« Le Prophète Mohammed demande de ne pas prendre les armes »

« Tout est pardonné ». La une de Charlie Hebdo, après l’attentat qui a décimé la rédaction du magazine le 7 janvier 2015, présente le Prophète Mohammed dans une posture de miséricorde. Cette attitude correspond-t-elle aux paroles et actes de Mohammed, que les djihadistes, comme les détracteurs de l’islam, présentent comme un prophète guerrier ? Éric Geoffroy, islamologue à l’université de Strasbourg, nous explique la véritable signification du djihad, très loin de la « guerre sainte » prônée par les fanatiques d’aujourd’hui.

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© Stephane Mahe / Reuters

Cette semaine, la une de Charlie Hebdo met en scène le Prophète Mohammed tenant une pancarte où il est inscrit « Tout est pardonné ». Cela va-t-il dans le sens des paroles et actes du Prophète ?

Beaucoup de paroles et d’agissements du Prophète vont dans le sens de la compassion, de la miséricorde et du pardon. Le Prophète lui-même disait : « Je suis une pure miséricorde offerte aux mondes. » Dans les hadiths, les paroles du Prophète, il est dit que toutes les créatures sont la famille de Dieu. On trouve cette compassion chez tous les prophètes, mais chez Mohammed en particulier. Les terroristes n’avaient pas à venger le Prophète, car il n’était pas dans la vengeance. Un hadith convient tout à fait aux évènements actuels : « Lorsqu’il y a des troubles ou une guerre civile, la personne assise sera en meilleure posture que celui qui sera debout. De même, celle qui marche sera en meilleure posture que celle qui s’empresse. Brisez donc vos arcs, arrachez-en les cordes et frappez le tranchant de vos épées contre un rocher. Et si un agresseur pénètre dans votre demeure, comportez-vous comme le meilleur des fils d’Adam (Abel). » Le Prophète demande donc de ne pas prendre les armes.
De même, la lapidation pour adultère n’est pas une loi islamique. Aux premiers temps de l’islam, la sharia n’existait pas. Les nouveaux musulmans s’inspiraient de la loi de Moïse. Quand certains individus venaient dénoncer un couple adultère au Prophète, celui-ci faisait tout pour ne pas écouter ce genre de témoignages. Il se détournait. Dans toute la vie du Prophète, il y a une insistance sur cette compassion universelle.

Pourquoi cite-t-on souvent le « verset du sabre » – « À l’expiration des mois sacrés, tuez les polythéistes où que vous les trouviez. Saisissez-vous d’eux, assiégez- les… » (s9.v5) – pour évoquer un Prophète « guerrier » ?

On ne peut pas citer les textes révélés sans préciser leur contexte. Cela vaut aussi pour la Bible ou encore la Bhagavad-Gita des hindous. On ne peut pas se saisir des textes sacrés sans la médiation de gens autorisés. En islam, l’accès aux textes sacrés était médiatisé par les oulémas, des théologiens qui connaissaient le contexte. Maintenant, avec Internet, on peut dire n’importe quoi en toute ignorance. Le verset en question sort d’un contexte particulier. Persécutés, le Prophète et ses compagnons avaient dû fuir à Médine. Les musulmans avaient signé une trêve avec les polythéistes de La Mecque. Mais ceux-ci ont trahi le pacte. Le Prophète attendait une révélation pour pouvoir se défendre militairement. Il a attendu 14 ans, depuis le début de la persécution à La Mecque. Ce verset arrive pour dire « Stop », pour demander aux musulmans de se défendre contre les agressions à répétition des Mecquois. D’ailleurs, on ne peut pas lire le verset 9.5 sans le suivant, le 9.6 : « Et si un de ces polythéistes demande ta protection, accorde-la lui afin qu’il écoute la parole de Dieu. Puis fais-le reconduire en lieu sûr. » Cela prouve qu’il ne faut jamais lire un verset hors contexte.

Remettre les choses dans leur contexte, est-ce aussi valable pour les juifs Banû Qurayza tués en 627 ?

Cette tribu juive, alliée aux musulmans de Médine contre les Mecquois, s’était retournée contre les musulmans lors de la bataille du Fossé (Khandaq). À la suite de quoi, les musulmans les ont assiégés et ont eu raison de leur forteresse. L’entrée en islam leur fut proposée, en vain. Afin que leur jugement soit le plus indulgent possible, le Prophète en chargea un grand ami de cette tribu juive, Sa’d ibn Mu’adh, un membre de la tribu arabe médinoise des Aws. Celui-ci fit exécuter les hommes de la tribu pour haute trahison. Le Prophète approuva cette décision. Le jugement de Sa‘d s’inscrivait en fait dans la droite ligne de la loi juive. Dans le cas d’une cité assiégée, il est dit en Deutéronome 20 : 12 : « Et lorsque le Seigneur ton Dieu l’aura livré entre tes mains, tu feras passer tous les mâles au fil de l’épée ; mais les femmes, les enfants, le bétail et tout ce qui se trouvera dans la ville, ainsi que tout son butin, tu le prendras pour toi. »
La trahison a toujours été punie de la peine de mort, dans toutes les lois de la guerre. Or, la clémence que pratiquait le Prophète jusqu’alors avait toujours joué en sa défaveur : la sauvegarde des prisonniers, à l’issue de la bataille de Badr notamment, avait failli être fatale aux musulmans lors des batailles suivantes. Cette fois, le message fut entendu, et une telle situation ne se présenta plus de son vivant.

D’où vient le concept de djihad ? Et plus précisément, dans quel contexte s’applique le djihad mineur, le djihad militaire ?

Le Prophète distingue « djihad majeur » et «djihad mineur ». Le « djihad majeur » consiste à lutter contre son ego, ses passions et ses illusions, en Dieu. Le terme arabe signifie « effort sur soi ». Le djihad doit répandre le bien. Le Prophète dit par exemple à ce propos : « Ôte un caillou du chemin pour ne pas que ça ne nuise pas aux autres. » Quant au djihad mineur, militaire, il n’est autorisé qu’en cas de légitime défense. Ainsi lors des Croisades. Quand les chrétiens prirent Jérusalem en 1099, ils tuèrent les juifs et musulmans qui y vivaient. Lorsque Saladin reprît la ville en 1187, il épargna tout le monde, croisés compris. Il s’est aussi appliqué pendant l’occupation coloniale. Lorsque l’Europe a pris les terres aux Algériens, selon les lois, le djihad pouvait être déclaré. Mais c’est tout. Le djihad ne peut consister à répandre l’islam par l’épée.

Dans ce contexte post-colonial, les djihadistes d’aujourd’hui peuvent-ils interpréter à leur manière le verset : « quiconque tuerait une personne non coupable d’un meurtre ou d’une corruption sur la terre, c’est comme s’il avait tué tous les hommes » (s5.v32). Considèrent-ils que les Occidentaux ont corrompu leurs terres et méritent donc la mort ?

Ces gens-là savent très bien communiquer. Quand ils ont effacé avec des bulldozers l’ancienne ligne de démarcation entre la Syrie et l’Irak, datant des accords Sykes-Picot de 1916, ils ont affirmé effacer le mal que l’Occident avait fait. Même revendication quand ils ont tué Hervé Gourdel en Algérie. Ils nous renvoient notre miroir : les croisades, le colonialisme, la Guerre d’Algérie, les Guerres du Golfe, la création d’Israël, le conflit israëlo-palestinien….. Ils sont dans le ressentiment vis-à- vis de l’Occident. Cela nourrit des rancoeurs au Proche-Orient. Mais les premières victimes des djihadistes sont les musulmans eux-mêmes, que ce soit au Yémen, en Irak, en Syrie, en Afghanistan. Il y a des milliers de morts. Notamment dans le conflit chiites-sunnites, qui a été attisé par les Américains en Irak. Daech joue clairement la carte antichiite. Et certains musulmans tombent dans le panneau.

Par quels référents les djihadistes s’autorisent-ils des pratiques aussi barbares que l’esclavage sexuel des femmes yézidies ?

En islam, il n’y a pas de magistère suprême. La source d’autorité est plurielle. Les fanatiques peuvent lancer une fatwa, en se référant à un avis juridique antérieur. Dans ce cas précis, ils peuvent affirmer qu’en cas de guerre, une femme qui s’offre aux combattants est récompensée. Mais, alors que l’islam prône l’équilibre, ces gens-là sont d’emblée dans l’extrémisme. Plusieurs autorités islamiques ont condamné ces actes, comme le fait de tuer des juifs et des chrétiens, actes totalement contraires à l’islam. Il ne faut pas entrer dans leur jeu. Ne pas développer de ressentiment antimusulman.

Si cela va à l’encontre des valeurs de l’islam, pourquoi ces djihadistes recherchent-ils la guerre à tout prix?

Cette logique jusqu’au-boutiste est animée par un nihilisme messianique. Ils ne sont pas les seuls. Beaucoup de musulmans, de juifs et chrétiens born-again américains, dont l’ex-président des États-Unis George W. Bush, y croient : il faut précipiter le chaos pour susciter la venue du Mahdi, du sauveur qui va préparer le retour de Jésus sur terre. Pour l’islam, Jésus n’est pas mort et va revenir à la fin des temps pour apporter le règne de la paix. Les djihadistes veulent précipiter le conflit en créant une guerre entre l’Occident et le monde musulman. Ils cherchent à attiser les haines, pour provoquer un choc des civilisations qui n’existe pas. C’est un choc des ignorances. Ces ignorances puisent leurs sources dans un malaise civilisationnel. Les gens qui commettent ces actes, comme les frères Kouachi, sont endoctrinés, mais n’ont pas de connaissance réelle de l’islam. Ils développent une culture du ressentiment envers l’Occident, la mondialisation, etc.. et ils cherchent une identité.

Que faut-il faire pour enrayer le phénomène des départs au djihad ?

Il faut créer des centres français de formation à l’islam. Ne pas laisser les gens partir se former en Arabie ou au Pakistan. La France n’a pas pris en compte le renouveau du religieux en général, de l’islam en particulier. Il y a une dizaine d’années, l’État français n’a fait aboutir aucune demande de création d’institut universitaire de formation à l’islam. Alors que le président Chirac y était favorable. La France doit réformer son rapport au religieux et au spirituel. Il faut prendre en compte le besoin de spiritualité. Beaucoup de gens, musulmans ou non, me confient qu’ils étouffent en France, car l’État nie le religieux et la spiritualité. Qu’elle soit islamique, chrétienne, juive ou autre, la spiritualité est à même de dépasser le champ horizontal du conflit. Elle apporte de la sagesse et du recul face aux évènements. Il faut bien sûr faire des lois antiterroristes. Mais il faut avant tout nourrir l’âme humaine, lui donner un sens.

Propos recueillis par Matthieu Stricot – publié le 16/01/2015

Pour en savoir plus : http://www.lemondedesreligions.fr

Les attentats de Paris vus par les enfants

 

Fait-Religieux-Enseignement

Vendredi 9 janvier au soir, je suis venue à l’atelier affligée. L’après-midi, tous les quarts d’heure, une nouvelle alarme s’affichait sur mon téléphone. Entre les deux frères Kouachi retranchés dans une imprimerie en Seine-et-Marne, la prise d’otage en cours dans le supermarché casher Porte de Vincennes et la place Trocadéro évacuée, impossible de sortir de ma tête l’attentat qui s’est déroulé deux jours plus tôt dans la rédaction de Charlie Hebdo. Cette tragédie, pour sûr, il était essentiel d’en parler avec les CM, des enfants de 9-10 ans, qui participent depuis novembre aux ateliers Enquête au sein d’un centre social situé à Ménilmontant (Paris XXe). Mais comment faire au mieux vu les circonstances ? Avant la séance, Marine, notre coordinatrice, me conseille de partir de leurs connaissances et de travailler à partir de questionnements. Elle me rappelle aussi que leur enseignant à l’école a normalement déjà fait le point avec eux sur ces terribles événements. Ce qui me rassure un peu : je pourrai construire un dialogue à partir d’une réflexion déjà entamée.

« C’est la guerre ! »

Une fois arrivée, Laetitia qui supervise les ateliers au centre social, m’indique qu’aucune séance n’a été effectuée avec les enfants pour revenir sur l’attentat de Charlie Hebdo. Elle-même a néanmoins répondu aux questions des jeunes qui ont exprimé des réactions vives ces derniers jours, comme cette jeune fille qui a déclaré aux autres : « C’est la guerre ! »

Abou Bakr arrive, puis c’est au tour de Rama. Pendant que je termine mes préparatifs pour cette séance dédiée à Muhammad*,  le dernier prophète de l’islam – le hasard fait parfois bien les choses, c’est le thème du jour dans le programme des ateliers -, je leur propose de débuter par une discussion sur les événements de la semaine. Abou Bakr n’attend pas une seconde pour râler : « Oh non ! Notre maitresse nous a déjà parlé de Charlie Hebdo pendant deux heures ! » Je lui réponds que si tout est clair et bien en place dans sa tête, nous continuerons la suite du programme.


« J’ai rigolé pendant la minute de silence »

Une fois qu’ils sont assis, je leur demande de m’expliquer ce qui s’est passé cette semaine. En forme, Abou Bakr se lance dans un long récit un peu confus et désordonné qui raconte l’itinéraire de ces deux frères dont l’un a été en prison et qui ont tué 12 personnes à Charlie Hebdo. « Pour moi, c’est pas des musulmans ! ». C’est à ce moment-là que Rama intervient. Pas d’accord, elle pense de son côté que ce sont des musulmans. Je les laisse se disputer un peu avant de poursuivre ; je reviendrai ensuite sur ce point de mésentente. Tous les deux s’opposent aussi quant au nombre de morts. Sur ce sujet, je leur dit que ce nombre n’est pas l’objet de notre discussion mais que ce qui compte, c’est sa dimension dramatique et que les personnes décédées sont des journalistes, des policiers et un agent d’entretien. Je relance alors Rama pour qu’elle me donne sa version.

Ce qui lui importe surtout, c’est de me raconter qu’elle a rigolé pendant la minute de silence jeudi à son école : « Mais faut m’excuser, j’ai une copine qui rigolait aussi et j’ai pas pu m’empêcher ». Elle se répète, y revient à plusieurs reprises, comme si elle avait besoin qu’on lui pardonne. « Ok, je comprends, c’est dommage, ca arrive parfois quand on est mal à l’aise, mais ne t’inquiète pas. » Je complète cependant en insistant sur le fait que ce temps de silence était important et symbolique, « symbolique, comme la notion de symbole que nous avons vu récemment, vous vous souvenez ? Ca veut dire quelque chose de commun, de partagé, et qui a le même sens pour tous. Dans ce contexte, de dire que tous ensemble, on n’est pas d’accord ». Puis je reviens avec eux sur leurs désaccords, en leur expliquant qu’il s’agit en effet de musulmans mais que ces terroristes ne représentent qu’une partie des musulmans qui vivent leur foi de manière violente et radicale.

Pas le temps de développer car Abdel Rahim, plus âgé que les deux autres, débarque dans l’atelier. Je l’accueille et lui demande de me raconter également les événements. Il me parle alors des morts et m’affirme que l’attentat s’est déroulé à Pantin où apparemment sa sœur était présente aux moments des faits. Comme Abou Bakr, il est pris par le déroulé de l’actualité, déclinaison de l’actualité en continue, comme avalé par le défilé des images. Sans analyse…. Je précise que la tuerie a eu lieu dans la rédaction de Charlie Hebdo, située près de la place de la République.

 

Des stylos en l’air

Pour être sûre de leur compréhension, je les questionne : « Savez-vous ce que c’est, Charlie Hebdo ? » Je les aide un peu ; ils finissent par me répondre qu’il s’agit d’un journal. Ils semblent avoir des difficultés à comprendre ce qu’est une rédaction, notion que je m’attache à leur clarifier. Ils ont aussi du mal à définir la spécificité du journal ; ce qui explique, peut-être, qu’aucun d’entre eux n’ait évoqué les caricatures de Muhammad. « C’est quoi une caricature selon vous ? » Yeux ouverts mais muets, ils ont du mal à répondre. Je leur propose une définition : « Ce sont des dessins qui reprennent des faits d’actualité, souvent en se moquant ».

Je leur explique que Charlie Hebdo a publié, il y a quelques années, des caricatures du prophète de l’islam. Que celles-ci ont blessé de nombreux musulmans. Et je poursuis avec la liberté de la presse, la liberté d’expression : « Pour autant, il est important dans une démocratie, dans notre pays, de laisser la possibilité à chacun de s’exprimer, notamment la presse, tout en respectant les lois ». Pour leur donner une illustration concrète, qui les aide souvent à comprendre, je leur rappelle que je suis journaliste et que personne n’a le droit de me tuer pour un article publié. Cela irait, comme pour Charlie Hebdo, à l’encontre à la fois de l’interdit du meurtre mais aussi de la liberté de l’expression qui fait partie des valeurs républicaines. Ce qui explique que de nombreuses personnes, qui sont venus rendre hommage aux journalistes et aux policiers mercredi soir, brandissaient un stylo en l’air, « Encore un symbole ! La notion revient souvent ce soir… il s’agit du symbole de la liberté de pouvoir s’exprimer, de pouvoir se moquer ». Etant moi-même place de la République le 7 janvier au soir, je leur raconte comment cet hommage, très silencieux, s’est déroulé, tout en leur montrant des photos publiées dans Le Petit Quotidien des différentes manifestations organisées dans le monde.

 « Et que signifie « Je suis Charlie » qu’on voit partout ? ». Ils ne savent pas plus. Je reparle de symbole – décidément le fil conducteur de la séance -, pour montrer que cette petite phrase est un raccourci pour dire qu’on refuse ce qui s’est passé.
Il me semble que nous pouvons passer à la deuxième partie de l’atelier dédiée à Muhammad. Après un jeu de devinette sur ce nom, je demande à ces enfants, pourtant pour la plupart musulmans, ce qu’ils connaissent de ce personnage. Hormis qu’il s’agisse d’un prophète de l’islam, tous donnent leur langue au chat. Il ne s’agit pas ici d’aborder la transmission de la foi, mais bien la transmission laïque de connaissances sur les religions et la laïcité ; le travail en leur compagnie n’est pas terminé…

*L’association Enquête a fait le choix, dans ses différents outils,  d’évoquer le prophète musulman par la transcription « Muhammad », et non pas « Mahomet ». Celui-ci  se justifie à la fois par la plus grande proximité de cette forme avec sa forme arabe et d’autre part car l’utilisation de « Mahomet », transmise depuis au moins l’époque des croisades, souvent dans des ouvrages polémiques, renvoie à une connotation péjorative.

Alice Papin

le 27.01.2015 à 10:57

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Où est Mahomet ?

SophieGherardi

Un numéro historique de Charlie Hebdo continue de s’arracher dans tous les kiosques de France. Historique est ici à prendre au sens littéral, dans lequel  l’histoire est ce mouvement qui transforme les hommes, les ensembles, les puissances. Cette histoire est-elle «pleine de bruit et de fureur, racontée par un idiot, et qui ne signifie rien», pour reprendre la tirade fameuse de Hamlet ? En tout cas, elle nous emmène tous quelque part où nous n’étions pas auparavant.

Ce vendredi 16 janvier, jour de prière pour les musulmans, des prêcheurs échauffés ont expliqué aux fidèles, de par le monde, que Charlie Hebdo, une fois encore, insultait le prophète sur sa Une. Les douze personnes massacrées le 7 janvier à l’hebdomadaire satirique pèsent peu, pour certains, face à une telle accusation. Et «la rue musulmane» a une fois de plus résonné de cris de colère contre l’Occident : des drapeaux français ont été brûlés, des instituts français incendiés, il y a eu au moins quatre morts au Niger, un photographe de l’AFP a été grièvement blessé au Pakistan.

Les intégristes ont une excuse : ils n’ont certainement pas regardé cette Une de peur d’y voir un sacrilège. S’ils osaient lever les yeux avant de lever le poing, que verraient-ils ? Un personnage en turban blanc, sur fond vert islam, la larme à l’œil et tenant une pancarte «Tout es pardonné». Où est Mahomet sur cette Une ? Rien ne dit que c’est lui. D’ailleurs on serait bien en peine de le reconnaître puisqu’il n’est jamais représenté, en tout cas dans la tradition musulmane sunnite –les Persans chiites, eux, l’ont longtemps fait figurer sur leurs exquises miniatures.

Nous sommes bien là devant un problème de représentations, sans mauvais jeu de mot. Les commentateurs de l’islam le plus rigoriste – par exemple le courant wahhabite – poussent l’interdit de la représentation de Dieu jusqu’à l’extrême : Dieu, inconnaissable, ne peut être représenté ; par transitivité, le Prophète Muhammad (Mahomet) non plus ; par extension la figure humaine non plus ; et jusqu’aux animaux, créatures de Dieu. Dans cette logique, la photographie et les vidéos, si prisées de ceux qui se proclament djihadistes, ne semblent pas très  halal. Mais le dessin est une technique très ancienne, qui existait déjà au VIIe siècle, époque à laquelle disent se référer certains «docteurs de la loi» (oulémas) pour faire valoir au XXIe siècle un iconoclasme inflexible (l’iconoclasme est la destruction des images assimilées aux idoles adorées par les païens).

Les représentations, l’Occident chrétien en a aussi. Et elles méritent tout autant d’être prises en considération, décryptées et même respectées que celles de l’Islam (avec une majuscule, pour parler de l’aire culturelle musulmane). Voilà ce qu’un œil français voir sur cette Une de Charlie Hebdo, réalisée avec un courage impressionnant par des gens épouvantés, endeuillés, parfois blessés quelques jours auparavant. Il y voit un message foncièrement fraternel. L’homme au turban blanc, un musulman standard selon les codes simplifiés du dessin de presse, loin de faire peur ou d’éloigner, rapproche par sa compassion : il pleure, et il pardonne.

Ce «Tout est pardonné» est une parole chrétienne. Il est impossible de l’ignorer, même si la miséricorde n’est pas une exclusivité chrétienne. Surgi sous le crayon de Luz dans le pire moment de souffrance, ce pardon montre que les caricaturistes, y compris les athées et les anticléricaux de Charlie Hebdo, appartiennent à cette culture chrétienne où l’injonction « pardonne à tes ennemis » est profondément inscrite dans les consciences – ou les inconscients. Là où beaucoup de musulmans, y compris en France, voient une provocation, la plupart des Français, et parmi eux des musulmans, voient un geste de réconciliation, une main tendue. Pardonner malgré notre propre colère, c’est ce qui nous est présenté comme la bonne chose à faire – tant dans l’éducation laïque que dans l’éducation religieuse.

Comme disait Catherine Nay sur Europe 1 ce samedi matin, les pays musulmans ne comprennent pas que nous ne comprenions pas ce qu’ils ressentent. De notre côté, nous ne comprenons pas qu’ils ne comprennent pas ce que nous ressentons. L’histoire est faite de ces moments. Dans notre intérêt à tous, il ne faut pas en sous-estimer le danger. En ce sens, la présence de hauts représentants musulmans ou de pays musulmans à Paris dans la marche des «Je suis Charlie», ne doit pas être ridiculisée ou minimisée. Le roi et la reine de Jordanie, les imams français ou le ministre des affaires étrangères turc, en défilant à Paris contre le terrorisme paré du nom d’Allah, ont pris, eux aussi, des risques.

Sophie Gherardi | le 17.01.2015 à 14:55
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« L’islam ne peut plus lutter contre l’invasion des images »

En 2010, Oleg Grabar, l’un des plus grands spécialistes de l’art islamique, revenait pour « Le Point » sur la question de la représentation dans la religion musulmane.

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Le roi couronné reçu par le Prophète, v. 1800, Iran. © The Art Archive / Ashmolean Museum / AFP PHOTO

 

Si le Coran reste évasif sur la question des images, pourquoi les premiers musulmans se sont-ils interdit la représentation des êtres vivants ? Réponse d’Oleg Grabar, décédé en 2011, qui fut l’un des plus grands spécialistes de l’art islamique.

Le Point : Pourquoi l’islam a-t-il interdit la reproduction des êtres vivants ? Est-ce par imitation du judaïsme ?

Oleg Grabar : L’influence du judaïsme a peut-être joué un rôle. Mais il faut surtout se replacer dans le contexte de l’époque. Il y avait, d’une part, les empires byzantin et perse qui affirmaient la gloire impériale par le biais de monnaies à l’effigie de l’empereur ou de palais somptueux édifiés en son honneur. D’autre part, le christianisme élevait de grands sanctuaires comme Sainte-Sophie à Constantinople ou le Saint-Sépulcre à Jérusalem. Ces édifices allaient devenir les microcosmes d’une vision chrétienne du monde, où l’image proclame les concepts fondamentaux du dogme. Certaines chroniques racontent d’ailleurs que lors de la construction de la coupole du Rocher, à Jérusalem en 692, on répondait à ceux qui se demandaient pourquoi on s’activait à un si bel ouvrage que c’était simplement pour faire concurrence au Saint-Sépulcre. Et il y a une quarantaine d’années, le cheikh Ahmad Muhammad Isa de l’université d’al-Azhar au Caire affirmait que les musulmans avaient rejeté les images plus par refus de s’engager dans les discussions très complexes d’un monde qui leur accordait désormais une importance excessive que pour des raisons doctrinales. Mais on ne peut nier que les premiers musulmans redoutaient l’idolâtrie, et qu’ils préféraient ne pas avoir d’images plutôt que de courir le risque de voir se développer un culte à leur égard.

Mais le Coran contient-il des indications précises sur ce sujet ?

Si certains passages du Coran abordent le problème de la représentation, aucun cependant ne l’interdit clairement. Une seule chose est certaine : les idoles y sont prohibées. Dans la sourate V, le verset 90 énonce clairement : « Ô vous qui croyez ! les boissons fermentées, les jeux de maysir, les pierres dressées et les flèches divinatoires sont seulement une souillure procédant de l’oeuvre du Démon. Évitez-la ! Peut-être serez-vous bienheureux. » Si, chez les chrétiens, le Christ et Dieu peuvent être représentés en un seul corps, chez les musulmans, en revanche, il est inconcevable d’essayer d’imaginer Dieu. Insaisissable par essence, il ne peut être représenté sous aucune forme que ce soit. Mais d’autres versets du Coran évoquent la représentation. Ainsi, aux versets 43-44 de la sourate III, Jésus façonne, avec de la boue, la forme d’un oiseau, à qui il donne vie par un miracle de Dieu. Et un peu plus loin, dans la sourate XXXIV, versets 11-12, il évoque la fabrication de statues : « À Salomon[nous soumîmes] le vent. Celui du matin soufflait un mois […] Parmi les djinns, il en était qui travaillaient à sa discrétion, avec la permission d’Allah. Quiconque, parmi eux, se serait écarté de Notre Ordre, nous lui aurions fait goûter aux tourments du Brasier. » Les versets 12-13 disent aussi : « Pour lui, ils faisaient ce qu’il voulait : des sanctuaires, des statues, des chaudrons [grands] comme des bassins, et des marmites stables. »

Ces versets ne semblent pas hostiles à la représentation…

Certes, mais ces deux Révélations ont pourtant été rapidement interprétées comme une condamnation des arts plastiques, de la peinture et de toute technique qui permettait la représentation de la réalité, car pour les exégètes, seul Dieu peut être Créateur et donner la vie. Un hadith célèbre, mais tardif stipulera même que tout artiste doit être châtié s’il ne peut donner vie à l’être qu’il a tenté de créer. Si les textes de la Révélation ne comportent nulle part une interdiction formelle, ces prises de position seront largement reprises au VIIIe siècle dans les hadiths, et bien plus tard, au XVIIIe siècle, par le wahhabisme.

Sans contestation ?

Il existe des Traditions du Prophète, qui sont autant d’exception à la règle générale. A’isha, par exemple, la plus jeune des épouses de Mahomet, possédait des tissus couverts d’images. De la même manière, on sait qu’il était permis de décorer les bains de pavements et d’images, que les représentations réalistes n’étaient pas prohibées, tant que les animaux étaient figurés sans têtes ou les têtes sans corps… De grands érudits comme, au Xe siècle, l’exégète Abu ‘Alî al-Fârisî ou, au XIIIe siècle, le théologien al-Qurtubî ont admis l’idée d’une prohibition des représentations, mais ils ont essayé d’introduire dans le débat une distinction entre celle de Dieu et les autres images.

Il existe pourtant des représentations de Mahomet…

En effet, mais elles sont très peu nombreuses. Les musulmans ont toujours évité de le représenter. Malgré tout, très rapidement, on le retrouve en illustré dans des textes, sans visage ou recouvert d’un voile qui dissimule ses traits. À mon sens, l’intransigeance sur ce sujet des fondamentalistes musulmans est parfaitement hypocrite. Mahomet est certes le Messager de Dieu, mais il n’en reste pas moins homme, et le croyant a besoin de se représenter les choses. Pour moi, la polémique sur la représentation du Prophète est inséparable du débat sur la représentation en général. Derrière certaines mosquées, notamment en Iran, les petites boutiques qui vendent des souvenirs religieux n’hésitent pas à proposer, par exemple, des images d’Alî. Et les familles se prennent en photo. L’islam ne peut plus lutter contre l’invasion des images par la photo, le film, la télévision ou l’Internet. Le monde change et la société s’adapte à son temps.

Vous évoquez les représentations d’Alî. Chiites et sunnites n’ont donc pas la même doctrine sur le problème de la représentation ?

Aujourd’hui, en Iran, Alî et Mahomet lui-même sont très souvent représentés, alors que dans les régions majoritairement sunnites, et particulièrement en Arabie saoudite, c’est impossible. Dans le chiisme, plus mystique et plus ésotérique, les choses et leurs représentations possèdent différents niveaux de sens, d’où une approche plus nuancée de la Tradition. Cela peut expliquer que, dès le XIe siècle, les souverains de la dynastie fatimide en Égypte n’aient pas hésité à multiplier les représentations.

Si l’image est interdite, comment évoquer les idées, les concepts ou même les sensations ?

L’art islamique a su contourner le problème. D’abord par la calligraphie. Dans l’art musulman, on remplace facilement une image par une lettre ou un mot. Et la calligraphie a pris d’autant plus d’importance qu’elle était un instrument stratégique pour le développement de l’islam. Dès le VIIIe siècle, avec l’expansion rapide de cette religion, il a fallu instaurer une unité afin que, de l’Andalousie jusqu’aux frontières de la Chine, il soit possible de lire le Coran en évitant les querelles et les hérésies. Au fil des siècles, différents styles calligraphiques ont acquis ainsi un statut canonique. Mais l’art a aussi utilisé un deuxième procédé, qui est la géométrie. La coupole du Rocher à Jérusalem, la mosquée d’Ibn Tulun au Caire, ou encore les mosaïques et les panneaux en plâtres de Khirbat al-Mafjar à Jéricho en offrent de superbes exemples. Mais l’apogée de son utilisation est atteint à mon avis au Xe et XIe siècle, avec l’apparition en Iran du « brick style », l’utilisation de briques de construction dans l’agencement de panneaux à la géométrie souvent extrêmement savante. C’est environ à la même époque d’ailleurs qu’apparaissent en Iran ainsi qu’en Irak des manuels de mathématiques qui décrivent les différentes combinaisons pour produire des formes. Peu à peu, la géométrie va ainsi devenir le moteur principal de la décoration des édifices islamiques.

Mais comment les dynasties persane et moghole vont-elles justifier l’art de la miniature et ses représentations, souvent très sensuelles ?

Elles n’ont ni souhaité ni eut véritablement besoin de se justifier. Aucune doctrine, d’ailleurs, n’a été élaborée sur l’art des miniatures. Je pense que ces princes aimaient les belles choses, c’est tout. À l’inverse de la chrétienté où l’art religieux a dominé jusqu’à la Renaissance, l’islam, en Perse ou en Inde notamment, a préféré très tôt l’art profane. Les princes moghols, qui ont régné en Asie centrale et dans le sous-continent du XVIe siècle au XIXe, étaient des Turcs d’Asie centrale qui n’avaient pas les mêmes préjugés que les peuples de la méditerranée en ce qui concerne les représentations.

L’architecture des mosquées varie beaucoup d’un pays à l’autre. Entend-elle, comme celle des églises chrétiennes, évoquer l’ordre du monde ?

Les premiers plans proviennent directement de la maison du Prophète à Médine, qui fut vers 650 sous le califat d’Uthmân, agrandie et transformée en mosquée. Une cour, des salles avec des colonnes : on ne sait finalement que très peu de choses de son architecture. Les chroniques de Tabarî et de Waqidi, notamment, racontent que c’est Al-Hajjaj, gouverneur d’Irak sous le califat d’Abd al-Malik, à la fin du VIIe siècle, qui aurait décrété qu’il fallait un espace pour que les musulmans puissent se retrouver et prier ensemble. Les plans qu’il aurait proposés et qui ont permis l’édification de la Coupole du Rocher à Jérusalem étaient cependant largement inspirés de la maison du Prophète. Mais le Coran lui-même ne précise à aucun moment la nécessité d’un lieu de culte, quel qu’il soit. Il indique seulement que le croyant fera sa prière à l’endroit où il est lorsque retentit l’appel à la prière. La mosquée évoquée dans le Coran n’est rien d’autre qu’un édifice administratif : c’est l’endroit où une fois par semaine, le vendredi à midi, le Prophète, puis plus tard le calife, réunit les hommes non seulement pour prier, mais aussi pour informer, décider des impôts et prendre des décisions collectives.

Oleg Grabar, décédé en 2011, était historien et archéologue, professeur émérite de l’Institute for Advanced Studies à Princeton. Il est l’auteur, entre autres, d’Images en terre d’Islam (RMN, 2009), La formation de l’art islamique (Flammarion, 1987), de Penser l’Art islamique. Une esthétique de l’ornement (Albin Michel, 1996) et de La peinture persane (PUF, 1999).

Le pape François dresse un catalogue sévère des maladies qui menacent la Curie

PapeFrancois

Cité du Vatican – Le pape François a dressé lundi un catalogue de quinze maladies qui menacent le haut clergé, et plus particulièrement la Curie, dans une discours d’une sévérité sans précédent condamnant la mondanité, l’hyperactivité, les rivalités, les bavardages, les calomnies, et la zizanie.

Ce discours annuel de voeux aux membres de la Curie (le gouvernement de l’Eglise), dans lequel il les a conviés à un vrai examen de conscience, avait lieu dans le cadre très solennel de la Salle Clémentine au Vatican, devant les cardinaux réunis dans un grand silence.

Ensuite, dans l’immense Salle Paul VI, Jorge Bergoglio a innové en saluant, dans une ambiance au contraire très festive, les employés du Vatican et leurs familles. Il a rendu hommage aux invisibles qui permettent au Vatican de fonctionner jour après jour.

Mais auparavant, après avoir brièvement remercié cardinaux et évêques pour les services rendus dans l’année écoulée, le pape argentin a estimé que, comme tout corps humain, le Curie souffrait d’infidélités à l’Evangile et était menacée de maladies, qu’il fallait apprendre à guérir.

Il a alors exposé un catalogue de ces maladies, pour que la Curie devienne chaque jour plus harmonieuse et unie.

Il en a cité quinze, employant des formules-choc comme l’Alzheimer spirituel, la fossilisation mentale et spirituelle, le coeur de pierre, le terrorisme des bavardages, la schizophrénie existentielle , le narcissisme faux, la planification d’expert-comptable, les rivalités pour la gloire, les faces funèbres, l’orchestre qui émet des fausses notes…

La guérison est la fruit de la prise de conscience de la maladie, a conclu le pape, en appelant les évêques et cardinaux à laisser l’Esprit saint inspirer leurs actions, à ne pas vouloir le domestiquer, et à ne pas compter seulement sur leurs dons intellectuels ou organisationnels.

Il y a toujours la tentation de se sentir immortel, a-t-il observé, conseillant aux prélats d’aller dans les cimetières où sont tant de personnes qui se considéraient indispensables. Il leur a aussi conseillé, lui qui ne prend jamais de vacances, d’éviter la maladie de la suractivité de ceux qui s’enfouissent sous les dossiers.

Certains autres dépendent totalement de leurs passions, caprices et manies, ils se construisent des murs autour d’eux, devenant de plus en plus esclaves d’idoles, a-t-il critiqué.

Les prêtres sont comme des avions. Ils font la une quand ils tombent, a-t-il noté, sans jamais mentionner aucun fautif en particulier.

Fustigeant particulièrement la calomnie, qui peut équivaloir à un homicide de sang froid, il a évoqué notamment le cas passé au Vatican d’un prêtre qui appelait les journalistes pour raconter et inventer des choses privées sur ses confrères. Pour lui, ce qui comptait c’était d’être sur la première pages des journaux, et de se sentir puissant, le pauvre!

Après ce discours reçu comme une douche froide, François a salué un à un les cardinaux, dans une ambiance lourde, malgré les amabilités de façade.

François, qui a expliqué à plusieurs reprises qu’il se sentait quelquefois anticlérical, a engagé depuis son élection en mars 2013 une profonde réforme de la Curie, qui se heurte à de nombreuses oppositions internes et suscite de nombreuses inquiétudes. Cette réforme en cours ne devrait pas se conclure avant 2016.

La fin du pontificat de Benoît XVI avait révélé l’étendue des intrigues, du carriérisme, et des manoeuvres dans le dos du pape.

(©AFP / 22 décembre 2014 12h50)

Pour en savoir plus : http://www.romandie.com

A Noël, préparer plus qu’une trêve

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A travers l’activité de coaching, je me rends compte que la période de Noël n’est pas forcément la plus simple à vivre. Il se rejoue à travers ces 24 heures qui séparent le réveillon du 24 décembre et du repas du 25 décembre des scénarios pas toujours plaisants. Aussi me semble-t-il bon de se préparer un minimum à vivre cet événement pour qu’il demeure un temps de joie. Voici plusieurs conseils issus d’un article que j’ai rédigé pour l’hebdomadaire La vie. Bonne fête à tous.

Le 24 décembre 1914, sur la ligne de front. Les Allemands se mettent à chanter des cantiques. Dans la tranchée en face, les anglais reprennent des airs de Noël. Puis les uns envoient des barres de chocolat, les autres balancent du saucisson. De part et d’autres, des soldats s’aventurent alors hors de leurs abris, sur le champ de bataille. Des cigarettes sont échangées, on chante, on sort les bouteilles, une partie de football s’improvise. Le grand public a découvert l’existence de ces scènes de fraternisation à travers le film « Joyeux Noël ». « À l’époque, tout le monde croit à une guerre courte et espère retrouver rapidement les siens, précise le père Robert Poinard, vicaire général du Diocèse aux armées, qui connait bien cette période pour avoir travaillé à partir de lettres d’aumôniers militaires. « Mais ces échanges pacifiques sont demeurés rares, les trêves ont plutôt servi à récupérer les morts et les blessés», prévient-il. C’est pourquoi l’idée même de parler d’une trêve familiale pour Noël le choque. « Cela impliquerait de considérer la famille essentiellement comme un lieu de conflits entre des adversaires dissemblables, aux intérêts divergents et dont le but premier est de se combattre pour imposer sa vision à « l’ennemi » ! »

En général, l’ambiance familiale est loin d’être un face à face conflictuel. Mais même dans ces cas là, les attentes demeures particulièrement fortes et les retrouvailles pas toujours si chaleureuses qu’on le souhaiterait. À dix jours des festivités, comment se préparer pour donner toutes ses chances à ces moments de rencontres avec l’ensemble de la tribu, parfois le seul de l’année ? Conseillers conjugaux et psychologues nous confient des pistes pour cultiver une disposition intérieure afin de goûter pleinement à la joie de Noël.

Un) Se protéger d’une attente trop forte

« Sans en être toujours conscients, nous avons tendance à surinvestir affectivement les fêtes de Noël, d’autant que toutes les conditions sont réunies pour favoriser cet état d’esprit », met en garde Maylis Duffaut, conseillère conjugale et familiale du Cler, à Chatou (78). Pour peu que le réveillon se tienne dans la maison de son enfance, les souvenirs remontent et avec eux d’anciennes rancoeurs et frustrations que l’on croyait avoir laissé derrière soi depuis longtemps. Souvent, nous revenons dans ces demeures nous-mêmes en tant que parents et constatons un écart entre l’éducation que nous avons vécue et celle que nous dispensons. Nous aurions moins reçu de nos parents que ce que nous offrons à nos enfants ! À nouveau, de vieilles contrariétés risquent de resurgir en moins de temps qu’il ne faut pour déboucher une bouteille de champagne. Nous voilà plongés dans une certaine morosité. « Dans ces cas-là, mieux vaut accepter que des souvenirs de relations difficiles apparaissent sans leur donner toute la place, ni essayer de régler immédiatement ces situations » préconise Maylis Duffaut. Si Noël représente la fête de la famille par excellence, elle n’a pas vocation à régler toutes les querelles avec les parents, frères, soeurs, cousins et cousines. Le tout en moins de 24 heures chrono ! Le réveillon réunit souvent au moins trois générations, auquel il faut ajouter les « pièces rapportées » qui ont vécu d’autres ambiances de Noëls et peut-être aussi des amis, avec encore des attentes différentes. Que toutes ces personnes soient présentes sous un même toit constitue déjà un bel exploit. « Si le déroulé des festivités ne se trouve pas en adéquation avec ce que l’on espérait, le temps passé ensemble constitue autant de graines semées qui pourront susciter des relations apaisées par la suite » constate pour sa part la thérapeute de couple, Catherine Serrurier. « A Noël, il ne nous est pas demandé de tout régler, mais plus modestement de faire un pas vers l’autre. »

Mais pour ne pas tomber dans la sinistrose à la moindre contrariété, encore faut-il s’attaquer à une autre idée reçue : la vie familiale rimerait toujours avec harmonie. C’est du moins ce qui semble se passer chez les autres « Dans chaque famille se produit toujours des ajustements, signe que la vie n’est pas figée, poursuit Catherine Serrurier. Si le déroulé du réveillon produit des frottements entre les participants, c’est aussi que chacun a évolué depuis les dernières rencontres. Rêver d’une totale harmonie revient à figer chacun dans un rôle immuable qu’il serait censé jouer chaque année avec application, mais qui a vraiment envie de vivre ce scénario ? »

Deux) Identifier les critères essentiels d’un bon Noël

Finalement qu’est-ce qu’un Noël réussi ? Pour les uns, il faut impérativement que les convives s’offrent les cadeaux le soir, pour d’autres il est impensable de les ouvrir seulement le matin. Pour les chrétiens, la participation à la messe et le fait de parler de la naissance de Jésus comme un ingrédient incontournable, mais ce rituel n’est plus accepté par tous. Effectuez le test autour de vous : chacun s’est constitué « sa liste » pour réussir le réveillon et chacun jure le cœur sur la main qu’il détient la véritable recette d’un Noël authentique. Cette diversité de critères s’avère souvent source de conflits, car elle touche à la fois à la magie de l’enfance et à ce qui est sacré pour chacun d’entre nous. Pour remédier à cette situation, propose le docteur Marie Parent, conseiller conjugal et familial du Cler, à Lyon, il peut être bon de recenser ces fameux critères nécessaires pour passer un bon réveillon. Puis éliminer ceux qui vous semblent secondaires et dont vous pouvez vous passer pour ne garder qu’une liste resserrée. » Ayant clarifié vos attentes, vous allez pouvoir les exprimer à vos proches leur laissant la possibilité d’y répondre, tout en libérant intérieurement de la place pour accueillir leurs besoins. Ainsi, Philippe aimerait bien renouveler le menu du réveillon, mais il doit faire face à l’attachement de ses beaux parents à la présence de la dinde et de la buche. En définissant ces clés de Noël, il a pris conscience que la participation à la messe le soir comptait plus que le renouvellement du menu prévu pour l’occasion. Il a choisi de ne pas chercher à chambouler la liste des plats. Par contre, il a demandé à ce que les festivités ne débutent qu’à 20 heures afin de lui permettre ainsi qu’à ses enfants de se rendre à la célébration de 18h30.

Trois) Décréter la trêve des reproches

A Noël, pourquoi ne pas accomplir un pas supplémentaire vers les autres ? Catherine Serrurier propose de « ne pas se centrer sur les zones d’ombre et les travers connus des proches, mais sur ce qui est beau à observer chez les autres. » À travers le déroulé des festivités (qui ne correspond pas exactement à ce que l’on souhaite), qu’est-ce qui nous touche, qu’est-ce qui renouvelle notre regard sur des personnes que nous croyons pourtant bien connaître ? L’émerveillement de Noël ne concerne pas seulement la naissance de Dieu fait homme, mais aussi certaines attitudes étonnantes (en bien) de nos proches. Cette attitude intérieure s’exerce vis-à-vis de chaque participant pris individuellement, mais aussi à l’égard de la famille tout entière. Chaque tribu cultive son propre style, certaines se montrent plutôt bruyantes, d’autres plus recueillies, toutes ont inventé une façon de festoyer qui leur est spécifique. Pourquoi ne pas savourer simplement cette façon de demeurer ensemble en laissant de côté ce qui divise au moins pour 24 heures ?

Quatre) Surfer sur le climat de paix de Noël

Le père Angelo Romano appartient à la communauté sant Egidio où il intervient comme médiateur dans des conflits à travers le monde. Cette paroisse romaine propose des temps de prière quotidiens, un service aux plus pauvres, mais aussi une aide pour les couples et les familles en difficultés. « A Noël, il y a clairement une atmosphère particulière dont on peut profiter pour favoriser une réconciliation » suggère-t-il. L’ histoire de la naissance de Jésus lui semble particulièrement inspirante. « Finalement, l’assemblée présente à cette occasion se compose à la fois de bergers venus en voisins, des étrangers partis de loin comme les rois mages, et en même temps tous les proches de Joseph et Marie ne sont pas là. Pourtant avec ce groupe aux attentes diverses, il se passe quelque chose de l’ordre d’un partage fraternel, avec du soutien et de l’écoute. » Même si nos assemblées familiales réunissent des convives aux attentes affectives plus ou moins fortes, des degrés d’intimité variables, avec des histoires différentes, il peut se produire des moments de fraternisation.

Dans cette perspective, Angelo Romano insiste sur l’importance d’une bonne attitude d’écoute. « Les échanges familiaux sont de plus en plus marqués par ce que nous voyons à la télévision. Durant les émissions de débats, chaque intervenant semble n’avoir pour objectif que de pilonner les positions de l’adversaire. Avec comme unique stratégie de crier plus fort que les autres, de les interrompre ou de caricaturer ses propos. Ce mode de communication tend à devenir aussi la norme dans les échanges plus personnels. Les fêtes de fin d’année peuvent être l’occasion de revenir à d’autres modes d’échanges où notre interlocuteur peut aller jusqu’au bout de ses phrases, voir même être relancé par une question montrant que l’on s’intéresse à lui ». De même, le pape Francois conseille trois mots pour faciliter les relations de famille : pardon, merci, mais aussi de façon plus inattendue : « est ce que c’est permis ? » À force de se retrouver chaque année au même endroit avec les personnes identiques, chacun s’autorise certaines pratiques sans vérifier qu’elles ne gênent pas les autres. « En demandant à nouveau si cela convient au reste de la famille, nous renouons avec une saine humilité où tout ne nous est pas dû, sans chercher à occuper le terrain à tout prix par une multitude d’initiatives. » constate le père Romano. Cette attitude permet d’expérimenter la gratitude au sens fort : demeurer reconnaissant pour l’abondance que la vie procure à chaque être quand il demeure ouvert, à ses proches, à l’existence. Une présence gratuite, qui donne, sans attendre de retour. Pas de territoire acquis, ni de droits à conserver, mais plus de dons.

15 Décembre 2014, 18:14pm| Publié par Etienne Séguier

Pour en savoir plus : http://cultivetestalents.over-blog.com

St Louis, au delà du mythe

ExpositionStLouis

Le Saint-Louis de Mainneville ouvre l’exposition de la Conciergerie (vers 1305-1310, église Saint-Pierre). © Matthieu Stricot

 

Il y a 800 ans, en 1214, naissait Saint Louis, roi de France de 1226 jusqu’à sa mort en 1270. Le règne de Louis IX fut l’un des plus marquants du Moyen Âge. Un rayonnement renforcé par sa canonisation en 1297. Mais quel homme était-il ? Comment liait-il sa foi et son pouvoir ? Comment sa personnalité a-t-elle marqué l’art de l’époque ? Jusqu’au 11 janvier 2015, l’exposition « Saint Louis » à la Conciergie, à Paris, présente ce grand personnage de l’Histoire de France.

 

« Il est le roi des rois de la terre. » Cette citation du moine anglais Matthieu Paris (v. 1200-1259) accueille le visiteur à l’entrée de l’exposition consacrée à Saint Louis à la Conciergerie, à Paris. Né il y a 800 ans, en 1214, Louis IX fut un souverain exceptionnel.« Peu de rois ou de princes ont laissé une telle empreinte dans le patrimoine français », affirme Philippe Bélaval, président du Centre des monuments nationaux.

Mais, au-delà du mythe, qui était l’homme ? « Pour y répondre, nous sommes partis du Saint Louis de l’historien Jacques Le Goff », explique Pierre-Yves Le Pogam, commissaire de l’exposition. « Il avait écrit son livre à la suite d’un article intitulé “Saint Louis a-t-il existé ?”. Il ne remettait évidemment pas en question l’existence d’un roi aussi puissant. La question était plutôt : Que savons-nous de l’homme réel derrière les filtres de l’Histoire ? »

L’exposition remonte le temps, du mythe à l’homme en passant par la canonisation. Pour commencer, la statue de Saint Louis de Mainneville, datée du XIVe siècle. « C’est une image idéale du roi, en tenue de sacre, qui met l’accent sur sa majesté », explique le commissaire. Une série de tableaux du XIXe siècle, réalisés par le peintre symboliste Alphonse Osbert, illustre comment « l’exemple de Saint Louis permettait alors de légitimer la “mission civilisatrice” de la colonisation ».

L’an 1297 est marqué par la canonisation du roi. « Elle fut déterminante dans l’intérêt des autres souverains pour Saint Louis. » Des reliques indirectes témoignent du culte voué au saint souverain : sa chemise, un cilice, le reliquaire de la Sainte-Épine…

Le visiteur découvre ensuite l’homme et sa famille. Un manuscrit de sa mère, Blanche de Castille, la petite Bible de Saint Louis, un recueil de psaumes appartenant probablement à sa fille Isabelle… Les objets rappellent les liens entre la foi et le pouvoir du roi.

Le fondateur de la Sainte Chapelle

Le caractère religieux du règne de Saint Louis est mis en valeur dans la deuxième partie de l’exposition, « du royaume terrestre à la Jérusalem céleste ». « Saint Louis s’identifie à la fois aux rois de Juda et aux rois mérovingiens ». En témoigne, pour ces derniers, la statue du roi Childebert. Si sa barbe fait référence aux premiers rois francs, le manteau et le sceptre le rapprochent d’un roi du XIIIe siècle.

La charte de fondation de la Sainte Chapelle vient rappeler l’attrait du souverain pour la Terre Sainte. Saint Louis a construit l’édifice afin d’abriter la Couronne d’épines qu’il avait acquise en 1239. « Mais son intérêt pour les reliques n’était pas égoïste. Pour lui, le roi doit être à l’image du Christ ». Il distribue des épines à ses amis. À l’abbaye d’Assise, notamment. « Sa spiritualité est guidée par la passion pour aller dans les pas du Christ. Elle est la raison de sa croisade », ainsi que l’illustre un manuscrit célébrant la conquête de Damiette, en Égypte, en 1249.

Un roi passionné par les arts

L’un des premiers exemples de Bible en français manifeste la floraison des arts sous le règne de Louis IX. « Les images y sont influencées par Byzance et le monde musulman », fait remarquer Pierre-Yves Le Pogam. Ce changement de style, des nouveautés iconographiques apparaissent aussi dans le Troisième évangéliaire de la Sainte Chapelle : « les quatre évangélistes y sont représentés sous leur forme humaine, sans leur symbole ». Les Franciscains eux-mêmes entendent être fidèles à la nature. Ainsi cette sculpture où Ève se distingue d’Adam par une poitrine apparente. « Pour la première fois, ils essaient de regarder le réel en s’intéressant à l’individualité. » De la même façon, la tête de saint Jean l’Évangéliste rappelle le pathos hellénistique. Elle fait judicieusement face à une statue de Vierge à l’enfant où se mêlent grâce et majesté. Le mouvement de la Vierge est perceptible.

Un démenti, donc, aux affirmations selon lesquelles « l’art de l’époque était un art d’équilibre ». Saint Louis a-t-il vraiment agi sur l’art de son temps ? « Saint Louis affirmait, il est vrai, que la principale qualité était la prud’homie, à savoir se comporter en homme moyen. Mais c’était au contraire un homme passionné. »

Son époque reflète sa personnalité. Celle d’« un roi animé par un souci intérieur, une angoisse : le désir d’aller vers le mieux », conclut le commissaire de l’exposition.

 

> Pour aller plus loin :

« Saint Louis », jusqu’au 11 janvier 2015, à la Conciergerie.
2, boulevard du Palais, 75001 Paris
De 9 h 30 à 18 h. Nocturne le mercredi jusqu’à 20 h.
Billets à partir de 9,50 euros sur ticket.monuments-nationaux.fr
Infos au 01 53 40 60 80

 

Pour en savoir plus : http://www.lemondedesreligions.fr

 

Formation « Rites en Soins Palliatifs » à Lyon

SappelAout2014bis

Intervention de Marie DAVIENNE – KANNI à l’Ecole Rockefeller à Lyon (IFSI) ce mardi 25 novembre dernier : une matinée de formation sur les rites religieux et laïques en soins palliatifs.

Les étudiants en troisième année d’études en Soins Infirmiers ont été attentifs à l’approche des rites et de leurs fonctions, à l’analyse de l’intrusion de la maladie et l’approche de la mort au sein des familles.
Une troisième partie portait sur une approche rapide des fondements des trois religions monothéistes : la religion juive, chrétienne catholique et musulmane. En rapport avec ses trois religions, les fêtes et rites, et notamment le rapport à la vie et à la mort.

Une ouverture a été faite sur les nouveaux rites mortuaires.

Un temps de questions-réponses a clôturé la formation.

SignesReligieux

Décès d’Emile Poulat, sociologue du catholicisme et de la laïcité

EmilePoulat

L’historien et sociologue Emile Poulat, décoré de la Légion d’honneur, le 9 décembre 2012 lors d’une cérémonie à l’Elysée, à Paris (Photo Bertrand Langlois. AFP)

 

Emile Poulat, figure de la sociologie du fait religieux en France dans la seconde moitié du XXe siècle, spécialiste du catholicisme et de la laïcité, est mort samedi à Paris à l’âge de 94 ans, a annoncé la communauté de Sant’Egidio.

«Avec lui disparaît un illustre savant, une mémoire du XXe siècle et de l’Eglise et un fidèle compagnon de la Communauté de Sant’Egidio», écrit dans un communiqué cette association internationale de laïcs basée à Rome, très engagée dans le dialogue interreligieux.

Né le 13 juin 1920 à Lyon dans une famille très catholique, réfractaire au STO durant la guerre, Emile Poulat a été ordonné prêtre en mars 1945 (BIEN 1945) à Notre-Dame de Paris. Prêtre «au travail» (dans une compagnie d’assurances, un laboratoire d’électrochimie), il partage les positions progressistes des prêtres-ouvriers insoumis à Rome, sur lesquels il écrira plusieurs ouvrages. Rayé de la liste des prêtres du diocèse de Paris en 1954, il quitte le clergé et se marie l’année suivante.

Docteur en théologie en 1950, Emile Poulat a été le cofondateur du premier groupe de sociologie des religions au Centre national de la recherche scientifique (CNRS) dès 1954, huit ans avant de soutenir en Sorbonne sa thèse d’Etat sur la «crise moderniste» dans l’Eglise, l’un des sujets de prédilection de cet historien du catholicisme contemporain.

Son oeuvre, considérable (une trentaine de livres, des centaines d’articles) et qui couvre plus d’un demi-siècle, s’est aussi focalisée sur l’analyse de la loi de 1905 de séparation des Eglises et de l’Etat, socle de la laïcité à la française dont il a été un défenseur infatigable, louant son équilibre.

Longtemps directeur de recherche au CNRS (1968-1987) et directeur d’études à l’Ecole des hautes études en sciences sociales (EHESS, 1978-2007), Emile Poulat était officier de la Légion d’honneur, dont le président François Hollande lui a remis les insignes le 9 décembre 2012, jour anniversaire de la loi de 1905. Le chef de l’Etat a salué dimanche matin dans un communiqué «un esprit libre» et «un infatigable défenseur des valeurs de la République».

«Proche de la communauté de Sant’Egidio et de son fondateur Andrea Riccardi depuis les années 1970, Emile Poulat était, avec son épouse Odile, un fidèle participant aux rencontres annuelles de prières et de dialogue pour la paix organisées depuis 1986 dans l’Esprit d’Assise», rappelle pour sa part cette association.

«Intellectuel aussi libre que rigoureux, érudit et homme de foi, Emile Poulat a montré par toute sa vie l’exemple d’un art de l’amitié, du dialogue avec tous et de la paix», ajoute la communauté.

Pour en savoir plus : http://www.liberation.fr

 

La montée de l’Etat islamique, ou la nouvelle fin de la fin de l’Histoire

Comme face à al-Qaida il y a treize ans, les experts, aveuglés par leur rationalisme, ont été pris de court par l’apparition en Syrie et en Irak de l’organisation. Elle montre que le pouvoir des idées, même les plus archaïques, est une réalité, et le sens de l’histoire une notion à manier avec précaution.

Une fois encore, les experts occidentaux, militaires, politiques et religieux, ont été pris de court par l’apparition en Syrie et en Irak de l’organisation Etat islamique ou Daech, par son expansion rapide et par sa capacité à fasciner et tétaniser tout à la fois le monde musulman. La découverte, il y a un peu plus de treize ans, de la capacité d’al-Qaida à frapper sur le sol américain avait produit un choc semblable. Comme si nous restions aveuglés par notre rationalisme.

Les religions, les idéologies, les identités ne sont pas seulement le produit de rapports de force politiques, économiques et sociaux. «Entre la raison et les passions, les peuples choisissent toujours les secondes», expliquait déjà Raymond Aron au siècle dernier. Et l’organisation Etat islamique est la partie extrême d’une idéologie qui fait de la religion le centre de la vie publique et est dominante dans la majeure partie du monde arabo-musulman, sunnite comme chiite.

Le sens de l’histoire

Le pouvoir des idées, même les plus archaïques, est une réalité. Nous l’avions oublié. L’historien américain néoconservateur Robert Kagan rappelle dans le Wall Street Journal que «pendant un quart de siècle, on a dit aux Américains que le sens de l’histoire nous [conduisait] vers la tranquillité et la disparition des conflits militaires…». Une croyance encore plus marquée en Europe où la plupart des pays, à l’exception de la France, ont tout simplement renoncé à conserver des moyens militaires significatifs. L’ascension de Daech suffit à démontrer que le sens de l’histoire est une notion à manier avec précaution et qu’elle ne nous conduit pas forcément vers un avenir pacifique et harmonieux. Les dernières années au Moyen-Orient sont exactement à l’opposé de ce monde idéal.

Bien sûr, la grande majorité des musulmans ne partage pas l’interprétation extrême de leur religion de l’organisation Etat islamique. Pour autant, on ne peut nier que son ascension ait quelque chose à voir avec l’Islam. Peut-être une forme dévoyée de cette religion, mais une forme qui exerce un pouvoir d’attraction indéniable, y compris auprès de nombreux jeunes musulmans en Occident. Daech et son Islam, qui se veut celui des origines, fascinent au même titre que les totalitarismes européens du siècle dernier ont envoûté les foules en promettant par la violence de créer un homme nouveau ou d’instaurer le règne de la race des seigneurs.

Dans une déclaration interminable et décousue faite en septembre, le porte-parole de l’organisation, Abou Muhammad al-Adnani, a donné en partie les clés de son pouvoir d’attraction. Irrationnel d’abord, avec une forme de nihilisme et un désir absolu de «pureté», et plus rationnel aussi, avec l’ambition de redonner vie au califat, un fantasme qui agite le monde arabe depuis la disparition de ce dernier en 1924, il y a juste 90 ans, avec le démantèlement de l’empire ottoman.

L’effondrement d’une civilisation

Sur l’aspect irrationnel, Daech considère qu’il ne peut tout simplement pas être vaincu. «Etre tué est une victoire. Vous combattez un peuple qui ne peut connaître la défaite. Il remporte la victoire ou il est tué», affirme Abou Muhammad al-Adni. Les combattants de l’organisation Etat islamique ne se sacrifient pas seulement par conviction religieuse: ils ont le culte de cette mort en martyr, car ils iront directement au paradis. Et ils y croient.

Sur un plan plus rationnel cette fois, l’organisation incarne «enfin» une tentative de renaissance du califat. La résurrection d’une entité politique gouvernée par la loi et la tradition islamique est un fantasme puissant, même auprès des musulmans qui rejettent les islamistes. Le califat est le symbole d’une civilisation longtemps dominatrice qui a connu un des déclins les plus rapides de l’histoire humaine. Le souvenir de ce qu’était la puissance arabo-musulmane et le constat de ce qu’elle est aujourd’hui sont une source permanente de colère et d’humiliation.

Il faut dire que depuis 1924, le monde arabo-musulman a été incapable de se doter d’un modèle politique accepté et acceptable. Des Etats-nations souvent artificiels, dont les frontières ont été dessinées sans réflexion par les Occidentaux, se sont retrouvés entre les mains de régimes monarchiques ou dits «progressistes», mais toujours autoritaires, brutaux, inefficaces et corrompus.

Des autorités religieuses discréditées

Comme l’écrit le chroniqueur d’al-Arabiya Hisham Melhem dans un article pour Politico qui a eu un important retentissement, titré «The barbarians within our gates» («Les barbares dans nos murs»):

«La civilisation arabe s’est effondrée, elle ne se redressera pas de mon vivant… Le monde arabe est aujourd’hui plus violent, instable, fragmenté et mené par l’extrémisme –l’extrémisme des pouvoirs et des opposants– qu’à aucun autre moment depuis l’effondrement de l’empire ottoman il y a un siècle. Tous les espoirs d’une histoire arabe moderne ont été trahis. La promesse d’une émancipation politique, le retour de la politique, la restauration de la dignité humaine proclamée par les révolutions arabes, tout cela a débouché sur des guerres civiles, ethniques, religieuses, des divisions régionales et la réaffirmation de l’absolutisme à la fois sous ses formes militaires et répressives.»

Face à cette réalité, revenir à un califat idéalisé semble être un désir rationnel.

En écho, Dennis Ross, spécialiste du Moyen-Orient, conseiller d’Henri Kissinger et de Barack Obama, souligne que «ce que les islamistes ont tous en commun est de subordonner leurs identités nationales à leur identité islamique». C’est une des clés de leur succès. Le problème, c’est qu’il n’y a aucune définition commune de cette identité islamique et que les autorités religieuses qui auraient dû la définir sont discréditées par leur proximité et leur complicité avec les pouvoirs en place.

Les salafistes, qui prônent sur le seul plan de la doctrine religieuse le retour à l’Islam des origines, et tous les islamistes du monde sunnite, des Frères musulmans à al-Qaida en passant par Daech, sont nés du rejet des pouvoirs religieux en place. Le mouvement égyptien des Frères musulmans, né en 1918, qui est le précurseur et l’inspirateur de la plupart des mouvements dits islamistes «modérés» et indirectement (via une dissidence) de la doctrine d’al-Qaida, a été chercher ses dirigeants parmi des médecins, des ingénieurs, des juristes…

Mohammed Morsi, issu des Frères musulmans, élu président en Egypte en juin 2012 et chassé par un coup d’Etat militaire en juillet 2013, est un ingénieur. Oussama ben Laden, fondateur d’Al-Qaida, abattu en 2011, était aussi un ingénieur de formation. Ayman al-Wazahiri, qui a succédé à Ben Laden à la tête d’al-Qaida, est un chirurgien.

Islam et politique sont indissociables

Le procès fait par les islamistes aux religieux est comparable sur certains points à celui fait par la Réforme protestante à l’Eglise catholique au XVe et XVIe siècles, qui a conduit à… une interminable guerre de religion. Les salafistes affirment que des siècles d’enseignement perverti de l’Islam ont masqué la pureté du message du prophète Mohammed et de ses compagnons. Pour eux, il suffit de lire le Coran et de suivre à la lettre l’exemple du prophète.

Ainsi, même si les Frères musulmans sont des islamistes très différents de ceux de l’organisation Etat islamique et n’entendent pas utiliser les mêmes moyens pour parvenir à leur fins, ils ont eux aussi une vision de la société qui met l’Islam et la loi islamique au centre de la vie publique. Une conception d’un système légal et social construit autour de la religion qui correspond, à en croire certains sondages, à la façon de penser aujourd’hui de la majorité des populations arabes. C’est le cas notamment des Egyptiens et des Jordaniens, qui pourtant ne vivent pas dans un pays où le pouvoir est aux mains des islamistes comme la Turquie, l’Arabie Saoudite ou le Qatar.

Cela n’empêche pas 88% des Egyptiens musulmans et 83% des Jordaniens musulmans de soutenir la peine de mort pour les apostats (ceux qui rejettent la religion), selon un sondage réalisé en 2011 par Pew Research. Dans la même étude d’opinion, 80% des Egyptiens étaient favorables à la lapidation des auteurs d’adultère et 70% à couper la main aux voleurs.

La tentation politique de l’Islam est permanente. La question n’est pas de savoir si c’est une bonne chose ou une mauvaise, c’est une réalité. Le prophète Mohammed était tout à la fois un théologien, un prophète, un chef d’Etat, un chef de guerre, un prêcheur et un marchand. Ce n’était pas le cas de Moïse, et encore moins de Jésus. Une «confusion» des pouvoirs en contradiction avec les exigences de la modernité et d’un monde ouvert que les régimes arabes ne parviennent pas à surmonter.

Même les pouvoirs modérés, alliés des occidentaux et anti-islamistes, sont de nature religieuse. C’est le cas des monarchies marocaine et jordanienne et même du président égyptien Abdel Fattah al-Sissi qui, dans sa thèse écrite au collège de guerre américain, expliquait que «la démocratie ne peut pas se comprendre au Moyen-Orient sans comprendre le concept de l’Etat idéal du califat…».

Confusion et chaos

La tentation de se trouver un avenir dans un passé mythique est d’autant plus forte que le chaos n’a cessé de grandir dans la région au cours des dernières années. La volonté confuse de liberté exprimée pour la première fois dans la rue lors des printemps arabes de 2011 a fini de discréditer et déstabiliser les régimes en place.

La polarisation –religieuse, politique, ethnique– est devenue telle en Syrie et en Irak qu’il est difficile de voir ces deux Etats renaître un jour. En Libye, les 42 années de règne de terreur de Mouammar Kadhafi ont fait place à un pays disloqué. Le Yémen est un Etat défaillant miné par les divisions tribales. Bahreïn survit grâce au soutien militaire de son voisin saoudien.

L’intervention armée occidentale, à reculons, contre Daech ajoute à la confusion. Il suffit de voir les réticences des «alliés» sunnites de l’occident (Turquie, Arabie Saoudite, Qatar), qui ont un temps financé et armé l’Etat islamique. Tout aussi perturbante est l’alliance de fait contre l’Etat islamique des Etats-Unis avec l’axe chiite : la République islamique d’Iran, son affidé syrien Bachar el-Assad et le Hezbollah libanais.