Jamel Debbouze et Mélissa Theuriau : « On s’aime, c’est notre réponse au racisme »

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Ils forment un couple médiatique mais discret depuis plusieurs années. Mélissa Theuriau et Jamel Debbouze se confient sur l’amour, la religion, la mixité et l’arrivée de leur deuxième enfant. Photos Sylvie Lancrenon.

La tendresse affleure de tous leurs gestes

Si ces deux-là regardent ensemble dans la même direction, ils ne cessent pas pour autant de se regarder l’un l’autre. Jamel et Mélissa s’adorent et ça se voit. Complices, solidaires, partenaires… ils bâtissent pour eux et pour les autres. Pour Mélissa, un film sur la jeunesse de Gaza, qui sera diffusé en septembre sur Téva, et un doc de 90 minutes, « L’Entrée des Trappistes », sur le parcours hors du commun de quatre gamins de Trappes : Jamel Debbouze, Nicolas Anelka, Omar Sy et La Fouine. Pour Jamel, un festival du rire, qu’il organise à Marrakech, et L’Usine de films amateurs, de Michel Gondry, qu’il soutient à Aubervilliers. Engagés, chacun, dans des associations (Relais Enfants- Parents pour elle, L’Heure joyeuse pour lui) et des métiers différents, ils partagent tout sans se dissoudre dans leur couple ni perdre leur personnalité. A les écouter, on imagine qu’ils ne s’ennuient pas ensemble. La discussion est vive, la blague toujours prête à jaillir et la tendresse affleure de tous leurs gestes. Et l’amour aussi.

Ma meuf est très marrante et, ça, personne ne le sait vraiment !

ELLE. Vous avez toujours refusé de vous exprimer ensemble. Pourquoi accepter aujourd’hui ?

Jamel. Parce que, justement, nous faisons de plus en plus de choses ensemble et que, avec le temps, on a réalisé combien notre couple est représentatif de certaines valeurs. Double raison, donc, de parler.

Mélissa. On est plus sereins aussi. Et c’est vrai qu’on s’épaule beaucoup dans nos projets. Jamel est à mes côtésdans mes combats personnels, mes reportages ou dans ma nouvelle activité de productrice, comme pour le documentaire « L’Entrée des Trappistes ». De mon côté, je suis de très près ce qu’il soutient, comme L’Usine de films amateurs de Michel Gondry, qui permettra à tout le monde de s’essayer au cinéma, et de ce qu’il fait, notamment son festival du rire.

Jamel. Ma meuf est très marrante et, ça, personne ne le sait vraiment ! En plus, son avis est toujours pertinent. Dans mon dernier spectacle (« Tout sur Jamel »), je cherche, bien sûr, à faire rire, mais j’essaie aussi de faire réfléchir. Mélissa m’aide beaucoup. On ne se sent pas investis d’une mission, mais tant mieux si on peut contribuer à faire évoluer les mentalités ou, en tout cas, poser certaines questions…

ELLE. Il vous arrive de vous disputer sur des questions d’actualité.

Jamel. Parfois, c’est chaud !

Mélissa. Et parfois aussi, je te fais changer d’avis.

Jamel. Mais toujours après avoir esquivé deux, trois assiettes !

ELLE. Exemple ?

JAMEL. Dernièrement, elle est partie faire un reportage sur la jeunesse de Gaza. Moi, ça me faisait flipper. Le danger déjà. Et puis, je me disais « A quoi bon être journaliste ? » Mais, quand je vois le travail qu’elle a fait, je me rends compte que non seulement son métier est utile, indispensable, mais vital. Et ce n’est pas le mari qui parle.

Léon passe d’une famille à l’autre avec une facilité déconcertante

ELLE. Avec vos emplois du temps très chargés, arrivez-vous à garder des moments rien que pour vous deux ?

Jamel. C’est une priorité.

MÉLISSA. On ne déroge jamais à cette règle : quel que soit notre agenda, on se réserve chaque mois au moins trois jours où on se retrouve dans l’une de nos cachettes…

ELLE. Il semble que Léon aura bientôt un petit frère ou une petite soeur…

Jamel. On attend un deuxième enfant et c’est extraordinaire. Mais ça va encore être un sacré bazar pour choisir le prénom !

Mélissa. Comme pour notre fils, on le cachera jusqu’au dernier moment, sinon on ne l’aurait jamais appelé Léon.

ELLE. Il a un deuxième prénom ?

Ensemble. Ali !

Mélissa. Il fallait équilibrer, quand même !

ELLE. Comment élève-t-on un enfant dans un couple mixte ?

Mélissa. Justement, en mixant les cultures. Quand il va chez ma belle-mère, il baigne dans…

Jamel. … l’huile !

Mélissa. Dans une culture musulmane. On lui parle arabe et ses grands-parents lui transmettent beaucoup de choses.

Jamel. Et il revient plus sale que quand il rentre de chez ta mère !

Mélissa. Parce qu’il y a moins d’interdits. Dans ma famille, c’est un autre rythme : on déjeune à 13 heures, on goûte à 16 heures, on dîne à 20 heures. Chez toi, on mange toute la journée.

Jamel. C’est « open bar » ! Les portes sont ouvertes, les gamins, les cousins, les voisins rentrent et sortent. Le jardin est plein de gosses. Et les adultes n’interviennent que pour taper dans le ballon avec eux ou leur demander de rentrer se laver les mains pour manger.

Mélissa. Léon passe d’une famille à l’autre avec une facilité déconcertante. D’abord parce qu’elles s’entendent bien– les deux grand-mères viennent de l’emmener ensemble en vacances. Il sait profiter des deux univers sans se poser de questions. Il vit. Et il parle français, arabe et anglais parce qu’il a une nounou anglaise.

Jamel. On a engagé Mary Poppins ! Et quand elle est avec ma mère, c’est à pleurer de rire. Le choc des cultures est impressionnant.

J’ai toujours baigné dans un climat raciste

ELLE. Qu’est-ce qui vous a frappés chez les uns et chez les autres ?

Jamel. Je pensais me coltiner un beau-père « bon français », avec tous les a priori que cela comporte. Et j’ai rencontré un saxophoniste qui, comme tous les artistes, est inclassable ! Surle plan de l’ouverture d’esprit comme sur le plan intellectuel, il est impeccable. Ma belle-mère était plus inquiète. Forcément, elle ne connaissait ni ma culture ni mon univers.

Mélissa. De mon côté, venant d’une famille française qui, même si elle ne pratique pas, est chrétienne, je redoutais un peu que les siens ne veuillent me changer, voire me convertir. Toujours les a priori. Mais il n’y a jamais rien eu de cet ordre-là. Je n’ai jamais ressenti le moindre sentiment d’exclusion. Au contraire. Même si je commence à comprendre un peu l’arabe, ils font toujours extrêmement attention à ne pas le parler entre eux quand je suis là.

Jamel. Mais tu acceptes quand même de porter la burqa !

Mélissa. Oui, mais seulement le dimanche ![Rires.]

ELLE. Parfois, à la fin des articles qui vous sont consacrés sur Internet, on peut lire « En raison de débordements racistes, cet article est fermé aux commentaires ». Ça vous surprend ?

Mélissa. Vu le courrier ignoble que je reçois à mon bureau de « Zone interdite », je ne suis pas étonnée, simplement choquée et attristée.

Jamel. Moi, j’ai appris à vivre avec. C’est presque normal pour moi…

Mélissa. Normal ! Comment tu peux dire ça ?

Jamel. Parce que j’ai toujours baigné dans un climat raciste avec des gens hostiles qui ont peur de l’étranger.

Mélissa. Mais on est en 2011 !

Jamel. O.K., mais regarde ce qu’on entend partout !

ELLE. Marine Le Pen ? Zemmour ?

Jamel. Je n’ai pas envie de parler de ces gens-là.

Mélissa. En ce moment, on cherche une maison. Il y a quelques jours, on en a visité une avec notre petit garçon. C’est un monsieur d’un certain âge, très élégant et très bien élevé, qui nous a accueillis. A un moment, il nous explique : « Cette maison, ce n’est pas pour les Arabes. Elle est trop petite pour loger beaucoup de monde. » Il ne s’est même pas rendu compte de ce qu’il disait. On s’est regardés, stupéfaits.

Jamel. Mais, comme ce genre d’anecdotes arrive tous les jours, je ne vais pas à chaque fois me mettre dans un sale état. J’ai mieux à faire. Comme de vivre des moments extraordinaires avec ma femme et mon fils.

Ne jouons pas le jeu du FN, ne rendons pas la situation plus sombre et plus grave qu’elle ne l’est

ELLE. N’avez-vous pas l’impression que, dans ce domaine, les gens sont plus désinhibés qu’avant et que le racisme progresse ?

Jamel. Au contraire, je pense qu’il régresse.

Mélissa. Moi, je n’ai pas ce sentiment.

Jamel. Mais, regarde : on est ensemble et, comme nous, il y a de plus en plus de couples mixtes en France et en Europe. Tous les soirs et partout, des gens viennent me voir après le spectacle pour me remercier de parler d’eux, les couples mixtes. Je pourrais citer dans tous les domaines des dizaines d’exemples positifs. Le kebab est le sandwich le plus vendu chez nous, par exemple ! Actuellement, il y a de plus en plus d’immigrés en France et j’ai lu qu’on rapporte 12 milliards d’euros par an ! Dans les années 90, quand on se baladait à Paris, on pouvait se faire démonter par des skins dans le métro. Il n’y a pas un seul de nos frères ou une seule de nos soeurs qui ne soient rentrés en disant « je me suis fait agresser par un skin ». Quand ils ne revenaient pas en sang ! Aujourd’hui, on ne vit plus ça, et il n’y a plus de skins dans la rue.

Mélissa. D’accord, ça va mieux, mais ça avance trop lentement.

Jamel. A pas de fourmi, c’est vrai. Mais Obama à la Maison- Blanche, c’est un progrès. A la télé, il y a davantage de Noirs et d’Arabes.

ELLE. Mais c’est aujourd’hui qu’on entend parler de quotas dans le foot !

Jamel. La Fédération française de foot a toujours été conservatrice. Je me souviens de mon copain Nicolas Anelka qui revenait parfois triste et meurtri parce qu’il avait le sentiment d’avoir été humilié ou, en tout cas, mis à part. Ne jouons pas le jeu du FN, ne rendons pas la situation plus sombre et plus grave qu’elle ne l’est.

Pour la première fois, j’ai pris conscience que le terrorisme fait partie de nos vies.

ELLE. Comment avez-vous vécu le « printemps arabe » ?

Jamel. C’est la meilleure nouvelle depuis des années et des années. Enfin, on se rend compte que les Arabes ont une âme et une conscience.

Mélissa. Ce que je retiens, c’est qu’ils se désolidarisent de tous les partis islamistes. Mais, évidemment, il va falloir du temps avant que les démocraties se mettent vraiment en place.

ELLE. Vous avez une maison à Marrakech, et le café où la bombe a explosé fin avril est un lieu qui vous est familier. Avez-vous songé à annuler le festival du rire que vous organisez dans la ville ?

Jamel. On y était depuis une semaine à ce moment-là et mon frère a quitté le café dix minutes avant que la bombe explose. Je comprends pourquoi mon oncle, ambulancier à Paris au moment de l’attentat à la station de métro Saint-Michel, en 1995, est encore choqué aujourd’hui. Pour la première fois, j’ai pris conscience que le terrorisme fait partie de nos vies. Mais on ne s’est pas posé une seule seconde la question d’annuler le festival. Ce n’est pas un service à rendre au Maroc et aux Marocains, qui ont besoin du tourisme.

Mélissa. Et d’ailleurs, les hôtels sont encore pleins, ce qui est très rare après un attentat de cette ampleur, dirigé contre des Occidentaux. Je pense que c’est dû au fait que, immédiatement, les Marocains sont descendus dans la rue pour manifester contre le terrorisme.

On ne s’est posé aucune question quand on s’est rencontrés.

Jamel. Aujourd’hui, tous les pays du monde sont frappés. C’est la troisième guerre mondiale et elle est religieuse. Et pour nous, les Arabes, c’est terrible. En France, on a connu un âge d’or extraordinaire avec la Coupe du monde de football en 1998. On était les bienvenus partout, on avait la cote. Après le 11-Septembre 2001, on est devenus, tout d’un coup, des terroristes potentiels. Depuis, on ne fait qu’essayer de démontrer qu’on fait partie intégrante de ce pays, qu’on l’aime et qu’on est prêts à le défendre corps et âme. Mais ça va maintenant. On a passé suffisamment de temps ensemble pour que les gens n’aient plus peur de nous. La preuve ? Il y a de plus en plus de filles comme Mélissa qui tombent amoureuses de types comme moi. C’est important de le dire. Et d’ailleurs, on n’a pas assez parlé d’amour dans cette interview. Nous, on ne s’est posé aucune question quand on s’est  rencontrés. Le jour où la société dans son ensemble réagira ainsi, ce sera gagné…

Mélissa. C’est joli ce que tu dis. Et vrai surtout. Dire qu’on s’aime passionnément et dans la durée est une très belle réponse à tout ce qui se passe.

Jamel. J’aimerais que la France soit comme nous sur la photo avec la bécane : libre et désordonnée. M.-F.C.

Pour en savoir plus : http://www.elle.fr/

Le terrorisme n’a pas de religion ! Jamel Debbouze

 

Où est Mahomet ?

SophieGherardi

Un numéro historique de Charlie Hebdo continue de s’arracher dans tous les kiosques de France. Historique est ici à prendre au sens littéral, dans lequel  l’histoire est ce mouvement qui transforme les hommes, les ensembles, les puissances. Cette histoire est-elle «pleine de bruit et de fureur, racontée par un idiot, et qui ne signifie rien», pour reprendre la tirade fameuse de Hamlet ? En tout cas, elle nous emmène tous quelque part où nous n’étions pas auparavant.

Ce vendredi 16 janvier, jour de prière pour les musulmans, des prêcheurs échauffés ont expliqué aux fidèles, de par le monde, que Charlie Hebdo, une fois encore, insultait le prophète sur sa Une. Les douze personnes massacrées le 7 janvier à l’hebdomadaire satirique pèsent peu, pour certains, face à une telle accusation. Et «la rue musulmane» a une fois de plus résonné de cris de colère contre l’Occident : des drapeaux français ont été brûlés, des instituts français incendiés, il y a eu au moins quatre morts au Niger, un photographe de l’AFP a été grièvement blessé au Pakistan.

Les intégristes ont une excuse : ils n’ont certainement pas regardé cette Une de peur d’y voir un sacrilège. S’ils osaient lever les yeux avant de lever le poing, que verraient-ils ? Un personnage en turban blanc, sur fond vert islam, la larme à l’œil et tenant une pancarte «Tout es pardonné». Où est Mahomet sur cette Une ? Rien ne dit que c’est lui. D’ailleurs on serait bien en peine de le reconnaître puisqu’il n’est jamais représenté, en tout cas dans la tradition musulmane sunnite –les Persans chiites, eux, l’ont longtemps fait figurer sur leurs exquises miniatures.

Nous sommes bien là devant un problème de représentations, sans mauvais jeu de mot. Les commentateurs de l’islam le plus rigoriste – par exemple le courant wahhabite – poussent l’interdit de la représentation de Dieu jusqu’à l’extrême : Dieu, inconnaissable, ne peut être représenté ; par transitivité, le Prophète Muhammad (Mahomet) non plus ; par extension la figure humaine non plus ; et jusqu’aux animaux, créatures de Dieu. Dans cette logique, la photographie et les vidéos, si prisées de ceux qui se proclament djihadistes, ne semblent pas très  halal. Mais le dessin est une technique très ancienne, qui existait déjà au VIIe siècle, époque à laquelle disent se référer certains «docteurs de la loi» (oulémas) pour faire valoir au XXIe siècle un iconoclasme inflexible (l’iconoclasme est la destruction des images assimilées aux idoles adorées par les païens).

Les représentations, l’Occident chrétien en a aussi. Et elles méritent tout autant d’être prises en considération, décryptées et même respectées que celles de l’Islam (avec une majuscule, pour parler de l’aire culturelle musulmane). Voilà ce qu’un œil français voir sur cette Une de Charlie Hebdo, réalisée avec un courage impressionnant par des gens épouvantés, endeuillés, parfois blessés quelques jours auparavant. Il y voit un message foncièrement fraternel. L’homme au turban blanc, un musulman standard selon les codes simplifiés du dessin de presse, loin de faire peur ou d’éloigner, rapproche par sa compassion : il pleure, et il pardonne.

Ce «Tout est pardonné» est une parole chrétienne. Il est impossible de l’ignorer, même si la miséricorde n’est pas une exclusivité chrétienne. Surgi sous le crayon de Luz dans le pire moment de souffrance, ce pardon montre que les caricaturistes, y compris les athées et les anticléricaux de Charlie Hebdo, appartiennent à cette culture chrétienne où l’injonction « pardonne à tes ennemis » est profondément inscrite dans les consciences – ou les inconscients. Là où beaucoup de musulmans, y compris en France, voient une provocation, la plupart des Français, et parmi eux des musulmans, voient un geste de réconciliation, une main tendue. Pardonner malgré notre propre colère, c’est ce qui nous est présenté comme la bonne chose à faire – tant dans l’éducation laïque que dans l’éducation religieuse.

Comme disait Catherine Nay sur Europe 1 ce samedi matin, les pays musulmans ne comprennent pas que nous ne comprenions pas ce qu’ils ressentent. De notre côté, nous ne comprenons pas qu’ils ne comprennent pas ce que nous ressentons. L’histoire est faite de ces moments. Dans notre intérêt à tous, il ne faut pas en sous-estimer le danger. En ce sens, la présence de hauts représentants musulmans ou de pays musulmans à Paris dans la marche des «Je suis Charlie», ne doit pas être ridiculisée ou minimisée. Le roi et la reine de Jordanie, les imams français ou le ministre des affaires étrangères turc, en défilant à Paris contre le terrorisme paré du nom d’Allah, ont pris, eux aussi, des risques.

Sophie Gherardi | le 17.01.2015 à 14:55
En savoir plus sur http://www.fait-religieux.com/monde/religions-1/ou-est-mahomet-#S2lwBhFoRFEFd3zP.99

 

Laïcité et enseignement des faits religieux : où en est-on ?

Deux spécialistes font le point avec nous sur cette question, plus que jamais d’actualité.

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L’attentat contre Charlie Hebdo et les quelques cas de perturbations de la minute de silence par des élèves ont soulevé beaucoup de questions sur la laïcité et ravivent le débat sur l’enseignement des faits religieux à l’école. Alors que la ministre de l’Education nationale, Najat Vallaud-Belkacem, « mobilise » l’école autour des valeurs républicaines et cherche à revaloriser les cours d’éducation morale et civique, un rapport des sénateurs Esther Benbassa (EELV) et Jean-René Lecerf (UMP), adopté en novembre 2014 par le Sénat, soulevait déjà la question de cet enseignement pour lutter contre les discriminations. L’une des mesures était l’enseignement du fait religieux au cours de la scolarité, en dispensant la formation nécessaire aux enseignants. « On voit ici poindre deux questions distinctes quoique complémentaires, explique Philippe Gaudin, directeur adjoint de l’Institut européen en sciences des religions (IESR) : la formation autour de la laïcité et l’enseignement des faits religieux. »

La laïcité aujourd’hui à l’école

« Jusqu’à présent, poursuit Philippe Gaudin, la formation sur la laïcité à l’école se faisait dans le cadre de l’éducation civique au collège, et de l’ECJS (éducation civique juridique et sociale) au lycée. Le grand projet de réforme en cours sur la laïcité propose, à terme, un enseignement moral et civique, de la Primaire à la Terminale. » Une pédagogie autour de la laïcité est aussi mise en place par le ministère de l’Education nationale, coordonnée par Abdenmour Bidar, chargé de mission et membre de l’Observatoire national de la laïcité . Cette pédagogie s’appuie notamment sur la Charte de la laïcité  : « C’est une bonne chose mais cette charte n’a pas de valeur juridique ou contraignante, il est donc nécessaire de former les enseignants pour mieux transmettre ses messages », souligne Charles Coutel, directeur de l’Institut d’étude des faits religieux (IEFR), rattaché à l’université d’Artois et travaillant en collaboration étroite avec l’IESR.

 

L’enseignement des faits religieux

En France, contrairement aux autres pays européens,« l’enseignement des faits religieux se fait dans le cadre des disciplines existantes : l’Histoire, les Lettres, la Philosophie… »,reprend Charles Coutel. Le rapport du philosophe Régis Debray, en 2002, sur l’enseignement du fait religieux à l’école a jeté les bases d’un redéploiement de cet enseignement. Le philosophe en précisait le but : non pas « remettre Dieu à l’école » mais « décrisper, dépassionner, et même (…) banaliser le sujet, sans lui enlever, tout au contraire, sa dignité intrinsèque ».

Une formation continue peut exister dans le plan de formation des enseignants, ainsi qu’une formation initiale sur ces questions dans les ESPE, mais « c’est encore trop peu car l’enseignement civique et moral et celui sur les faits religieux sont interdépendants,poursuit Charles Coutel. Le combat laïc n’est pas un combat contre les religions mais contre les fanatismes. Il faudrait donc, en formation initiale, deux modules de 15 heures : l’un sur la pédagogie de la laïcité, l’autre sur une initiation à l’éducation aux faits religieux. »

Philippe Gaudin explique d’ailleurs que l’IESR a été créé en 2003, à la suite du rapport Debray, pour participer à la formation initiale et continue des enseignants et des formateurs, et réfléchir au contenu des enseignements.

La laïcité n’est pas une démarche antireligieuse

Beaucoup de choses ont donc été faites jusqu’ici, mais « de façon discontinue, avec un certain manque d’homogénéité sur le territoire et peut-être aussi d’intensité dans les programmes », souligne Philippe Gaudin. Le temps de l’action est venu et on peut parler de façon laïque de la « matière » religieuse. « On vit dans une société sécularisée et laïcisée, mais où les religions s’expriment de plus en plus et avec un pluralisme religieux qui n’existait pas en 1905 (date de la séparation de l’Eglise et de l’État.) », rappelle-t-il. Ce à quoi souscrit Charles Coutel : « L’enseignement des faits religieux peut se faire par la controverse : parler des guerres de religions pour évoquer le catholicisme et le protestantisme, évoquer l’islam en expliquant la différence entre chiisme et sunnisme, ne pas parler de taoïsme sans évoquer le confucianisme… » Les événements de ces derniers jours pourraient marquer une prise de conscience sur ces questions.

Aurélien Coustillac

 

Pour en savoir plus : http://www.vousnousils.fr

  • Le défi de l’enseignement des faits religieux à l’école, réponses européennes et québécoises, Jean-Paul Willaime. Riveneuve éditions, 2014, 358 p.
  • Double défi pour l’école laïque : enseigner la morale et les faits religieux, Isabelle Saint-Martin et Philippe Gaudin, avec la participation notamment de Charles Coutel. Riveneuve éditions, 2013, 204 p.
  • L’enseignement des faits religieux France – Espagne – Irlande – Écosse.Préface et conclusion par Charles Coutel. Artois Presses Université, 2014, 157 p.
  • Vers une laïcité d’intelligence en France ? L’enseignement des faits religieux en France comme politique publique d’éducation depuis les années 1980, Philippe Gaudin, Presses Universitaires d’Aix-Marseille, 2014.

Attaques terroristes: La laïcité et le fait religieux restent sous-abordés à l’école

Fait-Religieux-Enseignement

A l’école Louis-Aragon de Pantin, un élève travaille sur la charte de la laïcité, le 9 décembre 2014. – EREZ LICHTFELD/SIPA

Eviter les amalgames, promouvoir à nouveau la laïcité, contrer les réactions hostiles face aux hommages aux victimes… Quelques jours après les attaques terroristes qui ont endeuillé la France, la ministre de l’Education, Najat Vallaud-Belkacem, a consulté ce lundi matin les syndicats de l’éducation et les fédérations de parents pour «préparer une mobilisation renforcée de l’école pour les valeurs de la République». L’occasion de discuter aussi de la manière d’aborder la laïcité et le fait religieux à l’école.

Car pour l’heure, ces questions semblent sous-traitées dans les établissements. Les élèves du primaire bénéficient d’une instruction morale et civique à l’école, où les différentes religions et la laïcité ne sont que survolées. Au collège, les élèves suivent aussi un enseignement d’éducation civique par leurs professeurs d’histoire-géographie et au lycée, un enseignement d’éducation civique, juridique et sociale est généralement dispensé par les mêmes enseignants. La laïcité fait partie du programme, mais elle n’est souvent abordée qu’en coup de vent. «Par ailleurs, ces heures servent souvent de variables d’ajustement aux enseignants pour finir d’aborder le programme. Et au bac, cet enseignement n’est pas évalué, ce qui le fragilise», explique Pierre Kahn, professeur en sciences de l’éducation à l’université de Caen Basse-Normandie.

«La méconnaissance est source de haine»

Idem concernant le fait religieux. «Depuis 1996, il est introduit par le biais d’autres disciplines (littérature, art et histoire) au collège et au lycée, mais il ne fait pas l’objet d’un enseignement spécifique», souligne Clémentine Vivarelli, docteur en sociologie spécialiste de la laïcité à l’école. Conséquence selon elle: «On n’aborde pas les religions dans leur dimension contemporaine (les faits religieux dans l’actualité, les pratiques religieuses…) et on reste sur des discours stéréotypés que ne s’approprient pas les élèves». Ces derniers manquent ainsi d’outils pour comprendre les différentes religions, ce qui peut entraîner des conflits confessionnels entre eux. Et lorsqu’ils sont interrogés sur le sujet par leurs élèves, certains enseignants préfèrent parfois botter en touche que de risquer d’attirer les foudres des parents d’élèves et de leurs parents.

Pour la chercheuse, il serait pourtant nécessaire «d’aborder le fait religieux de manière critique, distanciée, scientifique car la méconnaissance est source de haine». Des associations interviennent parfois dans certains établissements pour aborder la lutte contre les discriminations et l’identité religieuse. «Mais ces initiatives sont trop rares», souligne Clémentine Vivarelli. En novembre, la sénatrice EELV Esther Benbassa et son collègue de l’UMP Jean-René Lecerf avaient d’ailleurs proposé que le fait religieux soit enseigné dès l’école primaire. De son côté, Pierre Kahn estime aussi qu’il faudrait «renforcer la formation des enseignants afin de les aider à mieux aborder le fait religieux à l’école et de pouvoir désamorcer certains conflits entre les élèves».

A la rentrée 2015, les choses devraient cependant commencer à changer car un nouvel enseignement moral et civique sera initié dans les classes du primaire jusqu’au lycée et dans toutes les sections.A la tête du groupe d’experts chargés de concevoir ces programmes, Pierre Kahn estime qu’ils permettront de mieux aborder la laïcité et la manière dont les religions peuvent coexister dans l’espace public.

Publié par Delphine Bancaud – Créé le 12/01/2015 à 19h58 – Mis à jour le 12/01/2015 à 21h27

Pour en savoir plus : http://www.20minutes.fr

 

Divisions, pièges à cons

« Croire que la folie d’une poignée est la croyance de tous. Ne tombons pas dans le piège qui nous est tendu », affirment ensemble personnalités et mouvements interreligieux, interculturels, anti-islamophobie, qui lancent cet appel à l’unité, à la solidarité et à la liberté.

 

MinuteSilenceLycéeAverroès

 

Minute de silence au lycée musulman Avérroès le 8 janvier 2015

 

La France est fracturée. Elle saigne : bleu, blanc, rouge. Il y a eu 12 morts. Le mal est fait, la République est à terre, bafouée et elle voit rouge. Le lien social est menacé, le vivre ensemble dynamité. Le loup est dans la bergerie, oui le loup est vraiment dans la bergerie. S’attaquer à la rédaction d’un journal et s’en prendre à la liberté fondamentale d’expression est une chose ; créer la division, semer le doute, briser la cohésion d’une République et de ses valeurs en est une autre.

Aujourd’hui, les discours sont au recueillement et à l’union nationale, demain certains seront à la haine et à l’exclusion. Ils le sont déjà. A ne pas s’y tromper, le véritable piège devant lequel nous nous trouvons est bien celui de la division. Celui du repli sur soi et de la dénonciation de l’autre. La véritable victoire du terrorisme est de… terroriser. Leur but est de nous faire désigner un ennemi en France, un coupable dans notre communauté, un danger dans la nation.

Alors que faire ? Fuir ? Trouver un nouveau pays, accueillant, où il fait bon vivre ensemble ? Ou plutôt baisser la tête en attendant que ça passe et attendre des jours meilleurs ? Ils viendront sans aucun doute. Nan je sais, et si on passait au karcher la racaille musulmane qui infeste nos cités ? Qu’on permette à chacun de s’armer et ils verront de quel bois on se chauffe ! Si l’intégrisme est indéniablement responsable du massacre, le carnage qui nous guette est bien celui de l’amalgame. Croire que la folie d’une poignée est la croyance de tous. Ne tombons pas dans le piège qui nous est tendu.

« Engagez-vous qu’ils disaient, engagez-vous »

Alors que faire ? « Vous qui vivez en toute quiétude, bien au chaud dans vos maisons », cette réponse vous appartient. L’indignation et l’émotion sont légitimes mais ne suffisent pas. Oui, chacun doit prendre sa part de douleur dans la conscience collective. Mais abandonner, pire, trahir ce qu’est la France, serait la victoire des terroristes et des désespérants. Agir pour la construire, l’esquisser, la dessiner est notre responsabilité collective et durable. Plus question de se cacher, de s’exclure du collectif meurtri. Ce combat est le vôtre, le nôtre et il est décisif. C’est maintenant.

Ce combat n’appartient pas au gouvernement, il n’appartient pas à l’opposition. Il n’appartient pas aux associations ou aux instances religieuses. Il n’appartient pas aux chrétiens, aux musulmans, aux juifs, aux athées ou aux agnostiques. Ce combat est celui du citoyen. C’est un combat rapproché, de proximité, qui ne promet que du « sang, de la sueur et des larmes », une lutte à mort contre un ennemi invisible. Ce combat est celui de la coexistence active : refuser la peur et l’extrémisme, respecter les différences de l’autre et les utiliser comme autant de forces et de richesses pour  promouvoir les principes et les valeurs qui forment notre unité républicaine.

Sortons de nos maisons, sur nos paliers, levons les yeux quelques secondes de nos écrans. Ce combat se gagne par un sourire, une attention, une écoute, une connaissance de l’autre et une action avec lui. Il se gagne par le respect mutuel de la différence, par la fraternité, par la sensibilisation des plus jeunes dès l’école – le cœur de notre République – aux différences religieuses et culturelles. Dès aujourd’hui, élevons nous contre les attaques physiques ou verbales contre toute une collectivité, la communauté musulmane de France, désignée à tort comme responsable.

Les terroristes ont voulu mettre la France à genoux. Adressons-leur, à notre tour, un message. Nous sommes là debouts, solidaires et unis. Prêts à agir pour l’unité et la liberté en France.

 

Premiers signataires

Samir Akacha, président de l’Association méditerranée des cultures d’islam pour la jeunesse (AMCIJ)
Kevin Andre, chercheur à l’ESSEC et président de Kawaa
Guy Aurenche, avocat
Mohamed Bajrafil, enseignant, imam de la mosquée d’Ivry-sur-Seine
Stephen Berkowitz, rabbin, Mouvement juif libéral de France
Abdallah Deliouah, enseignant, imam de la mosquée de Valence
Christian Delorme, prêtre du diocèse de Lyon
Jean Delumeau, historien
Rokhaya Diallo, membre du bureau du réseau européen contre le racisme
Nabil Ennasri, écrivain, doctorant, président du CMF (Collectif des musulmans de France)
Véronique Fayet, présidente du Secours Catholique
Samuel Grzybowski, président de Coexister, le mouvement interreligieux des jeunes
Kamal Hachkar, cinéaste
Samia Hatroubi, professeur d’Histoire, présidente Foundation for Etnic Understanding
Monique Hebrard, journaliste
Amadou Ka, président de l’association Les Indivisibles
Rivon Krygier, rabbin, Adath Shalom
Omero Marongiu-Perria, sociologue, spécialiste de l’islam en France
Médine, rappeur
Ahmed Miktar, président des Imams de France
Elsa Ray, porte parole du CCIF (Collectif Contre l’Islamophobie en France)
Jean-Pierre Rosa, intellectuel chrétien
Anas Saghrouni, président des Étudiants musulmans de France (EMF)
Ilan Scialom, leader juif membre de l’InterFaith Tour
François Soulage, président de Chrétiens en forum

Pour en savoir plus : http://blogs.mediapart.fr/edition/les-invites-de-mediapart/article/080115/divisions-pieges-cons

Attentats à Charlie Hebdo : Immense tristesse et grande impuissance

7Janvier2014AttentatsCharlieHebdo

 

Immense tristesse et grande impuissance devant les événements d’hier à Paris.

Que faire contre cette violence extrême ? Ré-agir fermement certainement. Tenter de comprendre, aussi, comment on peut en arriver là.

Que c’est-il passé dans notre pays et dans notre monde depuis près de 30 ans ? Quels dérèglements géopolitiques sont survenus pour que deux hommes viennent abattre froidement des journalistes en plein travail ?

Quelles responsabilités des gouvernements de notre monde qui laissent deux hommes accéder à une barbarie sans nom dans leurs actes ?

Le plan vigipirate est activé. Mais le risque zéro n’existe pas. Le monde entier est pris par la menace d’un attentat inattendu (mais qui attend un attentat ?).

Les gouvernements mettent en place de précaires pansements sur un mal profond qui mettra des années voir des siècles à guérir.

La place dans les sociétés « modernes » de nombreux jeunes et moins jeunes restent à définir. Quelle place pour les pays moins riche que les « nôtres » ? Quelle place pour ceux qui viennent de ces pays, eux-mêmes ou leur parents, voir grands-parents ?

Quelles relations entre nos pays ? Entre les habitants de notre planète ?

Comment imaginer des sociétés, une société mondiale où les différences sont des atouts, ou chacun peut travailler, prier, aimer, partir en vacances, réfléchir, discuter, avoir des amis, un logement ???

Si nous ne sommes pas capables de réfléchir et de mettre en oeuvre ce monde, alors nous allons dans le mur. Et nous ne serons jamais en « sécurité », puisque l’Autre sera toujours en guerre pour avoir ce à quoi il a droit : une vie digne !

Hommes et femmes de bonne volonté, travaillons ensemble à un monde plus juste où chacun et chacune est reconnu pour ses qualités propres et non par la couleur de sa peau ou le nom de sa religion.

Notre responsabilité est de travailler dans notre quotidien à ouvrir nos coeurs pour accueillir celui qui ne pense pas comme moi, celui qui ne dit pas sa foi comme moi, celui qui vient d’ailleurs.

Enrichissons-nous de nos différences ou nous mourrons.

Publié par Marie DAVIENNE – KANNI le jeudi 8 janvier à 10h39

L’entreprise
 face au fait religieux

Au-delà d’affaires ultra-médiatisées comme celle de la crèche Baby-Loup, une multitude
de démêlés liés à la religion place de plus en plus les managers dans des positions intenables.

ReligionAuTravail

Le sujet est souvent encore tabou, mais la question du fait religieux en entreprise se pose de plus en plus, exacerbée par un débat sur l’islam très sensible. Les entreprises sont démunies devant les demandes de leurs salariés. Nombreuses sont celles qui s’en tiennent à rédiger des chartes.

Consultante dans un cabinet d’audit des Big Five, Camille est à bout de nerfs. Cette manager doit faire face à un salarié qui refuse de travailler avec elle… pour des raisons religieuses. « Il ne me regarde pas, refuse de me serrer la main, sous prétexte que je suis peut-être impure… C’est devenu un enfer. » Pas encore la trentaine, l’ingénieur en question a aussi fait savoir qu’il « ne pouvait être staffé dans une banque, ni chez un assureur, car l’islam qu’il pratique l’empêche d’aller chez un client qui fait de l’argent ». Pour Camille, ces contraintes sont devenues un vrai casse-tête. Sa direction lui a demandé de ne pas faire de vague, de statuer au cas par cas. « Il n’empêche, poursuit-elle. Dès que nous en aurons l’opportunité, nous nous séparerons de lui. Jamais nous ne mentionnerons clairement le motif, sa pratique religieuse, mais ce sera bien l’unique cause. »

Les difficultés de Camille sont loin d’être isolées. « La religion sur le lieu de travail est un sujet qui agite les DRH, ils sont demandeurs de conseils », reconnaît Jean-Christophe Sciberras, le président de l’association nationale des DRH. Même constat du côté de Marie-José Forrissier. Elle dirige l’institut Sociovision et confirme : « Le problème est vraiment en train de prendre une nouvelle dimension dans les entreprises ; il est de plus en plus cité dans nos enquêtes. » Mais la façon de s’en préoccuper est sensible, selon elle, pour « 82 % des sondés, la religion soit rester une affaire privée ».

Aussi, la réponse la plus courante qu’apportent les directions est la rédaction d’un manuel afin de donner des indications aux managers. La CFDT et plusieurs fédérations professionnelles travaillent elles aussi sur l’élaboration de guides pour leurs adhérents. A l’instar de celui réalisé par l’Alliance du Commerce, réunion de la fédération des enseignes de la chaussure, de l’habillement et l’union du grand commerce de centre-ville. Sur près de 25 pages, ce texte fournit des solutions à des questions du type : peut-on refuser à un salarié de se vêtir comme il le souhaite pour des convictions religieuses ? un salarié peut-il effectuer sa prière sur son lieu de travail ? etc.

Lorsque le sujet se fait plus conflictuel, les directions ont encore très souvent tendance à le mettre sous le tapis. Et ceux qui acceptent d’en parler le font anonymement, même lorsqu’ils sont salariés protégés. « Nous avons fait remonter des difficultés dans les services de maintenance, raconte cette syndicaliste Air France. Dans les équipes au sol, les relations hommes-femmes se sont beaucoup dégradées. Par exemple, les gars qui préparent l’avion ne veulent pas serrer la main d’une femme pilote. Ils lui envoient un bonjour du bout des lèvres pour éviter de se faire virer, mais se débrouillent pour ne pas communiquer avec elle, ce qui est dangereux, car ces transmissions orales sont essentielles pour la bonne sécurité d’un vol. » Alertée, la direction n’a pas réagi. En attendant, assure cette représentante du personnel, « dans ces services, les femmes ne veulent plus aller travailler. On sait que ces équipes se radicalisent, mais personne ne bouge ».

Sans faire de publicité, des entreprises ont décidé de céder à certaines demandes, plus par pragmatisme que par idéologie. Chez les constructeurs automobiles, alors qu’il n’y a aucune obligation légale à installer des lieux de culte dans l’entreprise, des salles de prières sont apparues dès les années 1990 à proximité des lignes de montages. « Nous avions une forte population d’origine maghrébine, c’était ça ou on ne fabriquait pas de voitures le vendredi », se souvient un membre de la direction de Renault. Responsable administrative d’une PME de la banlieue lyonnaise travaillant dans la construction, Marie-Laure constate, elle aussi, une augmentation des demandes de télétravail ou des arrêts maladies au moment du ramadan ou de shabbat. Elle a pour habitude de fermer les yeux, et d’accepter ces congés. « Pour éviter les histoires », lâche-t-elle. « Pour l’heure, c’est plutôt bien admis par les autres salariés. Mais je m’attends à ce qu’un employé athée à qui je refuse un jour un congé me tombe dessus et se sente discriminé », confie la quinquagénaire.

A la tête de O2, spécialisée dans les services à la personne, Guillaume Richard note que « le jeûne est beaucoup plus suivi qu’il y a cinq ans ». Et le chef d’entreprise de regretter que le droit du travail ne soit pas plus souple en la matière, pour lui permettre notamment de mieux moduler l’organisation du travail. « Je serai favorable à ce que l’on revoit les jours fériés par exemple. Non pas pour qu’il y en ait moins, mais pour qu’ils ne soient plus adossés à des fêtes uniquement catholiques. Je trouverais bien que l’on ait des jours pour fait religieux, que chacun placerait dans l’année en fonction de sa confession. »

Certaines conventions collectives ne mériteraient-elles pas d’être revues afin de mieux prendre en compte la pluralité religieuse ? Exemple : la convention collective de la bijouterie offre aux salariés des jours pour la communion de leurs enfants. Quid de ceux qui font leur Bar Mitzvah ? Ils ont vite fait de se sentir lésés…

Chez Paprec Group, en février, la direction a pris le problème par un autre prisme, et adopté une charte de la laïcité. Histoire de mettre tout le monde au même niveau et de sortir la religion de l’entreprise, par « devoir de neutralité ». Adopté par un vote à l’unanimité des 4 000 salariés, ce texte a reçu le grand prix national de la laïcité à la Mairie de Paris en octobre. Seul hic, ce parti pris est très contestable juridiquement. Jean-Luc Petithuguenin, le PDG, en a bien conscience. « En l’absence de toute jurisprudence, le juge peut décider que l’entreprise a été un peu excessive », assurait-il au moment de son adoption. Une position risquée au regard des textes européens qui font de la liberté religieuse et de la possibilité de l’exercer un droit quasi sacré.

Par Fanny Guinochet, Journaliste

Pour en savoir plus : www.lopinion.fr

Entreprises et religion : «Souvent, le management fait face à des salariés demandeurs de solutions»

Depuis trois ans, l’Observatoire du fait religieux en entreprise – développé en partenariat avec SciencesPo Rennes, l’Institut sur l’égalité des chances de Ranstad et le Centre de recherche de l’action politique en Europe – interroge près de 1500 personnes sur la question du fait religieux dans le monde du travail. Trois populations sont visées : les cadres des ressources humaines, les managers et des salariés sans responsabilité.

Est-ce que la question du fait religieux est très présente dans l’entreprise ?

Oui, elle fait partie du quotidien de nombreuses entreprises. Nous le voyons dans les enquêtes réalisées par l’observatoire ces deux dernières années. Près de 12% des personnes interrogées en 2014 sont confrontées de manière quotidienne, hebdomadaire ou mensuelle au fait religieux au travail. Près de 32% le sont de manière régulière, et presque 56% ne le sont jamais ou moins d’une fois par an. Il n’y a pas d’augmentation globale. La différence est que nous constatons une augmentation du nombre de cas bloquants et conflictuels. En 2013, le nombre de cas aboutissant à un blocage était de 6%, en 2014, il atteint 10%. Mais, il faut être vigilant. Derrière ces données se cachent de grandes disparités : dans certaines zones, par exemple en Seine-Saint-Denis, certaines entreprises et certains managers sont confrontés de manière quotidienne à des faits religieux qu’ils ont de plus en plus de mal à gérer ; en Vendée, c’est beaucoup moins le cas.

Comment se manifestent les démonstrations religieuses en entreprise ?

Les plus courantes correspondent à des demandes personnelles et isolées du type «Comment puis-je articuler ma pratique professionnelle et ma pratique religieuse?». En général, il s’agit de demandes ponctuelles d’absence pour participer à une cérémonie, le port d’un signe, etc. Cela représentent 94 % des faits recensés ; ils sont gérés par le management de proximité sans trop de difficultés. Cela ne veut pas dire qu’il n’y a jamais de conflits, mais ces cas n’appellent pas un management spécifique. Ils sont réglés par la discussion, surtout lorsque les encadrants ne se focalisent pas sur la dimension religieuse et arrivent à les traiter comme des comportements individuels. Plus rares, en revanche, sont les faits qui ont une dimension politique. Le salarié demande alors à l’entreprise d’organiser le travail en prenant explicitement en compte sa pratique. Il cherche à imposer au fonctionnement de l’organisation et/ou aux comportements de ses collègues, la contrainte religieuse. Exemple: il peut faire pression sur le management pour que le ramadan soit officiellement pris en compte, pour que la direction accepte que des salariés puissent refuser des tâches ou de travailler avec ou sous les ordres d’une femme pour des motifs religieux, que les plannings soient adaptés aux contraintes de prière. Ce peut être aussi d’imposer des menus confessionnels au restaurant d’entreprise, de demander la mise en place d’un lieu de prière ou de faire pression sur des personnes pour qu’elles adoptent un comportement religieux, par exemple en participant à une prière collective. Ces derniers faits restent très minoritaires, mais nous constatons une augmentation. Le port de signes ostentatoires ne caractérise que 10 % des situations.

Comment les entreprises répondent-elles à ces demandes ?

Dans la plupart des cas, le management fait face à des salariés qui ne sont pas revendicatifs, mais simplement demandeurs de solutions. L’acceptabilité des demandes n’est pas la même. Par exemple, il est largement admis (82% des réponses positives) et légitime aux yeux de la majorité qu’un salarié fasse une demande d’absence pour assister à une fête religieuse. En revanche, pour 89% des personnes interrogées, il est inacceptable de refuser de réaliser des tâches pour motifs religieux, et pour la très grande majorité des répondants, on ne peut pas prier pendant le temps de travail. Parfois le management est confronté à des comportements plus radicaux. Il convient de noter que ces comportements radicaux se concentrent dans quelques entreprises. Dans ces sites, la situation s’est très fortement dégradée et les managers sont souvent en grande difficulté, faute de soutien de leur direction générale, de politique claire de l’entreprise et surtout de cadre juridique clair. C’est bien là, le problème.

 

Par Fanny Guinochet, Journaliste

Pour en savoir plus : http://www.lopinion.fr

Noël dans les entreprises : boudin blanc et chèques cadeaux

NOEL

85 % des comités d’entreprise font une action pour Noël (photo Tillwe/Flickr)

 

Dans les entreprises, Noël c’est du boudin blanc aux morilles à la cantine, des cadeaux pour les enfants, des chèques pour les grands. Et malgré la crise, la tradition perdure, même si tous les salariés ne sont pas logés à la même enseigne. Ce sont les comités d’entreprises (CE), obligatoires à partir de 50 salariés, qui gèrent les petits bonus pendant cette période.Pour Noël, « 85 % des CE font une action », assure Jacques Lambert, de SalonsCE, qui met en relation élus et fournisseurs. Et le budget est « préservé » car c’est le moment l’année où le CE dit « j’existe ». Parmi les incontournables: chèques cadeaux, colis gastronomiques, jouets, spectacles… et repas festif à la cantine. « C’est toujours la même chose quasiment », observe Patrick Hamonière, responsable de Forum CE, un autre intermédiaire.
Côté agapes, les cantines mettent les petits plats dans les grands et les tables se parent de nappes blanches. Ces repas festifs avec foie gras, cailles rôties ou bûche pour le même prix que d’habitude (environ 4 euros) sont un moment « sympathique », estime René Ollier, représentant SUD-PTT au CE d’Orange. Mais tout le monde n’est pas adepte : « je n’y vais pas en général car il faut faire une heure ou une heure et demie de queue, à moins d’être prêt à aller déjeuner dès 11 heures », témoigne une salariée de Thales Alenia Space à Toulouse.Autre classique, les « arbres de Noël » à l’extérieur autour d’un spectacle. Selon Jacques Lambert, « les CE sont les plus gros contributeurs au spectacle vivant ». Les dépenses de Noël sont financées sur le budget des « activités sociales et culturelles » du CE. Le taux de contribution de l’entreprise n’est pas fixé mais ne peut être revu à la baisseChez Air France, qui distribuera comme l’an dernier 18.000 jouets et livres, ce budget équivaut à plus de 3 % de la masse salariale, l’un des plus généreux, avec EDF ou la RATP.La moyenne du budget des quelque 40.000 CE est de « 1 % de la masse salariale », mais « la part consacrée à Noël est compliquée à savoir », reconnaît Jacques Lambert de SalonsCE.
Selon un rapport du Sénat, le budget global des CE des entreprises de moins de 99 salariés n’excède pas 19.000 euros en moyenne, là où il dépasse 600.000 euros au-delà de 500 salariés.

Mais petit budget ne veut pas dire fête ratée. « Environ 50 à 60 % de notre budget passe dans les fêtes de Noël », dit Marie Rialland, élue au CE de Benchmark group, société d’environ 100 personnes spécialisée dans les contenus en ligne. Le CE n’ayant aucun permanent, il est fait appel aux bonnes volontés pour l’emballage des cadeaux ou le goûter des enfants, « un moment sympa mais assez usant en fin d’année ».

Dans les grands groupes, le bon d’achat prédomine. « Le responsable du CE n’a pas envie de se casser la tête à trouver quelque chose qui plaise à tout le monde », explique Patrick Hamonière. Avec les contraintes alimentaires liées aux allergies ou aux religions (halal, casher, végétarien, etc.), « ça devient compliqué de faire un colis », ajoute Jacques Lambert.

Sortie en famille avec un spectacle

A la SNCF, certains résistent. « On est un peu contre les chèques cadeaux car on ne sait pas si c’est l’enfant qui en profitera », fait valoir un représentant d’un des 28 CE du groupe. Il prévoit toujours une « sortie en famille avec un spectacle » fédérateur, cette année au cirque Bouglione.

Les CE, qui ont « un pouvoir d’achat que n’a pas le commun des mortels », sont hyper courtisés. Les éditeurs de chèques cadeaux « ont des commerciaux qui vont les voir » et les prestataires rivalisent de « cadeaux » pour les séduire, raconte Patrick Hamonière.

Mais quand les entreprises restructurent, la fête peut s’en ressentir. Comme en 2012 à l’usine PSA de Charleville-Mézières, où le repas avait été annulé ou chez Air France, où l’arbre de Noël a disparu, mais où le CE a maintenu la distribution des cadeaux.

Avec AFP

Pour en savoir plus : http://www.fait-religieux.com

La rédaction | le 23.12.2014 à 08:00