dualiste ou binaire : rejet de l’autre, exclusion (voir violente, bipolaire ou schizophrène : l’ennemi est dans mon camp),

– Eschatologique (rapport à la fin des temps) et tragique : mal-être du présent. Mon identité présente est tragique,

– Peut être en réaction avec les modernité, lutter contre.

 

Pourquoi le fondamentalisme ?

Le fondamentalisme serait-il une réaction à la modernité (qui elle pourrait se définir comme défense des individus, foi en la sciences et tolérance) ?

Le fondamentalisme existe de tout temps et en tout lieu, dans toutes les religions. Ce pourrait être plutôt une réaction à la post-modernité.

En fait, toute religion porte en elle fondamentalement l’énigme de la mort. La mort produit l’acte religieux. La religion est donc un engagement qui a une forme d’absolu. Ce sont des questions qui sont très profondes chez l’homme et qui peuvent mettre en colère !

La reconnaissance pour construire son identité :

La conscience de soi passe par la re-connaissance de l’autre. Il y a plusieurs façons d’être reconnu : par sa famille, la société, la politique, le religieux, les médias, la culture, l’esthétique, l’amitié.
L’idéal étant d’être reconnu par toutes ces facettes identitaires.

Les reconnaissances les plus naturelles sont celles de la famille, du travail et de la nation (même si cela fait un peu pétainiste !).

Les terroristes des attentats de janvier ont une quant à eux une reconnaissance post-mortem.

Les discours qui méprisent les nationalistes et les fondamentalistes viennent de personnes qui sont eux-même reconnus…

Pourquoi ce basculement dans la violence ?

Kant a dit : « La guerre ne paraît pas avoir de motifs déterminants, elle est greffée sur la nature humaine. »

Il faut prendre conscience de la potentialité de violence qui est en chacun de nous. Il faut entendre les réactions identitaires. La post-modernité génère parfois de excès et des dérives qui excluent la religion et prônent un égocentrisme individualiste.

Le relativisme aussi (tout se vaut) provoque un vide de notre société aux questions que les gens se posent.

 

Le fondamentalisme musulman est-il spécifique ?

Les caractéristiques du fondamentalisme musulman sont la lecture littéral du livre, avec cette dichotomie : halal/ haram (illicite/ licite).

Pour les islamistes, la colonisation reste un sujet difficile à digérer. Ils se sentent victimes. Et en même temps, l’islam étant la dernière religion, ils peuvent se sentir supérieurs. Ils se questionnent sur la suprématie occidentale, sur le développement de la science, de l’industrie…

Il y a un profond ressentiment par rapport aux peuples judéo-chrétien.

Est-ce que le Coran est universel ? Il faut regarder le lien avec les juifs et les chrétiens dans le Coran.

 

 

Figures du fondamentalisme islamique

 

Le hanbalisme ou la lecture littéraliste d’un Coran incrééMichelYounes

Michel Younès

 

 

Ibn Taymiya, Ibn ‘abdel Wahhab : concepteurs du fondamentalismeAbdel-Wahhab

Maurice Borrmans

 

L’image des femmes dans les fatwas hanbalites d’ouvrages francophonesBenedicte-du-chaffaut

Bénédicte du Chaffaut

 

La place des autres dans la littérature fondamentalisteMalekChaieb

Malek Chaieb

 

 

 

Intervenants :

Samir Amghar, Post-doctorant au Centre d’études sur les arts, les langues et
la tradition de l’Université du Québec à Chicoutimi

Maurice Borrmans, Professeur émérite au PISAI (Institut Pontifical d’Etudes
Arabes et Islamologie) de Rome

Bénédicte du Chaffaut, Enseignante au Centre Théologique de Meylan-
Grenoble

Malek Chaieb, Enseignant à l’Université catholique de l’Ouest, Angers

Philippe Dockwiller, Maître de conférences à l’UCLy

Ali Mostfa, Enseignant-chercheur à l’ESTRI (UCLy), Chercheur associé
au GREMMO (Groupe de Recherches et d’Études sur la Méditerranée
et le Moyen Orient)

Emmanuel Pisani, Directeur de l’ISTR, Paris

Haouès Seniguer, Maître de conférences à l’IEP de Lyon, chercheur
au GREMMO

Bertrand Souchard, Maître de conférences à l’UCLy, titulaire de la chaire
Science et Religion

Michel Younès, Professeur à l’UCLy, directeur du CECR

Le fait religieux au Maroc : conférence

Marchand lecteur du Coran par ©Jean-François Gornet
Malgré l’arrivée d’un gouvernement de sensibilité islamiste au pouvoir, le Maroc est resté à l’abri des dérives intégristes. La figure tutélaire du roi, facteur d’ordre et de régulation du politique et du religieux reste un recours et un référent. Dans ce travail de régulation le souverain est allé jusqu’à interdire aux oulémas et autres responsables religieux de faire de la politique. Cette séance tentera de faire écho à un débat riche et complexe que connaît le pays.
Avec :

Ahmed Abbadi, secrétaire général de la Ligue des Ouléma ;
Hassan Aourid, enseignant chercheur, conseiller scientifique de la revue Zamane ;
Mohamed Tozy, politologue, écrivain et auteur entre autres de L’évolution du champ religieux marocain au défi de la mondialisation (2009) ;
Asma Lamrabet, auteure de nombreux ouvrages sur les femmes et le Coran, dont le plus récent Femmes et hommes dans le Coran : Quelle égalité ? (éd. Al Bouraq, 2012).

Débat animé par Youssef Aït Akdim, journaliste à Jeune Afrique, spécialiste du Maroc et de la Libye.

Quand :  Jeudi 19 mars 2015, à 18h30
 :  Institut du Monde Arabe, Paris : Salle du Haut Conseil, niveau 9
Combien : Entrée libre dans la limite des places disponibles

 

Pour en savoir plus : http://www.imarabe.org/

Proposition de loi sur la neutralité religieuse dans les structures privées : réaction de la Fédération du Scoutisme Français

SF

COMMUNIQUE

du mardi 10 Mars 2015
relatif à l’examen de la Proposition de Loi visant à ‘étendre l’obligation de neutralité à
certaines personnes ou structures accueillant des mineurs et à assurer le respect du principe de laïcité

La proposition de loi « visant à étendre l’obligation de neutralité à certaines personnes ou structures privées accueillant des mineurs et assurer le respect du principe de laïcité », élaborée sans concertation ni débats publics, que l’Assemblée nationale doit examiner le jeudi 12 mars, se présente comme une application du principe de laïcité alors qu’elle le contredit frontalement, ainsi que toute la jurisprudence du Conseil d’Etat et de la Cour de cassation.

Centenaire, le scoutisme en France rassemble des mouvements laïques et des mouvements confessionnels. En tant que mouvements d’éducation populaire, dont la qualité pédagogique est reconnue, les uns et les autres reçoivent des subventions publiques.

Or l’article 2 de la proposition de loi prévoit que les personnes morales de droit privé qui accueillent des mineurs protégés, c’est à dire tout mineur accueilli collectivement, par exemple dans un mouvement de scoutisme, seront soumises à une « obligation de neutralité en matière religieuse ».

C’est la première fois que serait posé en France le principe d’interdiction de subventions publiques à des activités à caractère confessionnel, alors que la loi de 1905 n’interdit que les subventions à des activités cultuelles. Il s’agirait d’une évolution majeure des principes de la laïcité française.

Il est certes prévu que les organisations pourront se prévaloir d’un « caractère propre » leur permettant de bénéficier de financements publics. Mais cette condition est stigmatisante. La liberté de religion, pourtant garantie par la Constitution, comme la liberté de conscience, et par la convention européenne des droits de l’homme, deviendrait un droit d’exception, marqué par la
suspicion.

Ce texte de circonstance, mal étudié, menace les mouvements de scoutisme et, plus fondamentalement, la concorde nationale sur un sujet sensible, sur lequel il serait raisonnable de se garder de toute improvisation.

Nous en demandons le retrait.

bandeau SF

NB : l’examen du projet de loi a été repoussé au 11 mai.

Pour en savoir plus : https://www.sgdf.fr

Laïcité, la France en plein doute

Une proposition de loi visant à étendre le devoir de neutralité des fonctionnaires aux éducateurs du secteur privé relance les polémiques sur le sens de la laïcité républicaine.

 TroisReligionsMono

Guillaume BONNEFONT/IP3/Julian Kumar/GODONG/Leemage/Philippe Lissac/Godong/Leemage

Dans une société marquée à la fois par une forte sécularisation et la présence nouvelle de l’islam, la laïcité est devenue une question identitaire.

L’opération déminage lancée le 9 mars par l’Élysée a provisoirement éloigné la menace. La proposition de loi des radicaux de gauche pour instaurer la neutralité religieuse dans les structures éducatives privées subventionnées ne sera pas débattue jeudi 11 mars. Le sujet, à la veille des élections départementales, était socialement explosif et risquait d’ébranler la majorité. Le chef des députés radicaux, Roger-Gérard Schwartzenberg, a in extremis accepté de retirer le texte. Mais il dit avoir obtenu en contrepartie l’engagement qu’il sera examiné en mai et que le groupe socialiste y apportera « un vote positif ».

La bataille est repoussée, elle n’en sera pas moins violente. Car cette proposition de loi, votée au Sénat en 2012 dans le contexte de l’affaire Baby-Loup, a provoqué une tempête de protestations. Mardi 10 mars au soir, Mgr Georges Pontier, archevêque de Marseille et président de la Conférence des évêques de France, a exprimé la « très vive inquiétude »de ses pairs, qui voient dans ce texte de loi « l’inspiration manifeste d’une méfiance vis-à-vis des religions dont il faudrait protéger les mineurs ». Reçus début mars par l’Observatoire de la laïcité, les cultes protestant et juif ont également critiqué l’initiative. Le Conseil français du culte musulman (CFCM) fustige pour sa part une « politique d’intolérance ».

C’est surtout le coup de colère de Jean-Louis Bianco, président de l’Observatoire de la laïcité et proche du chef de l’État, qui révèle l’ampleur de la polémique. « Il s’agit d’un dévoiement de la laïcité dans une version intégriste, punitive et, même si ses promoteurs s’en défendent, anti-musulmane, anti-religions », assène l’ancien député socialiste, qui insiste sur la fragilité juridique de l’entreprise.

Le débat de la laïcité déporté vers les questions de l’expression religieuse

Comment expliquer qu’une fois encore se réveillent des passions françaises que l’on croyait apaisées ? Au fond, ce n’est plus vraiment la vieille question des cultes et de leurs relations avec les institutions républicaines qui nourrit le problème. Ces vingt dernières années, les choses se sont même plutôt arrangées. En 1995, arrivé à Matignon, Lionel Jospin avait instauré des rendez-vous réguliers avec les cultes, une pratique qui s’est, depuis, maintenue. Nicolas Sarkozy a installé le CFCM en 2003. Quant à la jurisprudence administrative, elle a livré ces dernières années une lecture accommodante du principe de séparation pour permettre le soutien des collectivités locales à des associations cultuelles.

Les polémiques sur la laïcité se sont en fait déportées sur un autre terrain, celui de l’expression religieuse. Un phénomène très bien analysé par le juriste Vincent Valentin (1) qui voit, derrière l’affaire Baby-Loup, la volonté de certains « d’imposer une nouvelle laïcité ».

Professeur à Sciences-Po Rennes, il observe chez nos contemporains – acteurs de terrain, élus politiques, intellectuels – « une déception face aux promesses de la modernité, qui signifiait pour eux l’effacement progressif du religieux. Son retour signe pour eux l’échec de la sécularisation. D’où la volonté d’étendre des obligations de neutralité aux personnes privées. »Mardi 10, dans son communiqué, Mgr Pontier ne faisait pas une autre analyse. Il dénonçait une entreprise visant à cacher les religions « en les faisant disparaître progressivement de tout lieu de vie sociale. » Alors que la loi de 1905 était un texte d’inspiration libérale, il s’agirait désormais de« promouvoir une société vidée de toute référence religieuse », insistait-il.

Une demande de neutralité religieuse de plus en plus extensive

Si l’ensemble des croyances peuvent se sentir concernées, il est clair que c’est l’islam qui fait l’actualité depuis vingt-cinq ans, depuis l’affaire des foulards de Creil en 1989. Le voile est devenu le symbole de la nouvelle question laïque. En 2003, rappelle Vincent Valentin, le député UMP François Baroin remettait à Jacques Chirac un rapport dans lequel « il opposait la logique de la laïcité à celle, individualiste, des droits de l’homme. La laïcité n’est alors plus seulement un principe juridique, mais une manière d’être de la société française. Elle est devenue un marqueur de l’identité française au nom duquel on peut imposer aux personnes d’être neutres ».

Certes, la loi sur les signes religieux de 2002 a été adoptée grâce à un consensus politique sur la nécessaire sanctuarisation de l’école, mais de multiples autres tentatives ont trouvé leurs limites. Fer de lance de cette « nouvelle laïcité », l’ancien Haut conseil à l’intégration avait ainsi proposé de limiter l’expression religieuse sur la voie publique !

Le Grand Orient de France a publié en décembre dernier 25 propositions, parmi lesquelles la prohibition des signes religieux dans l’enseignement supérieur. En mars 2013, le député UMP Éric Ciotti déposait une proposition de loi visant à limiter l’expression religieuse dans le monde de l’entreprise. D’autres encore veulent imposer un devoir de neutralité aux usagers des services publics…

Des familles politiques divisées sur la question

Toutes ces tentatives provoquent de fortes divisions. À droite, où des personnalités comme Alain Juppé s’y montrent très hostiles. Mais surtout à gauche, où s’opposent frontalement deux conceptions. Certains, comme Manuel Valls, donnent la priorité à la lutte contre les communautarismes dans les quartiers, le voile étant selon eux l’instrument d’un islam politique. À l’opposé, une autre partie de la gauche refuse toute stigmatisation des musulmans, quitte à nier la réalité des ratés de l’intégration.

 

Un débat qui a gagné en intensité depuis les attentats de janvier et les prétentions du Front national à se présenter, pour les élections, comme le héraut de la laïcité. « Il y a comme un vent de panique », observe Vincent Valentin. Tenter de faire retomber la tension sera certainement l’une priorité de l’Élysée après les départementales, François Hollande ayant toujours défendu une conception pragmatique de la place des religions dans une société devenue, que l’on s’en réjouisse ou non, multiculturelle.

BERNARD GORCE

(1) Auteur avec Stéphanie Hennette Vauchez de « l’affaire Baby Loup ou la nouvelle laïcité », Ed. LGDJ 2014. 115 p., 17 €
Pour en savoir plus : http://www.la-croix.com

La commission des lois de l’Assemblée adopte la proposition de loi sur la laïcité dans les structures privées

 MèresVoilées

Trois ans : c’est le délai qu’il aura fallu à la proposition de loi « visant à étendre l’obligation de neutralité à certaines personnes ou structures privées accueillant des mineurs et à assurer le respect du principe de laïcité » – adoptée en première lecture par le Sénat le 17 janvier 2012 – pour arriver devant l’Assemblée nationale (voir nos articles ci-contre du 30 novembre 2011 et du 18 janvier 2012). En dépit de cette lenteur, le texte vient toutefois de franchir une étape importante avec son adoption, le 4 mars 2015, par la commission des lois de l’Assemblée.

Un texte déposé dans le contexte de l’affaire Baby Loup

La proposition de loi a été déposée le 25 octobre 2011 par Françoise Laborde – sénatrice de la Haute-Garonne – et l’ensemble du groupe RDSE, composé principalement des Radicaux de gauche. Le dépôt de ce texte est très lié au contexte de l’époque, avec la polémique autour de l’affaire du licenciement d’une salariée voilée par la crèche privée Baby Loup (voir nos articles ci-contre).
Le texte prévoit principalement que « lorsqu’ils bénéficient d’une aide financière publique, les établissements et services accueillant des enfants de moins de six ans sont soumis à une obligation de neutralité en matière religieuse ». Les établissements qui ne bénéficient pas d’une telle aide peuvent néanmoins « apporter certaines restrictions à la liberté d’expression religieuse de leurs salariés au contact d’enfants » (dans les limites définies par l’article L.1121-1 du Code du travail). Des dispositions similaires sont prévues pour les établissements accueillant des mineurs hors du domicile parental. En revanche, ces dispositions « ne sont pas applicables aux personnes morales de droit privé se prévalant d’un caractère propre porté à la connaissance du public intéressé » (autrement dit les structures confessionnelles), sous réserve – dès lors qu’elles bénéficient de financements publics – qu’elles accueillent tous les mineurs sans distinction et que leurs activités « assurent le respect de la liberté de conscience des mineurs ».
Enfin, le texte initial de la proposition de loi prévoit qu' »à défaut de stipulation contraire inscrite dans le contrat qui le lie au particulier employeur, l’assistant maternel est soumis à une obligation de neutralité en matière religieuse dans le cours de son activité d’accueil d’enfants ».

Pas d’obligation pour les assistantes maternelles

La commission des lois de l’Assemblée a adopté, dans sa séance du 4 mars, une quinzaine d’amendements émanant quasiment tous du rapporteur du texte, Alain Tourret, député (RDSE) du Calvados. La plupart sont des amendements de cohérence ne modifiant pas le fond du texte.
Seuls deux amendement identiques présentés par un député PS et par deux députés EELV (Europe Ecologie – Les Verts) – et adoptés par la commission – introduisent une modification de taille en supprimant l’article relatif aux assistantes maternelles. Les auteurs estiment en effet qu' »étendre ainsi l’obligation de neutralité religieuse, dans le silence du contrat, semble introduire un risque constitutionnel et conventionnel. Cette disposition apparaît en effet comme outrepassant le caractère justifié et proportionnel des restrictions à la liberté d’expression religieuse, garantie à l’article 10 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, et à l’article 9 de la Convention européenne des droits de l’homme ».
La commission a en revanche écarté un autre amendement présenté par les deux députés EELV, qui visait à abroger les dispositions relatives aux enfants accueillis hors du domicile parental (article 2 du texte). Un amendement du rapporteur a toutefois restreint le champ d’application de cet article 2 en le limitant au cas des structures d’accueil collectif à caractère éducatif, excluant ainsi les établissements du champ médicosocial, « que le Sénat n’avait pas entendu viser, mais que les dispositions adoptées par celui-ci avaient pourtant pour effet d’inclure dans le champ du texte ».
Après son passage en commission des lois, la proposition doit être examinée en séance publique le 12 mars 2015.

Références : proposition de loi visant à étendre l’obligation de neutralité à certaines personnes ou structures privées accueillant des mineurs et à assurer le respect du principe de laïcité (adoptée en première lecture par le Sénat le 17 janvier 2012, examinée en séance publique par l’Assemblée nationale le 12 mars 2015).

Jean-Noël Escudié / PCA

Publié le vendredi 6 mars 2015

Pour en savoir plus : http://www.localtis.info

Islam de France : pourquoi il faut prendre exemple sur le consistoire de Napoléon

Napoléon-Cazeneuve

Bernard Cazeneuve a annoncé ce mercredi la mise en place d’une «instance de dialogue» avec les communautés musulmanes. Louis Manaranche rappelle comment Napoléon avait réussi à organiser le judaïsme en France.

12 ans après la création solennelle et médiatisée du CFCM revient le serpent de mer de l’organisation par la République d’un islam français. Nombreux sont ceux qui, échaudés par le bilan mitigé du CFCM, sont d’avance convaincus que cette initiative est vouée à l’échec. La France possède pourtant une très ancienne tradition d’organisation des religions.

Une période phare vient spontanément à l’esprit : celle du Concordat de 1801, signé par Bonaparte et le pape Pie VII. L’importance de ce compromis entre le Saint-Siège et la France, après la violence des persécutions anticléricales et de la déchristianisation révolutionnaires, a néanmoins fait un peu oublier les organisations données aux deux autres religions dites concordataires : le protestantisme et le judaïsme. Ce dernier constitue un cas à part. Ce n’est qu’en 1806 que commence sa grande réforme. Napoléon Ier convoque alors une «Assemblée des notables» juifs, nommés par les préfets, à qui il soumet douze questions:

1) Est-il licite aux juifs d’épouser plusieurs femmes?

2) Le divorce est-il permis par la religion juive ? Le divorce est-il valable, sans qu’il soit prononcé par les tribunaux et en vertu de lois contradictoires à celles du code français ?

3) Une juive peut-elle se marier avec un chrétien et une chrétienne avec un juif ?

4) Aux yeux des juifs, les français sont-ils leurs frères ? Ou sont-ils des étrangers ?

5) Dans l’un et l’autre cas, quels sont les rapports que la loi leur prescrit avec les français qui ne sont pas de leur religion ?

6) Les juifs nés en France et traités par la loi comme citoyens français regardent-ils la France comme leur patrie ? Ont-ils l’obligation de la défendre ? Sont-ils obligés d’obéir aux lois et de suivre toutes les dispositions du Code civil ?

7) Qui nomme les rabbins?

8) Quelle juridiction de police exercent les rabbins parmi les juifs? Quelle police judiciaire exercent-ils parmi eux?

9) Cette forme d’élection, cette juridiction de police sont-elles voulues par leurs lois, ou seulement consacrées par l’usage?

10) Est-il des professions que la loi des juifs leur défende ?

11) La loi des juifs leur défend-elle de faire l’usure à leur frère?

12) Leur défend-elle ou leur permet-elle de faire l’usure aux étrangers ?

Derrière ces douze questions, où se mêlent d’authentiques questions sur la loi de Moïse et des préjugés alors bien établis, est posée la question unique de la compatibilité entre la pratique de la religion juive et les principes du Code civil. Il ne s’agit à aucun moment de demander de préférer la citoyenneté française à l’identité juive, ni même de cantonner la pratique religieuse au strict exercice du culte, niant la dimension sociale de toute religion. Seules le respect de la loi commune et l’amour de la patrie sont exigés. On peut ainsi considérer que l’on a ici affaire à une compréhension de ce que l’on n’appelle pas encore la «laïcité» plus respectueuse de la liberté de conscience et plus efficace que bien des caricatures contemporaines.

Une fois les réponses des notables connues et appréciées positivement par l’Empereur, celui-ci convoque une deuxième assemblée, un «grand Sanhédrin», qui se réunit entre février et mars 1807. Composé de 71 membres, dont deux tiers de rabbins, ce conseil reprend l’antique appellation du tribunal suprême qui siégeait à Jérusalem et qui dut céder une part de son pouvoir judiciaire à l’empereur romain. Par cette double convocation, l’Empereur s’assure qu’une autorité religieuse perçue comme légitime ratifie les déclarations des notables.

Voilà une deuxième leçon de bonne compréhension du fait religieux. Cette légitimation est une condition sine qua non de l’organisation de toute religion. Pour en garantir l’indépendance et l’autorité, il faut que les personnalités qui exercent un magistère traditionnel -qu’il y ait ou non un clergé à proprement parler- soient consultées et honorées. Toute apparence de vassalisation ou d’instrumentalisation est ainsi écartée. Le 9 mars 1807, le Sanhédrin confirme les réponses des notables et les fonde religieusement. En conséquence, ces principes étant établis, paraissent les règlements des 17 mars et 11 décembre 1808 qui instituent un Consistoire autour d’un grand rabbin et de trois laïcs dans chaque département où sont recensés 2000 juifs, ainsi qu’un Consistoire central. Si la méthode et la prudence des autorités impériales sont à remarquer, il convient aussi de souligner les bonnes dispositions d’une figure majeure, celle du rabbin strasbourgeois et chef du Sanhédrin David Sintzheim, dont la formule reste profondément actuelle : «Les ordonnances apprendront aux nations que nos dogmes se concilient avec les lois civiles sur lesquelles nous vivons, et ne nous séparent pas de la Société des hommes.»

Louis Manaranche est agrégé d’histoire et président du laboratoire d’idées Fonder demain. Son livre «Retrouver l’histoire» vient de paraître aux éditions du Cerf.

Pour en savoir plus : http://www.lefigaro.fr

 

Le sens des mots

Je reconnais au Premier ministre le mérite d’avoir décrit une réalité de l’immigration souvent minorée ou même déniée. Manuel Valls a eu raison de parler de « misère sociale », de « ghetto », de « relégation périurbaine », de « misère sociale », auxquelles « s’additionnent les discriminations quotidiennes parce que l’on n’a pas le bon nom de famille, la bonne couleur de peau ». Tout ceci existe, c’est la réalité quotidienne de millions de Français, et même des « immigrés » les mieux intégrés.

Il fallait enfin poser le diagnostic et admettre la réalité. C’est un premier pas encourageant pour la classe politique française qui, depuis des décennies, a refusé d’admettre les immenses problèmes liés à l’intégration. Ce refus est d’autant plus scandaleux qu’il est le résultat, soit d’une naïveté méprisante, soit d’une mauvaise conscience ou encore d’une méconnaissance coupable. Espérons que ces déclarations soient une étape franchie, un acquis sans retour pour qu’enfin, les gouvernements puissent agir concrètement sans fausse pudeur ou mystifications paralysantes.

Pourtant, il faut reprocher au même Premier ministre l’emploi d’un mot qui se voulait fort pour décrire cette situation, « l’apartheid », mais c’est un mot faux. En effet, si la situation de certains « quartiers » est très inquiétante et que le sort réservé à une grande partie de la population issue de l’immigration est, à bien des égards, scandaleuse, la France ne connaît pas une situation d’apartheid. Le laisser penser est dangereux.

Dangereux pour la nécessaire sérénité et quiétude qui doit exister entre les Français, quelles que soient leurs origines. Dangereux pour les « minorités visibles » de se laisser cantonner à être perçues comme une population ségrégée. Dangereux car ceux qui dénoncent et luttent contre la société, en dévoyant une idéologie politico-religieuse pour provoquer des actes abjectes, pourraient croire qu’ils sont des héros en puissance. En effet, Nelson Mandela a été pendant des décennies considéré comme un « terroriste » par le pouvoir sud-africain. Ne donnons pas l’occasion à nos terroristes en puissance de croire à un destin de libérateur d’un « peuple ». Ce sont des fous ou des terroristes dangereux qui instrumentalisent la religion pour assouvir leurs pulsions meurtrières.

La France n’est pas une société qui organise et légitime la discrimination et le racisme. Les mots ont un sens. Dire « apartheid » voudrait dire aussi que toutes les personnes issues de l’immigration se retrouvent de l’autre côté d’un mur invisible les séparant des Français d’origine. Ce n’est pas vrai. De la même manière, le Premier Ministre ne peut pas dire que l’intégration n’est pas un « mot qui ne veut plus rien dire ». La France est le pays où les mariages mixtes sont les plus nombreux. L’immense majorité des Français d’origine sont totalement étrangers à l’idée de racisme et, encore plus, à ses pratiques. La France sait que la diversité est une chance pour elle. Et enfin, une grande majorité de Français issus de l’immigration sont la preuve vivante d’une intégration réussie. L’immigration ne se résume pas qu’aux échecs scolaires, à la violence, aux quartiers sensibles, au chômage ou à une pratique religieuse.

Plusieurs acteurs se mobilisent, comme Le club XXIe siècle, pour changer les représentations de la diversité dans la société française. En dix ans, beaucoup de choses ont changé. Certes, pas assez et pas assez vite. Mais les Français issus de la diversité qui sont « visibles » ne sont plus uniquement des sportifs et des rappeurs. Ces Français sont aussi ministres, entrepreneurs, médecins, chercheurs, journalistes, présentateurs à la télévision, élus, hauts fonctionnaires, cadres en entreprise, et tous ceux que l’on ne voit jamais mais qui sont des citoyens honnêtes, travailleurs, fiers.

La France « diversifiée » s’intègre et travaille. Les Français issus de la diversité sont fiers d’être Français à l’image du discours émouvant de Lassana Bathily prononcé lors de la cérémonie où il a été fait français. Les Français issus de l’immigration ont souffert, comme tous les Français, lors des attaques terroristes qui ont fait des victimes françaises comme nous. Nous souffrons aussi parce que nous savons le prix que nous en aurons à payer dans le regard des autres, nous craignons encore plus de préjugés, encore plus de défiance, encore moins d’avenir.

La perte d’espérance est le pire des horizons que l’on puisse imaginer pour un citoyen. Si l’on ajoute à cela les discriminations ethniques ou religieuses, la situation peut devenir hors de contrôle. Il est donc urgent de cesser d’opposer les Français, les uns aux autres. Il ne doit y avoir que des citoyens français, aspirant à vivre ensemble. Encore une fois, le sens des mots est important. Que l’on cesse de parler de musulmans de France ou de juifs de France, mais plutôt de citoyens français de confessions musulmane, juive ou catholique.

Aujourd’hui, le plus important serait de redonner l’espoir, à tout un peuple, d’un avenir meilleur. Dans la difficulté et sans espérance, un peuple se déchire, les tensions croissent, les incompréhensions et les haines surgissent et les violences deviennent possibles.

La France est malade et les Français de toute origine souffrent. La France est malade d’une éducation nationale défaillante pour tous les Français. La France est malade de ses institutions que tous les Français respectent de moins en moins. La France est malade d’un chômage structurel de masse qui touche tous les Français. La France est malade d’une urbanisation impensée et chaotique. La France est malade d’une violence non-maîtrisée.

C’est ensemble que tous les Français doivent construire leur avenir. Les responsables politiques doivent s’attacher à prendre en compte la réalité, rien que la réalité et toute la réalité, sans exagération, sans stigmatisation. Maintenant, ils doivent imaginer les solutions et penser le futur d’une France apaisée, forte et fière de ses valeurs.

Arnaud Dupui-Castérès, Président de Vae Solis Corporate, cabinet de conseil en statégie d’information et communication de crise

Publication: Mis à jour:

Pour en savoir plus : http://www.huffingtonpost.fr/

La place croissante de l’islam en banlieue

Coexister2

Voilà un constat qui va déranger. Dans les tours de Clichy-sous-Bois et de Montfermeil (Seine-Saint-Denis), les deux villes emblématiques de la crise des banlieues depuis les émeutes de l’automne 2005, la République, ce principe collectif censé organiser la vie sociale, est un concept lointain. Ce qui « fait société » ? L’islam d’abord. Un islam du quotidien, familial, banal le plus souvent, qui fournit repères collectifs, morale individuelle, lien social, là où la République a multiplié les promesses sans les tenir.

La croyance religieuse plus structurante que la croyance républicaine, donc. Vingt-cinq ans après avoir publié une enquête référence sur la naissance de l’islam en France – intitulée Les Banlieues de l’islam (Seuil) -, le politologue Gilles Kepel, accompagné de cinq chercheurs, est retourné dans les cités populaires de Seine-Saint-Denis pour comprendre la crise des quartiers.

Six ans après les émeutes causées par la mort de deux adolescents, en octobre 2005, son équipe a partagé le thé dans les appartements des deux villes, accompagné les mères de famille à la sortie des écoles, rencontré les chefs d’entreprise, les enseignants, les élus, pour raconter le destin de cette « Banlieue de la République » – c’est le titre de l’enquête, complexe et passionnante, publiée par l’Institut Montaigne.

Le sentiment de mise à l’écart a favorisé une « intensification » des pratiques religieuses, constate Gilles Kepel. Les indices en sont multiples. Une fréquentation des mosquées beaucoup plus régulière – les deux villes (60 000 habitants au total) comptent une dizaine de mosquées, aux profils extrêmement variés, pouvant accueillir jusqu’à 12 000 fidèles. Une pratique du ramadan presque systématique pour les hommes. Une conception extensible du halal, enfin, qui instaure une frontière morale entre ce qui est interdit et ce qui est autorisé, ligne de fracture valable pour les choix les plus intimes jusqu’à la vie sociale.

Les chercheurs prennent l’exemple des cantines scolaires, très peu fréquentées à Clichy en particulier. Un problème de coût évidemment pour les familles les plus pauvres. Mais la raison fondamentale tient au respect du halal. Les premières générations d’immigrés y avaient inscrit leurs enfants, leur demandant simplement de ne pas manger de porc. Une partie de leurs enfants, devenus parents à leur tour, préfère éviter les cantines pour leur propre descendance parce que celles-ci ne proposent pas de halal. Un facteur d’éloignement préoccupant pour Gilles Kepel : « Apprendre à manger, ensemble, à la table de l’école est l’un des modes d’apprentissage de la convivialité future à la table de la République. »

Car le mouvement de « réislamisation culturelle » de la fin des années 1990 a été particulièrement marqué à Clichy et à Montfermeil. Sur les ruines causées par les trafics de drogue dure, dans un contexte d’effondrement du communisme municipal, face à la multiplication des incivilités et des violences, les missionnaires du Tabligh (le plus important mouvement piétiste de l’islam), en particulier, ont contribué à redonner un cadre collectif. Et participé à la lutte contre l’héroïne, dans les années 1990, là où la police avait échoué. Ce combat contre les drogues dures – remplacées en partie par les trafics de cannabis – a offert une « légitimité sociale, spirituelle et rédemptrice » à l’islam – même si la victoire contre l’héroïne est, en réalité, largement venue des politiques sanitaires.

L’islam a aussi et surtout fourni une « compensation » au sentiment d’indignité sociale, politique et économique. C’est la thèse centrale de Gilles Kepel, convaincu que cette « piété exacerbée » est un symptôme de la crise des banlieues, pas sa cause. Comme si l’islam s’était développé en l’absence de la République, plus qu’en opposition. Comme si les valeurs de l’islam avaient rempli le vide laissé par les valeurs républicaines.

Comment croire encore, en effet, en la République ? Plus qu’une recherche sur l’islam, l’étude de Gilles Kepel est une plongée dans les interstices et les failles des politiques publiques en direction des quartiers sensibles… Avec un bilan médiocre : le territoire souffre toujours d’une mise à l’écart durable, illustrée ces dernières semaines par l’épidémie de tuberculose, maladie d’un autre siècle, dans le quartier du Chêne-Pointu, à Clichy, ghetto de pauvres et d’immigrés face auquel les pouvoirs publics restent désarmés (Le Monde du 29 septembre). Illustrée depuis des années par un taux de chômage très élevé, un niveau de pauvreté sans équivalent en Ile-de-France et un échec scolaire massif.
Clichy-Montfermeil forme une société fragile, fragmentée, déstructurée. Où l’on compte des réussites individuelles parfois brillantes et des parcours de résilience exemplaires, mais où l’échec scolaire et l’orientation précoce vers l’enseignement professionnel sont la norme.

« Porteuse d’espoirs immenses,

l’école est pourtant aussi l’objet des ressentiments les plus profonds », constatent les chercheurs. Au point que « la figure la plus détestée par bon nombre de jeunes est celle de la conseillère d’orientation à la fin du collège – loin devant les policiers ».

Et pourtant, les pouvoirs publics n’ont pas ménagé leurs efforts. Des centaines de millions d’euros investis dans la rénovation urbaine pour détruire les tours les plus anciennes et reconstruire des quartiers entiers. Depuis deux ans, les grues ont poussé un peu partout et les chantiers se sont multipliés – invalidant les discours trop faciles sur l’abandon de l’Etat. Ici, une école reconstruite, là, un immeuble dégradé transformé en résidence. Un commissariat neuf, aussi, dont la construction a été plébiscitée par les habitants – parce qu’il incarnait l’espoir d’une politique de sécurité de proximité.
Le problème, montre Gilles Kepel, c’est que l’Etat bâtisseur ne suffit pas. Les tours ont été rasées pour certaines, rénovées pour d’autres, mais l’Etat social, lui, reste insuffisant. La politique de l’emploi, incohérente, ne permet pas de raccrocher les wagons de chômeurs. Les transports publics restent notoirement insuffisants et empêchent la jeunesse des deux villes de profiter de la dynamique économique du reste de la Seine-Saint-Denis. Plus délicat encore, la prise en charge des jeunes enfants n’est pas adaptée, en particulier pour les familles débarquant d’Afrique subsaharienne et élevés avec des modèles culturels très éloignés des pratiques occidentales.

Que faire alors ? Réorienter les politiques publiques vers l’éducation, la petite enfance, d’abord, pour donner à la jeunesse de quoi s’intégrer économiquement et socialement. Faire confiance, ensuite, aux élites locales de la diversité en leur permettant d’accéder aux responsabilités pour avoir, demain, des maires, des députés, des hauts fonctionnaires musulmans et républicains. Car, dans ce tableau sombre, le chercheur perçoit l’éveil d’une classe moyenne, de chefs d’entreprise, de jeunes diplômés, de militants associatifs, désireuse de peser dans la vie publique, soucieuse de concilier identité musulmane et appartenance républicaine.

Par Luc Bronner

Pour en savoir plus : http://www.fait-religieux.com

Divisions, pièges à cons

« Croire que la folie d’une poignée est la croyance de tous. Ne tombons pas dans le piège qui nous est tendu », affirment ensemble personnalités et mouvements interreligieux, interculturels, anti-islamophobie, qui lancent cet appel à l’unité, à la solidarité et à la liberté.

 

MinuteSilenceLycéeAverroès

 

Minute de silence au lycée musulman Avérroès le 8 janvier 2015

 

La France est fracturée. Elle saigne : bleu, blanc, rouge. Il y a eu 12 morts. Le mal est fait, la République est à terre, bafouée et elle voit rouge. Le lien social est menacé, le vivre ensemble dynamité. Le loup est dans la bergerie, oui le loup est vraiment dans la bergerie. S’attaquer à la rédaction d’un journal et s’en prendre à la liberté fondamentale d’expression est une chose ; créer la division, semer le doute, briser la cohésion d’une République et de ses valeurs en est une autre.

Aujourd’hui, les discours sont au recueillement et à l’union nationale, demain certains seront à la haine et à l’exclusion. Ils le sont déjà. A ne pas s’y tromper, le véritable piège devant lequel nous nous trouvons est bien celui de la division. Celui du repli sur soi et de la dénonciation de l’autre. La véritable victoire du terrorisme est de… terroriser. Leur but est de nous faire désigner un ennemi en France, un coupable dans notre communauté, un danger dans la nation.

Alors que faire ? Fuir ? Trouver un nouveau pays, accueillant, où il fait bon vivre ensemble ? Ou plutôt baisser la tête en attendant que ça passe et attendre des jours meilleurs ? Ils viendront sans aucun doute. Nan je sais, et si on passait au karcher la racaille musulmane qui infeste nos cités ? Qu’on permette à chacun de s’armer et ils verront de quel bois on se chauffe ! Si l’intégrisme est indéniablement responsable du massacre, le carnage qui nous guette est bien celui de l’amalgame. Croire que la folie d’une poignée est la croyance de tous. Ne tombons pas dans le piège qui nous est tendu.

« Engagez-vous qu’ils disaient, engagez-vous »

Alors que faire ? « Vous qui vivez en toute quiétude, bien au chaud dans vos maisons », cette réponse vous appartient. L’indignation et l’émotion sont légitimes mais ne suffisent pas. Oui, chacun doit prendre sa part de douleur dans la conscience collective. Mais abandonner, pire, trahir ce qu’est la France, serait la victoire des terroristes et des désespérants. Agir pour la construire, l’esquisser, la dessiner est notre responsabilité collective et durable. Plus question de se cacher, de s’exclure du collectif meurtri. Ce combat est le vôtre, le nôtre et il est décisif. C’est maintenant.

Ce combat n’appartient pas au gouvernement, il n’appartient pas à l’opposition. Il n’appartient pas aux associations ou aux instances religieuses. Il n’appartient pas aux chrétiens, aux musulmans, aux juifs, aux athées ou aux agnostiques. Ce combat est celui du citoyen. C’est un combat rapproché, de proximité, qui ne promet que du « sang, de la sueur et des larmes », une lutte à mort contre un ennemi invisible. Ce combat est celui de la coexistence active : refuser la peur et l’extrémisme, respecter les différences de l’autre et les utiliser comme autant de forces et de richesses pour  promouvoir les principes et les valeurs qui forment notre unité républicaine.

Sortons de nos maisons, sur nos paliers, levons les yeux quelques secondes de nos écrans. Ce combat se gagne par un sourire, une attention, une écoute, une connaissance de l’autre et une action avec lui. Il se gagne par le respect mutuel de la différence, par la fraternité, par la sensibilisation des plus jeunes dès l’école – le cœur de notre République – aux différences religieuses et culturelles. Dès aujourd’hui, élevons nous contre les attaques physiques ou verbales contre toute une collectivité, la communauté musulmane de France, désignée à tort comme responsable.

Les terroristes ont voulu mettre la France à genoux. Adressons-leur, à notre tour, un message. Nous sommes là debouts, solidaires et unis. Prêts à agir pour l’unité et la liberté en France.

 

Premiers signataires

Samir Akacha, président de l’Association méditerranée des cultures d’islam pour la jeunesse (AMCIJ)
Kevin Andre, chercheur à l’ESSEC et président de Kawaa
Guy Aurenche, avocat
Mohamed Bajrafil, enseignant, imam de la mosquée d’Ivry-sur-Seine
Stephen Berkowitz, rabbin, Mouvement juif libéral de France
Abdallah Deliouah, enseignant, imam de la mosquée de Valence
Christian Delorme, prêtre du diocèse de Lyon
Jean Delumeau, historien
Rokhaya Diallo, membre du bureau du réseau européen contre le racisme
Nabil Ennasri, écrivain, doctorant, président du CMF (Collectif des musulmans de France)
Véronique Fayet, présidente du Secours Catholique
Samuel Grzybowski, président de Coexister, le mouvement interreligieux des jeunes
Kamal Hachkar, cinéaste
Samia Hatroubi, professeur d’Histoire, présidente Foundation for Etnic Understanding
Monique Hebrard, journaliste
Amadou Ka, président de l’association Les Indivisibles
Rivon Krygier, rabbin, Adath Shalom
Omero Marongiu-Perria, sociologue, spécialiste de l’islam en France
Médine, rappeur
Ahmed Miktar, président des Imams de France
Elsa Ray, porte parole du CCIF (Collectif Contre l’Islamophobie en France)
Jean-Pierre Rosa, intellectuel chrétien
Anas Saghrouni, président des Étudiants musulmans de France (EMF)
Ilan Scialom, leader juif membre de l’InterFaith Tour
François Soulage, président de Chrétiens en forum

Pour en savoir plus : http://blogs.mediapart.fr/edition/les-invites-de-mediapart/article/080115/divisions-pieges-cons

Le pape appelle l’Europe à retrouver ses « valeurs humanistes »

PapeFrançoisParlementEuropéen

Le pape François a longuement rappelé l’Union à ses « valeurs humanistes » lors du discours qu’il a prononcé au Parlement européen, à Strasbourg, mardi 25 novembre, demandant aux eurodéputés de « travailler pour que l’Europe redécouvre sa bonne âme ».

« L’heure est venue de construire ensemble l’Europe qui tourne, non pas autour de l’économie, mais autour de la sacralité de la personne humaine, des valeurs inaliénables », a-t-il lancé dans un hémicycle presque plein. Les liens de l’Europe et du christianisme sont « bimillénaires », a rappelé le pape, et « l’Europe a fortement besoin de redécouvrir son visage pour grandir ». «Le moment est venu d’abandonner l’idée d’une Europe effrayée et repliée sur elle-même pour susciter et promouvoir l’Europe protagoniste. »

Une « Europe grand-mère »

Le pape en effet a commencé par faire un diagnostic inquiet de l’état de l’Europe. Dans un monde « de moins en moins eurocentrique », « l’Europe est un peu vieillie et comprimée » et « tend à se sentir moins protagoniste dans un contexte qui la regarde souvent avec distance, méfiance et avec suspicion ». Les citoyens sont devenus méfiants « vis-à-vis des institutions considérées comme distantes, occupées à établir des règles perçues comme éloignées de la sensibilité des peuples particuliers, sinon complètement nuisibles ».

Aux yeux de François, l’Union européenne donne « une impression générale de fatigue et de vieillissement », l’image d’une « Europe grand-mère et non plus féconde et vivante » : « Les grands idéaux qui ont inspiré l’Europe semblent avoir perdu leur force attractive en faveur de la technique bureaucratique de ses institutions. »
« Les êtres humains sont traités comme des objets »
Pour transmettre « un message d’espérance et d’encouragement », François a exhorté les dirigeants européens à placer au centre de leur projet « l’homme comme personne dotée d’une dignité transcendantale » et combattre les situations « dans lesquelles les êtres humains sont traités comme des objets dont on peut programmer la conception, la configuration et l’utilité, et qui ensuite peuvent être jetés quand ils ne servent plus, parce qu’ils deviennent faibles, malades ou vieux ».
Le pape a reproché à l’Europe de trop céder à « une revendication toujours plus grande des droits individuels, qui cache une conception de la personne humaine détachée de tout contexte social et anthropologique, presque comme une monade, toujours plus insensible aux autres monades présentes autour de soi. Au concept de droit, celui – aussi essentiel et complémentaire – de devoir, ne semble plus associé, de sorte qu’on finit par affirmer des droits individuels sans tenir compte que tout être humain est lié à un contexte social dans lequel les droits et devoirs sont connexes à ceux des autres et au bien commun de la société elle-même ».
L’Europe souhaitée par François doit « relier la dimension individuelle (…) à celle de bien commun, de ce “nous-tous” formé d’individus, de familles et de groupes intermédiaires. » « En effet, a-t-il ajouté, si le droit de chacun n’est pas harmonieusement ordonné au bien plus grand, il finit par se concevoir sans limites et, par conséquent, devenir source de conflits et de violences. »

« Affronter ensemble la question migratoire »

A l’homme « comme absolu » doit se substituer un « être relationnel », condition, selon le pape, pour mettre fin à la « culture du déchet » qui met au rebut les plus faibles – personnes âgées, jeunes, pauvres, migrants. La référence aux sujets comme l’euthanasie et l’avortement est directe : « Lorsque la vie n’est pas utile au fonctionnement de ce mécanisme, elle est éliminée sans trop de scrupule, comme dans le cas des malades en phase terminale, des personnes âgées abandonnées et sans soin ou des enfants tués avant de naître. »
Applaudi tantôt plutôt par la droite, tantôt plutôt à gauche, le pape François a appelé les Européens à « affronter ensemble la question migratoire ». « On ne peut tolérer que la mer Méditerranée devienne un grand cimetière », a-t-il lancé. Il a aussi insisté sur la nécessité d’un usage respectueux de l’environnement.
Ce message revêt des airs de mise en garde alors que l’Union européenne vient de lancer l’opération baptisée « Triton », critiquée pour être davantage centrée sur la surveillance des frontières que sur le sauvetage des migrants, contrairement à l’opération italienne « Mare Nostrum » à laquelle elle se substitue. Depuis le mois de janvier, plus de 3 000 migrants ont péri en Méditerranée, marquant d’ores et déjà l’année 2014 comme celle d’un sinistre record.
Accueillant le pape, Martin Schulz, le président du Parlement européen, avait souligné à quel point l’Europe traverse une « crise de confiance » et avait affirmé que les propos du pape pouvaient constituer « une orientation dans une époque désorientée ». François devait ensuite prononcer un second discours devant le Conseil de l’Europe.

Par Cécile Chambraud

Pour en savoir plus : www.fait-religieux.com