Ikéa ou le management de la diversité

IkéaenArabe

PDG de Ikea de 1999 à 2009, Anders Dahlvig a publié en juin un ouvrage où il revient sur son expérience à la tête du leader mondial de l’ameublement. LSA a sélectionné les bonnes feuilles.

LSA – Quel message voulez-vous faire passer avec votre livre ?

Anders Dahlvig – Quand on est PDG, on n’a pas le temps de réfléchir sur son travail. J’ai pensé qu’il serait bien de le prendre aujourd’hui pour tirer des leçons du modèle Ikea. Mais je ne voulais pas d’un énième manuel de management ou d’un recueil de potins sur la famille Kamprad, il s’agit des leçons que l’on peut tirer du business model Ikea à destination des professionnels.

LSA – Quelles conclusions en avez-vous tirées ?

A. D. – À force de conceptualiser, j’ai compris l’importance des valeurs. Elles permettent de mieux recruter, de garder les gens plus longtemps et plus motivés. Le contrôle de la chaîne de valeur est aussi fondamental, du design des produits jusqu’à leur vente. Peu de distributeurs contrôlent toutes ces étapes. Ensuite, il faut aussi exister à l’échelle mondiale. On peut réussir sur les marchés émergents à condition d’avoir d’excellents prix et un engagement de longue durée. Enfin, Ikea a un propriétaire solide, qui s’inscrit dans la durée.

LSA – Quels souvenirs gardez-vous d’Ingvar Kamprad ?

A. D. – Nous avions une relation proche. Ikea est sa vie, il allait régulièrement voir les magasins à travers le monde. C’est un homme intelligent, et il faisait de bonnes remarques, même s’il n’était pas impliqué dans la gestion quotidienne.

MANAGEMENT La diversité ? « Si tout le monde pense la même chose, vous verrez peu de progrès. »

« D’un point de vue business, il y a au moins quatre bonnes raisons pour promouvoir la diversité.

Orientation client : pour qu’une entreprise puisse comprendre ses clients, et ses employés, l’équipe dirigeante doit refléter la diversité qui existe au sein de ces deux groupes. 70% des clients d’Ikea sont des femmes, et les groupes ethniques minoritaires représentent une proportion importante dans de nombreux magasins. […]

Prise de décision : si tout le monde pense la même chose, vous verrez peu de progrès. […] Une entreprise qui n’installerait aux postes de responsabilité que des personnes issues du même milieu aura certes des réunions très calmes et agréables, mais pas très productives.

Recrutement : aucune preuve scientifique prouve que les Suédois d’âge moyen seraient meilleurs que les autres dans le commerce d’articles d’ameublement. […]

Motivation : la reconnaissance est un facteur de motivation très puissant. La promotion, ou même la simple perspective de promotion, instaure une forte motivation. […] « Je suis un partisan des organisations « plates ». Plus il y a de niveaux hiérarchiques, plus il y a de bureaucratie et moins il y aura de responsabilité individuelle. À chaque fois que le développement de l’entreprise exigeait l’addition d’un niveau hiérarchique, par exemple au niveau régional, j’ai toujours refusé de le faire. Si nécessaire, un poste de directeur régional est créé, mais jamais une structure complète. Si possible, les directeurs régionaux doivent avoir une autre casquette. Contrairement à ce qui est communément admis en management, je préfère que l’étendue des responsabilités d’un cadre dirigeant soit très large. »

« PLUS LE CLIENT S’IMPLIQUE, MOINS LE PRIX EST ÉLEVÉ »

« J’ai la conviction que les gens ont plus de temps que d’argent. Plus le client s’implique dans le processus de vente, moins le prix du produit sera élevé. Tout le système de commercialisation repose sur l’intégration du client dans le système de distribution. Le client choisit le produit, le prend, le paie à la caisse, le transporte et l’assemble lui-même. »

« LE MARKETING SELON DILBERT »

« La communication-marketing a toujours été l’une des disciplines qui m’ont le plus frustré. Quand je dois écouter des présentations interminables sur la segmentation du marché, la publicité de marque et le comportement des clients, je suis constamment tenté de revenir à la conception du marketing selon Dilbert : « Tout ce que vous avez besoin de savoir, c’est que vous vendrez plus de produits en baissant les prix. » Et souvent, les choses sont réellement aussi simples que cela. »

BACK OFFICE Derrière les magasins, la logistique et l’internet

« Des efforts se sont également portés sur l’augmentation des livraisons directes des fournisseurs aux magasins pour réduire les coûts d’approvisionnement. La proportion des livraisons directes est ainsi passée de 25% à près de 40% en 2009. Cela a été rendu possible grâce à des volumes de vente plus importants ainsi que par l’augmentation de la surface des magasins. Un changement important a été entrepris dans la stratégie de distribution. Jusque-là, tous les entrepôts centraux stockaient l’ensemble de la gamme (à l’exception des articles en livraison directe). Dans la nouvelle stratégie, les biens durables, qui représentent près de 10% des ventes mais 50% des articles, sont désormais stockés dans un ou deux entrepôts centraux qui servent toute l’Europe tandis que les produits de grande consommation, qui composent 50% des volumes vendus, sont stockés dans des entrepôts à proximité des marchés locaux. […] « En près de dix ans, le site d’kea est passé de pratiquement 0 à 500 millions de visites par an. Les TIC et les médias numériques vont prendre de plus en plus d’importance dans l’expérience magasin, en améliorant les services (caisses automatisées, cartes de fidélité, crédit), les opérations (fixation des prix, gestion des stocks) et les ventes (démonstration de l’utilisation des produits…). Les nouvelles technologies faciliteront le travail des employés, mais elles vont jouer un rôle déterminant pour mieux intégrer le client dans le processus de vente. »

PROPOS RECUEILLIS PAR J.-B. DUVAL
Pour en savoir plus : http://www.lsa-conso.fr

L’intelligence collective, cette étonnante capacité du vivant

Intelligence-collective

 

Quand on parle d’intelligence collective on a souvent l’impression de quelque chose d’assez flou, d’aléatoire, ce terme offre une dimension presque divine à ce qu’on pourrait aussi appeler l’organisation autogestionnaire du vivant. Car il s’agit de cela !  Le vivant crée de manière spontanée une multitude de structures d’organisations autogérées et impressionnantes d’efficiences. Comme vous l’aurez donc compris, aujourd’hui nous allons plonger dans le domaine passionnant de l’intelligence collective.

1 – L’intelligence collective dans la nature.

Commençons par le commencement, tout d’abord, qu’est ce que l’intelligence collective ?

Il s’agit de la capacité cognitive d’un groupe d’individus interagissant les uns avec les autres, formant par leurs interactions, une organisation plus ou moins complexe. La connaissance de la structure globale est ignorée par les membres du groupe qui n’ont qu’une perception partielle de la structure globale, ils n’ont pas conscience de la totalité des éléments qui influencent le groupe. D’un point de vue extérieur, la multitude d’interactions entre les différents membres du groupe formera ce qu’on appelle communément une synergie ou une stigmergie chez les espèces eusociales.

Dans le règne animal, l’intelligence collective s’observe principalement chez les insectes sociaux (fourmis, termites, abeilles), et les animaux communautaires, notamment se déplaçant en formation (oiseaux migrateurs, bancs de poissons) ou chassant en meute (loups, hyènes, lionnes). C’est au sein des sociétés d’insectes que l’on rencontre les formes d’organisation les plus complexes et également les structures les plus élaborées.

Banc de poisson

Essaim d'abeille

spotted_groupinwater

 

Si l’on prend l’exemple des fourmis, on a longtemps pensé – à tort – que les sociétés de fourmis fonctionnaient sur un mode d’organisation semblable à celui qui domine dans nos sociétés humaines, à savoir un système hiérarchique et très centralisé. Mais les études réalisées au cours des quarante dernières années ont mis en exergue des mécanismes d’auto-organisation caractérisant les phénomènes de coordination collective à l’intérieur de ces sociétés. La colonie dans son ensemble est en effet un système complexe auto-régulé, capable de s’adapter très facilement aux fluctuations environnementales sans contrôle externe et de manière totalement distribuée.

Dans une publication de 2009 (1), Guy Théraulaz – directeur de recherches au CNRS, Docteur en neurosciences et en éthologie – nous explique que le cerveau des fourmis, qui comprend environ cent milles neurones, n’est pas suffisamment performant pour permettre à une seule fourmi d’emmagasiner l’ensemble des informations sur l’état de la colonie et assurer ensuite la répartition des tâches et le bon fonctionnement de la société. En outre, les fourmis ne possèdent aucune connaissance explicite des structures qu’elles produisent ; chaque fourmi n’a généralement accès qu’à une information très limitée sur ce qui se déroule dans son environnement. Le fonctionnement de ces sociétés repose en grande partie sur des réseaux complexes d’interactions – sans chef d’orchestre – permettant aux fourmis d’échanger de l’information et de coordonner leurs activités.

teamwork-fourmis

2 – L’intelligence collective humaine

L’intelligence collective est un élément fondateur des organisations sociales. Qu’il s’agisse d’une entreprise, d’un gouvernement ou d’une équipe de sport, tous ont en commun de rassembler des individus pour échanger et collaborer de telle manière à trouver un avantage supérieur tant individuel que collectif à ce qui aurait été obtenu si chacun avait agit isolément. Il existe dans les sociétés humaines différentes formes d’intelligence collective. Nous allons ici les énumérer et étayer leurs caractéristiques – de façon non exhaustive – en nous appuyant sur les travaux de Jean François Noubel – chercheur et fondateur du Collective Intelligence Research Institute – et en particulier sur une publication de 2004 s’intitulant « L’intelligence collective, la révolution invisible ».

a) L’intelligence collective pyramidale

L’intelligence collective pyramidale anime aujourd’hui la grande majorité des organisations humaines, et c’est elle qui se trouve au cœur de notre système politique et économique. Elle permet de mettre en œuvre une « machinerie sociale » qui coordonne et maximise la puissance de la multitude. Cette forme d’intelligence collective coïncide avec la naissance de l’écriture et le début des grandes civilisations. Nous entrons ici dans une mutation inédite de l’histoire de l’humanité, marquée par une explosion de complexités et de changements massifs tels que l’arrivée de l’agriculture, la sédentarisation, la spécialisation du travail et l’urbanisation des territoires. L’écriture constitue la technologie centrale permettant à l’intelligence collective pyramidale de fonctionner. On peut ainsi sortir des traditions orales où il faut se trouver dans le même espace-temps pour communiquer. L’écriture a alors permis de transmettre des directives, d’administrer, de compter.

Au sein des édifices humains à intelligence collective pyramidale, le travail est divisé, c’est-à-dire que chacun doit se mouler dans un rôle prédéfini. La division du travail a pour corollaire la division de l’accès à l’information. Ainsi, la totalité de l’information converge vers un point central, tout en étant que partiellement – voire pas du tout – accessible aux autres. On nomme cette propriété panoptisme. L’autorité constitue également un principe actif de cette forme d’intelligence collective : qu’elle soit de droit divin, au mérite ou par filiation, l’autorité instaure une dynamique dite de commande et de contrôle ; c’est une position de dominance généralement institutionnalisée (général, doyen d’université, PDG, etc.). De plus, la monnaie est caractérisée par la rareté : il y a en effet un phénomène de concentration de la monnaie entre les mains de quelques-uns. Cette rareté organise les chaînes de subordination de ceux qui ont besoin envers ceux qui possèdent.

L’intelligence collective pyramidale fonctionne dans un contexte de forte stabilité, mais démontre une incapacité structurelle à s’adapter aux sols mouvants et imprévisibles.
Aujourd’hui nous subissons cruellement les limites des organisations de l’intelligence collective pyramidale. Leur déficience face à la complexité systémique se traduit par un symptôme courant : celui de s’engager dans des directions contraires aux volontés de leurs propres acteurs, soit parce que la coordination interne est virtuellement impossible, soit parce que les dirigeants se servent de l’opacité de fait – voire la cultivent et la légitiment – pour abuser de leurs pouvoirs.

hierarchie

 

b) L’intelligence collective en essaim

A l’image des sociétés d’insectes, l’intelligence en essaim est “aveugle” du fait de son absence d’holoptisme ; aucun des individus n’a une quelconque idée de ce qu’est l’entité émergente. Chez l’humain, on observe une forme d’intelligence en essaim qui se manifeste dans le domaine de l’économie. A chaque fois que nous effectuons un paiement, nous engageons un geste assez similaire, dans sa simplicité et sa dynamique, à celui d’un échange entre deux insectes sociaux. De la multitude de transactions simples d’individu à individu émerge un système collectif très élaboré. De plus, les nombreuses théories économiques fondent leurs doctrines sur des interactions entre agents indifférenciés (exemple : le consommateur).

Par conséquent l’intelligence en essaim fonctionne à cette condition qu’il y ait uniformité et désindividuation des agents. Ces derniers, anonymes parmi la multitude d’autres agents anonymes, y sont facilement sacrifiés au nom de l’équilibre global du système. C’est une idéologie dangereuse, puisque les faits nous montrent que pour l’instant le système se montre globalement destructeur de notre environnement et peu soucieux des vies humaines, autrement dit il semble condamné à court terme dans sa forme actuelle.

Système économique représentant l'intelligence collective en essaim

c) L’intelligence collective originelle

L’intelligence collective originelle concerne l’intelligence en petits groupes dont nous avons tous une expérience directe. Au travail, dans la vie associative ou au sein d’un groupe de musique, ces différents contextes mettent en scène un petit nombre de personnes en proximité sensorielle et spatiale les unes vis-à-vis des autres. L’autre particularité de cette forme d’intelligence collective est qu’il n’y a pas d’opposition entre l’intérêt individuel et l’intérêt collectif, les deux se nourrissent mutuellement, et l’on constate également une grande individuation des personnes constituant le groupe. Si l’on prend l’exemple d’un groupe de musique, plus le musicien devient individué et se perfectionne, plus le collectif sera nourri. Inversement, plus le collectif est soudé, plus ça va amener le musicien à exister. Enfin, l’intelligence collective originelle est caractérisée par une propriété essentielle, opposée au panoptisme : l’holoptisme.

L’holoptisme se définit comme un espace permettant à tout participant de percevoir en temps réel les manifestations des autres membres du groupe ainsi que celles émanant du groupe lui-même. Dans notre exemple, un groupe de musique fonctionne en situation d’holoptisme car chaque musicien perçoit ce que font les autres ainsi que la figure émergente du groupe. En outre, l’une des qualités majeures d’un bon musicien tient au fait qu’il soit capable de se sentir parfaitement relié au reste du groupe, autrement dit au tout, et qu’il y ait une relation de miroir entre lui et ce tout, constituant ainsi la cohésion du groupe.

Cette forme d’intelligence collective rencontre deux limites naturelles : d’une part numérique, car seul un nombre limité de personnes peut interagir efficacement, faute de quoi le niveau de complexité devient trop important ; d’autre part spatiale car les personnes doivent se trouver dans un environnement physique proche afin que leurs sens organiques puissent communiquer entre eux et que chacun puisse appréhender la globalité de ce qui se passe dans cet environnement donné (holoptisme).

Actuellement, une nouvelle forme d’intelligence est en train d’émerger : l’intelligence collective holomidale. Elle se caractérise par ses structures peu hiérarchisées, mais où les rôles émergent des individus. La technologie centrale de l’intelligence holomidale est internet. Elle possède également une structure très décentralisée et distribuée avec le développement d’une économie mutualiste et collaborative où la compétition et l’argent sont beaucoup moins présentes que dans l’organisation pyramidale.

 

3 – Les limites de l’intelligence collective humaine

Comme tout type de structures, l’intelligence collective humaine a elle aussi ses limites, voici quelques exemples de contraintes que peuvent rencontrer les groupes fonctionnant en intelligence collective.

L’intelligence collective originelle rencontre deux limites naturelles (2) :

– Numérique : seul un nombre limité de personnes peut interagir efficacement, sans quoi on atteint vite un niveau trop élevé de complexité qui génère plus de “bruit” que de résultats effectifs, ce qui limite grandement les capacités du groupe ;

– Spatiale : les personnes doivent se trouver dans un environnement physique proche afin que leurs interfaces naturelles (sens organiques) puissent échanger entre elles, afin que chacun puisse appréhender la globalité de ce qui se passe (holoptisme) et adapter son comportement en fonction.
C’est la raison pour laquelle on ne connaît aucun sport impliquant quatre-vingt joueurs. Cette limitation est également valable pour les groupes de jazz, les meetings professionnels, etc. Lorsque nombre et distance deviennent trop importants, il y a généralement fractionnement. D’autres stratégies, d’autres organisations ont été développées au cours de l’évolution, nous allons maintenant les aborder.

Limite de l’intelligence collective pyramidale (2)

L’intelligence collective pyramidale a bien entendu des limites : contrairement à l’intelligence collective originelle, elle démontre une incapacité structurelle à s’adapter aux sols mouvants, imprévisibles et disruptifs de la complexité.

– Division du travail : l’architecture sociale est “codée en dur” (organigrammes, définitions de poste, niveaux d’accès à l’information…), en aucun cas cette dernière ne peut s’automodifier au fil des circonstances comme dans le cas d’une équipe de sport. Quels que soient les efforts effectués pour améliorer et optimiser la circulation de l’information, on buttera toujours sur les limites intrinsèques de la structure hiérarchisée, ses effets cliquets, sa dynamique fondée sur les territoires et les prérogatives ;

– Autorité : les organes de direction, réduits à des minorités dirigeantes, sont par nature incapables de percevoir et traiter l’énorme flux d’informations qui traversent le grand corps de l’organisation dont elles ont la charge. Voilà qui engendre des visions réductionnistes, sources de nombreux conflits entre la “tête” et la “base” ;

– Argent rare : la rareté engendre une compétition qui minimise d’autant la collaboration, donc la capacité d’adaptation ;

– Standards et normes : le plus souvent subordonnés à une logique de compétition, ils servent une stratégie de territoire et de monopole par principe de raréfaction artificielle du savoir (brevets, propriété intellectuelle…), plutôt qu’une maximisation de la perméabilité et de l’interopérabilité avec le monde extérieur. L’exemple le plus connu dans le monde de l’informatique est celui du système d’exploitation Windows de Microsoft qui occupe l’immense majorité des microordinateurs, ce qui rend l’utilisateur final dépendant des évolutions, lui permet difficilement d’évoluer vers d’autres environnements, et impose à l’ensemble du marché des “points de péage” (licences, agréments, formations, etc).

Autres contraintes des intelligences collectives.

  • les décisions de groupe, où les membres n’osent pas dire ce qu’ils pensent ;
  • l’acceptation passive d’un état de fait dont l’individu se doute qu’il mène à une catastrophe ;
  • les discussions sur les choix et les conséquences des décisions souvent confuses et ne menant à rien ;
  • l’avis des experts sans conséquence face à l’opinion d’un groupe dont les individus se trompent ;
  • ou au contraire les participants acceptant sans réflexion l’avis d’experts ;
  • les votes démocratiques qui portent un dictateur à la tête du groupe ;
  • les représentations collectives qui norment les comportements aux détriments d’une classe ou d’une autre.

L’intelligence collective est ainsi limitée par des effets de groupe (conformisme, crainte, fermeture, absence de procédure, homogénéité idéologique), au point que l’individu seul peut parfaitement être plus intelligent que tout un groupe car, il conserve mieux sa pensée critique seul que sous l’influence du groupe.

Toutefois, les critiques ci-dessus s’appliquent plus au travail collaboratif de type humain qu’à l’intelligence collective de typefourmi (Intelligence distribuée). Toute personne peut se faire une opinion propre. Les fourmis ne semblent pas avoir d’opinion, ni même d’intérêt personnel différent de l’intérêt du groupe. (3)

4 – L’intelligence collective virtuelle (Internet)

Internet peut être considéré comme un immense réseau neuronale planétaire, interconnectant les individus du monde entier en temps réel. Ce réseau d’ordinateurs interconnectés, prolongements électroniques des cerveaux humains donna naissance à la plus vaste structure d’intelligence collective virtuelle au monde.

Modélisation d'un réseau de 5 millions de nœuds

Dans cette modélisation, l’ingénieur réseau Barrette Lyon a réalisé avec l’aide du logiciel Traceroute, une représentation visuelle d’un réseau de 5 millions de nœuds. Comme vous pouvez le constater, la représentation graphique de ce réseau peut étrangement ressembler à celui de nos neurones cérébraux ou de la structure d’un réseau de galaxies. Il s’agit simplement de la propriété géométrique de ce type de structures : le réseau.

Réseau de neurones

Réseau de galaxies

réseau capillaire. (Image prise au microscope optique. Valeur d'agrandissement non disponible

Ce réseau interconnecté peut-être considéré comme l’outil créant la plus grande intelligence collective artificielle. Nous pouvons aisément assimiler  ce réseau à une des parties essentielle du système nerveux des so­ciétés humaines, qui peut même être comparable au système nerveux des êtres vivants. Les hommes qui participent à la création de ce réseau ou qui l’utilise régulièrement, sont considérés comme les cellules des nouveaux nerfs et organes sensoriels dont se dote la planète. Ils sont les neurones de la Terre : les cellules d’un cerveau en formation aux dimensions de la planète Terre. (4)

5 – Limites et contraintes de l’intelligence collective virtuelle

Contrairement à  l’intelligence collective naturelle qui s’organise au travers d’échanges entre êtres vivants, l’intelligence collective virtuelle se construit par l’intermédiaire de machines/outils servants de “ponts” ou “nœuds” entre les individus. De ce fait, cette forme d’intelligence collective est dissociable de celle qui s’organise naturellement dans le vivant.

Ressenti d’inutilité ou illusion d’utilité

L’intelligence collective sur Internet, peut créer, de part son fonctionnement virtuel, une impression de “remplacement” de la vie “réelle”. Cette impression est caractérisée par le manque d’impact que peuvent avoir les initiatives se restreignant à l’environnement virtuel et peut laisser un ressenti d’inutilité ou au contraire une illusion d’utilité pour les personnes participants à des initiatives ou groupes se focalisant sur Internet. Cette caractéristique est principalement observée dans les groupes de discussions ou mouvements dont l’activité est cantonnée sur Internet. L’illusion d’utilité est observable sur les sites à caractères “militants”, proposant de faire signer des pétitions bienfaisantes ou défendant des causes humanitaires ou environnementales. Ce processus profite ainsi de notre capacité à nous réjouir de nos bonnes actions immédiates pour créer l’illusion de l’utilité de l’action, voir pousser à l’inaction.

 

Regroupement et surinformation

Les mécanismes de regroupements sont relativement différents sur la toile. Des groupes, peuvent en un rien de temps, regrouper des milliers, voir des millions de personnes autour d’une chose commune. Très souvent ces groupes permettent une communication entre personnes et un échange de données et d’informations. Des groupes de plusieurs milliers de personnes, peuvent très facilement véhiculer une masse impressionnante d’informations difficilement traitable par un humain normalement constitué.  De ce fait, la surinformation et les mécanismes qui en découlent (instantanéité, précipitation, manque d’intérêt pour ce qui n’est pas attractif au premier coup d’œil, etc) peuvent générer des effets néfastes pour l’intelligence individuelle…

content-wall

Anonymat et communication

Chose remarquable et remarquée de presque toutes les personnes ayant participé à des débats sur un réseau social virtuel. L’anonymat des individus crée soudainement une opportunité absolument merveilleuse pour “communiquer” contre l’autre et non plus avec l’autre. Toutes les barrières tombent et les noms d’oiseaux fusent, comme ci, Internet nous rendait soudainement incapable de pouvoir échanger poliment dans le respect de l’autre. Ceci donne des incompréhensions, des débats stériles, voir nocifs pour le groupe.

ucajfl

Contraintes de l’outil d’intelligence collective virtuelle

Une des contraintes majeur de l’intelligence collective virtuelle est causée par les mécanismes de contrôles, poussant les gouvernements et les grandes entités privés à adopter des pratiques de surveillances de masses, de censure, de contrôle ou manipulation de l’information, d’accumulation de données sur les utilisateurs, etc. Ces contraintes ne sont pas seulement présentes sur cet outil, car elles sont généralement inhérentes aux structures pyramidales. L’intelligence collective virtuelle n’est pas un type de structure en soit, car sa diversité contient aussi bien des groupes fonctionnant sur des structures pyramidales, en essaims ou originelles. Seulement, les structures de contrôles fonctionnent sur des schémas pyramidaux, ces contraintes sont donc une conséquence de ce type de structure. La propriété intellectuelle peut tout aussi être assimilée à une contrainte majeure de l’outil.

L’outil est aussi privateur de données dans le processus d’échange avec l’autre. Étant des êtres doués de perceptions sensorielles, les humains ont encore (heureusement) besoin de communiquer en recevant des informations sensitives. De ce fait, l’écriture est une restriction de nos sens dans l’échange avec l’autre. Nos yeux ne peuvent voir le visage de la personne, capter la multitude de signaux non verbaux que nous pouvons nous échanger inconsciemment, ou entendre l’intonation de la voix, la vitesse d’élocution ou le ton employé. Ceci est une perte d’information qui, certes, peut être compensée via des logiciels d’échanges audio ou vidéo, mais la plupart du temps, les échanges se font de manière écrite, cela bride nécessairement toute la complexité que procure une communication physique sans intermédiaire technologique.

 

 6 – Les rôles émergents dans une intelligence collective virtuelle d’échange de données.

Enfin, voici une petite infographie qui présente les différents rôles que l’on voit émerger dans les intelligences collectives d’échange de données, les individus s’orientent naturellement vers plusieurs types de rôles bien spécifiques qui servent à faire avancer le groupe.

intelligence-collective-echnage-de-données

 

Anaïs Ferrara & Stéphane Hairy

Pour en savoir plus : http://4emesinge.com/

 

Source :

(1) Guy Théraulaz, L’intelligence collective des fourmis, Le Courrier de la Nature n°250, 2009

(2) Jean-François Noubel, L’intelligence collective, la révolution invisible [PDF]

(3) Wikipédia – Limites de l’intelligence collective dans les sociétés humaines

(4) Wikipédia – Intelligence collective sur Internet

Pourquoi toutes les start-ups devraient miser sur la diversité et la mixité

Sart-upsInterculturelles

Pour perdurer, une entreprise se doit d’atteindre l’équilibre financier. Les entrées doivent être supérieures aux sorties. Si l’entrepreneur est le moteur de sa compagnie, l’équipe est son carburant. Atteindre un équilibre humain est donc tout aussi important que d’atteindre l’équilibre financier.

À deux reprises cette dernière année, on m’a consulté sur la thématique de la diversité culturelle en entreprise — l’emploi des professionnels formés à l’étranger.

À la demande d’Emploi Nexus, je suis intervenu en février 2014 à HEC Montréal sur la thématique des techniques du recrutement non conventionnelles. Je vous rassure, il n’est pas question des armes non conventionnelles, mais plutôt de processus de recrutement qui se détache du CV pour mettre l’accent sur l’expérience et la mise en situation. C’est une arme efficace que j’ai développée ces dernières années pour ma start-up, Seevibes. Si cette technique ne protège pas des erreurs de recrutement, elle m’a permis de détecter des professionnels qui bénéficient tous d’un excellent potentiel, réalisé ou en devenir.

Dernièrement, Rachid Harmel, doctorant et chargé de cours à HEC Montréal, m’a invité à participer à une recherche scientifique sur le thème des pratiques au travail des PME en TI dans un contexte multiculturel. Avec une majorité de pièces rapportées — non Canadiennes, en provenance d’Europe et d’Amérique du Sud, et une diversité de religions — catholique, juif, musulman et athée —, ma compagnie semble être le cobaye idéal.

La diversité en entreprise est-elle inconsciente ou réfléchie ? Si mes racines étrangères impliquent une ouverture naturelle à la diversité, l’idée d’attirer des profils de diverses origines s’impose d’elle-même. Le critère numéro un reste la compétence et la complémentarité que les personnes pourront apporter dans la compagnie. Les start-ups technologiques sont en concurrence pour attirer les meilleurs profils. S’ouvrir à la richesse de professionnels que nous apporte la planète est donc une évidence, voire une obligation pour rester compétitif.

Une équipe multiculturelle a plusieurs bénéfices : l’apport de points de vue différents, qui est une source de créativité ; un réseau de contacts plus large, qui est bon pour le développement commercial ; des valeurs positives, qui bénéficient à l’image de la compagnie ; et surtout des collaborateurs plus fidèles et motivés.

La mixité est aussi un art délicat. Nous avons un bureau à Paris avec une majorité de collaboratrices, alors que la situation est inversée au Québec, où la gent masculine est en force. Si la compétence prime toujours, il faut reconnaître que nous avons cherché un équilibre sur les deux structures pour garder une bonne dynamique entre les sexes. Le succès des derniers recrutements nous a donné raison.

La mixité s’est également retrouvée nécessaire dans les langues parlées dans l’entreprise. Les anglophones n’étaient pas assez représentés dans l’équipe, au risque d’handicaper notre développement nord-américain.

La diversité culturelle et la mixité des profils en entreprise sont moins un acte social qu’une décision d’affaires éclairée. Pour le bien de nos entreprises et de l’économie du pays, il est donc plus pertinent que jamais de parler d’équilibre, de valeur ajoutée et de bénéfices, plutôt que d’intégration, de contraintes et de pièces rapportées.

Publié le 17/06/2015 à 13:19

À propos de Laurent Maisonnave

Laurent Maisonnave est pdg de Seevibes, une start-up montréalaise qui fournit des données intelligentes pour le ciblage des campagnes publicitaires sur les médias sociaux.

Pour en savoir plus : https://www.lesaffaires.com

Comment faire communauté sans communautarisme à Montréal ?

Montréal
Comment gérer le fait religieux en entreprise ? De plus en plus de dirigeants font face à la question et y réfléchissent et vont chercher les bonnes pratiques à l’étranger.

C’est un fait, ces dernières années on assiste à une croissance notable des revendications religieuses dans le monde du travail. De l’aménagement d’un lieu de prière à l’absentéisme pour des jours religieux non fériés. Sujet croissant et souvent tabou en France mais que des entrepreneurs rhônalpins ont décidé d’aborder de front avec l’aide  de théologiens et de chercheurs de l’Université Catholique de Lyon.  Chaque année, ils effectuent un voyage à l’étranger pour voir comment d’autres pays appréhendent le fait religieux en entreprise. Après le Liban, la Turquie, la Tunisie et la Belgique, ils viennent de se rendre à Montréal au Québec pour observer comment ce pays du melting-pot aborde la question.

Participation de Michel Younès, Dominique Coatanéa, universitaires québecois de l’Université de Sherbrooke, Marie Davienne-Kanni

Philippe Lansac les a suivis sur place, c’est notre feuilleton de la semaine :

Ces entreprises sauvées par le multiculturalisme

 MulticulturelLeTemps.ch

La prise en considération des caractéristiques culturelles en emploi est essentielle. Elle a pour vertu de mieux comprendre les défaillances d’une organisation et de dynamiser une entité commerciale donnée.

Au paradis, les Allemands fabriquent les voitures, les Anglais font la police, les Français la cuisine, les Italiens l’amour, et les Suisses s’occupent de l’organisation. En enfer, la police est allemande, les voitures françaises, les Anglais font la cuisine, les Suisses l’amour, le tout organisé par des Italiens. Et si, derrière cette plaisanterie populaire, se cachait une forme de sagesse? Appliquée au monde de l’entreprise, elle rendrait l’environnement de travail parfait, car elle tiendrait compte des spécificités culturelles de chaque individu.

La culture nationale pourrait ainsi avoir une influence sur le management. Selon le psychologue et anthropologue hollandais Geert Hofstede, l’organisation d’une entreprise, sa structure, son rôle, son comportement et son système de valeurs sont, dans une large mesure, des produits culturels de la société au sein de laquelle elle évolue. Ce qui se passe dans une organisation est par conséquent le reflet direct de ce qui se passe dans la société qui l’entoure.

Une stratégie managériale intelligente consisterait donc à prendre en considération les caractéristiques culturelles d’une société, afin d’en faire le meilleur usage possible. L’élément culturel permettrait en outre d’expliquer, dans de nombreux cas, les défaillances d’une organisation, étant précisé que les traits culturels ne sont pas, en soi, défaillants ou performants. Au contraire, ces derniers n’apparaissent comme défaillants qu’en relation avec une activité bien spécifique.

Un exemple emblématique est celui de la compagnie Air Korea, au bord de la faillite dans les années 1980 et 1990, suite à une série de crashs aériens ayant fait plus de 700 victimes. Dans son best-seller Outliers, le journaliste Malcolm Gladwell explique le rôle joué par la culture coréenne dans cette suite de catastrophes aériennes.

A l’instar de beaucoup de pays du Sud-Est asiatique, la Corée méridionale possède des structures et des organisations très hiérarchisées. Ainsi, la langue de ce pays – fortement influencée par le confucianisme qui insiste notamment sur le respect dû aux supérieurs – possède plusieurs niveaux de politesse, rappelant en permanence le rang et le statut de chacun. Des caractéristiques culturelles qui ne feraient pas bon ménage avec le monde de l’aéronautique. En effet, selon Gladwell, rien n’est plus nuisible à la sécurité d’un avion qu’une communication «oblique», faite de sous-entendus.

L’analyse des conversations à l’intérieur des cockpits révèle que les causes des accidents étaient dans la majorité des cas connues des copilotes et auraient pu être évitées, si leur conversation avait été fluide. Dans le cas du vol KAL 801 par exemple, le copilote n’a pas osé demander au pilote, son supérieur hiérarchique, d’annuler la procédure d’atterrissage, alors que l’avion volait trop bas et trop lentement. Il ne s’est permis qu’une allusion vague au danger.

La même déférence a été observée chez l’ingénieur de vol qui, pour signaler le péril imminent, s’est contenté d’une phrase sibylline, dans un contexte régional de pluies particulièrement abondantes: «Capitaine, le radar météorologique nous a jusqu’ici beaucoup aidés.» Ce à quoi le pilote aurait répondu: «Oui, ils sont très utiles.» Gladwell explique que sans l’observation stricte des codes formels, où prédomine le respect du supérieur hiérarchique, l’alerte de l’ingénieur aurait pu ressembler à ça: «Capitaine, les conditions météorologiques ne nous permettent pas d’atterrir à vue ce soir. Le radar météorologique nous signale clairement un danger.»

Même si elle n’entraîne pas la mort de ses salariés, une trop grande distance hiérarchique au sein d’une organisation peut également lui être nuisible. Les structures pyramidales incitent en effet les collaborateurs à dissimuler certains problèmes pour s’attirer les bonnes grâces de leur hiérarchie. Et quand nul n’a le courage de pointer les défauts d’un système par peur de froisser son supérieur, les risques de dysfonctionnements s’accroissent.

Dans le cas de Korean Air, la compagnie est parvenue à améliorer son fonctionnement interne, suite à l’arrivée de David Greenberg. L’ancien dirigeant de Delta Air Lines a «gommé» les différences hiérarchiques en instaurant l’anglais comme langue obligatoire à bord. Les membres de l’équipage ont également suivi des entraînements poussés en matière de communication. Ces restructurations profondes ont fait de Korean Air, aujourd’hui, l’une des compagnies les plus respectées au monde.

Outre une distance hiérarchique trop grande, d’autres spécificités culturelles peuvent entraver la bonne marche d’une entreprise. La discrimination raciale, le respect strict d’un système de castes, la discrimination à l’encontre des femmes ou encore le fait de considérer une tâche comme avilissante, constituent quelques exemples susceptibles d’avoir un impact négatif sur une structure donnée. Ainsi, dans les cultures traditionnelles, où il incombe en premier lieu aux hommes de gagner le pain quotidien, ceux-ci regardent parfois d’un mauvais œil le fait que des femmes soient des collègues ou, pire, des cheffes. Or, refuser l’égalité des chances en matière d’emploi aux femmes et contester la légitimité de leur autorité n’est pas en adéquation avec les besoins actuels des entreprises.

S’agissant du profil des postes, certaines cultures qui rejettent les tâches ou les métiers associés «aux mains sales», ont dû faire face à une pénurie de techniciens, de plombiers et de personnel d’entretien. Le «piège culturaliste» peut cependant être déjoué grâce à une stratégie managériale adaptée, comme le démontre l’exemple de Korean Air.

Quelles sont les spécificités culturelles de la Suisse? D’après Hofstede, le style de management sur le territoire helvétique est globalement consultatif, bien que des variantes soient possibles de part et d’autre de la Sarine. En Suisse alémanique, les rapports hiérarchiques sont par exemple plus égalitaires que dans les cantons romands.

Le journaliste Fabien Dunand, auteur du Modèle suisse, relève par ailleurs qu’aucun «autre Etat au monde ne pratique en même temps la démocratie directe, le fédéralisme, la neutralité, la paix du travail et le compromis systématique». Ces spécificités culturelles ne sont sans doute pas étrangères à la réputation d’excellence – le fameux «Swiss Made» – dont sont auréolées la plupart des entreprises helvétiques.

Amanda Castillo

Pour en savoir plus : http://www.letemps.ch

Le Québec ou la diversité au quotidien

Montréal

Partie pour une semaine à Montréal au Québec, pour un séminaire universitaire « Entreprise et Religions », voici quelques réflexion à battons rompus sur ce pays multiculturel.

Arrivés avec 6 heures de décalage, il nous faut aussi faire avec le décalage culturel. Ici à Montréal, tout est grand, large, haut. Les voitures, les rues, les building, les avenues, la chambre de l’hôtel, le lit.

Comparés à nos villes, notre espace nous paraît tout petit, racrapoté.
Dans les rues, se côtoient toutes les couleurs de peau, les religions, les modes. La visite des deux musées qui racontent l’histoire de la ville vient expliquer ces cultures qui co-existent dans Montréal.

Histoire de l’immigration à Montréal

Présence des indiens (550 ethnies) depuis des milliers d’années, le pays est découvert par les français qui vont et viennent sur ces terres hostiles. Au début du XVIe siècle, les Français entreprennent la colonisation du Québec. Ils s’installent sur les berges du fleuve Saint-Laurent. Grâce aux Filles du Roy – de jeunes Françaises, pour la plupart orphelines et qui ont quitté leur mère patrie pour participer à la colonisation – la population du Québec s’accroît.

Les Français, qui croient conquérir un territoire inoccupé, font vite face à des nations autochtones déjà établies depuis des milliers d’années. Très tôt, des relations s’établissent entre eux.

Aujourd’hui, le Québec compte 56 communautés autochtones, soit 81 864 Autochtones, dont 71 840 Amérindiens et 10 024 Inuits. Les dix nations amérindiennes et la nation inuite représentent environ 1 % de la population du Québec. En 1985, le gouvernement du Québec a été le premier gouvernement du Canada à reconnaître les nations autochtones.

Vagues migratoires

Dès le XIXsiècle, le Québec connaît plusieurs vagues migratoires, principalement d’Angleterre, d’Écosse et d’Irlande. Les loyalistes, colons américains fidèles à l’Angleterre, figurent parmi les premiers immigrants; ils ont quitté les treize colonies de l’Atlantique avant l’indépendance américaine. Au tournant du XXsiècle, les immigrants proviennent essentiellement d’Europe. Le recensement de 1911 dénombre, outre les Irlandais, environ 8 000 personnes originaires d’Allemagne.

Les années 1920 voient aussi arriver des personnes originaires de pays de l’Europe de l’Est. En 1931, la communauté juive compte déjà 60 000 membres au Québec, alors que l’on dénombre près de 25 000 personnes d’origine italienne, 10 000 personnes d’origine portugaise ainsi que 1 000 personnes d’origine allemande.

La Seconde Guerre mondiale engendre un nouveau mouvement migratoire vers l’Amérique. Le portrait démographique du Québec change.

Diversification de l’immigration

Depuis 1970, l’immigration au Québec s’est grandement diversifiée. Elle est aujourd’hui constituée de plus d’une centaine de communautés culturelles. Le contact avec ces nouveaux citoyens a insufflé un nouveau dynamisme à la société québécoise. Ils lui ont apporté une richesse culturelle, sociale, économique, scientifique et technologique.

Séminaire « Entreprise et Religion »

Deux jours de conférences-débats au sein de l’Université de Sherbrooke à Montréal.
Nous avons appris ce qu’étaient la politique des « accommodements raisonnables ». Son fondement : le droit à l’égalité. Pour qu’il y ait accommodement raisonnable dans une entreprise, il faut qu’il y ait une discrimination. Cette politique est parti de la discrimination des personnes handicapées.

L’entreprise et le salarié doivent faire des efforts sincères et sérieux pour trouver un terrain d’entente adapté à leurs besoins. Cette politique oblige les entreprises et les salariés à réfléchir ensemble. Elle pousse à la responsabilité de chacun pour le « travailler-ensemble ».

Concernant la question de le neutralité de l’Etat au Québec : elle est vérifiable dans l’action du fonctionnaire, pas dans ses vêtements. Il est donc possible (comme nous l’avons vérifié de nos yeux) que des policiers portent un pantalon « coloré » sans que cela ne pose problème.

Le dialogue interreligieux en entreprise comme pratique du management interculturel : il est important de réfléchir à la problématique de la vérité. Est-ce que je possède toute la vérité ? Ma vérité est-elle absolue ?

Dans un souci de dialogue en entreprise, il faudrait reprendre le fait que la vérité m’échappe inexorablement.

Réfléchir aux perceptions et préjugés que l’on peut avoir. Prendre conscience de mes perceptions à tout instant, suspendre mon jugement et vérifier mes préjugés. Pour cela, entrer en relation avec l’autre et approfondir mes compétences interculturelles.

Saisir l’importance de l’égalité fondamentale de chaque personne : reconnaître l’Autre et croire qu’il est possible d’apprendre de l’Autre, d’apprendre de chaque culture et de chaque religion.

Travailler avec des collègues de différentes cultures et religions suppose de gérer des compromis et des consensus : vouloir les atteindre à travers le bilan des points communs et des différences, savoir distinguer les conflits, les dilemmes et les crises ethniques ainsi que leurs sources.

Par mes actions, inactions, paroles et silences, je dis le monde dans lequel je voudrais vivre.

La seconde journée été tournée sous le signe de la spiritualité, dans un soucis d’aide au bien-être de chacun, pour une entreprise plus juste, pour un monde plus juste.

Interview de l’architecte Pierre Thibault. Son idée : « Créer de la beauté là où il n’y en a pas ! »

Il vient d’une grande famille où il a apprit l’essentiel de la vie, la responsabilité, le sens du partage. « Quand on a peu de choses, on est heureux ! »

Pour lui, tout est possible, il faut s’organise pour ! Sa question : créer de la poésie avec des contraintes, voir les opportunités, être à l’écoute des autres et de soi-même, évacuer les énergies négatives.

Deuxième intervention : Marie-Josée Legris, dirigeante de l’entreprise Brisson-Legris.

Ca sert à quoi de faire de la croissance si les gens sont malheureux ?

Elle mesure la réussite de son entreprise à son chiffre d’affaire, bien sûr, mais aussi au niveau de rires dans la salle de restauration, à midi !

Selon elle, il y a 3 qualités pour un patron : le courage, l’humilité et l’amour pour son travail et pour les employés, les clients.

Question du groupe : jusqu’où une entreprise, un chef d’entreprise peut amener les salariés en dehors de ce pourquoi ils sont là ?

Sa réponse : pour travailler ensemble, faire ensemble, il faut aussi faire ensemble en dehors de l’entreprise (temps de convivialité,…).

Nous avons évoquer un livre sur les accords Toltèques que voici :

1. Que votre parole soit impeccable : Parlez avec intégrité, ne dites que ce que vous pensez. N’utilisez pas la parole contre vous ni pour médire d’autrui. 

2. N’en faites jamais une affaire personnelle : Ce que les autres disent et font n’est qu’une projection de leur propre réalité. Lorsque vous êtes immunisé contre cela, vous n’êtes plus victime de souffrances inutiles. 

3. Ne faites aucune supposition : Ayez le courage de poser des questions et d’exprimer vos vrais désirs. Communiquez clairement avec les autres pour éviter tristesse, malentendus et drames.

4. Faites toujours de votre mieux : Votre “mieux” change d’instant en instant. Quelles que soient les circonstances, faites simplement de votre mieux et vous éviterez de vous juger.

Nous avons réfléchit à l’individu au travail : « Je ne veux pas être saucissonné, je veux être unifié ! »

 

Charles Baron nous a aidé à comprendre que le développement de la conscience est nécessaire pour assurer un leadership dans l’innovation et l’épanouissement collectif. En effet, nous sentons une perte de sens troublante au travail. Le schéma proposé depuis les Lumières était celui d’une préséance de la science comme explication du monde, l’expérience et le développement humain étant réservé à la religion.

Aujourd’hui, nous nous apercevons que ce paradigme est dépassé, qu’il ne fait plus sens.

 

A SUIVRE TRES PROCHAINEMENT…

Marie DAVIENNE – KANNI

Publié le 18 Mai 2015 à 16 h 30 à Montréal – Québec

Management : l’inévitable dimension culturelle

Management-l-inevitable-dimension-culturelle

« L’uniformisation des méthodes de management accompagne la globalisation des entreprises. Ainsi, se crée une tension entre les procédures globales et les cultures locales », selon Jean Pautrot.

Parfois, les comités exécutifs caressent la folle ambition de changer la culture de leurs salariés… L’analyse de Jean Pautrot, président du conseil Magellan de l’international.

Une longue pratique des ressources humaines internationales en entreprise et au Cercle Magellan me conduit à faire une lecture culturelle de l’inconfort managérial générateur de risques psychosociaux. L’uniformisation des méthodes de management accompagne la globalisation des entreprises. Ainsi, se crée une tension entre les procédures globales et les cultures locales. Seule, une posture de confiance permet de sortir par le haut de ces contradictions. En se globalisant, l’entreprise homogénéise ses méthodes et ses procédures malgré les résistances.

Les comités exécutifs caressent alors la folle ambition de changer la culture de leurs salariés. Philippe d’Iribarne * montre de façon convaincante que la culture française n’a pas vraiment changé depuis l’ancien régime. Le Monde compare Poutine au Tsar Nicolas Ier. Comment le président d’une société cotée pourrait-il réussir ce que les révolutions françaises et russes n’ont pas su faire ?

Une culture est une manière de comprendre le monde, d’exprimer ses émotions et d’agir caractéristique d’une communauté : les habitants d’un pays, le personnel d’une entreprise, les personnes exerçant un métier.

Une culture comporte trois couches :

· La couche externe : la partie « émergée » de l’iceberg, la réalité accessible aux touristes.

· La couche médiane : les normes (les devoirs) et les valeurs (les aspirations). Le vrai et le faux, le désirable et le non-désirable varient d’une culture à l’autre, comme le montre la résolution des dilemmes exposée ci-dessous.

· La couche profonde : l’implicite, le sanctuaire d’une culture. Elle s’incarne dans des mots difficiles à expliquer à un étranger : la laïcité en France, la cogestion en Allemagne…

Chaque individu appartient à plusieurs communautés : son pays, son métier, son entreprise. Les évolutions culturelles d’une communauté sont très lentes même sous la pression extérieure ; en revanche, l’individu placé dans une nouvelle culture évolue à travers le choc culturel. L’expatrié s’adapte à la couche médiane de sa culture d’accueil et préserve la couche profonde de sa culture d’origine.

L’individu s’intègre culturellement. En revanche, un groupe secrète des anticorps au changement culturel. Certes, la couche externe peut évoluer, mais le changement reste apparent. L’histoire fournit des exemples forts : la Bulgarie a préservé sa culture orthodoxe malgré cinq siècles d’occupation ottomane.

L’étude systématique des cultures repose sur l’analyse de dilemmes, cette obligation de choisir entre deux alternatives qui présentent chacune des inconvénients importants. Le dilemme de Stouffer et Toby illustre cette problématique  : un ami conduit une voiture dans laquelle j’ai pris place ; il heurte un piéton alors qu’il ne respectait pas la limitation de vitesse. L’avocat de mon ami me demande de témoigner qu’il respectait cette limitation. Fons Trompenaars donne les résultats d’une enquête dans un grand nombre de pays. Le pourcentage de réponses  : « mon ami ne respectait pas la limitation de vitesse » varie entre 32 % pour le Venezuela et 97% pour la Suisse. Les pays anglo-saxons sont au-dessus de 90% ; la Russie et la chine entre 40 et 50%. La France est à 73%. La position du curseur entre amitié et loi est un élément de l’« ADN » de la culture. Les chercheurs ont étudié une dizaine de dilemmes différenciant les cultures.

Dans un groupe international, la culture métier est un facteur d’unité, elle active les dilemmes techniques consensuels. A l’opposé, le management révèle les fractures culturelles à travers les dilemmes de la vie.

La détection des cadres à haut potentiel s’appuie sur des mises en situation managériales. Or, manager, c’est gérer les dilemmes de la vie. La sélection a donc une dimension culturelle. L’homogénéisation culturelle des équipes dirigeantes au niveau monde crée alors des fractures entre la base et la direction dans chaque pays. Ce n’est pas le modèle culturel dominant qui est en cause mais la recherche d’uniformité culturelle.

Examinons la procédure de whistleblowing, « devoir d’alerte » en français : la règle éthique est au-dessus des solidarités de groupe. Les réponses au dilemme de Stouffer et Toby montrent que les anglo-saxons et les suisses seront à l’aise avec cette procédure. Malgré un beau consensus (73 %), les français sont déjà moins à l’aise. Que dire des chinois, des russes et des vénézuéliens majoritairement solidaires ?

Dans la pratique, les missions d’audit ne verront rien. La couche externe de chaque culture se calera sur l’attendu. Le désajustement des normes et des valeurs créeront, dans la couche médiane, des résistances et des frustrations d’autant plus intenses que l’écart à la norme internationale est important. Les risques psycho-sociaux sont souvent le fruit de l’affrontement entre des modèles culturels en quadrature : le modèle anglo-saxon et le service public à la française chez Orange. Le grand mérite de Stéphane Richard est d’avoir redonné des repères culturels français à ses salariés.

L’affrontement culturel explique aussi l’échec financier de beaucoup de fusions dans un délai de cinq ans, mais les actionnaires initiaux ne sont plus là pour le voir ! Le vrai enjeu est de laisser chaque culture inventer les procédures qui la conduiront au résultat attendu. La sécurisation éthique ne passe pas toujours par le wistleblowing, l’atteinte de l’objectif annuel ne passe pas toujours par son découpage en objectifs mensuels pour faire plaisir aux actionnaires. Pour cela, il faudrait nommer des dirigeants qui, non seulement savent travailler dans un milieu interculturel, mais aient des qualités « d’interprètes culturels », acceptant que les différentes cultures inventent leur chemin pour atteindre des buts communs.

En physique quantique, il est impossible de mesurer simultanément la position et la quantité de mouvement d’une particule, de la même façon en management international, il est impossible de fixer simultanément le but et le chemin pour l’atteindre.

* La Logique de l’honneur – Gestion des entreprises et traditions nationales Philippe d’Iribarne 1989.

En savoir plus sur http://business.lesechos.fr

Accenture : la diversité, levier de croissance

Accenture
Khalid Lahraoui, directeur du capital humain, diversités et engagements citoyens d’Accenture France Benelux – Shutterstock

Depuis plus de dix ans, la direction générale et le comité exécutif d’Accenture s’engagent en matière de diversité, portant véritablement la démarche et la mise en place de dispositifs concrets.

C’est une ligne directrice, portée par le top management et diffusée auprès des 6.000 collaborateurs en France. « Chez Accenture, la diversité ne constitue pas une démarche conceptuelle ni démagogique : nous sommes convaincus qu’il s’agit d’un levier de performance, de croissance, de créativité et d’innovation », indique Khalid Lahraoui, directeur du capital humain, diversités et engagements citoyens d’Accenture France Benelux.

Depuis plus de dix ans, Accenture s’engage en faveur de la diversité, en s’appuyant sur le soutien, total et pro-actif, du président (Christian Nibourel, président d’Accenture France et Bénélux) et du comité exécutif, en y associant la gouvernance et en relayant le message et les actions auprès de toutes les populations de l’entreprise. « Nous sommes convaincus qu’une entreprise ne peut bien se porter que si son écosystème économique, environnemental et social se porte bien lui aussi », souligne Khalid Lahraoui.

Soucieuse d’être le reflet de notre société et de ses clients, Accenture mise donc sur la diversité des parcours académiques, des expériences, des genres, de l’orientation sexuelle ou religieuse… « On ne peut pas innover, créer, trouver des solutions nouvelles, en faisant du clonage, dit-il. Nous devons diversifier nos talents et aller les chercher partout où ils se trouvent. C’est pour cela que la diversité est aussi ancrée dans l’ensemble de nos processus RH ».

Pour ce faire, Accenture a mis en place des dispositifs concrets, fruit des réflexions menées par un comité qui se réunit une fois par mois et qui est composé d’un représentant de chaque entité de l’organisation. « Une fois que nous avons donné l’impulsion au niveau de l’exécutif, il faut généraliser la démarche à tous les échelons de l’entreprise », remarque Khalid Lahraoui.

Premier exemple d’action, en faveur de la diversité sociale : depuis deux ans, la Fondation Accenture accompagne des sociétés dans le cadre du mécénat de compétences. Ainsi, le cabinet de recrutement et de conseil en ressources humaines Mozaïc RH a-t-il bénéficié de 200 jours/homme. « D’une part, nos consultants interviennent chez eux pour du conseil en organisation. D’autre part, Mozaïk RH nous accompagne dans nos démarches de recrutement en nous présentant des profils issus des quartiers. Nous sommes actuellement en discussion avec une quinzaine de candidats proposés par ce cabinet », explique Khalid Lahraoui.

Autre axe d’action : le handicap. Accenture, qui signait, en 2014, un accord handicap avec les partenaires sociaux, vient de procéder au recrutement d’une dizaine de personnes en situation de handicap, dans le cadre d’un partenariat avec différentes écoles pour le développement d’un programme de formation en ingénierie-système d’information.

Troisième sujet sur lequel s’investit Accenture : l’orientation sexuelle. « Les personnes LGBT (ndlr : lesbiennes, gays, bisexuels et transgenres) représenteraient 6 % de la population française : nous pensons être aussi représentatifs de la société au sein des équipes d’Accenture », estime Khalid Lahraoui. Pour sensibiliser l’ensemble des collaborateurs, un guide pratique, destiné aux managers, est en cours de conception avec le concours de L’Autre Cercle. « L’objectif n’est pas de forcer quiconque à faire son coming out. Mais de faire tomber les stéréotypes et de faire en sorte que les talents se révèlent tels qu’ils sont », pointe Khalid Lahraoui.

Quatrième sujet sur la diversité abordé par Accenture (parmi les 9 segments diversité sur lesquels Accenture porte son attention) : la parité. « A compétences, expérience et parcours académique équivalents, il ne doit pas y avoir de différence de traitement, en matière de rémunération ou de promotion, entre un homme et une femme », rappelle Khalid Lahraoui. Là aussi, Accenture a mis en place divers dispositifs (formation, coaching, programme de vigilance…) pour changer la donne.

« Sur tous ces sujets, nous n’en ferons jamais assez trop, insiste Khalid Lahraoui. La diversité, c’est avant tout une question d’acquisition et de développement des talents. Pour la performance, la croissance et la profitabilité de l’entreprise ».

Julie Le Bolzer

En savoir plus sur http://business.lesechos.fr

Musulmans : la réalité des discriminations au travail

A CV équivalent, un Français d’origine extra-communautaire a entre deux et trois fois moins de chances d’être convoqué à un entretien d’embauche lorsqu’il est perçu comme musulman plutôt que chrétien. Quels sont les ressorts de cette discrimination ? Comment la combattre, alors que la diversité apparaît bénéfique pour l’entreprise ?
Par Marie-Anne Valfort, membre associé à PSE-Ecole d’économie de Paris et maître de conférences à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne.

 Coexister2

Spécialiste des questions sociales, Marie-Anne Valfort analyse la réalité des discriminations dans l’entreprise, dont sont victimes les musulmans, et leur impact, y compris sur la bonne marche des entreprises.

Quelle est l’origine de vos recherches sur l’intégration des immigrés musulmans dans les sociétés occidentales et notamment en France ?

En 2008, un testing sur CV mené en interne par le groupe Casino a montré que les Français d’origine extra-communautaire (asiatique, africaine, maghrébine) sont systématiquement discriminés par rapport aux Français d’origine française . Cependant, l’intensité de la discrimination qu’ils subissent semble très dépendante de la région dont ils sont issus. Ainsi, des trois origines précitées, c’est l’origine maghrébine qui est la plus discriminée. Ce statut particulier des candidats d’origine maghrébine suggère que ce n’est pas seulement l’origine extra-communautaire qui est source de discrimination de la part des recruteurs. L’appartenance probable à la religion musulmane du Français d’origine maghrébine (le Maghreb étant à forte majorité musulmane) semble constituer un handicap de plus pour lui.

C’est cette hypothèse que j’ai voulu tester avec deux collègues américains, Claire Adida (Université de San Diego) et David Laitin (Université Stanford). Nous avons ainsi lancé en 2009 un programme de recherche financé par la National Science Foundation dont l’objectif était de répondre aux deux questions suivantes: 1  les individus sont-ils plus discriminés lorsqu’ils sont perçus comme musulmans plutôt que chrétiens? 2 si oui, quels sont les ressorts de cette discrimination?

Les musulmans sont-ils discriminés simplement parce qu’ils sont musulmans ?

La réponse est « oui », malheureusement. En 2009, nous avons mené un testing sur CV qui était le premier à tester l’existence d’une discrimination en raison de la religion. Plus précisément, afin de pouvoir attribuer d’éventuelles différences de taux de réponse entre les candidats fictifs de notre testing à leurs seules différences d’affiliation religieuse, nous avons assigné à ces candidats le même pays d’origine (le Sénégal). Notre testing sur CV nous a permis de conclure que l’appartenance supposée à la religion musulmane plutôt qu’à la religion chrétienne est un facteur important de discrimination sur le marché du travail français. Ainsi, à CV équivalent, un Français d’origine extra-communautaire (sénégalaise en l’occurrence) a entre 2 et 3 fois moins de chances d’être convoqué à un entretien d’embauche lorsqu’il est perçu comme musulman plutôt que chrétien.

Quels sont les ressorts de cette discrimination ?

Afin d’identifier ces ressorts, nous avons conduit une enquête auprès de 500 ménages d’origine sénégalaise vivant en France, dotés des mêmes caractéristiques de départ à leur arrivée en France, à l’exception de leur religion (une partie de ces ménages est chrétienne, l’autre est musulmane). Nous avons également organisé des « jeux expérimentaux » durant lesquels des Français sans passé migratoire récent ont interagi avec des immigrés d’origine sénégalaise chrétiens et musulmans. La combinaison de ces données met en lumière un cercle vicieux qui peut se décrire comme suit :

Les musulmans diffèrent par rapport à leurs homologues chrétiens (et a fortiori par rapport aux Français sans passé migratoire récent) en fonction de leurs normes religieuses et de leurs normes de genre : ils attachent plus d’importance à la religion et ont une vision plus traditionnelle des rôles qui incombent aux hommes et aux femmes ;

Ces différences culturelles constituent une source de discrimination de la part des employeurs qui craignent, en recrutant un candidat musulman, d’être confrontés à plus de revendications à caractère religieux mais aussi à plus de conflits entre salariés de sexe différent. Mais ces différences culturelles alimentent également une discrimination moins rationnelle de la part des Français sans passé migratoire récent dans leur ensemble. Ces derniers font en effet l’amalgame entre « attachement plus fort à la religion » et « rejet de la laïcité » et entre « vision plus traditionnelle des rôles qui incombent aux hommes et aux femmes » et « oppression des femmes ». En d’autres termes, ils perçoivent la présence des musulmans comme une menace culturelle susceptible de remettre en cause au moins deux grands principes auxquels ils sont particulièrement attachés : l’indépendance du politique par rapport au religieux et l’égalité hommes-femmes. Cet amalgame amène les Français sans passé migratoire récent à se montrer moins coopératifs à l’égard des personnes qu’ils perçoivent comme musulmanes, y compris lorsqu’ils ne s’attendent à aucune hostilité particulière de la part de ces personnes au moment où ils interagissent avec elles ;

Les musulmans perçoivent plus d’hostilité de la part des Français sans passé migratoire récent que ne le perçoivent leurs homologues chrétiens. Cette perception ne les incite pas à gommer les différences culturelles qui les séparent de leur société d’accueil, et les pousse au contraire à souligner ces différence s: ces différences se creusent d’une génération d’immigrants à l’autre plus qu’elles ne s’estompent ;

Cette tendance au repli des musulmans exacerbe à son tour la discrimination qu’ils subissent en France.

Comment lutter contre les discriminations à l’égard des musulmans sur le marché du travail ?

Il est essentiel que les entreprises forment leur personnel à la non-discrimination. L’objectif de ces formations est double. Elles consistent à expliquer aux participants les biais décisionnels (goût pour l’entre-soi, recours aux stéréotypes…) qui engendrent la discrimination, et à les convaincre de la nécessité de résister à ces biais. Car la lutte contre les discriminations, notamment ethno-religieuses, est bénéfique pour la performance de l’entreprise.

D’abord parce qu’elle permet de réduire son risque juridique. La discrimination à raison de l’origine et de la religion est en effet illégale et sanctionnée, si elle est prouvée, d’amendes élevées. Pour que cette menace de la sanction soit crédible et donc amène les entreprises à limiter leurs comportements discriminatoires, il faudrait instaurer un contrôle accru de leurs pratiques de recrutement. Ainsi, on pourrait imaginer qu’une institution publique telle que le Défenseur des droits se lance dans des opérations de testing à la fois plus fréquentes et plus systématiques. Le discours de Manuel Valls du 6 mars 2015 sur « La République en actes » va d’ailleurs dans ce sens.

La lutte contre les discriminations, bénéfique pour l’entreprise

Par ailleurs, l’engagement dans la lutte contre les discriminations ethno-religieuses permet à l’entreprise de s’afficher comme socialement responsable, un « plus » pour attirer les investisseurs. Mais encore faut-il que l’entreprise puisse mesurer sa diversité ethno-religieuse afin de se fixer des objectifs visant à l’améliorer. Si des progrès ont pu être réalisés au cours des dernières années en termes d’égalité hommes-femmes ou d’intégration des personnes handicapées dans l’entreprise, c’est précisément parce que la proportion de femmes et de personnes handicapées a été mesurée et considérée par certaines entreprises comme un indicateur de performance à part entière.

Il est donc essentiel que l’entreprise puisse collecter, avec le soutien de la Cnil , des données objectives au moins sur la nationalité et le lieu de naissance des salariés et de leurs parents. Ce n’est qu’à cette condition que l’entreprise pourra communiquer sur la représentativité de la composition ethno-religieuse de ses salariés par rapport à la zone d’emploi dans laquelle elle est située (l’information sur l’origine nationale des habitants de la zone d’emploi et de leurs parents est disponible via l’enquête Emploi (INSEE) depuis 2005)… Et qu’elle sera donc incitée à s’engager de manière active dans des politiques visant à améliorer cette représentativité.

La diversité, un levier de performance

Enfin, il est important de rappeler aux entreprises que les rares études qui ont réussi à estimer l’impact de la diversité ethno-religieuse des équipes sur leur productivité ont pour l’instant montré que cet impact est positif. La diversité ethno-religieuse est un levier de performance pour l’entreprise car elle permet la mise en commun d’un ensemble de compétences et d’expériences plus riches. Encore faut-il que l’ensemble des salariés et managers de l’entreprise réservent un bon accueil aux nouvelles recrues issues de la « diversité ». On peut douter que le simple fait de suivre des formations à la non-discrimination suffise à atteindre cet objectif. Pour être efficaces, ces formations devraient être accompagnées de la démonstration, par le top management, de son engagement dans les politiques de promotion de la diversité ethno-religieuse. A ce titre, on ne peut qu’encourager les grandes entreprises à montrer l’exemple en se dotant de comités exécutifs et conseils d’administration plus représentatifs de la diversité ethno-religieuse de notre pays.

Marie-Anne Valfort  | 

Pour en savoir plus : http://www.latribune.fr

Un regard à changer sur le recrutement

Pour mieux recruter, arrêtons regarder seul CV

Le parcours professionnel et les compétences relationnelles devraient être des éléments déterminants dans le recrutement.

Je déjeunais récemment avec un ami qui travaille dans un grand groupe industriel français. Il m’a raconté l’anecdote suivante.

Alors qu’il était à une réunion, un responsable de la DRH dit : « Pour ce poste, je vois bien un polytechnicien de 40 ans ».

Il répond : « Tu viens de donner trois paramètres qui ne servent à rien : le sexe, le diplôme et l’âge, alors que ce qui compte c’est seulement que la personne dispose des compétences nécessaires pour ce poste ».

Cet exemple illustre la particularité française qui conduit à évaluer les gens sur leur formation initiale, comme si l’école suivie constituait un statut que l’on avait à vie et qui épargnait toute évaluation ultérieure, comme si ce que vous aviez fait à 20 ans était ce qui comptait le plus, même à 50.

Un regard à changer sur le recrutement

Pour sortir de ce travers français, il faut faire évoluer le mode de recrutement, en finir avec le clonage, la recherche d’une expertise en silo. Aujourd’hui, il importe de promouvoir la diversité, entendue comme la représentation de la France dans toutes ses composantes, avec des hommes et des femmes, des personnes de tous âges, de toute origine. C’est l’agrégation des talents dans leur altérité qui permet à une entreprise d’appréhender la vie économique dans sa complexité. Ce n’est pas la consanguinité ou l’endogamie.

À cet égard, le clonage, s’il est recherché au détriment des compétences relationnelles ou culturelles, présente un risque élevé de stérilité. Le clonage permet de faire face aux problématiques au fil de l’eau, mais pas de penser le changement. Or aujourd’hui, le changement, qu’il soit technologique, culturel ou générationnel, caractérise la plupart des contextes des entreprises.

Les compétences transverses, soit la capacité à faire travailler ensemble des personnes aux aptitudes différentes, paraît source de richesse pour l’entreprise. Ce que les Américains nomment intelligence émotionnelle, à savoir l’aptitude à engager des rapports fructueux avec les autres, et qui n’est pas une matière scolaire, devient une compétence clef.

La posture idéale d’un candidat, innovante, mais encore peu répandue

Un candidat qui veut répondre à ces nouvelles exigences de recrutement modifie sa manière de se présenter. Lorsqu’il se présente, il doit d’abord privilégier son parcours professionnel sur sa formation initiale. Ce qu’il a fait dans sa vie compte infiniment plus que l’école qu’il a suivi avant de travailler. Et si l’école l’a bien préparé à la vie active, c’est surtout sur sa capacité à faire fructifier ses expériences professionnelles.

Il doit aussi, lorsqu’il candidate à un poste de management, faire prévaloir son attitude sur ses aptitudes. C’est sa capacité à fédérer les équipes en combinant des savoir-faire différents, à entraîner les salariés en étant exemplaire, à valoriser l’entreprise et son cheminement stratégique en clarifiant les enjeux qui sont les clefs de la réussite dans son poste.

Il doit enfin s’intéresser aux faits avant de promouvoir des idées. C’est l’inverse du vieux slogan : « En France, on n’a pas de pétrole, mais on a des idées », auquel il faut casser le cou. Il est certes important d’avoir des idées, mais elles ne doivent pas être a priori. Les idées doivent naître d’une analyse de l’existant et d’une approche pragmatique. L’audace, ce n’est pas tant l’idée que sa capacité à la mettre en œuvre.

S’il adopte ces principes pour présenter son offre professionnelle, le candidat ne sera pas toujours dans le ton et ne sera pas forcément choisi. Mais il apprendra qu’être embauché résulte d’un double choix : celui d’être sélectionné certes, mais aussi celui de choisir son poste, car les deux parties prenantes à un recrutement sont également demandeuses.

Jean-Baptiste PINTON / Directeur général
En savoir plus sur http://www.lesechos.fr