Emission RCF sur le Forum islamo-chrétien

StéphaneDebusschère

« Chrétien en Isère », présenté par Stéphane Debusschère sur RCF,

ce jeudi 9 juin 2015 : Interview, minute 24’16 de Marie DAVIENNE – KANNI

sur le forum islamo-chrétien de samedi 6 juin dernier à St Etienne :

https://rcf.fr/actualite/actualite-religieuse/chretiens-en-isere-9-juin-2015

Comment faire communauté en entreprise ? Deux jours de séminaire à Montréal

 Séminaire Entreprises et religions : c’est parti !!!

3831_crucifix-travail_440x260

Rejoignez la communauté

Animé par Dominique Coatanéa & Michel Younès

Ce slogan de lancement de la campagne pour la French Tech, filière numérique française, souligne au coeur de l’actualité entrepreneuriale française, la pertinence du questionnement sur la capacité à faire communauté en entreprise.
La première étape, sur la notion de communauté dans le contexte du pluralisme culturel et religieux, a permis de visualiser les tensions à l’oeuvre et de proposer un premier repérage des types de communautés.
L’étape actuelle est une invitation à affiner les valeurs susceptibles de mobiliser chaque acteur de l’entreprise en faveur du pluralisme culturel et religieux. L’enjeu est non seulement de repérer le pluralisme comme une richesse pour le projet entrepreneurial, mais encore d’en décliner les conditions de possibilité.
Par quels apprentissages doivent passer les appartenances culturelles et religieuses pour entrer dans un dialogue « polyphonique » ? Il s’agit de construire des « parcours de la reconnaissance » qui valorisent les apports positifs et régulent les freins au « vivre ensemble ». Cette créativité éthique est le noeud complexe et l’appel lancé par la notion même de communauté au coeur des organisations économiques.

 

Deux jours de séminaire à Montréal : 14 et 15 mai 2015

Éthiques religieuses et entreprises. Expériences canadiennes

Université de Sherbrooke, Campus de Longueuil

 

Séminaire international conjoint entre l’Université catholique de Lyon (France),

l’Université catholique de Louvain (Belgique) et l’Université de Sherbrooke (Canada)

(Chaire de recherche sur les religions en modernité avancée)

avec la collaboration de l’Institut de recherche pluridisciplinaire Religions, Spiritualités, Cultures et Sociétés de l’Université catholique de Louvain et du Centre de recherche Droit, Sociétés, Religions de l’Université de Sherbrooke (SoDRUS)

Participants (entre autres) :

Sébastien Arcand (Ph.D. Sociologie, Université de Montréal; Postdoctorat, Columbia University) est professeur agrégé au Département du management au HEC Montréal.

Charles Baron (Ph.D. en sciences de l’orientation, Université Laval), professeur agrégé au Département du management de l’Université Laval, membre de l’Ordre des psychologues du Québec.

Stéphane Bernatchez est professeur à la Faculté de droit de l’Université de Sherbrooke

Michel Dion (Ph.D. Théologie, Université Laval) est professeur titulaire à la Faculté d’administration de l’Université de Sherbrooke et titulaire de la Chaire de recherche en intégrité financière CIBC

David Koussens (Ph.D. Sociologie) est professeur au Département et d’études religieuses, titulaire de la Chaire sur les religions en modernité avancée et membre du Centre de recherche Société, Droit et Religions de l’Université de Sherbrooke.

Sylvie Laviolette, doctorante en études du religieux contemporain de l’Université de Sherbrooke.

Thierry C. Pauchant (Ph.D. Management, University of Southern California (USC) est professeur titulaire de management à HEC Montréal où il dirige la Chaire de management éthique

Jamel Stambouli, candidat au doctorat en management/entrepreneuriat à HEC Montréal

Louis-Léon Christians, Professeur à l’Université catholique de Louvain, spécialiste du droit comparé.

Walter Lesch, Professeur à l’Université catholique de Louvain, spécialiste en éthique sociale.

Sophie Izoard, doctorante à l’Université catholique de Louvain, éthique et religions en entreprise.

André Daher, Université des Pères Antonins, Baabda, Liban, spécialiste gestion diversité religieuse dans les établissements scolaires.

Marie Davienne Kanni, formatrice diversité entreprise

Dominique Coatanéa, Docteur en théologie, directrice du Centre de Recherche en Entrepreneuriat social

Michel Younès, Professeur à l’Université catholique de Lyon, directeur du CECR

 

LogoCECR                    CathoLyon

Olivier Roy : «La laïcité n’est pas une réponse au terrorisme»

Spécialiste de l’Islam et fin connaisseur du djihadisme, Olivier Roy revient sur la recomposition à l’œuvre au Proche-Orient. Concernant la France, il suggère de « réintroduire de la culture » à l’école et « d’assumer le débat dans les classes ».

 

OlivierRoy

Olivier Roy, professeur à l’Institut universitaire européen de Florence. – Thierry Meneau/Les Echos

A quelques jours du déplacement du chef de l’Etat en Arabie saoudite et près de quatre mois après les attentats à Paris, le politologue et spécialiste de l’Islam Olivier Roy revient sur la recomposition à l’œuvre au Proche-Orient. En France, il convient, selon lui, de distinguer djihadistes et musulmans fondamentalistes. Face aux premiers, « il faut du bon renseignement », dit-il, réservé sur le projet de loi du gouvernement. S’agissant des seconds, il se défie d’une « lacïcité autoritaire ». «Il faut réïntroduire de la culture » à l’école et « assumer le débat dans les classes », souligne-t-il.

Son parcours

Passionné par l’Orient depuis son premier voyage en Afghanistan, en auto-stop en 1969, Olivier Roy est, à près de soixante-six ans, professeur à l’Institut universitaire européen de Florence, où il dirige le Programme méditerranéen.
Spécialiste de l’Islam et fin connaisseur du djihadisme, cet agrégé de philosophie et docteur en sciences politiques a longtemps travaillé au CNRS.
Auteur, en 1992, de « l’Echec de l’islam politique », il a publié l’an dernier « En quête de l’Orient perdu » (Le Seuil, 2014).

 

Les attentats en France, Tunisie et Kenya indiquent-ils que les djihadistes sont devenus une menace mondiale ?

Mais c’est le cas depuis longtemps ! Depuis le 11 septembre 2001, qui marque leur irruption sur la scène médiatique. Ils peuvent frapper partout depuis les années 1990. On assiste, toutefois, à un changement qualitatif avec Daech, qui tient un territoire et ­constitue une force d’attraction considérable, par opposition à Al Qaida. Ben Laden voulait frapper dans le monde entier, mais sans chercher à tenir un pays, il n’était qu’hébergé par les talibans. Daech peut, en revanche, intégrer des milliers de volontaires de nos pays.

Daech est-il en train de réussir son projet de constitution d’un Etat islamique ?

Oui et non. Il dispose, effectivement, de certaines prérogatives étatiques, un système fiscal, judiciaire et administratif, une armée, un territoire, mais on ne sait pas très bien si cela fonctionne vraiment. Certains contacts à Raqqa affirment que Daech assure la distribution de pain, d’allocations, gère des hôpitaux, mais d’autres disent que ces derniers ne sont accessibles qu’aux combattants de Daech et leur famille, que l’électricité n’est disponible que deux heures par jour. En outre, pour Daech les frontières n’ont pas de sens : c’est un projet d’expansion illimitée ou, au minimum, de reconstitution de la communauté des croyants, la oumma, du Maroc à l’Inde, comme aux premiers siècles de l’islam. S’il ne s’étend pas continuellement, il est en échec, ce qui est le cas actuellement. En Jordanie, l’exécution d’un pilote l’a privé de toute complicité et à Damas il affronte les Palestiniens. Contrairement à ce que prétendent certains, aucun djihadiste n’est d’origine palestinienne.

Bref, l’implication de Daech dans les guerres civiles locales le gêne pour mener une guerre mondiale à l’Occident, à l’inverse de son rival nomade, Al Qaida. Daech n’a pas d’alliés et ne peut qu’échouer à terme. Ce qui ne l’empêchera pas de faire encore longtemps des dégâts.

Comment voyez-vous la recomposition en cours du Proche-Orient ?

Nous assistons au début d’une guerre de Trente Ans, par analogie à celle entre catholiques et protestants, qui a ensanglanté l’Europe au début du XVIIe siècle. L’islam est au confluent de trois crises majeures ; celle née du phénomène d’immigration massive en Occident (je ne crois pas à la thèse du « grand remplacement » mais il s’agit, quand même, d’un changement tectonique), celle née de la constitution d’Etats nations artificiels suite au démantèlement de l’empire ottoman après la Première Guerre mondiale et celle de la rivalité féroce entre l’Arabie saoudite, sunnite et arabe, et l’Iran, perse et chiite.

Une des conséquences est l’expansion du salafisme, interprétation littéraliste de la révélation, très adaptée à l’acculturation suscitée par la globalisation. On ne peut pas dire que les djihadistes, en Occident ou dans le monde arabe, n’ont « rien à voir avec l’islam », ne serait-ce que parce qu’ils s’en réclament. Mais ils ne sont ni des musulmans traditionnels ni des traditionalistes : ils se réclament d’un islam bricolé, totalement acculturé, qui rompt avec quinze siècles de tolérance. La preuve, c’est que Daech détruit des églises en Syrie et Irak : c’est donc que ces églises ont été respectées depuis la prédication de Mohamed.

Les pays occidentaux devraient-ils se résoudre à s’allier à Damas ou Téhéran face à Daech ?

Bachar al Assad n’est plus une carte, puisqu’il n’est plus en capacité d’agir. Ce n’est plus le chef d’un Etat fonctionnel, mais un seigneur de guerre parmi d’autres. L’Iran, c’est autre chose : c’est, quasiment, le seul Etat nation de la région. C’est un redoutable joueur de poker menteur, qui va encore gagner du temps et faire du chantage sur le nucléaire mais il est rationnel, il a le sens du temps long et du rapport de force. On peut discuter avec lui.

L’Arabie saoudite, elle, n’a qu’un seul ennemi : le chiisme. Ce qui la pousse à être complaisante avec les djihadistes sunnites. Elle est donc plus un problème qu’une solution.

Vous annonciez dès 1992 la mort de l’Islam politique, mais 23 ans plus tard ce cadavre a l’air encore bien actif…

En 1992 je faisais allusion seulement aux Frères Musulmans, c’est-à-dire à un projet de gestion d’un Etat nation au nom de l’islam, à l’inverse du projet djihadiste. Les Frères Musulmans ont été emportés par les suites du printemps arabe : ils ont perdu le pouvoir en Tunisie et en Egypte. On assiste en revanche à l’émergence d’un néo-fondamentalisme violent qui ne recrute pas parmi des Frères Musulmans réprimés. Ce djihadisme s’implante plutôt en zones tribales en crise (Yémen, Afghanistan, Pakistan) plutôt que dans les villes.

En Occident, les djihadistes sont aux marges des populations musulmanes. Les effectifs d’apprentis terroristes sont significatifs mais faibles rapportés à la population: la preuve c’est que chaque fois que l’un d’entre eux passe à l’acte on découvre qu’il était fiché par la police.

Vous insistez sur « la quête existentielle » des terroristes français. Est-ce une manière de dire qu’il n’y a pas chez eux de projet politique ou de structuration idéologique ?

L’un n’exclut pas l’autre. Il y a une quête existentielle de jeunes en recherche d’aventure – le syndrome : je veux être un super-héros – et puis il y a un référentiel islamique. Daech combine les deux. Un exemple : sur les pages Facebook de deux Portugais de Paris qui sont partis en Syrie il y a quelques mois, il y avait, chez l’un, Ray-Ban et boîte de nuit, et chez l’autre, une sourate du Coran. Mais ils sont partis ensemble. Leur point commun est une forme de marginalisation psychologique. Ils n’ont pas nécessairement de problèmes d’argent, mais ils se situent en rupture avec la société et s’enferment : ils découvrent ou redécouvrent l’islam sur Internet ou en prison et se fabriquent leurs propres croyances et pratiques. C’est ce que permet le salafisme.

Dans leur parcours, ils croisent quand même des imams…

Ils ont des figures tutélaires, des types qui s’autoproclament imams – il n’y a pas de clergé dans l’islam sunnite – et qui forment une sorte de secte. Mais il ne faut pas se tromper : il n’y a chez eux aucun pilier de mosquée ou membre d’une organisation musulmane telle l’UOIF. Ils ne s’inscrivent pas dans une pratique collective de la religion ; ils ne sont pas fascinés par les imams qu’ils considèrent être des ploucs ou des traîtres. Les grands prêcheurs radicaux qui servaient de recruteurs, c’étaient les années 1990 et c’est fini. Certains imams disent des choses horribles sur les femmes et les homosexuels, mais ce n’est pas un appel au terrorisme. La police a fait son travail. Les djihadistes d’aujourd’hui ont une structure de croyance comparable à la radicalité des « born again » protestants ou des convertis – qui représentent 22 % de ceux qui partent en Syrie.

La laïcité telle que la France la conçoit peut-elle être une réponse ?

La laïcité n’est pas une réponse au terrorisme. Beaucoup de gens pensent que la radicalisation djihadiste est une conséquence de la radicalisation religieuse. Mais ce n’est pas parce que vous êtes ultraorthodoxe que vous êtes violent. Chez les catholiques, les trappistes sont des fondamentalistes tout en étant les hommes les plus pacifiques du monde. Et vous avez des salafistes tout à fait paisibles. Contre le terrorisme, il faut du bon renseignement : il vaut mieux augmenter les effectifs de la DGSI, c’est-à-dire avoir des policiers formés à interpréter les écoutes, que multiplier ces mêmes écoutes – c’est le défaut du projet de loi sur le renseignement.

Quant au fondamentalisme religieux, la République n’a pas à l’interdire.

Pourquoi ?

C’est comme si on avait dit que pour répondre aux attentats d’Action directe, il fallait interdire les écrits de Karl Marx ou d’Alain Badiou. En démocratie, on ne condamne pas quelqu’un pour ses opinions, mais pour le passage à l’acte. La République française, à partir de 1881, part de la liberté individuelle et pas du contrôle étatique. Elle n’est pas robespierriste, il ne faudrait pas qu’elle le devienne. On oublie que la loi de 1905 sur la séparation des églises et de l’Etat garantit la liberté de pratique religieuse dans l’espace public. Elle impose la neutralité à l’Etat, pas à la société. Le débat a eu lieu à l’époque entre Aristide Briand et Emile Combes, entre l’anticlérical et l’antireligieux. Le premier l’a emporté mais ce débat renaît régulièrement. De nos jours, il n’y a plus de culture profane du religieux, donc le religieux fait peur et on veut le chasser dans la sphère privée. Mais la laïcité garantit la liberté, ce n’est pas une idéologie.

Donc vous êtes opposé à l’interdiction du voile à l’université…

Oui. Nous ne sommes pas dans le même cas que l’école, car les étudiantes sont adultes. Si on part du principe que la liberté religieuse est une liberté individuelle, il faut un principe aussi fort pour aller à son encontre. Cela peut-être un argument sanitaire, comme le vaccin chez les témoins de Jéhovah, ou la sécurité publique pour l’interdiction du voile intégral. Mais le fait qu’une femme porte un foulard n’empiète en rien sur la liberté, la santé ou la sécurité des autres.

Faut-il, à un moment, dire stop et selon quel principe ?

Pour moi, la liberté individuelle doit prévaloir, dans la mesure du bon fonctionnement des institutions. Le port du voile ne gêne pas le bon fonctionnement des institutions et ce n’est pas non plus du prosélytisme. En revanche, il n’y a pas à suspendre les examens pendant le ramadan car l’Etat n’a pas à s’adapter à la religion. Dans les cantines, il n’y a pas à mettre de menu halal mais on n’a pas à imposer à des enfants musulmans, juifs ou végétariens de manger du porc. Comme on ne va pas les priver de repas, pourquoi se priverait-on de menus de substitution végétariens ? Il faut être empirique et faire confiance aux acteurs.

L’association nationale des DRH souhaite, par exemple, que le port ou non du voile dans une entreprise relève du contrat de travail car chaque entreprise a sa culture et ses clients. Les hôpitaux ont aussi résolu le problème de la demande d’un médecin femme par des patientes femmes : s’il y a une femme médecin de disponible, elle vient, sinon – intérêt du service –, c’est un homme qui se présentera. Il n’y a pas besoin de loi pour tout cela.

Outre le renseignement, la réponse d’une démocratie au terrorisme doit-elle être sociale, culturelle… ?

Sur le social, je suis un peu sceptique. Le fait qu’une partie de la jeunesse – notamment les convertis – bascule dans le nihilisme pose un problème de société qui dépasse l’islam. Il faut opposer des contre-modèles. C’est le défi de l’école, mais elle me semble très mal partie pour le relever. La laïcité autoritaire ne sert à rien avec des adolescents qui, précisément, sont contestataires. Il faut faire de la morale sans faire de leçons. Il faut réintroduire de la culture. C’est pourquoi l’enseignement thématique de l’histoire est aberrant ! Traiter Moïse, Dreyfus et l’Holocauste dans le même cours, cela contribue à tout mélanger alors que ces jeunes sont déjà dans la confusion.L’école doit aussi assumer le débat dans les classes, quitte à entendre des horreurs. Gérer les conflits, c’est le boulot des enseignants à condition qu’ils soient soutenus par leur administration. Or, trop souvent, le mot d’ordre dans l’Education nationale, c’est : « pas d’emmerdes ».Il faut réintroduire de la responsabilité à tous les niveaux, plutôt que de demander des lois pour tout. Il faudrait aussi que l’on ne voit pas que les salafistes dans l’espace religieux. Il faut laisser émerger des modèles de musulmans modérés, mais pas en inventant une religion modérée.

A quoi attribuez-vous l’échec du CFCM ?

A l’impensé gallican de notre République qui ne rêve que d’une chose : régenter le religieux. Le but officiel du CFCM était de faire émerger un Islam de France. Or tous les ministres de l’Intérieur ont géré cela avec le Maroc, l’Algérie ou la Turquie. Toutes les questions sur l’Islam en France sont négociées avec trois Etats étrangers. Comment voulez-vous que le CFCM soit respecté par la nouvelle génération de musulmans qui eux sont Français ?

Elsa Freyssenet
/ Chef de service adjointe, Yves Bourdillon / Journaliste et Henri Gibier / Directeur des développement éditoriaux |
En savoir plus sur http://www.lesechos.fr

Religion au travail: dans mon entreprise, il y a un espace de prière. La laïcité est sauve

Une enquête réalisée par l’Observatoire du fait religieux en entreprise et le cabinet Randstad révèle qu’en 2015, 23% des managers interrogés ont été confrontés au fait religieux au travail. Comment réagir face à ce phénomène ? Hervé Baulme, directeur général d’Ecodair, a autorisé un de ses employés à se créer un espace de prière au sein de l’entreprise. Témoignage.

Business associates brainstorming in meeting

 23% des managers interrogés disent avoir été confrontés au fait religieux au travail (O.DIMIER/ALTOPRESS/PHOTOALTO).

 

Je respecte toutes les croyances

J’ai moi-même été confronté à cette réalité. Il y a dix ans, j’ai créé Ecodair, une société d’insertion de travailleurs handicapés et en 2012, un de mes employés récemment converti à l’islam m’a demandé de lui attribuer un espace de prière.

Si j’ai été surpris par cette requête, j’y ai tout de suite été favorable : je suis plutôt chrétien, mais je respecte toutes les croyances et je considère que l’on n’a pas le droit de d’interdire à quelqu’un de pratiquer sa religion. De plus, je savais que je pouvais avoir confiance en cet employé.

Malgré tout, j’ai décidé d’y réfléchir et d’en parler avec mes équipes. Je voulais être sûr que c’était une bonne idée. J’ai donc organisé une réunion avec les encadrants de mes salariés pour leur demander leur avis.

Une seule personne, elle aussi musulmane, s’est montré défavorable à cette demande. Elle considérait que l’entreprise n’était pas un lieu adapté pour pratiquer sa religion. Pour me convaincre, elle a mis en avant le fait que mon entreprise recevait des aides de l’État et qu’au nom de la laïcité, je ne devais pas autoriser cela. De mon côté, je lui ai expliqué que la laïcité n’interdisait pas aux gens de croire. Elle a très bien compris et elle a finalement accepté.

Aucune répercussion sur la vie de l’entreprise

Nous sommes une petite structure de 85 personnes, je ne pouvais donc pas dédier une salle entière à la pratique de la religion. Mon employé voulait seulement un petit espace tranquille, pour pouvoir pratiquer sa foi. Il a donc choisi un coin du bâtiment qui était en rénovation. Chaque jour, il s’y installait discrètement avec son tapis de prière.

Le fait d’avoir accepté sa demande n’a eu aucune répercussion sur la vie de l’entreprise. Et depuis, je n’ai pas eu d’autres requêtes de ce type. Je n’ai même pas eu à instaurer de règles spécifiques : tout s’est fait naturellement. Cet employé faisait preuve de beaucoup de discrétion et le soir, il restait cinq minutes de plus au travail pour compenser le temps qu’il avait passé à prier.

Dans l’étude réalisée par l’Observatoire du fait religieux en entreprise et du cabinet Randstad, il est d’ailleurs précisé que 94% de ces demandes n’ont pas entraîné de conflit. Ça ne m’étonne pas, car il s’agit simplement de vivre sa religion de façon plus entière. Ça n’a pas d’impact sur le travail.

 

J’ai vu une belle dimension de l’homme

Pour moi, l’augmentation de ce type de demandes s’explique par le fait qu’il y a de plus en plus de nouveaux croyants. J’ai pu remarquer que ces derniers avaient une forte envie de s’engager dans la religion. Ils semblent avoir une certaine flamme, une certaine ardeur.

Malgré tout, je comprends que certains chefs d’entreprises soient démunis face à ce genre de demandes. Ils pensent probablement que l’expression de la foi au travail peut avoir un impact sur le comportement de chacun au sein de l’entreprise.

 

C’est peut-être parfois le cas, mais je n’ai pas été confronté à cela. C’est pourquoi je suis favorable à une généralisation de ce type d’aménagement, si cela est demandé par les employés. Il ne faut pas avoir peur de ces requêtes car finalement, elles permettent de voir une belle dimension de l’homme. Moi, ça me rend plutôt admiratif.

 

Avatar de Hervé Baulme

Par Hervé Baulme
Chef d’entreprise

Propos recueillis par Anaïs Chabalier

Pour en savoir plus : http://leplus.nouvelobs.com/

Religion au travail : «Une sensibilité accrue depuis les attentats de janvier»

LionelHonoré

L’enseignant-chercheur à Sciences-po Rennes estime que les attentats de janvier ont poussé les pratiquants à affirmer davantage leur religion au sein de l’entreprise.

Comment expliquer que les questions liées au fait religieux se posent davantage dans l’entreprise en l’espace d’un an ?
Lionel Honoré. L’actualité récente, l’affaire Baby Loup, les initiatives de Paprec, le débat sur le mariage pour tous et les attentats ont accru la sensibilité à la religion.

Religion : deux fois plus de revendications au travail

Après les attentats de janvier surtout, les pratiquants ont ressenti un discours de remise en cause de la religion dans la société. Plus qu’avant, ils se disent moqués et leur réaction est de se défendre en affirmant davantage ce qu’ils sont dans l’entreprise.

Certaines religions reviennent-elles plus que d’autres au centre de ces questions ?
Toutes sont concernées. Mais la plus grande majorité des cas viennent de l’islam. Sa pratique n’est pas connue des manageurs qui ont encore à apprendre de cette religion. Et son image reste liée aux attentats et à l’islam radical, ce qui nuit aux musulmans. Alors que les différentes études montrent que 95 % d’entre eux sont en phase avec le monde du travail et placent, dans leurs priorités, l’entreprise avant la religion.

Comment se manifestent les demandes ?
Il y a d’abord les demandes personnelles : une absence pour assister à une cérémonie religieuse, un aménagement du temps de travail pour faire une prière, le fait de porter un signe religieux. Les cadres doivent traiter ces questions comme n’importe quelle demande personnelle. Il y en a ensuite d’autres, plus radicales et transgressives, comme de ne pas travailler avec une femme ou le refus d’accomplir certaines tâches. Cela représente 12 % des cas rencontrés, contre 6 % il y a deux ans. C’est donc un chiffre à prendre en compte. D’autant que les demandes sont collectives avec des salariés dans des positions radicales et des manageurs débordés. L’entreprise doit alors avoir une ligne très claire et sanctionner, car le piège est de laisser ce genre de choses passer puis de se faire piéger. Ces cas, les plus conflictuels, se concentrent dans quelques entreprises : les transports, la logistique, le bâtiment, le maraîchage et dans les banlieues.

Faut-il interdire tout signe religieux dans les entreprises privées comme le souhaitent 64 % des salariés interrogés ?
Pas forcément. On peut comprendre le besoin de neutralité face au client. Mais, pour un salarié qui travaille dans un bureau toute la journée, qui serait dérangé ? Au nom de quoi on lui demanderait de ne pas porter de signe religieux ?

Lionel Honoré, président de l’Observatoire du fait religieux en entreprise

Propos recueillis par Fl.G. | 21 Avril 2015, 06h40 | MAJ : 21 Avril 2015, 06h53

Pour en savoir plus : http://www.leparisien.fr

 

Le baromètre de confiance 2015 des EDC

LBataille©CMercier-Ciric-pour-les-EDCretaille

À l’occasion d’une conférence de presse le mercredi 8 avril à Paris, les Entrepreneurs et Dirigeants Chrétiens ont publié les résultats de leur baromètre de confiance 2015. Pour la deuxième année consécutive, plus de 700 membres du mouvement ont répondu à une enquête d’opinion, réalisée par le cabinet Pragma, entre le 10 février et le 2 mars 2015.

Les objectifs : mesurer leur indice de confiance dans les perspectives économiques 2015 et recueillir leur opinion sur le fait religieux en entreprise et les priorités d’engagement des dirigeants dans la sphère économique et sociale.
Les résultats :
– Une progression de l’indice de confiance par rapport à 2014, tiré par la perception de la situation économique de la France
– Des dirigeants très impliqués dans la sphère professionnelle…
Ils déclarent en moyenne 2,7 engagements socio-professionnels dont leur adhésion aux EDC (associations, syndicats professionnels, mandats patronaux, électoraux).
– …en priorité pour l’emploi des jeunes et la formation professionnelle
– Le fait religieux ? Un thème nouveau perçu comme une richesse pour l’entreprise

Trois questions à Laurent Bataille, président des EDC

L’indice de confiance des EDC est en progression en 2015. Pourtant, cette confiance, les chefs d’entreprise ne cessent de la réclamer au gouvernement. Les EDC sont-ils une exception ?

C’est un fait, nous avons plus confiance que l’année dernière. Il semblerait que les récents chiffres annonçant un rebond de l’économie française nous confortent dans cette vision. Mais porter un regard positif et confiant ne veut pas dire que tout va mieux.
Nos entreprises, à l’instar de toutes les autres, souffrent de difficultés économiques fortes et souhaitent rapidement des mesures pour favoriser leur développement et donc l’emploi. Pour nous dirigeants, il est prioritaire de consacrer du temps à nos clients et à nos collaborateurs plutôt qu’aux règles administratives et fiscales. Dès lors, simplifier le cadre réglementaire entourant la vie de nos entreprises et réformer le code du travail répondent, de notre point de vue, à ces urgences.
Si nous avons une vision plus confiante c’est sans nul doute, parce que nous appliquons au quotidien dans nos entreprises, un principe de management ancré dans la pensée sociale chrétienne : la subsidiarité.
Ce principe repose sur la confiance donnée aux hommes et aux équipes qui font vivre l’entreprise. Il place l’homme au centre pour lui permettre d’exprimer ses compétences et acquérir de l’autonomie; sans que tout soit décidé au seul niveau du dirigeant. Et ça fonctionne très bien ! Nous appelons le gouvernement à faire de même, notamment dans le cadre du projet de loi sur le dialogue social, pour redonner cette confiance à toutes les entreprises.

Au regard de l’actualité, le fait religieux ne s’avère pas un sujet de préoccupation pour vos membres. Comment l’expliquez-vous ?
L’entreprise est un lieu privé, une communauté humaine régit par un règlement intérieur qui s’applique à tous les salariés. Ce règlement se conforme à la loi générale et au principe immuable que la France est une république indivisible, laïque, démocratique et sociale.
Ceci étant dit, nous sommes très attachés au respect de la dignité de l’homme, autre grand principe de la pensée sociale chrétienne. Or, la religion de nos salariés contribue à ce qu’ils sont. Elle façonne leurs attentes, leur vision du travail et des autres. Pourquoi cette diversité ne serait pas, elle aussi, une source de richesse pour l’entreprise ? Ce qui est certain, c’est que la religion ne peut pas être un motif d’exclusion, sauf à ce que des collaborateurs se placent par leurs comportements, eux-mêmes, dans ce cas.
Nous avons une vision positive et humaine, tout en restant vigilants à toute instrumentalisation du fait religieux.

Quelles sont les priorités d’actions et de réflexions du mouvement en 2015 ?
L’emploi, et particulièrement celui des jeunes, est notre priorité.
Nous poursuivons le développement de notre manifeste pour la première embauche, signé par plus de 400 chefs d’entreprise membres ou non des EDC (www.manifestepourpremiereembauche.com). À travers notre Fondation pour une économie au service de l’homme (Fondation ESH), nous soutenons financièrement des projets d’insertion de jeunes en difficultés. Depuis 2011, 250 000 euros ont été attribués à plus de dix projets issus d’entreprises et institutions ((notamment les écoles de production de la FNEP, Métal Insertion, Cap’Jeunes de France Active, le programme d’accompagnement de l’ESSEC en faveur des jeunes sans diplôme…).
Nous lançons également notre « Réseau première chance » pour accompagner chaque jeune en formation supérieure ou professionnelle et en recherche d’emploi, grâce à l’intervention professionnelle de membres EDC ou non (coachs, tuteurs) ou via une aide financière de la Fondation ESH.
Par ailleurs, nous publierons l’été prochain un nouveau cahier des EDC sur la subsidiarité, fruit du travail de réflexion de chefs d’entreprise et d’expériences partagées.

Pour en savoir plus : http://www.lesedc.org

 

Un MBA pour améliorer le management des religions

MBADiversitéDialogueManagement

Partant du constat que les religions pèsent de plus en plus dans l’entreprise, le MBA « Diversité, dialogue et management » de l’Institut catholique de Paris (ICP), unique en son genre, propose d’étudier les principaux courants religieux et culturels, et de mieux les comprendre afin d’améliorer le management.

C’est le doyen de la faculté de théologie et de sciences religieuses de l’ICP, Thierry-Marie Courau, qui en a eu l’idée dès 2010. A l’époque, on s’interrogeait sur les moyens d’intégrer « la diversité ». Depuis, le débat s’est déplacé sur les religions, notamment sur l’islam. L’ICP, qui a créé une formation des imams aux valeurs de la République, s’estime particulièrement bien placé sur ces questions. « L’idée du MBA est que, pour manager par le dialogue, il faut comprendre comment se comporter avec des personnes de cultures et de religions différentes, souligne Thierry-Marie Courau, ingénieur à l’origine, devenu franciscain et professeur de bouddhisme. Pour cela, nous nous appuyons sur nos recherches et nos ressources pédagogiques. »

Tous horizons

Cette année, ce MBA accueille dix personnes, de toutes confessions et de tous horizons – le directeur de communication d’un groupe, une directrice d’école enseignant le français langue étrangère (FLE), un psychologue spécialisé dans l’interculturel… Certains participants veulent se réorienter et rejoindre, par exemple, les pôles diversité d’entreprises ou de métropoles. « Nous pourrions aller jusqu’à 15 étudiants, mais pas plus, explique Anne-Sophie de Quercize, la directrice du MBA,car nous assurons un tutorat très approfondi pour aider chacun à affiner son projet et à trouver des stages qui lui correspondent. »

La formation débute par quatre semaines de cours sur les sept grands courants – christianisme, judaïsme, islam, bouddhisme, hindouisme, traditions asiatique et africaine. Puis l’étudiant part en immersion pendant trois semaines pour découvrir une autre religion au quotidien : à la rencontre d’une confrérie soufie au Maroc, dans un ashram indien ou dans un monastère bouddhiste. De retour à Paris, il enchaîne avec cinq séminaires de trois jours, animés par des professionnels, sur des questions concrètes – juridiques notamment – qui se posent dans l’entreprise. Le programme s’achève par un stage de trois à six mois dans une organisation ayant trait à la diversité.

En raison de l’actualité récente, les responsables du MBA ont vu affluer les demandes de renseignements et de formations spécifiques. Le ministère de la défense les a, par exemple, sollicités « afin d’expliquer la laïcité à ses cadres à travers le prisme historique ».

 

En pratique

Conditions d’entrée : bac + 4

Langue : français

Coût : entre 2 500 euros et 4 800 euros suivant les revenus, 7 020 euros en formation continue

Temps de formation : 400 heures sur un an, possibilité d’avoir un certificat si l’on suit les cinq séminaires de trois jours chacun.

 

Pour en savoir plus : http://campus.lemonde.fr/

Vivre ensemble

diversite_big

A la différence de ce que pensent certains, les débats qui agitent la société ou l’entreprise sont souvent similaires. Il est facile de renvoyer dos à dos ceux qui enjoignent avec prétention aux politiques de gérer un pays ou une collectivité comme une entreprise et les non moins orgueilleux pour qui la politique peut faire fi de quelques règles économiques de bon sens et façonner la création de richesse à leur idéologie.

Le débat sur le « vivre-ensemble » (pléonasme ?) dans notre société en est une nouvelle illustration. Il agite le débat public, même en dehors des périodes électorales, et il concerne tout autant les institutions où les personnes travaillent ensemble. Un des sujets majeurs de préoccupation aujourd’hui dans les entreprises est de chercher à améliorer la coopération entre leurs salariés, en un mot les faire mieux travailler ensemble. C’est dire qu’elles s’interrogent sur la nature même du travail – collectif – dans une institution.

Comme l’a récemment traité la revue des entrepreneurs et dirigeants chrétiens (1), la religion pose aujourd’hui sur les lieux de travail des problèmes qui ne tiennent plus seulement à la vie intérieure des dirigeants ou des salariés. Que dire du thème sempiternel des rapports entre les générations puisque les gourous du management sont aujourd’hui en voie d’imposer le cru de la Génération Z après la Y, imposant ainsi un vrai choc de créativité pour leurs successeurs dans cinq ans… Quant à tous les méfaits du travail, chacun s’accorde enfin à admettre que les méchantes organisations n’en sont pas la seule cause mais que l’état de notre société et le mal-vivre en dehors de l’entreprise pourraient aussi avoir un impact sur ce qui se vit à l’intérieur.

Si la question du vivre-ensemble se pose avec autant d’acuité dans les institutions de travail, c’est sans doute que l’on prend conscience des limites du discours du « à-moi-toute ! ». Il avait pris différentes formes complaisantes comme le salarié « acteur de sa carrière », responsable de son « personal branding », soumis à l’exigence de son développement personnel et du « c’est mon choix », etc.

Sans doute commence-t-on à revenir du vieux rêve selon lequel les structures, les règles et les lois devraient suffire à faire travailler ensemble efficacement, chacun se rendant compte enfin que ce n’est jamais le marteau qui enfonce le clou mais l’opérateur habile à s’en servir. Tout comme les lois nouvelles semblent à nos politiques le seul moyen d’agir et d’exister, la construction de systèmes sophistiqués sans aucune considération pour les personnes a souvent servi d’unique pratique managériale.

Dans un ouvrage récent sur la « Très Grande Entreprise », Olivier Basso (2) distingue très judicieusement les grandes et petites entreprises qui n’ont en commun que le nom. Il décrit ensuite les évolutions de ces dernières décennies qui ont obscurci le sens même de l’entreprise, sa« raison d’être » pour utiliser cette belle expression française qu’empruntent les auteurs anglo-saxons sans la traduire. En prenant de la distance vis-à-vis de tous les raisonnements économiques et financiers dominants, l’auteur s’interroge sur la nécessité de retrouver le sens même du projet collectif qui doit forcément fonder l’entreprise et ce qui s’y vit collectivement.

Il existe quelques lueurs dans cette quête du vivre-ensemble. Le mois dernier, le dirigeant d’une entreprise opérant dans le secteur du numérique ou du digital développait le bouleversement des modèles économiques, des nouveaux comportements de consommation et de travail, à savoir une véritable révolution par rapport au monde ancien. Après cette vision de la virtualité extrême, quelqu’un demanda au dirigeant comment il manageait ses équipes. Sa réponse fut immédiate : il avait institué des rencontres physiques obligatoires pour que les salariés, tout simplement, se rencontrent…

 

Maurice Thévenet,

professeur au Cnam et à l’Essec Business School

16/3/15

Pour en savoir plus : http://www.la-croix.com/

 

(1) Dirigeants chrétiens, mars 2015.

(2) Politique de la Très Grande Entreprise, PUF, 2015.

L’entreprise
 face au fait religieux

Au-delà d’affaires ultra-médiatisées comme celle de la crèche Baby-Loup, une multitude
de démêlés liés à la religion place de plus en plus les managers dans des positions intenables.

ReligionAuTravail

Le sujet est souvent encore tabou, mais la question du fait religieux en entreprise se pose de plus en plus, exacerbée par un débat sur l’islam très sensible. Les entreprises sont démunies devant les demandes de leurs salariés. Nombreuses sont celles qui s’en tiennent à rédiger des chartes.

Consultante dans un cabinet d’audit des Big Five, Camille est à bout de nerfs. Cette manager doit faire face à un salarié qui refuse de travailler avec elle… pour des raisons religieuses. « Il ne me regarde pas, refuse de me serrer la main, sous prétexte que je suis peut-être impure… C’est devenu un enfer. » Pas encore la trentaine, l’ingénieur en question a aussi fait savoir qu’il « ne pouvait être staffé dans une banque, ni chez un assureur, car l’islam qu’il pratique l’empêche d’aller chez un client qui fait de l’argent ». Pour Camille, ces contraintes sont devenues un vrai casse-tête. Sa direction lui a demandé de ne pas faire de vague, de statuer au cas par cas. « Il n’empêche, poursuit-elle. Dès que nous en aurons l’opportunité, nous nous séparerons de lui. Jamais nous ne mentionnerons clairement le motif, sa pratique religieuse, mais ce sera bien l’unique cause. »

Les difficultés de Camille sont loin d’être isolées. « La religion sur le lieu de travail est un sujet qui agite les DRH, ils sont demandeurs de conseils », reconnaît Jean-Christophe Sciberras, le président de l’association nationale des DRH. Même constat du côté de Marie-José Forrissier. Elle dirige l’institut Sociovision et confirme : « Le problème est vraiment en train de prendre une nouvelle dimension dans les entreprises ; il est de plus en plus cité dans nos enquêtes. » Mais la façon de s’en préoccuper est sensible, selon elle, pour « 82 % des sondés, la religion soit rester une affaire privée ».

Aussi, la réponse la plus courante qu’apportent les directions est la rédaction d’un manuel afin de donner des indications aux managers. La CFDT et plusieurs fédérations professionnelles travaillent elles aussi sur l’élaboration de guides pour leurs adhérents. A l’instar de celui réalisé par l’Alliance du Commerce, réunion de la fédération des enseignes de la chaussure, de l’habillement et l’union du grand commerce de centre-ville. Sur près de 25 pages, ce texte fournit des solutions à des questions du type : peut-on refuser à un salarié de se vêtir comme il le souhaite pour des convictions religieuses ? un salarié peut-il effectuer sa prière sur son lieu de travail ? etc.

Lorsque le sujet se fait plus conflictuel, les directions ont encore très souvent tendance à le mettre sous le tapis. Et ceux qui acceptent d’en parler le font anonymement, même lorsqu’ils sont salariés protégés. « Nous avons fait remonter des difficultés dans les services de maintenance, raconte cette syndicaliste Air France. Dans les équipes au sol, les relations hommes-femmes se sont beaucoup dégradées. Par exemple, les gars qui préparent l’avion ne veulent pas serrer la main d’une femme pilote. Ils lui envoient un bonjour du bout des lèvres pour éviter de se faire virer, mais se débrouillent pour ne pas communiquer avec elle, ce qui est dangereux, car ces transmissions orales sont essentielles pour la bonne sécurité d’un vol. » Alertée, la direction n’a pas réagi. En attendant, assure cette représentante du personnel, « dans ces services, les femmes ne veulent plus aller travailler. On sait que ces équipes se radicalisent, mais personne ne bouge ».

Sans faire de publicité, des entreprises ont décidé de céder à certaines demandes, plus par pragmatisme que par idéologie. Chez les constructeurs automobiles, alors qu’il n’y a aucune obligation légale à installer des lieux de culte dans l’entreprise, des salles de prières sont apparues dès les années 1990 à proximité des lignes de montages. « Nous avions une forte population d’origine maghrébine, c’était ça ou on ne fabriquait pas de voitures le vendredi », se souvient un membre de la direction de Renault. Responsable administrative d’une PME de la banlieue lyonnaise travaillant dans la construction, Marie-Laure constate, elle aussi, une augmentation des demandes de télétravail ou des arrêts maladies au moment du ramadan ou de shabbat. Elle a pour habitude de fermer les yeux, et d’accepter ces congés. « Pour éviter les histoires », lâche-t-elle. « Pour l’heure, c’est plutôt bien admis par les autres salariés. Mais je m’attends à ce qu’un employé athée à qui je refuse un jour un congé me tombe dessus et se sente discriminé », confie la quinquagénaire.

A la tête de O2, spécialisée dans les services à la personne, Guillaume Richard note que « le jeûne est beaucoup plus suivi qu’il y a cinq ans ». Et le chef d’entreprise de regretter que le droit du travail ne soit pas plus souple en la matière, pour lui permettre notamment de mieux moduler l’organisation du travail. « Je serai favorable à ce que l’on revoit les jours fériés par exemple. Non pas pour qu’il y en ait moins, mais pour qu’ils ne soient plus adossés à des fêtes uniquement catholiques. Je trouverais bien que l’on ait des jours pour fait religieux, que chacun placerait dans l’année en fonction de sa confession. »

Certaines conventions collectives ne mériteraient-elles pas d’être revues afin de mieux prendre en compte la pluralité religieuse ? Exemple : la convention collective de la bijouterie offre aux salariés des jours pour la communion de leurs enfants. Quid de ceux qui font leur Bar Mitzvah ? Ils ont vite fait de se sentir lésés…

Chez Paprec Group, en février, la direction a pris le problème par un autre prisme, et adopté une charte de la laïcité. Histoire de mettre tout le monde au même niveau et de sortir la religion de l’entreprise, par « devoir de neutralité ». Adopté par un vote à l’unanimité des 4 000 salariés, ce texte a reçu le grand prix national de la laïcité à la Mairie de Paris en octobre. Seul hic, ce parti pris est très contestable juridiquement. Jean-Luc Petithuguenin, le PDG, en a bien conscience. « En l’absence de toute jurisprudence, le juge peut décider que l’entreprise a été un peu excessive », assurait-il au moment de son adoption. Une position risquée au regard des textes européens qui font de la liberté religieuse et de la possibilité de l’exercer un droit quasi sacré.

Par Fanny Guinochet, Journaliste

Pour en savoir plus : www.lopinion.fr

Entreprises et religion : «Souvent, le management fait face à des salariés demandeurs de solutions»

Depuis trois ans, l’Observatoire du fait religieux en entreprise – développé en partenariat avec SciencesPo Rennes, l’Institut sur l’égalité des chances de Ranstad et le Centre de recherche de l’action politique en Europe – interroge près de 1500 personnes sur la question du fait religieux dans le monde du travail. Trois populations sont visées : les cadres des ressources humaines, les managers et des salariés sans responsabilité.

Est-ce que la question du fait religieux est très présente dans l’entreprise ?

Oui, elle fait partie du quotidien de nombreuses entreprises. Nous le voyons dans les enquêtes réalisées par l’observatoire ces deux dernières années. Près de 12% des personnes interrogées en 2014 sont confrontées de manière quotidienne, hebdomadaire ou mensuelle au fait religieux au travail. Près de 32% le sont de manière régulière, et presque 56% ne le sont jamais ou moins d’une fois par an. Il n’y a pas d’augmentation globale. La différence est que nous constatons une augmentation du nombre de cas bloquants et conflictuels. En 2013, le nombre de cas aboutissant à un blocage était de 6%, en 2014, il atteint 10%. Mais, il faut être vigilant. Derrière ces données se cachent de grandes disparités : dans certaines zones, par exemple en Seine-Saint-Denis, certaines entreprises et certains managers sont confrontés de manière quotidienne à des faits religieux qu’ils ont de plus en plus de mal à gérer ; en Vendée, c’est beaucoup moins le cas.

Comment se manifestent les démonstrations religieuses en entreprise ?

Les plus courantes correspondent à des demandes personnelles et isolées du type «Comment puis-je articuler ma pratique professionnelle et ma pratique religieuse?». En général, il s’agit de demandes ponctuelles d’absence pour participer à une cérémonie, le port d’un signe, etc. Cela représentent 94 % des faits recensés ; ils sont gérés par le management de proximité sans trop de difficultés. Cela ne veut pas dire qu’il n’y a jamais de conflits, mais ces cas n’appellent pas un management spécifique. Ils sont réglés par la discussion, surtout lorsque les encadrants ne se focalisent pas sur la dimension religieuse et arrivent à les traiter comme des comportements individuels. Plus rares, en revanche, sont les faits qui ont une dimension politique. Le salarié demande alors à l’entreprise d’organiser le travail en prenant explicitement en compte sa pratique. Il cherche à imposer au fonctionnement de l’organisation et/ou aux comportements de ses collègues, la contrainte religieuse. Exemple: il peut faire pression sur le management pour que le ramadan soit officiellement pris en compte, pour que la direction accepte que des salariés puissent refuser des tâches ou de travailler avec ou sous les ordres d’une femme pour des motifs religieux, que les plannings soient adaptés aux contraintes de prière. Ce peut être aussi d’imposer des menus confessionnels au restaurant d’entreprise, de demander la mise en place d’un lieu de prière ou de faire pression sur des personnes pour qu’elles adoptent un comportement religieux, par exemple en participant à une prière collective. Ces derniers faits restent très minoritaires, mais nous constatons une augmentation. Le port de signes ostentatoires ne caractérise que 10 % des situations.

Comment les entreprises répondent-elles à ces demandes ?

Dans la plupart des cas, le management fait face à des salariés qui ne sont pas revendicatifs, mais simplement demandeurs de solutions. L’acceptabilité des demandes n’est pas la même. Par exemple, il est largement admis (82% des réponses positives) et légitime aux yeux de la majorité qu’un salarié fasse une demande d’absence pour assister à une fête religieuse. En revanche, pour 89% des personnes interrogées, il est inacceptable de refuser de réaliser des tâches pour motifs religieux, et pour la très grande majorité des répondants, on ne peut pas prier pendant le temps de travail. Parfois le management est confronté à des comportements plus radicaux. Il convient de noter que ces comportements radicaux se concentrent dans quelques entreprises. Dans ces sites, la situation s’est très fortement dégradée et les managers sont souvent en grande difficulté, faute de soutien de leur direction générale, de politique claire de l’entreprise et surtout de cadre juridique clair. C’est bien là, le problème.

 

Par Fanny Guinochet, Journaliste

Pour en savoir plus : http://www.lopinion.fr