Aïd al-Fitr 2015 : le CFCM a tranché, la fin du Ramadan connue

Ramadan2015

L’après-midi n’est pas terminé mais le Conseil français du culte musulman (CFCM) a tranché. A l’issue d’une réunion des responsables de fédérations musulmanes à la Grande Mosquée de Paris, l’instance a annoncé, jeudi 16 juillet, que l’Aïd al-Fitr, qui acte la fin du Ramadan et le début du mois de Chawwal, est fixé au vendredi 17 juillet.

Les musulmans de France termineront ensemble ce jeudi leur jeûne, qui aura duré 29 jours. La décision du CFCM coïncide cette année avec l’annonce faite en amont par le Conseil européen de la fatwa et de la recherche (CEFR) qui actait aussi l’Aïd al-Fitr pour le 17 juillet sur la base des calculs astronomiques.

Cette méthode est adoptée de longue date en Turquie et largement suivie dans les pays des Balkans, en Allemagne ou encore en Amérique du Nord, où les fédérations musulmanes fixent en avance les dates de début et de fin des mois lunaires, au-delà du Ramadan. En France, l’Union des organisations islamiques de France (UOIF) en a fait son principe mais est restée discrète cette année à ce propos, ce qui n’a pas donné lieu à de vifs débats comme observés l’année passée.

L’annonce du CFCM est fondée principalement sur les décisions prises dans le monde musulman, à commencer par l’Arabie Saoudite qui a décrété que le mois du Ramadan se termine jeudi. L’Indonésie était le premier pays musulman à avoir pris une décision similaire.

Toute l’équipe de Saphirnews souhaite dès à présent aux musulmans de France une excellente fête de l’Aïd al-Fitr !

Rédigé par Hanan Ben Rhouma

Jeudi 16 Juillet 2015

Pour en savoir plus : http://www.saphirnews.com/

 

Et je me joins à l’équipe de Saphirnews pour présenter à tous les musulmans qui liront ces lignes une belle fête de l’Aïd al-Fitr !

Vous avez été bien courageux d’affronter la chaleur cette année ! Que la Paix soit sur vous !

Marie DAVIENNE – KANNI

 

Dans le Golfe, une diplomatie française sans états d’âme

François Hollande a été à Ryad, mardi 5 mai, en tant qu’invité exceptionnel du sommet du Conseil de coopération du Golfe (CCG).

Hollande-ASaoudite

CHRISTOPHE ENA/AFP

François Hollande accueilli par l’émir du Qatar, le cheikh Tamim Ben Hamad Al Thani, à Doha, lundi 5 mai.

Lundi 4mai, le président français a assisté au Qatar à la signature d’un important contrat de vente de 24 avions de combat Rafale.

La coopération franco saoudienne ne s’est jamais aussi bien portée alors que Riyad se renforce militairement face à l’émergence de l’Iran chiite.

Les relations stratégiques entre la France et les pétromonarchies du Golfe ont toujours été bonnes, elles sont désormais excellentes. Comme en témoignent l’invitation saoudienne faite à François Hollande pour assister à la réunion du Conseil de coopération du Golfe (CCG), à Riyad et les contrats militaires successifs signés avec les monarchies du Golfe.

C’est un « tropisme français pour les pétromonarchies du Golfe qui dure depuis une dizaine d’années, explique David Rigoulet-Roze, chercheur rattaché à l’Institut français d’analyses stratégiques (IFAS) et rédacteur en chef de la revue Orients stratégiques. Ce partenariat stratégique s’accompagne d’une diplomatie économique prônée par le ministre des affaires étrangères, Laurent Fabius, qui se traduit par la signature de contrats militaires », poursuit le chercheur.

« Une nouvelle conception de la diplomatie pour la France qui essaie de s’affirmer sur le marché mondiale dans un contexte de mondialisation », analyse Beligh Nabli, directeur de recherches à l’IRIS.

Le Royaume saoudien premier importateur de matériel militaire dans le monde en 2014

Quelques chiffres suffisent à résumer cette nouvelle lune de miel : 24 avions Rafale vendus au Qatar, 24 Rafale vendus à l’Égypte mais payés par les Émirats du Golfe et l’Arabie saoudite. Et en 2014, la signature du très gros contrat franco saoudien de 3 milliards de dollars pour la livraison de matériels destinés à renforcer l’armée libanaise.

Le Royaume saoudien est le poids lourd de la région : premier importateur de matériel militaire dans le monde en 2014 avec 6,4 milliards de dollars (5,8 milliards d’euros) en hausse de 54 % et premier client de la France pour la défense et le nucléaire civil. Enfin, c’est le premier partenaire commercial français dans le Golfe et le second (derrière la Turquie) au Moyen-Orient.

Mardi 5 mai, François Hollande est l’invité exceptionnel à Riyad du sommet du Conseil de coopération du Golfe (CCG) qui réunit l’Arabie saoudite, le Bahreïn, les Émirats arabes unis, Oman, le Koweït et le Qatar.

La guerre au Yémen au cœur des discussions

À l’ordre du jour de cette réunion, la guerre au Yémen voisin où cinq des six monarchies du Golfe membres de cette instance font partie de la coalition arabe, dirigée par Riyad, pour empêcher une rébellion chiite, soutenue par l’Iran, de prendre le contrôle de l’ensemble du pays.

Une déclaration commune franco saoudienne portant sur une « feuille de route » politique, économique, stratégique et militaire devrait être signée à l’occasion de cette visite, a indiqué la présidence française.

Paris et Riyad sont sur la même position sur l’Iran comme sur la Syrie ou le Yémen et le roi Salman d’Arabie saoudite sait qu’il peut compter sur François Hollande. Car Riyad craint de se voir encercler par le croissant chiite.

Paris méfiant envers le régime iranien

Paris, lui, est méfiant envers le régime iranien, et réclame toujours plus d’exigences de son partenaire américain avant de signer un accord sur le nucléaire qui permettra à terme de lever les sanctions et de redonner du poids à Téhéran dans la région.

Paris a toujours nourri une grande méfiance vis-à-vis de l’Iran. Durant les huit ans de la guerre Iran-Irak, la France a soutenu sans failles Saddam Hussein, à qui elle a vendu des armes. La décennie 80 a également été marquée par les attentats du Drakkar (1983) à Beyrouth, qui a causé la mort de 58 soldats français, la prise en otages de Français au Liban (1985-1988) et des attentats meurtriers à Paris.

Dans les trois cas, l’Iran était impliquée par le biais du Hezbollah, mouvement chiite libanais qu’il a créé en 1982.

« François Hollande fait preuve d’opportunisme géopolitique »

Autre convergence entre Paris et Riyad, l’éviction du dictateur syrien Bachar al Assad. Riyad et les pays du Golfe ont financé activement l’opposition politique et militaire, alimentant de fait les djihadistes qui aujourd’hui menacent les capitales européennes.

Riyad n’a pas accepté la volte-face d’Obama en septembre 2013 alors que Paris demandait une intervention militaire pour faire cesser l’utilisation d’armes chimiques par Damas, et à l’inverse a apprécié la position très va-t’en guerre de François Hollande. Paris continue de soutenir de son côté, une opposition politique syrienne largement sous influence saoudienne.

Au niveau régional, Paris peut profiter de la crise de confiance qui altère les relations américano-saoudiennes. « François Hollande fait preuve d’opportunisme géopolitique, analyse David Rigoulet-Roze, pour valoriser l’image de la France et sa réputation de fiabilité. » L’Arabie saoudite a bien compris que son vieil allié américain s’intéresse désormais davantage à l’Asie qu’au Moyen-Orient d’autant qu’elle peut se passer du pétrole saoudien.

Le paradoxe français

Alors l’alliance entre Paris et Riyad paraît d’autant plus logique que la France a toujours mené une politique bienveillante vis-à-vis des monarchies du Golfe. Jacques Chirac était toujours bien accueilli à Riyad où se négociaient d’importants contrats militaires, Nicolas Sarkozy avait jeté son dévolu sur le petit émirat du Qatar et son carnet de chèque bien approvisionné pour s’en faire un allié dans sa politique étrangère.

Toutefois, Beligh Nabli, ne manque pas de noter « la contradiction française d’un pays qui d’un côté lutte contre le terrorisme et de l’autre noue des liens avec des pays, comme l’Arabie saoudite ou les émirats du Golfe, qui diffusent une idéologie wahhabite qui alimente ce terrorisme ».

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Le Conseil de coopération du Golfe

Le Conseil de coopération du Golfe arabique (CCG) a été créé en 1981. Cette organisation régionale regroupe six monarchies du Golfe persique : l’Arabie saoudite, le Koweït, Bahreïn, les Émirats arabes unis, le Qatar et Oman. L’idée émise début 2011 d’intégrer les royaumes du Maroc et de Jordanie n’a finalement pas été suivie d’effet.

Le CCG, qui réuni des pétromonarchies sunnites a avant tout pour but politique d’assurer leur sécurité face à l’Iran chiite ou aux guerres civiles voisines (Irak, Syrie). Il vise aussi une unification du système économique et financier des États membres.

Sous la houlette de l’Arabie saoudite, une coalition de neuf pays arabes regroupant l’ensemble des membres du CCG à l’exception d’Oman mène depuis cinq semaines des raids aériens pour empêcher une rébellion chiite, soutenue par l’Iran, de prendre le contrôle de l’ensemble du Yémen, pays pauvre de la péninsule arabique et frontalier de l’Arabie saoudite. Cette opération semble marquer le pas.

Agnès Rotivel

4/5/15 – 18 H 32

 

Pour en savoir plus : http://www.la-croix.com

 

Olivier Roy : «La laïcité n’est pas une réponse au terrorisme»

Spécialiste de l’Islam et fin connaisseur du djihadisme, Olivier Roy revient sur la recomposition à l’œuvre au Proche-Orient. Concernant la France, il suggère de « réintroduire de la culture » à l’école et « d’assumer le débat dans les classes ».

 

OlivierRoy

Olivier Roy, professeur à l’Institut universitaire européen de Florence. – Thierry Meneau/Les Echos

A quelques jours du déplacement du chef de l’Etat en Arabie saoudite et près de quatre mois après les attentats à Paris, le politologue et spécialiste de l’Islam Olivier Roy revient sur la recomposition à l’œuvre au Proche-Orient. En France, il convient, selon lui, de distinguer djihadistes et musulmans fondamentalistes. Face aux premiers, « il faut du bon renseignement », dit-il, réservé sur le projet de loi du gouvernement. S’agissant des seconds, il se défie d’une « lacïcité autoritaire ». «Il faut réïntroduire de la culture » à l’école et « assumer le débat dans les classes », souligne-t-il.

Son parcours

Passionné par l’Orient depuis son premier voyage en Afghanistan, en auto-stop en 1969, Olivier Roy est, à près de soixante-six ans, professeur à l’Institut universitaire européen de Florence, où il dirige le Programme méditerranéen.
Spécialiste de l’Islam et fin connaisseur du djihadisme, cet agrégé de philosophie et docteur en sciences politiques a longtemps travaillé au CNRS.
Auteur, en 1992, de « l’Echec de l’islam politique », il a publié l’an dernier « En quête de l’Orient perdu » (Le Seuil, 2014).

 

Les attentats en France, Tunisie et Kenya indiquent-ils que les djihadistes sont devenus une menace mondiale ?

Mais c’est le cas depuis longtemps ! Depuis le 11 septembre 2001, qui marque leur irruption sur la scène médiatique. Ils peuvent frapper partout depuis les années 1990. On assiste, toutefois, à un changement qualitatif avec Daech, qui tient un territoire et ­constitue une force d’attraction considérable, par opposition à Al Qaida. Ben Laden voulait frapper dans le monde entier, mais sans chercher à tenir un pays, il n’était qu’hébergé par les talibans. Daech peut, en revanche, intégrer des milliers de volontaires de nos pays.

Daech est-il en train de réussir son projet de constitution d’un Etat islamique ?

Oui et non. Il dispose, effectivement, de certaines prérogatives étatiques, un système fiscal, judiciaire et administratif, une armée, un territoire, mais on ne sait pas très bien si cela fonctionne vraiment. Certains contacts à Raqqa affirment que Daech assure la distribution de pain, d’allocations, gère des hôpitaux, mais d’autres disent que ces derniers ne sont accessibles qu’aux combattants de Daech et leur famille, que l’électricité n’est disponible que deux heures par jour. En outre, pour Daech les frontières n’ont pas de sens : c’est un projet d’expansion illimitée ou, au minimum, de reconstitution de la communauté des croyants, la oumma, du Maroc à l’Inde, comme aux premiers siècles de l’islam. S’il ne s’étend pas continuellement, il est en échec, ce qui est le cas actuellement. En Jordanie, l’exécution d’un pilote l’a privé de toute complicité et à Damas il affronte les Palestiniens. Contrairement à ce que prétendent certains, aucun djihadiste n’est d’origine palestinienne.

Bref, l’implication de Daech dans les guerres civiles locales le gêne pour mener une guerre mondiale à l’Occident, à l’inverse de son rival nomade, Al Qaida. Daech n’a pas d’alliés et ne peut qu’échouer à terme. Ce qui ne l’empêchera pas de faire encore longtemps des dégâts.

Comment voyez-vous la recomposition en cours du Proche-Orient ?

Nous assistons au début d’une guerre de Trente Ans, par analogie à celle entre catholiques et protestants, qui a ensanglanté l’Europe au début du XVIIe siècle. L’islam est au confluent de trois crises majeures ; celle née du phénomène d’immigration massive en Occident (je ne crois pas à la thèse du « grand remplacement » mais il s’agit, quand même, d’un changement tectonique), celle née de la constitution d’Etats nations artificiels suite au démantèlement de l’empire ottoman après la Première Guerre mondiale et celle de la rivalité féroce entre l’Arabie saoudite, sunnite et arabe, et l’Iran, perse et chiite.

Une des conséquences est l’expansion du salafisme, interprétation littéraliste de la révélation, très adaptée à l’acculturation suscitée par la globalisation. On ne peut pas dire que les djihadistes, en Occident ou dans le monde arabe, n’ont « rien à voir avec l’islam », ne serait-ce que parce qu’ils s’en réclament. Mais ils ne sont ni des musulmans traditionnels ni des traditionalistes : ils se réclament d’un islam bricolé, totalement acculturé, qui rompt avec quinze siècles de tolérance. La preuve, c’est que Daech détruit des églises en Syrie et Irak : c’est donc que ces églises ont été respectées depuis la prédication de Mohamed.

Les pays occidentaux devraient-ils se résoudre à s’allier à Damas ou Téhéran face à Daech ?

Bachar al Assad n’est plus une carte, puisqu’il n’est plus en capacité d’agir. Ce n’est plus le chef d’un Etat fonctionnel, mais un seigneur de guerre parmi d’autres. L’Iran, c’est autre chose : c’est, quasiment, le seul Etat nation de la région. C’est un redoutable joueur de poker menteur, qui va encore gagner du temps et faire du chantage sur le nucléaire mais il est rationnel, il a le sens du temps long et du rapport de force. On peut discuter avec lui.

L’Arabie saoudite, elle, n’a qu’un seul ennemi : le chiisme. Ce qui la pousse à être complaisante avec les djihadistes sunnites. Elle est donc plus un problème qu’une solution.

Vous annonciez dès 1992 la mort de l’Islam politique, mais 23 ans plus tard ce cadavre a l’air encore bien actif…

En 1992 je faisais allusion seulement aux Frères Musulmans, c’est-à-dire à un projet de gestion d’un Etat nation au nom de l’islam, à l’inverse du projet djihadiste. Les Frères Musulmans ont été emportés par les suites du printemps arabe : ils ont perdu le pouvoir en Tunisie et en Egypte. On assiste en revanche à l’émergence d’un néo-fondamentalisme violent qui ne recrute pas parmi des Frères Musulmans réprimés. Ce djihadisme s’implante plutôt en zones tribales en crise (Yémen, Afghanistan, Pakistan) plutôt que dans les villes.

En Occident, les djihadistes sont aux marges des populations musulmanes. Les effectifs d’apprentis terroristes sont significatifs mais faibles rapportés à la population: la preuve c’est que chaque fois que l’un d’entre eux passe à l’acte on découvre qu’il était fiché par la police.

Vous insistez sur « la quête existentielle » des terroristes français. Est-ce une manière de dire qu’il n’y a pas chez eux de projet politique ou de structuration idéologique ?

L’un n’exclut pas l’autre. Il y a une quête existentielle de jeunes en recherche d’aventure – le syndrome : je veux être un super-héros – et puis il y a un référentiel islamique. Daech combine les deux. Un exemple : sur les pages Facebook de deux Portugais de Paris qui sont partis en Syrie il y a quelques mois, il y avait, chez l’un, Ray-Ban et boîte de nuit, et chez l’autre, une sourate du Coran. Mais ils sont partis ensemble. Leur point commun est une forme de marginalisation psychologique. Ils n’ont pas nécessairement de problèmes d’argent, mais ils se situent en rupture avec la société et s’enferment : ils découvrent ou redécouvrent l’islam sur Internet ou en prison et se fabriquent leurs propres croyances et pratiques. C’est ce que permet le salafisme.

Dans leur parcours, ils croisent quand même des imams…

Ils ont des figures tutélaires, des types qui s’autoproclament imams – il n’y a pas de clergé dans l’islam sunnite – et qui forment une sorte de secte. Mais il ne faut pas se tromper : il n’y a chez eux aucun pilier de mosquée ou membre d’une organisation musulmane telle l’UOIF. Ils ne s’inscrivent pas dans une pratique collective de la religion ; ils ne sont pas fascinés par les imams qu’ils considèrent être des ploucs ou des traîtres. Les grands prêcheurs radicaux qui servaient de recruteurs, c’étaient les années 1990 et c’est fini. Certains imams disent des choses horribles sur les femmes et les homosexuels, mais ce n’est pas un appel au terrorisme. La police a fait son travail. Les djihadistes d’aujourd’hui ont une structure de croyance comparable à la radicalité des « born again » protestants ou des convertis – qui représentent 22 % de ceux qui partent en Syrie.

La laïcité telle que la France la conçoit peut-elle être une réponse ?

La laïcité n’est pas une réponse au terrorisme. Beaucoup de gens pensent que la radicalisation djihadiste est une conséquence de la radicalisation religieuse. Mais ce n’est pas parce que vous êtes ultraorthodoxe que vous êtes violent. Chez les catholiques, les trappistes sont des fondamentalistes tout en étant les hommes les plus pacifiques du monde. Et vous avez des salafistes tout à fait paisibles. Contre le terrorisme, il faut du bon renseignement : il vaut mieux augmenter les effectifs de la DGSI, c’est-à-dire avoir des policiers formés à interpréter les écoutes, que multiplier ces mêmes écoutes – c’est le défaut du projet de loi sur le renseignement.

Quant au fondamentalisme religieux, la République n’a pas à l’interdire.

Pourquoi ?

C’est comme si on avait dit que pour répondre aux attentats d’Action directe, il fallait interdire les écrits de Karl Marx ou d’Alain Badiou. En démocratie, on ne condamne pas quelqu’un pour ses opinions, mais pour le passage à l’acte. La République française, à partir de 1881, part de la liberté individuelle et pas du contrôle étatique. Elle n’est pas robespierriste, il ne faudrait pas qu’elle le devienne. On oublie que la loi de 1905 sur la séparation des églises et de l’Etat garantit la liberté de pratique religieuse dans l’espace public. Elle impose la neutralité à l’Etat, pas à la société. Le débat a eu lieu à l’époque entre Aristide Briand et Emile Combes, entre l’anticlérical et l’antireligieux. Le premier l’a emporté mais ce débat renaît régulièrement. De nos jours, il n’y a plus de culture profane du religieux, donc le religieux fait peur et on veut le chasser dans la sphère privée. Mais la laïcité garantit la liberté, ce n’est pas une idéologie.

Donc vous êtes opposé à l’interdiction du voile à l’université…

Oui. Nous ne sommes pas dans le même cas que l’école, car les étudiantes sont adultes. Si on part du principe que la liberté religieuse est une liberté individuelle, il faut un principe aussi fort pour aller à son encontre. Cela peut-être un argument sanitaire, comme le vaccin chez les témoins de Jéhovah, ou la sécurité publique pour l’interdiction du voile intégral. Mais le fait qu’une femme porte un foulard n’empiète en rien sur la liberté, la santé ou la sécurité des autres.

Faut-il, à un moment, dire stop et selon quel principe ?

Pour moi, la liberté individuelle doit prévaloir, dans la mesure du bon fonctionnement des institutions. Le port du voile ne gêne pas le bon fonctionnement des institutions et ce n’est pas non plus du prosélytisme. En revanche, il n’y a pas à suspendre les examens pendant le ramadan car l’Etat n’a pas à s’adapter à la religion. Dans les cantines, il n’y a pas à mettre de menu halal mais on n’a pas à imposer à des enfants musulmans, juifs ou végétariens de manger du porc. Comme on ne va pas les priver de repas, pourquoi se priverait-on de menus de substitution végétariens ? Il faut être empirique et faire confiance aux acteurs.

L’association nationale des DRH souhaite, par exemple, que le port ou non du voile dans une entreprise relève du contrat de travail car chaque entreprise a sa culture et ses clients. Les hôpitaux ont aussi résolu le problème de la demande d’un médecin femme par des patientes femmes : s’il y a une femme médecin de disponible, elle vient, sinon – intérêt du service –, c’est un homme qui se présentera. Il n’y a pas besoin de loi pour tout cela.

Outre le renseignement, la réponse d’une démocratie au terrorisme doit-elle être sociale, culturelle… ?

Sur le social, je suis un peu sceptique. Le fait qu’une partie de la jeunesse – notamment les convertis – bascule dans le nihilisme pose un problème de société qui dépasse l’islam. Il faut opposer des contre-modèles. C’est le défi de l’école, mais elle me semble très mal partie pour le relever. La laïcité autoritaire ne sert à rien avec des adolescents qui, précisément, sont contestataires. Il faut faire de la morale sans faire de leçons. Il faut réintroduire de la culture. C’est pourquoi l’enseignement thématique de l’histoire est aberrant ! Traiter Moïse, Dreyfus et l’Holocauste dans le même cours, cela contribue à tout mélanger alors que ces jeunes sont déjà dans la confusion.L’école doit aussi assumer le débat dans les classes, quitte à entendre des horreurs. Gérer les conflits, c’est le boulot des enseignants à condition qu’ils soient soutenus par leur administration. Or, trop souvent, le mot d’ordre dans l’Education nationale, c’est : « pas d’emmerdes ».Il faut réintroduire de la responsabilité à tous les niveaux, plutôt que de demander des lois pour tout. Il faudrait aussi que l’on ne voit pas que les salafistes dans l’espace religieux. Il faut laisser émerger des modèles de musulmans modérés, mais pas en inventant une religion modérée.

A quoi attribuez-vous l’échec du CFCM ?

A l’impensé gallican de notre République qui ne rêve que d’une chose : régenter le religieux. Le but officiel du CFCM était de faire émerger un Islam de France. Or tous les ministres de l’Intérieur ont géré cela avec le Maroc, l’Algérie ou la Turquie. Toutes les questions sur l’Islam en France sont négociées avec trois Etats étrangers. Comment voulez-vous que le CFCM soit respecté par la nouvelle génération de musulmans qui eux sont Français ?

Elsa Freyssenet
/ Chef de service adjointe, Yves Bourdillon / Journaliste et Henri Gibier / Directeur des développement éditoriaux |
En savoir plus sur http://www.lesechos.fr

Arabie saoudite vs Iran: pourquoi c’est le nouveau choc des religions

En intervenant au Yémen contre les rebelles chiites soutenus par l’Iran, l’Arabie saoudite, championne du sunnisme expose la région à un embrasement général.
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Des avions de l’armée aérienne de l’Arabie Saoudite, photographiés le 1 janvier 2013. (FAYEZ NURELDINE / AFP)

Remarque d’un haut gradé du Pentagone, dans le Wall Street Journal: « Je regarde la carte du Moyen-Orient ; je regarde tous ces affiliés de l’Etat Islamique ; je regarde toutes ces zones de combat. Et je me demande qui sera l’archiduc dont l’assassinat déclenchera un embrasement général ».

Une guerre totale, dans tout le Proche et le Moyen-Orient, provoquée, comme en juin 1914, par le meurtre de l’héritier – ou d’un haut dirigeant – d’un territoire non pas austro-hongrois mais sunnite ou chiite? L’hypothèse est glaçante mais désormais plausible avec l’intervention directe de l’Arabie saoudite au Yémen.

En s’attaquant à la rébellion houthiste, soutenue et armée par l’Iran, le champion de la branche majoritaire du sunnisme est entré en conflit direct avec Téhéran, chef de l’axe chiite. En bombardant les troupes houthistes, sur le point de chasser le président yéménite, leur allié, en combattant au sol ces chiites désormais aux portes d’Aden, la deuxième ville du pays après avoir conquis Sanaa, sa capitale, le royaume wahhabite saoudien a pris le risque d’affronter, par milices interposées, la République islamique iranienne, sa grande rivale dans la région.

A la tête d’une coalition de 8 pays

Certes, en laissant faire, l’Arabie saoudite aurait perdu toute crédibilité dans sa zone d’influence. Mais en prenant la tête d’une coalition de huit pays arabes (Emirats arabes unis, Qatar, Bahreïn, Koweït, Égypte, Jordanie, Maroc, Soudan) plus le Pakistan, contre l’Iran, héritier de la « vraie légitimité » (celle de la descendance de Mahomet), le royaume qui abrite les lieux saints de l’Islam (La Mecque et Médine) court le pire des dangers. Un enlisement, une guerre longue, fratricide déstabilisant toute la région.

Arrêt sur image.

Depuis décembre 2010, début du « printemps arabe » en Tunisie, jamais cette région n’a été aussi divisée, fragmentée entre allégeances, tribus, confessions et ambitions. Après la chute de Moubarak en Egypte, celle de Kadhafi en Libye, puis l’éclatement de la guerre civile en Syrie (en quatre ans plus de 200.000 morts et deux millions de réfugiés), l’irruption de la machine Daech en Irak et en Syrie, avec des « affiliés » du Yémen à la Tunisie, a provoqué une recrudescence des affrontements religieux et une pulvérisation des frontières rendant illisible la carte de la région. Que cache, par exemple, l’opposition à Bachar al Assad, le dictateur syrien ? Des réformistes (le Conseil national syrien, dominé par les sunnites) ? Des groupes armés partiellement convertis au charme vénéneux du califat d’Abou Bakr al-Bagdadi ? La « Résistance islamique », branche armée du Hezbollah, mouvement chiite libanais renforcé par des combattants iraniens de même obédience ? Même casse-tête en Irak. À Tikrit, engagées aux côtés des forces menées par les États-Unis (combattants kurdes, armée régulière irakienne) contre les djihadistes, certaines milices chiites sous les ordres du général iranien Ghassem Soleiman, menacent de « cibler » des conseillers militaires américains. Qui chercheraient à leur « voler la victoire ». « Bataille dans la bataille », qu’on retrouve au Yémen. Les « conseillers » américains s’étant retirés (tout en continuant à assister l’aviation saoudienne), les rebelles houthistes bénéficient du soutien de l’Iran, mais le pays a été longtemps – et semble rester – l’un des terrains d’action d’Al Qaida.

Un maître d’oeuvre local

S’il est souvent difficile de repérer la main de Téhéran, celle de Riyad ou de l’Etat islamique qui n’utilisent pas toujours leurs propres forces mais choisissent un « maître d’œuvre » local pour appliquer leur stratégie, impossible, en revanche, d’ignorer une évidence : cette région du monde hyper inflammable peut s’embraser totalement à tout moment. Au petit jeu de la responsabilité, chacun peut se renvoyer la balle. Les pays arabes ? Ils ont beau jeu d’accuser la colonisation et les accords Sykes-Picot de 1916, « organisant » le démantèlement de l’empire Ottoman et le découpage du monde arabe selon des frontières totalement artificielles. Les occidentaux ? Ils soulignent l’incapacité des nations arabes à bâtir de vraies démocraties capables d’endiguer le terrorisme islamiste. Le vrai problème : comment sortir du tsunami qui bouleverse la géostratégie de la région?

Après les deux guerres d’Irak et l’échec des néoconservateurs américains à imposer par la force un nouvel ordre international, Obama voulait (discours du Caire en 2009) en finir avec le mythe du « choc des civilisations », dissiper la méfiance des musulmans vis à vis de l’Amérique et, la paix rétablie, concentrer son attention sur l’Asie (doctrine du « pivotal shift » vers le Pacifique).

Mais voilà, le gendarme de la région n’a tenu aucun de ses engagements. Ni vis à vis de l’Arabie saoudite (lâchée par les USA lors de la répression de la révolte populaire de Bahreïn), ni vis à vis de l’Égypte (abandon de Hosni Moubarak en 2011, soutien mitigé au président Al-Sissi), ni vis à vis de ses alliés européens (refus de bombardements ciblés en Syrie en septembre 2013, malgré l’utilisation d’armes chimiques contre sa population par Bachar Al-Assad). Alors, se poser aujourd’hui en médiateur, éviter une confrontation entre l’Arabie saoudite -sunnite – qu’elle n’a cessé de trahir et l’Iran -chiite – avec qui elle négocie une limitation cruciale de son programme nucléaire : mission impossible.

Sans alliés sur le terrain, sans ligne directrice claire, l’Amérique jongle avec trop d’enjeux : détruire l’Etat islamique, normaliser ses rapports avec l’Iran, ménager les théocraties du Golfe, mais également Israël, farouchement opposé comme Ryad à la rentrée de l’Iran sur la scène internationale. « Leading from behind », « diriger les choses de derrière » : c’est la nouvelle « real politik » des États-Unis. Dans l’affrontement chiites-sunnites, cette recette paraît simpliste pour l’Orient compliqué.

Jean-Gabriel Fredet

Par Jean-Gabriel Fredet

Pour en savoir plus : http://www.challenges.fr

L’urgence d’un islam de France structuré, apaisé, crédible

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Prière à la Grande mosquée de Strasbourg en 2013. REUTERS/Vincent Kessler

 

Sans renier l’héritage laïque, une voie de cogestion de l’islam peut être imaginée en France, garantissant l’égalité de traitement des musulmans avec les autres religions, excluant l’assimilation autant que l’insertion communautaire à l’anglaise.

Depuis près d’un demi-siècle, tous les gouvernements, de droite comme de gauche, échouent dans la gestion d’un islam divisé, soumis aux influences étrangères, rétif à toute hiérarchie cléricale ou laïque. Il est devenu urgent de relancer la question obsédante de la place de l’islam dans la République laïque, de sa capacité à s’organiser, à s’unifier, à désigner des représentants compétents et incontestés, à se mobiliser contre ses tendances radicales, à condamner et évincer ses extrémistes.

Toutes les équivoques ne sont pas levées, mais l’une des leçons des derniers événements en France est la libération de la parole, chez les musulmans, à propos de l’islam radical dans leurs rangs.

 

Sans doute a-t-on eu tort de confondre leurs silences d’hier avec de la complicité. Leur peur, leur division, leur stupeur devant la montée du terrorisme islamiste, devant l’injonction de condamnation qui pesait sur elle, venant de tous les milieux, étaient les premiers responsables de cette paralysie. Une page semble aujourd’hui se tourner. Le désaveu est plus net et certainement majoritaire.

Faut-il y voir la promesse d’avancées, enfin sérieuses, sur la question obsédante de la place de l’islam, deuxième religion de France, dans la République laïque, de sa capacité à s’organiser, à s’unifier, à désigner des représentants compétents et incontestés, à se mobiliser contre ses tendances radicales, à condamner et évincer ses intégristes?

Depuis près d’un demi-siècle, c’est-à-dire depuis la sédentarisation d’une communauté musulmane qui a quintuplé (5 millions) depuis 1960 –notamment harkis, rapatriés, migrants économiques, regroupement familial–, tous les gouvernements, de droite comme de gauche, ont échoué à faire émerger une représentation unique, structurée, respectée de l’islam de France, à l’image de ce qui existe dans les consistoires juif, protestant ou dans les institutions de l’Eglise catholique de France.

Tous les ministres de l’Intérieur (chargés des cultes), qu’ils jouent la carte de la fermeté (Charles Pasqua) ou de la concertation (Pierre Joxe, Jean-Pierre Chevènement, Nicolas Sarkozy), se sont cassés les dents. On a isolé et arrêté des réseaux extrémistes, traqué et expulsé des imams politisés, remis de l’ordre dans certaines mosquées, tari des sources suspectes de financement et de fourniture d’armements. Mais la gestion sécuritaire de l’islam de France, pour ne pas dire policière, n’a pas endigué la montée de la radicalisation.

Tableau issu de l’enquête Ined-Insee «Trajectoires et origines 2010». Il en ressort qu’il y aurait 8% de musulmans en France, soit environ 5 millions. L’enquête du Pew Research Center aboutit environ au même nombre (4,7 millions).

 

Favorisée par la droite au pouvoir, la gestion dite «consulaire» avec un partenaire privilégié –la Mosquée de Paris, «vitrine» de l’islam de France, construite en 1926 à la mémoire des soldats musulmans tués lors de la Première Guerre mondiale– n’a pas davantage abouti.

Trop dépendante de ses liens statutaires et financiers avec l’Algérie, coupée de toute base associative, de jeunes, de femmes, d’intellectuels, la Mosquée de Paris n’a jamais été capable d’assurer le leadership musulman. Les polémiques incessantes sur la fixation des dates du Ramadan, sur le marché juteux de la viande halal, sur la formation et le recrutement des imams ont largement contribué à son discrédit.

Enfin, la gestion collégiale de l’islam, qui avait la préférence de la gauche, n’a pas donné de résultats plus probants. L’instance représentative à présidence tournante (le Corif, Conseil de réflexion sur l’avenir de l’islam en France), qu’avait mise en place le ministre Pierre Joxe (PS) au début des années 1990, a vite succombé à ses divisions.

Dans la même ligne, une décennie plus tard, Nicolas Sarkozy, alors ministre de l’Intérieur, a failli réussir. Avec habileté et énergie, il avait trouvé un compromis et obtenu un accord entre les principales obédiences rivales, la Mosquée de Paris fidèle à l’Algérie, la Fédération des musulmans de France liée à la Ligue islamique et au Maroc, l’Union des organisations islamiques de France, proche des Frères musulmans.

Et en avril 2003, pour la première fois, un organisme central –le Conseil français du culte musulman (CFCM)– était élu avec un mandat clair: organiser l’islam de France, en devenir le porte-parole, gérer les affaires du culte qui suscitent tant de convoitises et aiguisent tant de querelles recuites.

Un programme qui a globalement échoué. Depuis plus de dix ans, sur fond de rivalité entre musulmans d’origines algérienne et marocaine, le CFCM s’est montré incapable de travailler de manière collégiale. Il s’est partagé les majorités et les postes, mais, manquant de moyens, de charisme et d’agenda, il est devenu inaudible, jusque dans la tempête actuelle.

La contrainte des lois laïques

Le projet fédérateur d’un islam de France représentatif, structuré, inscrit dans la réalité laïque du pays, capable de contrôler ses dérives intégristes, fait donc partie des serpents de mer de la politique française. C’est un vœu pieux qui se dérobe toujours à la réalité, se résume à une longue série d’occasions gâchées. C’est la conséquence lancinante de ces maux congénitaux que sont l’absence de hiérarchie cléricale dans l’islam sunnite, majoritaire en France, et la fragmentation d’une communauté divisée par ses origines nationales, ses sensibilités, l’ego de ses représentants, ses clivages de générations et ses filières de financement.

Il n’y a pas un islam de France, mais presque autant d’islams que de musulmans! Eclatés en une quinzaine de nationalités d’origine (Maghreb, Turquie, Afrique noire, etc) et une multitude de chapelles associatives, placés sous la coupe d’ambassades et de bailleurs de fonds étrangers, réclamant sans cesse le soutien des pouvoirs publics, mais criant à l’ingérence dès la moindre intervention de l’Etat, la responsabilité des musulmans en France dans cet échec est écrasante.

Mais cela ne doit pas disculper les responsables politiques. Au lieu de tout entreprendre pour désolidariser l’islam de ses influences étrangères, ils ont fermé les yeux, au nom d’une laïcité non interventionniste, sur les subventions des pays arabes au culte musulman français. C’est l’Arabie saoudite qui a payé la construction de la grande mosquée de Lyon et le Maroc qui a financé, en partie, celle d’Evry. C’est l’Algérie qui subventionne le fonctionnement de la Grande mosquée de Paris. Ce sont les pays du Golfe qui ont servi de bailleurs de fonds à la première «université» islamique, créée à l’initiative de l’UOIF (Union des organisations islamiques) dans la Nièvre. Ce sont l’Egypte, l’Algérie, la Turquie qui envoient encore leurs imams en France prêcher dans les mosquées, chaque année, durant le mois de ramadan.

Les questions de fond, posées par l’intégration de cette nombreuse communauté, n’ont pas été traitées, encore moins réglées. Aucune des propositions allant dans le sens d’une plus grande transparence, d’un financement public de la formation des imams et des cadres religieux, n’a été suivie d’effet.

Dès les années 1970, le grand orientaliste Jacques Berque proposait de créer des lycées mixtes franco-arabes. Plus tard, des personnalités comme Jean-Pierre Chevènement, ministre de l’Intérieur, comme les professeurs Mohamed Arkoun et Jacques Trocmé, prenaient position en faveur de l’ouverture d’une faculté islamique financée par l’Etat à Strasbourg, en pays concordataire, comme sont financées les facultés catholique et protestante de cette ville. Ministre de l’Intérieur en 2004, Dominique de Villepin proposait aussi, sans succès, la création d’une Fondation chargée de finançer les «œuvres musulmanes». Quant à la question de l’enseignement musulman sous contrat, elle est restée taboue jusqu’à la création, au début des années 2000, du lycée musulman Averroès dans la région lilloise.

Le résultat est qu’au fil des années, profitant des espaces laissés libres par l’absence de dirigeants compétents et consensuels, se sont développées des pratiques de «réislamisation» de jeunes dans les banlieues, puis de radicalisation. Ces pratiques ont favorisé le «repli» identitaire religieux, accru la distance avec les élus locaux, avec les porte-parole officiels et le tissu des associations qui, sur le terrain, luttent entre autres contre la drogue et la délinquance, en faveur du soutien scolaire et familial. Echappant à toute autorité, dans les mosquées et dans les cités, des enclaves ont commencé à se former. Une auto-organisation s’est mise en place, devenue perméable à toutes les infiltrations extrémistes.

 

Repenser l’islam dans une société laïque

Tirant la leçon des échecs passés et des événements de ces derniers jours, le débat sur la structuration d’un islam pluriel, divisé, instrumentalisé, rebondit aujourd’hui. Si la France a réussi à intégrer «des musulmans» –et les exemples de réussite sont légion–, elle n’a jamais réussi à intégrer, ni même à penser l’islam en tant que tel, longtemps perçu comme un phénomène provisoire et étranger. Elle a longtemps cru que l’islam allait disparaître avec l’assimilation de la première génération.

Mais bien avant la vague salafiste et la radicalisation islamiste, le vent avait tourné. En rupture avec la génération des «pères» assimilés, avec un modèle dominant d’intégration culturelle, des jeunes filles auparavant en minijupe avaient commencé dans les années 1980 à porter le voile, à réciter leurs cinq prières quotidiennes, à faire le ramadan. C’est allé dans certains cas jusqu’au port de la burqa, réprimée par une loi de 2010.

Dans la situation nouvelle d’aujourd’hui, quels sont les scénarios disponibles et possibles?

Le premier est un interventionnisme plus direct de l’Etat dans la religion musulmane, en vue de régler des questions qui paraissent insolubles depuis des décennies, mais sont devenues cruciale et touchent à la sécurité même de la communauté et du pays. On le sent dans les coups de menton d’un Manuel Valls: la tentation est grande pour l’Etat de se substituer à un leadership musulman défaillant. Mais peut-on aller jusqu’à créer une forme de «consistoire» musulman, comme l’empereur Napoléon avait créé un consistoire juif et un consistoire protestant, toujours en fonction et qui ont prouvé leur capacité?

Déjà pressé, dans les années 1980, de faire preuve de plus d’autorité dans les affaires de l’islam, Jean-Pierre Chevènement, ministre de l’Intérieur, avait l’habitude de répondre: «Je ne suis pas Napoléon». Il était trop fin connaisseur de l’histoire de la République et des lois laïques pour savoir qu’on ne pouvait pas organiser autoritairement l’islam en France.

Voudrait-on créer aujourd’hui un consistoire musulman qu’on ne le pourrait pas. L’islam est arrivé après 1905 sur le sol français, mais la séparation des cultes et de l’Etat ne permet plus à aucun gouvernement d’administrer directement une religion pourtant devenue, par le nombre de ses fidèles, la deuxième de France et traversée par de graves tensions.

Ministre de l’Intérieur, puis président de la République, Nicolas Sarkozy avait bien tenté de contourner l’obstacle, mais il avait profondément choqué le camp laïque. Il avait proposé d’amender –légèrement– la loi de 1905 pour aider à la construction de lieux de prière décents et pour financer la formation d’enseignants religieux parlant français et intégrés. Pour lui, la France devrait transcender son «culte de la laïcité», rompre avec l’interprétation restrictive des lois de séparation, délimiter un nouvel espace pour la religion en politique. En raison des polémiques qui ont suivi ses discours de Saint-Jean de Latran à Rome en 2007 et de Ryad en 2008, il ne s’est pas obstiné.

Faut-il alors se tourner vers le système «communautariste» qui prévaut en Grande-Bretagne, où l’islam prend en charge sa propre organisation, désigne ses représentants, possède ses écoles privées mais subventionnées, ses agences de l’emploi situées au sein même des mosquées? Cette logique de développement séparé est contraire à toute la tradition française d’intégration depuis deux siècles. Elle ne protège aucunement des montées de fièvre intégriste et crée même des sortes de ghetto.

Faut-il voir l’exemple espagnol: en 1992 à Madrid, un accord passé avec l’Etat garantit aux fidèles de confession musulmane la construction de lieux de culte, la formation de leurs imams, l’enseignement religieux à l’école publique, la reconnaissance des mariages islamiques, la pratique religieuse des militaires, etc.

 

Former des cadres religieux et des aumoniers de prison

Après la tragédie du 7 janvier et le sursaut républicain du 11, traquer les réseaux islamistes, chasser les imams politiques, réprimer le port de la burqa, sanctionner les refus de mixité, à l’école ou à l’hôpital, ne peuvent plus tenir lieu de seule politique. Sans renier l’héritage laïque, une voie de cogestion de l’islam peut être imaginée en France, garantissant l’égalité de traitement des musulmans avec les autres religions, excluant l’assimilation autant que l’insertion communautaire à l’anglaise.

D’abord, faire émerger un mode plus crédible de représentation et de direction de la communauté, dans toutes ses composantes, y compris laïque. Le modèle est celui du Conseil des institutions juives de France (Crif).

Puis il est aussi urgent de faire avancer la question cruciale de la formation des cadres religieux. Celle-ci devait être la clé de voûte d’un islam apaisé, mais les instituts Avicenne de Lille, ceux de l’UOIF près de Château-Chinon (Nièvre) ou de la Mosquée de Paris (dont les étudiants reçoivent aussi des cours de religion et de laïcité à l’Institut catholique) témoignent, hélas, d’une formation qui reste précaire, peu contrôlée, dispersée. Les pouvoirs publics, autant que les associations divisées sur les contenus théologiques, semblent dépassés par les enjeux de formation musulmane.

Enfin, si Manuel Valls et l’ensemble de la classe politique conviennent que la racine du mal se trouve largement dans la concentration de musulmans radicaux en prison, il faudra impérativement renforcer les moyens budgétaires et augmenter la charge et le nombre des aumôniers de prisons. Ceux-ci ne sont qu’environ 150. Ils touchent un maigre pécule et n’ont pas de statut qui les protège socialement. Les contrôles et les enquêtes (légitimes) des préfectures et de l’administration pénitentiaire découragent aussi des vocations.

On ne pourra cependant trouver de meilleur antidote au prosélytisme radical que dans la présence et l’écoute des aumôniers en nombre, éclairés, formés, convaincus de l’importance de leur mission pour lutter contre l’endoctrinement, l’influence de «meneurs» qui prêchent un islam de guerre et de violence. C’est à ce prix que la communauté musulmane pourra guérir de ses démons. Mais, sur ce terrain de la prison comme sur les autres, l’Etat ne pourra pas non plus se dérober à ses responsabilités.

21.01.2015 – 7 h 36 – mis à jour le 21.01.2015 à 7 h 40

Pour en savoir plus : http://www.slate.fr

 

Le wahhabisme aux sources de l’ »État islamique »

Le wahhabisme aux sources de l’ »État islamique »

CavaliersArabieSaoudite
Cavalier Ikhwan dans l’actuelle Arabie Saoudite en 1929

Les djihadistes de l’EI puisent leur idéologie dans ce courant politico-religieux, qui fonda l’Arabie saoudite.

Dans les écoles des territoires contrôlés par l’État islamique (EI), les professeurs enseignent le combat contre les chiites, dénoncent la théorie de l’évolution et rejettent les arts et la musique. Leurs programmes scolaires sont calqués sur les manuels scolaires saoudiens. Surprenant ? Pas tant que cela. Les djihadistes de l’État islamique ne sont pas une création ex nihilo, ni d’ailleurs leurs « grands frères » d’al-Qaida. Tous ces groupes, et particulièrement l’EI, trouvent leur matrice dans le wahhabisme, un courant politico-religieux qui fut à l’origine du développement de l’Arabie saoudite.

Un duo conquiert l’Arabie

Tout commence au XVIIIe siècle dans le Nadjd, un plateau au cœur de la péninsule arabique, par la rencontre entre deux hommes très différents. Le premier est un religieux : Abd al-Wahhab. Ce fils d’un juge islamique veut détourner les Bédouins du paganisme. Il prône un retour à l’islam « pur » par l’imitation de la vie du Prophète et de ses compagnons, une doctrine ultraorthodoxe appelée aujourd’hui le salafisme. Il combat aussi les formes de religiosité populaire et réaffirme le monothéisme.

Mais le jeune homme, qui se distingue par son intransigeance, dérange et se fait chasser de plusieurs cités, avant d’arriver à Diriya, une petite ville du Nadjd, où il rencontre Ibn Saoud, le seigneur des lieux, à qui il propose un marché. Abd al-Wahhab a remarqué que les artisans et agriculteurs de la ville sont très pauvres. Il conseille donc à Ibn Saoud d’arrêter de prélever la taxe sur les produits agricoles, qui les asphyxie, et de remplacer ce revenu par le produit du djihad qu’il entend mener sur les cités voisines à la tête d’une armée. Le prince accepte. C’est le « pacte de Nadjd ». « S’ensuivront des guerres de conquête qui, pour être maquillées des couleurs de l’islam, n’en répondent pas moins à de banals impératifs de survie économique », explique ainsi l’historien Pascal Ménoret dans son livre l’Énigme saoudienne (la Découverte).

Le duo conquiert l’Arabie en quelques années. Tout en imposant cette vision rigoriste de l’islam, les deux hommes vont transformer les sociétés de ces régions. Et surtout construire un État centralisé sur un territoire auparavant déchiré par les guerres entre cités. « En quelques décennies, le Nadjd passa du mouvement incessant des biens entre tribus et oasis par le biais du commerce ou plus largement des raids à une accumulation de biens en faveur d’un centre politique et d’une famille régnante, précise Pascal Ménoret.Abd al-Wahhab initia un cercle vertueux : la guerre permit l’accumulation de capital ; la conquête rendit les routes plus sûres ; capital et sécurité provoquèrent un essor sans précédent du commerce ; Diriya s’enrichit et put en retour assurer sa domination par la redistribution des richesses. »

Une révolution économique qui se doubla donc d’une révolution sociale : libérés des taxes, les artisans et les agriculteurs, qui dans le système des castes de l’Arabie traditionnelle étaient méprisés, s’enrichissent et s’élèvent. Trois royaumes vont se succéder : le premier (de 1745 à 1818) et le second (de 1824 à 1890) sont réprimés par les Ottomans. Le troisième, érigé en 1932, court jusqu’à nos jours. À chaque fois, ceux-ci se fondent sur l’alliance organique entre les Saoud et les oulémas (théologiens) wahhabites.« Cet accord s’inscrit dans une logique de gain mutuel qui scelle d’une part la reconnaissance d’un pouvoir politique, celui des Saoud, et d’autre part le primat du religieux à travers l’alliance qui les unit, analyse Djilali Benchabane, doctorant à l’École des hautes études en sciences sociales (EHESS) et spécialiste des pays du Golfe. Le pouvoir politique est légitimé par le religieux. Le pouvoir religieux a besoin de la puissance financière de l’État. »

Le wahhabisme se mondialise

Peu à peu, le wahhabisme va influencer l’islam mondial. Il se mêle au mouvement des Frères musulmans, né en Égypte. Il inspire l’islam maghrébin à des degrés divers selon les pays, surtout au moment de la décolonisation, où il se pare de nationalisme. Puis trois éléments vont précipiter sa mondialisation ou plus précisément celle du salafisme – le terme wahhabisme désignant un salafisme structurellement lié à la fondation de l’État saoudien.

D’abord le pétrole, et l’argent qu’il procure, permet aux Saoudiens de financer des institutions religieuses dans le monde entier. Le développement des chaînes satellitaires, ensuite, assure la diffusion de ses principes. Enfin la démocratisation des transports aériens facilite grandement l’accès aux lieux saints de La Mecque. « Entre 1945 et 1958, le nombre des pèlerins s’accroît d’au moins 200 %, écrit le politologue tunisien Hamadi Redissi dans son livre le Pacte de Nadjd (Seuil). Le pèlerinage devient un phénomène de masse. L’avion écourte les distances, l’islam s’universalise et le wahhabisme en profite. » Exemple avec le Mali, l’un des premiers pays d’Afrique de l’Ouest où ce courant religieux a été introduit durant la colonisation.

En 1945, des jeunes ayant fait leurs études à l’université al-Azhar, au Caire, sont revenus avec cet enseignement qui, pour eux, avait quelque chose d’anticolonialiste. Puis avec la démocratisation du pèlerinage à La Mecque, les pèlerins en reviennent avec une autre façon de pratiquer leur religion. Surtout, ils remettent en question l’islam traditionnel malien, le malékisme, un islam de confréries, ces organisations religieuses qui se réfèrent à des saints. Une hérésie pour le wahhabisme, selon lequel on n’adore que Dieu seul.

La Création d’une milice fanatique

Dans les années 1980, une autre dimension du wahhabisme va séduire des groupes radicaux : la pratique du « djihad », non pas comme la quête spirituelle intérieure dont parle le Coran, mais au sens donné lors des croisades, puis par Abd al-Wahhab lui-même : soit la défense des terres musulmanes contre l’« impiété ».

Dans leur fièvre de conquête, les Saoud ont ainsi très vite compris l’intérêt d’avoir à leurs soldes ce type de miliciens. Ainsi, pour mener à bien la troisième et ultime conquête de l’Arabie, Abdel Aziz Ibn Saoud, descendant du premier Saoud, va dans les années 1920 créer les Ikhwan, les « frères » en arabe, mélange de secte fanatisée et d’armée de mercenaires. « Les Ikhwan introduisent l’ascétisme, la brutalité et le martyre – des mœurs étrangères jusque-là à des nomades incultes qui ne se battaient que par esprit de vengeance ou à des fins de razzia. Ils généralisent le fanatisme à grande échelle », écrit Hamadi Redissi. Ils sont en quelque sorte les ancêtres des djihadistes actuels.

Mais la créature va échapper à son créateur. Car le wahhabisme contient en lui-même le gène qui peut détruire la dynastie des Saoud : l’idée, reprise par al-Wahhab, que le prince lui-même peut être ­destitué s’il contrevient à la volonté divine… Ainsi, en 1928, les Ikhwan, qui reprochent notamment à Ibn Saoud d’avoir scolarisé ses enfants en Occident, se révoltent, obligeant le prince à aller chercher de l’aide… auprès des Britanniques.

Un certain OUssama Ben Laden

À ce jeu, les Occidentaux vont aussi se brûler les doigts. En 1945, un nouveau pacte est scellé : celui noué, cette fois, entre le président américain Franklin Delano Roosevelt et Abdel Aziz Ibn Saoud. L’Arabie quitte alors la sphère d’influence britannique pour se lier avec les États-Unis. Le royaume devient le premier fournisseur de pétrole des Américains. Et leur principal allié dans la zone. Et c’est tout naturellement, pour lutter contre les Soviétiques qui en 1979 envahissent l’Afghanistan, que les Américains offrent leur soutien logistique et financier à un djihadiste saoudien, Oussama Ben Laden… « Digne » héritier d’Abd al-Wahhab et des Ikhwan.

« En laissant les Saoudiens gérer la région avec eux, les Occidentaux ont choisi d’ignorer l’élan wahhabite », estime ainsi Alastair Crooke, ex-agent du MI6, les services secrets britanniques, dans un long article du Huffington Post. Aujourd’hui, la seconde génération de djihadistes, ceux de l’EI, semble encore plus proche que ne l’était al-Qaida du projet wahhabite.

L’EI et le wahhabisme ont beaucoup de points communs : l’intransigeance vis-à-vis des chiites, son insistance à construire un État viable et centralisé. Un mimétisme qui pourrait avoir des conséquences sur la société saoudienne elle-même, dont une partie cultive la nostalgie du wahhabisme originel. « L’EI tend un miroir à la société saoudienne en revendiquant cet héritage », écrit Alastair Crooke. C’est parce qu’il réactive avec succès les valeurs wahhabites que l’EI porte en lui le risque d’une grande explosion régionale.

 

ANNE GUION
CRÉÉ LE 09/12/2014 / MODIFIÉ LE 09/12/2014 À 19H19

 

Pour en savoir plus : http://www.lavie.fr

Du bon usage du mot « terrorisme » et de quelques autres termes

Des concepts à dimension variable

Au moment où une coalition internationale, conduite par les États-Unis et à laquelle participe la France est engagée dans une opération militaire contre l’organisation de l’État islamique, il n’est pas indifférent de rappeler combien certains mots sont source d’ambiguïté et objets de manipulations. Par leur usage répétitif, sans discernement ni à propos, ils contribuent à former des opinions erronées et à faire accepter des politiques à courte vue.

«  Islamiste  », «  salafiste  », «  djihadiste  », «  wahhabite  », «  takfiriste  », «  extrémiste  », «  barbare  » : les médias français et internationaux ne prennent plus la peine de distinguer entre ces termes, qu’ils utilisent depuis plusieurs décennies. Au gré de l’écriture ou de la parole, ils les appliquent indifféremment à ceux qui ont une conception dogmatique de l’islam — qu’ils aient recours à la violence ou qu’ils respectent les règles de la démocratie — et parfois même aux musulmans dans leur ensemble. Plus ambigu encore, ils sont parfois accompagnés, sans nuance, du mot «  terroriste  », utilisé à tort et à travers1.

Ces analogies sont de plus en plus fréquentes depuis que  «  l’organisation de l’État islamique (OEI) «  conquiert des territoires en Irak et en Syrie, diffuse sur Internet les macabres exécutions de ses otages occidentaux et arabes et commet des exactions contre les chrétiens, les chiites et les Kurdes yézidis. Quant au premier ministre israélien, Benyamin Nétanyahou, il a mis dans un même sac «  le Hamas, Al-Qaida, Jabhat Al-Nosra, l’État islamique en Syrie, Boko Haram, Al-Shabab et le Hezbollah soutenu par l’Iran  ». S’il avait pensé à un passé récent, il n’aurait pas manqué d’allonger sa liste en citant Yasser Arafat, les Afghans, le Front islamique du salut algérien (FIS), etc.

Manipulation par la peur

L’imprécision des uns et la politique d’amalgame des autres obscurcissent la compréhension de phénomènes politiques, religieux et politico-religieux distincts. Ils donnent aussi le sentiment que le monde se réduit à deux humanités, celle qui utilise la violence et celle qui n’y consent pas, celle qui menace et celle qui est menacée.

Cette profession de foi, réductrice et simpliste, contribue au développement d’un sentiment de peur et à son corollaire, la demande de sécurité. Cet échange est inhérent au pacte social mais, outre qu’il a un coût en matière de libertés publiques (surveillance des populations par des moyens techniques et informatiques, adoption de textes législatifs et réglementaires renforçant la répression et la censure, emprisonnement de journalistes, etc.), il donne carte blanche aux États démocratiques pour intervenir à l’extérieur de leurs frontières. Forts du consentement de leur peuple, ces États se sentent légitimés dans leur lutte contre des menaces susceptibles d’être importées dans la sphère nationale mais parfois aussi contre un danger fantasmé. Ainsi des armes de destruction massive qu’aurait détenues le régime de Saddam Hussein en 2003, ou des tortures pratiquées à Guantanamo au nom de la lutte contre le terrorisme.

Société de l’informatique ou âge de pierre, la peur reste la raison de tout pouvoir politique. C’est bien la peur d’être anéanti qui est à l’origine du pacte social passé entre les membres d’un groupe et leur chef, que les sociétés soient archaïques, anciennes, modernes, contemporaines ou post-modernes. Plus le sentiment de danger est fort (que le danger soit réel ou ressenti) plus les peuples acceptent, réclament, exigent l’autorité de leurs chefs pour qu’ils assurent leur protection. Ils donnent ainsi du champ aux responsables politiques qui peuvent être tentés de stigmatiser toute manifestation individuelle ou populaire contraire à leurs intérêts ou à leur existence en la qualifiant de «  terroriste  ». Le président syrien Bachar Al- Assad, cherchant à éliminer son opposition au nom d’une trompeuse «  guerre contre le terrorisme  », a beaucoup utilisé ce prétexte. D’autres dirigeants de la région se sont abrités derrière la «  guerre mondiale contre le terrorisme  » mise en place par Washington au début des années 2000 pour emprisonner ou éliminer leurs opposants. D’où la nécessité de s’approcher au plus près de la notion de terrorisme.

«  Terroristes  » ou «  combattants de la liberté  »  ?

Il n’existe aucune définition du terrorisme unanimement reconnue par la communauté internationale. Ceux qui utilisent les violences radicales, quelles qu’en soient les formes, les moyens, les motivations, les cibles ou les résultats, sont-ils des «  terroristes  », des «  combattants de la liberté  » ou des «  résistants  »  ? On connaît le dilemme. Il n’est pas tranché. En mars 2002, le réalisateur américain Oliver Stone rendait visite à Yasser Arafat. Il lui expliqua qu’il voulait faire un film sur les «  combattants de la liberté  » dans lequel il aurait naturellement sa place. «  Definitely  !  », lui répondit avec chaleur le chef de l’Organisation de libération de la Palestine (OLP). Puis, suspicieux, il demanda quels autres dirigeants seraient au générique du film. Kim Jong-il, le dirigeant coréen «  bien aimé  », Saddam Hussein «  le combattant  », Mouammar Kadhafi «  le fantasque  » et d’autres, répondit le réalisateur américain. Arafat mit aussitôt fin à l’entretien, signifiant que son propre combat avait sa spécificité et une finalité différente.

Tentons quelques classifications. Les attentats à la voiture piégée au Liban, en Syrie ou en Irak sont des actes de terrorisme en ce sens qu’ils tuent des civils de façon indiscriminée. Le largage par le régime syrien de bombes-barils sur des zones civiles, l’utilisation de l’arme chimique contre ces mêmes populations et les massives prises d’otages de populations civiles par Boko Haram sont des actes terroristes parce qu’ils visent des civils de façon indiscriminée. L’élimination par Israël de Mohammed Deif (responsable des brigades Ezzedine al-Qassem, branche armée du Hamas, tué dans Gaza en août 2014) est un assassinat ciblé qui ne devrait pas entrer dans la catégorie des actes terroristes. Mais les tirs de missiles sur Gaza qui ont provoqué la mort de milliers d’enfants et civils entrent dans cette catégorie. L’enlèvement, tant médiatisé, du soldat franco-israélien Gilat Shalit en 20067 ne peut être considéré comme un acte terroriste dans la mesure où il a été libéré (en 2011) et échangé contre d’autres prisonniers palestiniens. En revanche l’assassinat d’Hervé Gourdel est un acte terroriste parce que son enlèvement a été accompagné de menaces et de chantage à l’égard de la France et que son exécution a été préméditée.

Les notions de terrorisme d’État et de contre-terrorisme d’État mériteraient d’être affinées. Le terrorisme d’État est celui pratiqué par l’actuel régime syrien contre ses opposants. La violence radicale de certains groupes palestiniens ou kurdes est typique de ces affrontements entre organisations de libération nationale terroristes et puissance occupante de type colonial ou oppressif, laquelle en retour pratique un contre-terrorisme d’État.

Brouiller la compréhension

Désigner comme «  terroristes  » tous les acteurs qui utilisent la violence a pour inconvénient d’empêcher l’analyse des stratégies, par nature différentes, de ceux qui utilisent cette violence. Si tout est «  terrorisme  », il n’est plus possible de distinguer entre les différentes formes que prend la violence et il n’y a d’autre solution que d’y porter remède par une autre violence qu’on appellera résistance, riposte, guerre préventive, représailles, vengeance, auto-défense, etc. Surtout, il n’est plus nécessaire de prendre en compte les causes sociales, économiques, politiques ou historiques de chacune de ces violences. Selon cette conception, la lutte des Palestiniens serait d’essence «  terroriste  » et il ne serait plus utile de mentionner leur histoire, leur aspiration à disposer d’un État, leurs revendications territoriales et leur rejet des colonies. On considèrerait que Palestiniens et Israéliens sont engagés dans des actions de «  terrorisme  » et de «  contre-terrorisme  » attribuables aux uns ou aux autres selon les circonstances et les convictions de chacun, à la manière des vendettas insulaires.

Les médias contribuent à cette simplification. Un exemple du rôle que jouent les chaînes d’information est celui offert par Euronews, une chaîne de télévision d’information en continu, paneuropéenne et internationale. Elle diffuse chaque jour de très courtes séquences d’actualité internationale — le plus souvent sur des conflits — sans offrir le moindre commentaire. L’intitulé de cette émission est d’ailleurs «  No comment  ». Pour peu que l’on ne sache pas de quoi il s’agit, on s’imprègne de l’idée d’un monde fait de guerres, grandes ou minuscules, de destructions et de catastrophes humaines, où existe une violence sans frontières pouvant surgir à tout moment, ici ou là, sans raison et dont n’importe quel groupe ou individu serait responsable. Le journal du soir donne la clé qui manquait : il s’agit de «  terrorisme  », terme suffisamment dramatique pour englober uniformément toutes les formes de violence, radicales ou pas, et propre à saisir d’effroi les populations. Mais justement, toutes les actions de violence ont pour ambition de semer la terreur.

Ce qui est vrai en politique interne se retrouve en diplomatie. Juger de la nature de son ennemi — aujourd’hui l’OEI — passe par la compréhension de ce qu’il est et de ce qu’il n’est pas. Faute d’y parvenir, l’issue du combat et ses conséquences risquent de ne pas être à la hauteur des espérances.

«  Ni État ni islamique  »

Lorsque le ministre de la défense, Jean-Yves Le Drian, remarque que le «  califat  » est une «  injure [qui] n’est ni un État ni islamique  », il parle aux Français de toutes croyances en reprenant ce que la plupart d’entre eux ressentent. Il dit ce qu’avait déjà signalé le président Barack Obama : «  L’EIIL n’est pas islamique (…) et l’EIIL n’est certainement pas un État  ».

Le fait que l’OEI ne soit pas un État n’est pas contestable, même si ses membres disposent désormais d’un territoire sans frontières établies ou reconnues et qu’ils ont autorité sur ses populations par la contrainte, la soumission ou la conviction. Dire qu’il utilise la terreur à grande échelle comme moyen de sa politique est une évidence générale. C’est d’ailleurs cette évidence même qui a permis la formation de la coalition internationale10. Sans eux la coalition aurait été réduite, bancale, voire illégitime, comme a été illégitime et illégale l’intervention américaine en Irak à partir de 2003. Signifier qu’il serait injuste et immoral d’amalgamer l’OEI et l’islam est frappé au coin du bon sens. Qu’une coalition d’États engage le fer contre une alliance de groupes qui ont assassiné nombre de personnes, qui en menacent des milliers d’autres et déstabilisent le Proche-Orient est donc légitime. Mais affirmer que sa nature n’est pas islamique est un défi d’une autre portée.

L’islam est pluriel comme toute autre religion. Mais il existe un courant qui tente depuis longtemps d’imposer «  sa  » vision d’un islam véritable et authentique : le wahhabisme. Ce courant dispose d’un État, l’Arabie saoudite, seul de la communauté internationale à porter le nom de la famille régnante et à avoir été constitué en 1932 à partir d’une doctrine religieuse et d’un pacte d’alliance passé au XVIIIe siècle entre un chef de tribu, Mohamed ibn Saoud et un théologien, Mohammed ibn Abdelwahhab. Cet État a un souverain qui se présente comme le «  Gardien des deux saintes mosquées  » et le défenseur de l’islam authentique. Il s’affirme comme musulman, récusant l’idée qu’il ne représente que les wahhabites. Il y a longtemps que les Saoud prônent un strict retour au Coran et se réclament d’une interprétation doctrinaire de la religion musulmane. Ils en ont fait aussi le guide de leur action diplomatique en finançant des groupes salafis, en exportant sur tous les continents les textes wahhabites, en contribuant au financement de mosquées, d’écoles…Leur conception de l’islam a gagné du terrain dans de nombreux pays arabes, musulmans et occidentaux.

Il ne faut pas chercher trop longtemps pour vérifier que les conceptions doctrinales du wahhabisme et de l’OEI se recoupent sans difficulté et qu’elles sont interchangeables. Le paradoxe est que le roi Abdallah Ben Abdel Aziz Al-Saoud a accepté de faire partie d’une coalition destinée à combattre ceux qui ont profité des financements de son royaume et de ses princes. Plus grave, son régime participe à une action politique et militaire dont les prémices sont de déclarer «  non islamique  » une organisation qui partage avec lui la même conception de l’islam. Mais comment discréditer celui dont vous êtes le double presque parfait  ? Comment retirer à l’OEI sa référence islamique et rester crédible auprès de tous ceux qui se reconnaissent dans le wahhabisme  ?

On comprend que la royauté saoudienne s’est engagée pour plusieurs raisons. D’une part, elle profitera de sa présence au sein de la coalition pour tenter de porter des coups au régime de Damas. D’autre part, elle craint que son autorité religieuse, voire son existence, soit menacée et elle a tout intérêt à condamner «  l’extrémisme et le terrorisme  » dont elle a déjà été la cible.

Certes, l’Organisation de l’État islamique n’ira pas demain conquérir la Mecque. Mais elle menace le royaume parce qu’elle y dispose d’un très large soutien de la population dont le référent religieux est identique au sien. Un récent sondage publié par Al-Monitor montre que la quasi-totalité des Saoudiens estime que l’OEI «  se conforme aux valeurs de l’islam et à la loi islamique  ». Même défait militairement, l’OEI conserverait un réservoir de soutiens en Arabie saoudite et probablement dans tous les pays qui ont été réceptifs à la diffusion du wahhabisme.

Alexis Varende

Pour en savoir plus : http://orientxxi.info